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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 2 août 2009

Knut Hamsun,des sentiments contradictoires



Ce 4 août on signale en Norvège et un peu partout le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Knut Hamsun. Plus de cinquante ans après sa mort, on nourrit encore à son égard des sentiments contradictoires : d´une part l´admiration pour l´écrivain et d´autre part la déception devant un homme qui au crépuscule de sa vie n´a pas hésité à collaborer avec les forces d´occupation nazies de son propre pays. Je reproduis ici un article que j´ai écrit en avril 2007 pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne sur cet admirable écrivain qui s´est certes égaré dans la collaboration, mais dont l´œuvre compte parmi les plus importantes du vingtième siècle.


«L´actualité littéraire a été secouée l´été dernier par la polémique autour des déclarations de Günter Grass sur son enrôlement, à l´âge de 17 ans, dans la Waffen-SS , un épisode de son passé que celui qui est considéré comme la conscience critique ou morale de la gauche allemande, prix Nobel de littérature en 1999, a caché pendant plus de soixante ans. L´écrivain allemand a expliqué son silence par la honte qu´il éprouvait devant ce fait et son enrôlement dans cette unité d´élite comme une façon d´échapper à l´univers familial. Nombre d´intellectuels ont apporté leur soutien à Günter Grass devant les attaques virulentes dont l´auteur fut victime, certains de ses critiques allant jusqu´à déclarer que l´Académie Nobel aurait dû lui retirer le prix décerné en 1999. Peu d´observateurs se sont rappelés que contrairement à Günter Grass qui ne fut jamais effectivement un nazi et dont l´œuvre témoigne de la lutte de l´auteur, à travers la fiction, contre l´oubli de la responsabilité collective allemande, il y a bien eu un autre prix Nobel de littérature qui, au crépuscule de sa vie, à l´âge de quatre-vingts ans, a applaudi de façon enthousiaste l´occupation de son pays - la Norvège- par les troupes hitlériennes. Je parle, bien entendu, de Knut Hamsun, nom de plume de Knud Pedersen. Écrivain hors pair, ce Norvégien né en 1859 à Garmo, un bourg de montagne, au sein d´une famille modeste, mène une vie vagabonde, émigre pour un temps à Chicago, aux Etats-Unis, avant de devenir un auteur réputé, à qui l´Académie Nobel n´a pas rechigné à attribuer, en 1920, la consécration suprême. Admiré par André Gide, Thomas Mann, Henry Miller, Kafka ou Brecht, Knut Hamsun fut, sans l´ombre d´un doute, un des auteurs les plus influents en Europe et dans le monde, dans la première moitié du vingtième siècle. Comme l´a écrit Chloé Hunzinger, en 2003, dans la Revue des Ressources, l´œuvre de Hamsun désoriente et fascine à la fois. Les héros de ses livres sont « de jeunes rêveurs condamnés à la marginalité et à la déchéance qui pourtant gardent une fraîcheur d´enfance, une grâce : des vagabonds d´une poésie saugrenue, étrangers à l´existence, évoluant au milieu de lacs, de forêts, de rivières ; avançant au sein d´un univers païen, presque panthéiste.»
Comment cet homme d´une rare intelligence a-t-il pu sombrer dans la collaboration avec la horde de fanatiques qui a occupé son pays lors de la seconde guerre mondiale ? D´aucuns diraient qu´il n´a pas été le seul, ils furent quelques-uns, les grands intellectuels européens qui ont salué le nazisme. En France, notamment, nous avons eu l´exemple de Céline, Drieu La Rochelle, et même Paul Morand (pourtant aussitôt réhabilité). De toute façon, on reste perplexe. Les raisons qui ont poussé Hamsun à soutenir les Nazis peuvent avoir trait entre autres aspects, à sa soif d´absolu, à sa traditionnelle germanophilie, à d´autres motifs qui ne sauraient être expliqués de façon rationnelle. À la fin de la guerre, il est mis au ban et soumis à un traitement psychiatrique. Un procès le condamne à payer à l´État des dommages élevés pour le soutien moral apporté à l´occupant et ses droits d´auteur rétrécissent comme peau de chagrin. Il meurt en 1952, à l´âge de quatre vingt treize ans, non sans avoir encore écrit deux livres Pro Domo (1947) et Sur les sentiers où l´herbe repousse (1949), une sorte d´autobiographie où il n´a cependant pas justifié ses prises de position pendant la seconde guerre mondiale.
Si aujourd´hui encore on a du mal à réhabiliter l´homme, l´œuvre est toujours aussi vivante. La faim est le roman qui a définitivement assis sa réputation de grand écrivain. Publié en norvégien en 1890, il fut traduit en français en 1895. Il est disponible dans la collection Biblio du Livre de poche, comme d´ailleurs la plupart des livres de l´auteur. Le héros est un jeune intellectuel qui lutte quotidiennement pour se nourrir ou pour garder une petite chambre d´ordinaire infecte. Parfois, il réussit à faire accepter ses textes par le directeur d´un quotidien qui souvent lui avance de petits acomptes. Pourtant, errant en quête d´une pièce pour pouvoir manger, il s´en débarrasse, la donnant au premier venu, comme si les pièces lui brûlaient les mains. La faim est le livre de la déchéance physique et psychologique, de quelqu´un qui, malgré la misère et le malheur, refuse de sombrer dans la mendicité. Un livre à lire de nos jours, pour que l´on comprenne ce qu´était à l´époque le vrai dénuement. Les autres livres de Hamsun à signaler (si tant est que l´on puisse considérer que dans l´œuvre de cet écrivain il y ait vraiment des livres plus importants que d´autres) sont Mystères (1892) ; Pan (1894) ; Victoria (1898) ou Sous le soleil d´automne (1906), des romans où il décrit avec une indiscutable maestria les angoisses qui secouent des figures à la personnalité hors du commun, vivant fréquemment en marge de la société, ou plongés dans un exil intérieur.
L´importance de Knut Hamsun dans la littérature du vingtième siècle est condensée dans un commentaire de Isaac Bashevis Singer que l´on peut retrouver dans la préface à l´édition américaine de La faim : «Hamsun est à tout point de vue le père de la littérature moderne par sa subjectivité, son impressionnisme, son usage de la rétrospection et son lyrisme (…). Toute la littérature moderne de ce siècle prend sa source chez Hamsun»».

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