Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le livre Le nom des rois de Charif Majdalani, publié aux éditions Stock.
La plume dissidente
«L´enfer, c´est un endroit sans livre»-Elie Wiesel.
Qui êtes-vous ?
- Fernando Couto e Santos
- Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.
vendredi 14 novembre 2025
mercredi 12 novembre 2025
Boualem Sansal enfin libéré!
C´est la bonne nouvelle d´aujourd´hui. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a finalment grâcié l´écrivain Boualem Sansal, en prison depuis un an. Une nouvelle que l´on salue vivement.
mardi 4 novembre 2025
Le Prix Goncourt 2025 est décerné à Laurent Mauvignier.
Le Prix Goncourt 2025 a été attribué au premier tour au roman La maison vide de Laurent Mauvignier, publié aux éditions de Minuit.
La maison vide est un roman monumental, une réinvention de l´histoire de la famille de l´auteur sur quatre générations, dans une maison de la campagne française, et, comme d´aucuns l´ont signalé, véritable aboutissement de son oeuvre. Je vous rappelle que ce roman avait déjà été couronné du Prix Littéraire du Monde et du Prix des Libraires de Nancy-Le Point 2025.
Entre-temps, le Prix Renaudot fut attribué à Adelaïde de Clermont-Tonnerre pour son roman Je voulais vivre, publié aux éditions Grasset. C´est une relecture des Trois Mousquetaires du point de vue de Milady, héroïne que l´autrice tient pour la victime du «plus grand féminicide de l´histoire de la littérature».
mercredi 29 octobre 2025
Chronique de novembre 2025.
Sergueï Lebedev:
l´interrogation de la Grande Histoire.
En Russie, on le sait, la mémoire de la terreur stalinienne dérange encore
pas mal de monde. De surcroît, le pouvoir en place, en héritier de tous les
impérialismes possibles et imaginables, ne voit nullement d´un bon œil toute
interrogation de la Grande Histoire. Si reconnaissance il y a parfois de la
souffrance, de la résistance et de la combativité des Russes au cours de
l´histoire, elle est manipulée au profit du souvenir et du culte de la
personnalité des gouvernants qui ont souvent sévit sur le peuple, soit en
l´asservissant, soir en persécutant ceux qui osent dire non aux diktats et aux
oukases qui essaient de les museler et les bâillonner.
Néanmoins, quiconque s´acharne- souvent au prix d´énormes efforts et au
risque de sa vie- à préserver la mémoire de la terreur pour que l´innommable ne
se reproduise pas un jour, peut toujours compter sur la plume d´écrivains comme
Sergueï Lebedev, comme on l´a vu d´ailleurs quand il a pris la défense, il y a
quelques années, de Dmitriev, le représentant en Carélie de l´Association
Mémorial, victime d´un procès kafkaïen.
Né à Moscou le 28 octobre 1981, donc encore du temps de l´Union Soviétique,
Sergueï Lebedev, après avoir été journaliste et rédacteur en chef adjoint de la
revue Premier Septembre, s´est affirmé
ces dernières années comme un des écrivains russes les plus respectés de sa
génération, non seulement en Allemagne où il vit depuis des années –en raison
de son opposition au régime de Vladimir Poutine-, mais aussi un peu partout
puisque ses livres –qui se penchent sur les secrets de l´histoire soviétique,
la violence du stalinisme et ses impacts dans la Russie d´aujourd´hui - sont
traduits dans plus d´une vingtaine de langues dont le français où il fut
traduit d´abord chez Verdier et plus récemment aux éditions Noir sur Blanc.
S´il est aujourd´hui un écrivain reconnu –en tant que poète, romancier et
essayiste -, Sergueï Lebedev a commencé par travailler pendant sa jeunesse au
sein d´expéditions géologiques vers le nord de la Russie au cours desquelles il
a découvert des vestiges de camps du Goulag. Son travail sur la mémoire de la
terreur stalinienne a nourri sa création littéraire, comme je l´ai écrit plus
haut. Son œuvre, paradoxalement –ou
peut-être pas –mieux connue en Occident qu´en Russie, couvre une période
comprise entre le début du XVIIIème et le début du XXIème siècle. La
Révolution, le culte de Lénine, le Goulag, les purges staliniennes, la fin de
l´époque soviétique sous Brejnev, la perestroïka de Gorbatchev, la mise sur le
devant de la scène de la Fédération de Russie et les années Eltsine, la guerre
de Tchétchénie puis l´avènement de Poutine en constituent les sujets les plus
courants de ses livres.
Son premier livre La limite de l´oubli –paru en français en 2014, aux
éditions Verdier, traduit du russe par Luba Jurgenson, comme les deux romans
suivants-en est d´ailleurs un des exemples les plus illustratifs. Le roman se
présente comme une enquête. Ayant survécu, enfant, à la morsure d´un chien
grâce à une transfusion sanguine, le narrateur cherche à connaître l´identité
de celui dont le sang coule désormais dans ses veines et dont la personnalité
recèle un mystère. On finira par découvrir qu´il s´agit d´un homme aveugle
surnommé l´Autre Grand –Père qui avait été gardien dans un camp du Goulag et
avait causé la mort de son propre fils qu´il a cherché à remplacer en adoptant
le narrateur et en allant jusqu´à se sacrifier pour lui. La limite de l´oubli
est un roman d´une rare profondeur écrit dans un style raffiné qui traduit les
inquiétudes d´une génération qui a grandi pendant la période de transition qui
a suivi la perestroïka et la chute du régime soviétique. Selon les critiques,
La limite de l´oubli est le premier roman d´un jeune auteur qui a su
s´affranchir des limites imposées par l´effacement des années soviétiques.
Son deuxième roman, L´année de la comète, se place sous le registre de la
chronique familiale tout en gardant le même procédé de son roman précédant,
c´est-à-dire, l´enquête. L´apparition de la comète est vue sous l´angle de
Tania, la grand-mère du narrateur, qui en a été témoin dans son enfance et qui
raconte à partir de cet épisode l´histoire de sa vie. L´auteur interroge donc
le vacillement identitaire de sa génération et décrit les pièges politiques qui
guettaient la Russie à ce moment-là.
Les hommes d´août fut le troisième roman de Sergueï Lebedev traduit en
langue française, un roman –policier ? fantastique ?
d´aventures ?-qui nous renvoie aux événements d´août 1991, le moment où
les communistes de la vieille garde opposés aux réformes de Gorbatchev essaient
de déclencher un coup d´État. Ces communistes échouent et Boris Eltsine, porté
au pouvoir par la tourmente, reprend le contrôle du pays qui ne tardera
pourtant pas à se disloquer. À Moscou, devant le bâtiment qui abritait la
police politique, la statue de Dzerdjinski, symbole de soixante-dix ans de répression est déboulonnée. Le héros
du roman, en quête de ses racines, sillonne les contrées dévastées de
l´ancienne Union Soviétique, un périple qui se traduit par un véritable voyage
dans l´au-delà, un au-delà néanmoins bien réel où les injustices anciennes ont
pavé le chemin des violences futures. Bientôt les guerres en Tchétchénie
sonneront le glas de l´illusion démocratique de la communauté des «hommes
d´août» née sur les ruines du communisme. À vrai dire, si Dzerdjinski et même
sa statue avaient disparu, l´esprit du fondateur de la Tchéka –la première
police secrète soviétique – ne s´était point dilué.
Les deux romans les plus récents de Serguei Lebedev ont été publiés en
français aux éditions Noir sur Blanc. D´abord Le Débutant, en 2022, puis La
Dame Blanche lors de la cette dernière rentrée littéraire. Traduits tous les
deux du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton.
L´intrigue du Débutant –prix Transfuge du meilleur roman étranger - gravite
autour d´un poison mortel. Kalitine, le chimiste qui l´a fabriqué dans un
institut secret d´Union Soviétique, s´est enfui à l´Ouest au moment de
l´effondrement du pays. Le roman raconte son enfance dans une ville secrète
d´URSS, sa vocation précoce, son initiation auprès d´un oncle puissant et
mystérieux, puis les années passées dans un laboratoire clandestin, dissimulé
sur une île dans un grand fleuve. Vingt ans plus tard, le lieutenant - colonel Cherchniov reçoit l´ordre d´empoisonner le
traître avec son propre produit, et il se lance à sa poursuite. Une enquête
haletante dans le monde des espions et des services secrets russes.
Dans La Dame Blanche, on se retrouve dans une petite ville du Donbass, au
moment de l´invasion russe. Marianna, surnommée «la Dame Blanche»,
mi-magicienne, mi-gardienne des lieux, se meurt. Elle a dirigé la blanchisserie
de la mine de charbon et sa fille Janna se demande si elle devra reprendre
cette mission purificatrice. C´est alors que réapparaît Valet, le voisin qui
s´est engagé dans les forces de l´ordre russes. Réprouvé par la population
ukrainienne et poussé par un désir de vengeance, Valet attend son heure.
Dans ce roman parfois terrifiant, l´auteur dénonce la mainmise de la Russie
sur l´Ukraine et les habitudes soviétiques qui perdurent. La mine de charbon
cache un terrible secret : lors de la Seconde Guerre mondiale, des
milliers de Juifs y ont été ensevelis par les Allemands et c´est au-dessus de
ces lieux maudits que, un jour de juillet 2014, un avion de ligne est abattu
par un missile russe…Dans ce roman, l´auteur met en lumière le point de
rencontre du nazisme et du communisme soviétique qui a donné naissance au
nouveau totalitarisme de la Russie d´aujourd´hui.
D´après Julie Gerber, docteur en littérature comparée, «la prose de
Lebedev, classée en Russie dans la catégorie «littérature intellectuelle»
trouble par sa dimension à la fois poétique et analytique. Le lecteur peut y
sentir des influences proustiennes : à travers des phrases étirées, le narrateur décrit
minutieusement ses souvenirs, s´efforçant de saisir l´insaisissable. La prose
pourrait être qualifiée de postmoderne dans sa structure végétale, «rhizomique»
pour reprendre les termes de Deleuze et Guattari. Le rêve, l´hallucination et
la réminiscence s´entrecroisent dans une trame principale très relâchée. Les
points de contacts entre les divers récits, les différentes couches de
conscience et de souvenirs sont flous: le lecteur peut s´y perdre, mais cela
relève du jeu».(«L´engagement poétique et politique de l´écrivain Sergueï
Lebedev :une recherche du temps présent, in Revue Parlementaire et
politique, 25 janvier 2021).
Le Goulag est, on l´a vu, un des sujets qui font souvent irruption dans les
fictions de Sergueï Lebedev. Le Goulag dont il répertorie les vestiges. Comment
décider néanmoins de ce qui est un vestige ? C´est la question posée par
Luba Jurgenson- traductrice de quelques livres de Sergueï Lebedev, mais surtout
essayiste – dans son livre Le semeur d´yeux (Sentiers de Varlam Chalamov) paru
en 2022 chez Verdier : «Dans un pays comme l´URSS tout fait trace. Des
villes entières ont été construites dans le but de maintenir et de développer
le système concentrationnaire : Magadan, la capitale du Dalstroï,
Medvejegorsk, la capitale du Belbaltlag, camp du canal Baltique –Mer Blanche.
La mémoire du Goulag est inscrite (et enfouie) dans des monuments
architecturaux d´autres époques, par exemple la célèbre «maison des exécutions»
de la rue Nikolskaïa à Moscou, dont les étages inférieurs comprennent des
fragments d´habitations des princes Khovanski du XVIIème siècle et qui, dans
les années de la Grande Terreur, a abrité le Collège militaire de la Cour suprême
d´URSS». Néanmoins, dans le cas des livres de Sergueï Lebedev, il ne s´agit pas
de revenir comme un historien sur l´expérience du Goulag ni de se substituer au
témoin quoique, dans un entretien, il eût placé son œuvre dans le prolongement
de celles de Varlam Chalamov et d´Alexandre Soljenitsyne. L´objectif de Sergueï
Lebedev est quand même tout autre, comme il l´a avoué dans ce même
entretien : «Ils n´étaient pas intéressés par la «présence» du camp dans
la vie normale : ils s´occupaient de révéler l´atrocité. Moi, j´ai voulu
parler de l´héritage de ce passé».
Peut-être la meilleure définition de l´œuvre de Sergueï Lebedev nous a-t-elle été donnée par un de ses
confrères, un autre grand écrivain russe qui répond au nom de Vladimir
Sorokine : «Éteignez votre téléviseur et lisez…Sergueï Lebedev n´écrit pas
sur le passé, mais sur la journée d´aujourd´hui. Il écrit sur le fait que nous
n´avons pas connu ni compris l´ère stalinienne. La Perestroïka semble déjà une
histoire ancienne oubliée, mais Staline est vivant. Dans les années 1990, nous
étions tous romantiques, nous pensions que c´était cela la liberté. Mais un
homme qui a vécu toute sa vie dans un camp ne peut pas en sortir et du jour au
lendemain devenir libre. Au lieu de la Perestroïka et de la liberté, nous avons
un pays qui est pillé, les Russes se battent contre les Ukrainiens, on érige de
nouveau des monuments à Staline. Dans les églises, on prie pour la grande
Russie. Ce n´est déjà plus la génération de Staline, mais celle de ses enfants.
Des enfants de leurs enfants. Un lien sans fin et sombre. Les héros de Lebedev
cherchent un moyen de couper ce cordon ombilical…».
Livres de Sergueï Lebedev parus en français :
La limite de l´oubli, traduit du russe par Luba Jurgenson, édition Verdier,
paris, 2014.
L´année de la comète, traduit du russe par Luba Jurgenson, éditions
Verdier, Paris, 2016.
Les hommes d´août, traduit du russe par Luba Jurgenson, éditions Verdier,
Paris, 2019.
Le Débutant, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton, éditions Noir
sur Blanc, Lausanne/Paris, 2022.
La Dame Blanche, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton, éditions
Noir sur Blanc, Lausanne/Paris, 2025
mardi 21 octobre 2025
Article pour le Petit Journal Lisbonne.
Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Douce menace de Léa Simone Allegria, publié aux éditions Albin Michel:
jeudi 9 octobre 2025
Le Prix Nobel de Littérature 2025 est attribué à Lászlo Krasznahorkai.
László
Krasznahorkai, né le 5 janvier 1954 à Gyula, est le lauréat du Prix
Nobel de Littérature 2025. Écrivain et scénariste hongrois, il est l´auteur de
plusieurs dystopies. Il a signé les adaptations de ses romans,
notamment Tango de Satan et La mélancolie de la
résistance pour des films réalisés par Béla Tarr. L´académie
suédoise l´a récompensé « pour son
œuvre fascinante et visionnaire qui, au milieu de la terreur apocalyptique,
réaffirme le pouvoir de l'art ».
C´est sans l´ombre d´un doute un des
meilleurs prix Nobel de ces dernières années.
lundi 29 septembre 2025
Chronique d´octobre 2025.
Roger Nimier, un hussard hors du commun.
Roger Nimier, dont on célèbre ces jours-ci –le 31 octobre (1) - le
centenaire de la naissance était-il un enfant terrible des lettres françaises,
comme on l´a maintes fois surnommé ? La question que nombre de critiques
s´est souvent posée n´est pas particulièrement pertinente. Toutes les épithètes
que l´on colle sur le dos d´un écrivain ne traduisent d´ordinaire qu´un manque
de réflexion sur son œuvre puisque celle-ci ne peut aucunement se ramener aussi
fragile ou insuffisante soit-elle à un simple lieu commun vide de sens. Or,
Roger Nimier –un des noms les plus emblématiques des Hussards, groupe
d´écrivains de droite ainsi baptisés par Bernard Frank dans Les Temps Modernes
(2) - fut une personnalité à la fois
complexe, riche et atypique.
Né à Paris, Roger Nimier était issu d´une vieille famille bretonne et
tirait quelque fierté de ses ancêtres La Perrière, corsaires à Saint-Malo (il a
d´ailleurs signé ses premiers articles du nom de Roger de La Perrière). Son
père, ingénieur assez réputé, fut l´inventeur de l´horloge parlante. Sa mère,
premier prix de violon au Conservatoire, avait abandonné la musique au
lendemain de son mariage. Enfin, Roger Nimier fut un élève brillant au Lycée
Pasteur. Michel Tournier, son condisciple en classe de philosophie jugeait sa
précocité «un peu monstrueuse» et son intelligence et sa mémoire «hors du
commun».
Quel que soit le jugement que l´on porte sur son œuvre, le moins que l´on
puisse dire c´est qu´elle ne laissait personne indifférent et ce parce que,
plus de soixante ans après sa disparition dans un tragique accident de voiture–
aux côtés de l´extravagante et très belle Sunsiaré de Larcône, autrice d´un
seul roman, La Messagère –,et, à la veille du centenaire de sa naissance, ils
sont sans doute légion ceux qui ne tarissent pas d´éloges sur ses romans et ses
essais dont l´influence dans l´histoire de la littérature française du
vingtième siècle est irréfutable. On pourrait peut-être –exercice aussi vain
que paradoxalement intéressant – imaginer dans une perspective un brin
uchronique ce qui serait advenu si Roger Nimier n´était pas mort le 28
septembre 1962 au volant de son Aston Martin, à l´âge de 36 ans, et aurait vécu
encore au moins deux, trois, voire quatre décennies développant ainsi une œuvre
qui avait déjà, quoique relativement courte, forcé l´admiration. Jacques
Chardonne, un des pères spirituels –avec Paul Morand –des Hussards, répétait
pourtant à Roger Nimier qu´il ne fallait pas être pressé de vouloir tout écrire
à vingt ou trente ans et lui donnait en exemple André Gide : «Sachez que
si Gide était mort à cinquante ans, il ne compterait guère. Ayant atteint
quatre-vingts ans, il a pu obtenir le Prix Nobel…méfiez-vous de l´alcool, des
belles voitures, n´oubliez pas que les battements du cœur sont comptés.
Beaucoup dormir».
Cet avis de Chardonne est, à vrai dire, fort discutable, étant donné que
chaque écrivain a son rythme d´écriture et tous n´atteignent pas la maturité au
même moment de leur vie. Albert Camus s´est vu décerner le Prix Nobel de
Littérature à l´âge de 44 ans (il est
mort à 46 ans, dans un accident de voiture comme Roger Nimier) et Arthur
Rimbaud avait composé pratiquement toute son œuvre avant l´âge de 20 ans. D´autre
part, Raymond Radiguet est mort à 20 ans et Alain Fournier à 27 ans. S´ils
n´avaient pas publié prématurément, on n´aurait jamais entendu parler d´eux,
simples citoyens anonymes. Par contre, l´Allemand Theodor Fontane fut un
romancier tardif et le Portugais José Saramago, un autre prix Nobel de
Littérature, n´a acquis la notoriété en tant qu´écrivain qu´avec Le Dieu
Manchot (Memorial do Convento, en portugais) à l´âge de 60 ans. On pourrait
donner une foule d´autres exemples dans un sens ou dans l´autre.
Toujours est-il que Roger Nimier a pris note des conseils de Chardonne,
surtout ceux concernant le rythme d´écriture et la périodicité de la parution
de ses livres. En effet, Roger Nimier avait commencé à écrire et à publier
assez tôt. Le premier livre qu´il a écrit ne fut néanmoins publié qu´après sa
mort. Il s´agissait de L´Étrangère, un roman aux contours autobiographiques
rédigé dans un style proche de Giraudoux et de Cocteau. C´est en 1948 qu´est
paru chez Gallimard le roman Les Épées, salué par la critique. C´était un bref
roman qui racontait l´histoire d´un jeune homme passant de la Résistance à la
Milice dans le contexte de La seconde guerre mondiale.
Dans son deuxième roman, Perfide, paru en 1950, on assiste à une sorte de
complot où la politique et le monde sont l´enjeu de lycéens turbulents qui
aiment des dames du monde et chahutent le gouvernement. Cette même année, Roger
Nimier a publié aussi celui que d´aucuns considèrent comme son meilleur
roman : Le Hussard Bleu. Écrit à plusieurs voix, chaque chapitre est un
monologue intérieur d´un personnage différent. On y voit reparaître François Sanders,
protagoniste du roman Les Épées qui prend cette fois-ci sous son aile son ami
Saint -Anne, plus jeune et inexpérimenté. Sanders a eu la chance d´échapper à
l´épuration et donne libre cours à ses instincts guerriers en occupant
l´Allemagne vaincue. Il y a d´autres personnages essentiels comme un colonel
réactionnaire et vichyssois et l´inévitable Allemande facile auprès de laquelle
se retrouvent tous les officiers du régiment. Ces soldats parlent un argot un
peu littéraire, mais assez plaisant ; Roger Nimier y mêle quelques termes
de métier et les jurons indispensables à la couleur locale.
C´est encore cette année-là qu´il publie l´essai Grand d´Espagne, dédié à
Georges Bernanos, un essai où, selon les paroles de Pierre Boisdeffre, Roger
Nimier va dresser l´acte de naissance d´une génération désenchantée. D´après
Gabrielle Roy Chevarier, de l´Université Mc Gill à Montréal, cet essai
mi-politique mi-littéraire fait de Nimier non seulement le porte-parole de la
génération qui a eu 20 ans en 1945, mais aussi l´incarnation d´une jeunesse
mélancolique, frustrée et insoumise, qui s´affirme en s´opposant haut et fort à
l´existentialisme, comme en témoigne cet extrait reproduit par la professeure
de littérature dans son texte «Le roman d´aventure ou l´art de courir après la
balle», publié en 2011: «L´humanisme est toujours très prudent dans ses
principes, très impératif dans ses mandements. Il nous défend clairement de
tuer nos semblables, sans nous expliquer pourquoi les autres sont nos
semblables. On me répondra que ces choses –là «se sentent». Ce n´est pas
impossible. Mais dans le domaine des sensations, l´humeur est dominante, chaque
instant est un argument nouveau et, enfin, il n´est pas juré que tous les
habitants de la terre sortent du même atelier, puisque aussi bien, il n´y a
plus de sculpteur. Tout à coup, si nos voisins nous apparaissent comme des
insectes ou de purs étrangers, rien ne nous empêchera d´en supprimer
quelques-uns. Les moustiques tués, les résistants fusillés, les fascistes
abattus, ces choses-là ne se comptent plus. C´est une affaire d´impatience ou
de colère» (Grand d´Espagne, pages 75-76).
Un essai comme Grand d´Espagne est de nos jours tout bonnement inconcevable,
comme l´a vu à juste titre Juan Asensio dans un texte publié dans son
magnifique blog Stalker(dissection du cadavre de la littérature) en septembre
2016. Inconcevable de plus d´une façon : «par manque de talent, par
absence de hardiesse, par intumescence prodigieuse d´inculture, de vulgarité,
de bassesse, de médiocrité, et puis parce que tout le monde se contrefiche de
saluer ce qui nous a précédés et qui, pour le dire point trop désobligeamment,
est presque toujours plus grand que nous ne sommes».
Roger Nimier a encore publié jusqu´en 1953 deux romans, Les enfants tristes
– qui se termine par la description d´un prémonitoire accident de voiture- et
Histoire d´un amour, ou encore un essai, Amour et Néant. Il a continué d´écrire
à un rythme régulier mais ces livres-là -dont D´Artagnan amoureux ou Cinq ans avant ou
encore L´Élève d´Aristote, entre autres - n´ont été publiés qu´à titre posthume
puisque, comme je l´ai écrit plus haut, Roger Nimier s´est imposé un silence
volontaire après un entretien avec Jacques Chardonne.
La période d´abstinence romanesque n´a pas été pour autant une période de
silence journalistique ou cinématographique. Il a écrit des scénarios pour
Michelangelo Antonioni ou Louis Malle (notamment Ascenseur pour l´échafaud) et
s´est également consacré à la critique, surtout dans la revue L´Opéra qu´il a
dirigée. Conseiller littéraire auprès de Gaston Gallimard à partir de 1956, il
a défendu l´édition de plusieurs ouvrages en mettant en avant leur valeur
littéraire au-dessus des considérations politiques. Sa démarche se trouvait
donc aux antipodes de l´engagement sartrien. Il a ainsi œuvré à l´édition et à
la promotion du roman D´un château l´autre de Louis-Ferdinand Céline en 1957
alors que les livres précédents de l´écrivain de Voyage au bout de la nuit et
de Mort à crédit parus après la guerre n´avaient pas rencontré de succès. Un
des écrivains qui ont partagé cette politique éditoriale fut François Mauriac
qui lui a écrit un courrier en le saluant pour sa démarche : «Vous êtes le
seul de votre génération. C´est vous qui délivrerez la littérature de
l´engagement qui l´étouffe». Il a contribué aussi à la réhabilitation de Paul
Morand et, cela va sans dire, de Jacques Chardonne. Déjà en 1950, il avait
adhéré à l´Association des amis de Robert Brasillach –le seul écrivain collabo
fusillé à la Libération –et avait participé en 1955 à l´hommage qui lui fut
rendu par Défense de l´Occident, revue nationaliste et d´extrême-droite dirigée
par l´écrivain Maurice Bardèche, beau-frère de Robert Brasillach.
Sur le chapitre politique, on n´ignore nullement qu´il était un homme de
droite, d´une sensibilité donc nationaliste. Néanmoins, au gré de ses
contradictions, on se rend compte qu´il ne se reconnaissait dans aucune, si
j´ose dire, chapelle spécifique. Pendant la seconde guerre mondiale, il a écrit
des articles pour l´hebdomadaire royaliste La Nation Française, puis il a
révélé un penchant gaulliste. En 1960, il a signé le «Manifeste des
intellectuels français» soutenant l´action de la France en Algérie.
Ceci dit, Roger Nimier était-il, comme on l´a souvent surnommé, le chef de
file de la droite littéraire d´après-guerre ? Malgré son indiscutable
orientation politique, Olivier Frébourg dans Roger Nimier, trafiquant
d´insolence (3), considère que la légende est née d´un malentendu créé par la
confusion entre le romancier et les personnages de ses romans, tous
suicidaires, férus de jeunesse et de l´uniforme. Olivier Frébourg remarque –et
je cite- que Nimier n´a abusé ni de l´excentricité ni de la débauche
romantique : «il détestait le pathétique et les confessions déplacées.
Nimier fut un écrivain consciencieux, fasciné par la Vie de Rancé. Les
intellectuels l´insupportaient, il se donna un air dégagé, se moqua du dandysme
et de la préciosité». Par contre, Marc Dambre dans Roger Nimier, Hussard du
demi- siècle (4), voit ses prises de positions politiques comme autant d´appels
à une réformation complète de la civilisation : «Pour une génération qui
avait le jeune âge de Roger Nimier, le bonheur était une idée neuve, dont le
caractère fragile et menacé accentuait l´attrait (…) Nimier est avant tout un
révolutionnaire nostalgique des anciens
Ordres Humains». Enfin, en 1950, dans un article paru dans Témoignage Chrétien, le critique suisse Albert Béguin (5), inquiet de voir un jeune
écrivain de talent soutenir des «valeurs peu nouvelles», relevait dans son
style toutes les qualités traditionnelles d´une certaine école critique de
droite, un peu de sécheresse maurassienne, mâtinée de raideur à la façon de
Massis ou de Thierry Maulnier (6). Les jeunes comme Roger Nimier, se donnant
pour insolents, ajoutait Albert Béguin, n´étaient peut-être qu´impatients
d´écrire.
Toujours est-il que l´insolence et l´impatience sont d´ordinaire des
sentiments qui siéent à ceux qui veulent faire de la bonne littérature…
(1)
Le
30 octobre paraîtra dans la collection Quarto chez Gallimard, le volume
Roger Nimier, Œuvres (romans, essais,
critique chroniques).
(2)
Il
s´agissait d´une allusion de Bernard Frank au roman de Roger Nimier, Le Hussard
Bleu. Outre Roger Nimier faisaient partie des Hussards Jacques Laurent, Antoine
Blondin et Michel Déon. Le texte Les Grognards et les Hussards est paru dans
Les Temps Modernes en 1952.
(3)
Olivier
Frébourg, Roger Nimier, trafiquant d´insolence, éditions du Rocher, Monaco,
1989.
(4)
Marc
Dambre, Roger Nimier, Hussard du demi-siècle, éditions Flammarion, Paris, 1989.
(5)
L´article
d´Albert Béguin s´intitule «La vertu d´insolence».
(6)
Henri
Massis et Thierry Maulnier étaient des journalistes, critiques littéraires et
essayistes d´extrême-droite.






