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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 27 février 2021

Chronique de mars 2021.

 


Béatrix Beck ou «la littérature hermaphrodite».

Dans une interview publiée en 2003 dans Le carnet et les instants nº 123, le poète belge Karel Logist a interrogé Béatrix Beck, entre autres choses, sur l´identité belge et la littérature féminine. Justement à la question de savoir s´il existait selon elle une littérature ou une écriture «féminine», Béatrix Beck a catégoriquement répondu : « écriture féminine si elle est mauvaise. Léonard de Vinci a dit avec raison que tout écrivain doit avoir le double sexe. La vraie littérature est hermaphrodite ». 

Le moins que l´on puisse dire c´est que Béatrix Beck ne mâchait pas ses mots. Iconoclaste, caustique et dynamique, Béatrix Beck fut souvent considérée comme la doyenne des lettres françaises. Dans un article paru en 2014 dans L´Obs, l´année du centenaire de la naissance de cette dame hors du commun, Jérôme Garcin l´a surnommée «L´anti-Duras, injustement oubliée». C´est que Béatrix Beck est née la même année que Marguerite Duras- qui fut aussi celle de la naissance d´autres écrivains singuliers comme Romain Gary ou Lucien Bodard -, mais son audience ne peut se mesurer qu´à l´aune tout au plus d´un simple succès d´estime, contrairement à Marguerite Duras qui a toujours tenu le haut du pavé.

Béatrix Beck est accidentellement née à Villars-sur-Ollon, en Suisse, le 30 juillet 1914, fille d´une mère irlandaise-Kathleen Spiers-et d´un père –le poète Christian Beck, ami de Charles-Louis Philippe et ennemi d´Alfred Jarry- de nationalité belge, mais d´ascendance mi-lettone mi-italienne. Quoique Béatrix Beck fût élevée en France –après la mort prématurée de son père, victime d´une phtisie à l´âge de 37 ans, mort survenue en 1916,  -, il a fallu attendre l´année 1955 pour qu´elle devienne citoyenne française. Elle a commencé ses études à Fourqueux et à Saint-Nom –la-Bretèche et les a poursuivies au lycée de Saint-Germain-en-Laye avant de les terminer à Grenoble, à la faculté de droit où elle a obtenu sa licence. Elle aurait voulu, a-t-elle confié un jour, pouvoir défendre les mineurs traduits en justice.

Cet intérêt pour les mineurs, les pauvres, les déshérités, les laissés-pour-compte l´a poussée à adhérer aux Jeunesses Communistes. C´est d´ailleurs la fréquentation de la mouvance communiste qui l´a fait rencontrer un garçon de son âge dont elle est tombée amoureuse. Il s´agissait de Naum Szapiro, un juif apatride que Béatrix Beck a épousé le 23 septembre 1936. Bernadette est la fille née de cette union. Le mariage de ces deux jeunes communistes à l´ardeur militante irréprochable fut pourtant de courte durée. En effet, mobilisé en 1939, Naum Szapiro est mort à la guerre d´un coup de mousqueton le 2 avril 1940, le jour de ses 28 ans.

Veuve, avec un enfant et sans l´aide de sa mère qui s´était suicidée au Gardenal pour répondre, disait-elle, aux appels pressants de son défunt mari, Béatrix Beck a dû exercer divers petits métiers toujours mal rémunérés. Aussi a-t-elle été ouvrière dans une usine de fermetures Eclair, emballeuse dans une fabrique de puddings, modèle dans une école de dessin, employée dans une école par correspondance et femme de ménage.

Pour pouvoir écrire Barny (1948), son premier roman, elle a vendu les lettres adressées par André Gide à son père (ils avaient été amis de jeunesse). Le roman n´est pas passé inaperçu. André Gide lui-même l´a particulièrement aimé et il a ainsi décidé d´engager Béatrix Beck comme secrétaire juste au moment où elle s´apprêtait à publier Une mort irrégulière, son second roman, en 1950. Malgré le décès de Gide en février 1951 qui l´a mise de nouveau au chômage, Béatrix Beck est néanmoins parvenue à se tirer d´affaire grâce à la réputation qu´elle avait acquise après la parution de son premier roman. Son talent fut d´ailleurs de plus en plus reconnu à telle enseigne que son troisième roman Léon Morin prêtre, paru en 1952, fut couronné du prix Goncourt –un prix que Marguerite Duras curieusement n´a reçu qu´une trentaine d´années plus tard avec L´Amant, en 1984-et quelques années plus tard adapté au cinéma par Jean-Pierre Melville. Dans ce film, Emmanuelle Riva jouait le rôle de Barny et un des acteurs principaux était Jean-Paul Belmondo. Grâce à ce prix. Béatrix Beck a pu se payer un appartement à Paris, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, dans le même immeuble de Jean-Paul Sartre.

Léon Morin prêtre raconte l´histoire de Barny dont le mari est mort à la guerre. Elle vit misérablement avec sa fille dans une ville de province pendant l´Occupation. Un jour, elle décide de dire des incongruités au prêtre dans le confessionnal de l´église. Le curé, Léon Morin, séduit par l´esprit rebelle et agnostique de Barny, une paroissienne atypique, l´invite à venir le voir chez lui. Petit à petit, devant l´ouverture d´esprit de Léon Morin qui détruit les préjugés coutumiers sur la religion, elle se trouve touchée par la grâce. Ce roman, comme les deux précédents de Béatrix Beck, est d´inspiration largement autobiographique. Dans l´édition du quotidien Le Monde du 7 mai 1952, le critique Émile Henriot écrivait sur ce troisième roman de Béatrix Beck dans un article où perce de l´admiration : «Mme Béatrix Beck, qui n’a pas fini de nous étonner, est ce remarquable écrivain révélé sans bruit ces dernières années par deux ouvrages d’exception : Barny et Une mort irrégulière. Elle est, je crois, d’origine irlandaise ; elle a passé un moment dans l’entourage d’André Gide ; elle a dû faire une expérience malheureuse, si du moins c’est elle Barny. Elle a le ton dur et cassant, l’amertume caricaturale et la lucidité cynique de ceux de sa race ou de sa famille d’esprit : Swift, Joyce, Bernard Shaw. Laissée veuve, dans Une mort irrégulière, par un époux communiste et juif, Aronovitch, mystérieusement disparu, fusillé ou suicidé, Barny à travers toutes les difficultés de sa vie de réfugiée étrangère a connu le fond du désespoir et, incapable d’illusion, elle est parvenue « à la zone d’absence et de nirvana négatif » au-delà de quoi commencent le néant et l’espèce de haine générale que peut susciter pour une femme ardente et déçue un monde où il n’y a rien à aimer. Il fallait rappeler le précédent livre de Mme Béatrix Beck avant de parler du plus récent, Léon Morin prêtre, dont l’héroïne est justement la même Barny». Émile Henriot n´oublie pas de mettre en exergue le côté comique, grinçant et ironique de l´écriture de Béatrix Beck en dépit du théâtre de guerre : «La peur des Allemands, l’accommodement et la lâcheté des uns et des autres, les bombardements et les fusillades d’otages, tout cela, qui faisait le malheur de tous les jours, est peint sans sérénité, comme on pense, mais non sans une cruelle ironie à l’égard des victimes mêmes de ce monde fou. Les Italiens ayant remplacé les Allemands dans l’occupation de la petite ville, un enfant qui riait sur leur passage est abattu. « Ce qui rendait l’histoire comique, c’est que l’enfant était italien. » Voilà le comique en effet pour Mme Beck. Tout pour elle est sujet à protestation grinçante, au risque de tomber dans une bouffonnerie atroce. Elle n’aime pas les persécutés dolents et faibles qui l’entourent. Elle se refuse à la communion médiocre du malheur ; elle ne veut pas « être de la piétaille ».

Le cycle romanesque –fort autobiographique, comme on l´a vu -qui s´est amorcé avec Barny et poursuivi donc avec Une mort irrégulière, Léon Morin, prêtre, puis Des accommodements avec le ciel (1954) et Le Muet(1963) s´est achevé en 1967 avec Cou coupé court toujours, un ouvrage qui dérogeait à la structure classique des livres précédents de l´auteur et que Gallimard a pilonné.  

Pendant une dizaine d´années, Béatrix Beck n´a quasiment pas publié (hormis quelques poèmes parus en 1975). Cette période a coïncidé avec son séjour à l´étranger où elle a enseigné à l´université de Berkeley et à Hollins College (Virginie) aux États-Unis –«ce pays où l´on inflige la peine de mort même à des débiles mentaux», s´est-elle indignée un jour -, puis à l´université Laval et à l´université Laurentienne au Canada.  De retour en France, elle est réapparue en librairie en 1977 avec L´Epouvante où elle traçait le portrait de sa petite fille et l´année suivante ce fut le tour de Noli, récit d´une psychanalyse et tableau de la vie universitaire au Canada.

En 1979, enfin, le grand tournant : elle a inauguré ce que l´on a communément dénommé «sa seconde manière» avec La Décharge (éditions Le Sagittaire), qui a reçu le  Prix du Livre Inter, un livre où elle a complètement changé de registre, un livre qu´elle a considéré comme son  premier «vrai roman» : « Mes précédents ouvrages, toute la série des Barny, étaient des récits romancés destinés à faire de mon passé table rase». Avec La Décharge elle s´est, de son propre aveu, libérée de toute réalité personnelle. Jusqu´alors, l´idée de composition lui était étrangère : «Je me bornais à dérouler la bobine», a-t-elle déclaré sur ses livres précédents. Elle accumulait les anecdotes et les mots révélateurs. Elle brossait on ne peut mieux des portraits, mais ne se souciait guère de raconter une histoire bien ficelée.

Comme on nous le décrit dans la quatrième de couverture de l´édition de 1988 de la collection Cahiers Rouges (Grasset), dans La Décharge, nous plongeons dans l´histoire des Duchemin qui s´entassent dans une misérable baraque située entre le cimetière d´un village et la décharge publique, un amoncellement d´ordures en perpétuelle combustion que le père a mission de surveiller. Noémie Duchemin rédige ses souvenirs à la demande de son institutrice. C´est une adolescente sensible et surdouée qui use d´un style neuf et savoureux capable de transformer en féerie une réalité sordide. Rien de plus difficile que de faire parler l´enfance et la misère.    

On a souvent comparé Béatrix Beck dans «sa seconde manière» et surtout dans La Décharge à Raymond Queneau, pour son humour, le style, le discours et l´espièglerie ravageuse, mais Béatrix Beck n´a jamais reconnu aucune affinité avec l´auteur de Zazie dans le métro. Sur son écriture, elle a affirmé un jour : «Quand j´étais enfant, mon écriture était pompeuse ou archaïsante. Après, ç´a été le style qu´on appelle blanc et que j´appelle incolore. Maintenant c´est n´importe quoi pourvu que ça me plaise». De toute façon, son style était à vrai dire inimitable, soit dans ses contes pour enfants, soit dans ses nouvelles ou autres fictions comme Devancer la nuit (1980), ouvrage qui nous entraîne dans les rapports épistolaires et amoureux d´Anaïs Dobleï, une jeune journaliste, et d´Alexis Deblaise, un écrivain obsédé par la vanité de l´existence dans les traits duquel on pourrait reconnaître Roger Nimier, disparu dans un tragique accident de voiture en 1962. 

L ´écriture de Béatrix Beck était souvent d´un énorme dépouillement, un dépouillement qu´elle a justement systématisé dans Devancer la nuit. Béatrix Beck aimait à citer –comme nous le rappelle François Grosso dans la postface de la nouvelle édition de ce livre, parue en 2020 aux éditions du Chemin de Fer – un sketch de Fernand Raynaud assez cocasse. Dans ce sketch, un marchand d´oranges, qui avait écrit «Belles oranges à vendre» sur une ardoise se voyait corrigé par son patron : pas la peine d´écrire que les oranges sont à vendre, on se doute qu´il ne les offre pas, et le marchand d´effacer «à vendre» ; pas la peine d´écrire qu´elles sont belles, cela va sans dire. Il efface «belles» ; pas la peine d´écrire que ce sont des oranges, c´est évident. Il ne reste rien sur l´ardoise. C´est l´image même du dépouillement…

En 2000, elle a dédié son dernier livre, La Petite Italie, à sa fille, Bernadette Szapiro, née le 25 décembre 1936 et morte un an plus tôt, en 1999, peintre et auteur de La Première Ligne (Calmann-Lévy, 1981), un récit consacré à son père Naum Szapiro. Sa fille Bernadette a été un temps la compagne de l'écrivain français Jean-Edern Hallier avec qui elle a eu une fille : Béatrice Szapiro, née le 3 juin 1958, devenue ensuite écrivain.

Atteinte de la maladie de Parkinson, Béatrix Beck s´est retirée dans une maison de retraite à Saint-Clair –sur-Epte où elle est morte le 30 novembre 2008, à l´âge de 94 ans.

Douze ans après sa mort, saluons la mémoire de Béatrix Beck et aussi les éditions du Chemin de Fer qui ont republié ces dernières années pas mal de titres de cette grande dame des lettres françaises dont l´œuvre n´en finit pas de nous émerveiller.

 

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jeudi 25 février 2021

La mort de Philippe Jaccottet.


Philippe Jaccottet était, à mon avis, le plus grand poète vivant de langue française. Sa mort a sûrement plongé dans la consternation nombre d´amants de la poésie.  Suisse vaudois, Philippe Jaccottet est né le 30 juin 1925 à Moudon et il est mort hier à Grignan, France. Il était non seulement un admirable poète, mais aussi un remarquable critique littéraire et traducteur. 

Plutôt que de me répandre en commentaires, je vous conseille de lire la chronique que je lui ai consacrée en février 2016 que vous trouverez dans les archives de ce blog. 

mercredi 24 février 2021

La mort de Lawrence Ferlinghetti.

 

Le poète américain Lawrence Ferlinghetti est mort le 22 février à San Francisco aux États-Unis. Né le 24 mars 1919(à Yonkers), il aurait le mois prochain 102 ans. Il était également connu comme co-fondateur de la Librairie City Lights Booksellers & Publishers et d´une maison d´édition du même nom qui a fait paraître les travaux littéraires des poètes de la Beat Generation dont Jack Kerouac et Allen Ginsberg.

Il a écrit de nombreux livres de poèmes dont Amants des gares, directement écrit en français(éditions Le Temps des Cerises, 1990).


mercredi 17 février 2021

La mort de Joan Margarit.

 

La littérature d´Espagne-de langue espagnole et catalane - est plongée dans la consternation avec la mort hier, à l´âge de 82 ans, victime d´un cancer, du grand poète Joan Margarit, prix Cervantès 2019. 

Né à Sanahuja, en Espagne, le 11 mai 1938, «Joan Margait i Consarnau a écrit pour les âmes solitaires et les humeurs douloureuses, auxquelles il s'est identifié même dans les moments les plus brillants» écrivait hier le magazine Fahrenheit.

 Malheureusement, il est très peu traduit en français.

samedi 13 février 2021

Article pour le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur l´édition d´hier du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Le Passeur de Stéphanie Coste, aux éditions Gallimard, un premier roman très prometteur:

 

 https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/le-passeur-premier-roman-de-stephanie-coste-298529