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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 29 décembre 2016

Chronique de janvier 2017.



Zbigniew Herbert ou la magie des mots.

Alors que la Pologne, à l´instar d´autres pays de l´Europe Orientale, se replie tristement sur soi-même-du moins, politiquement- pataugeant qui plus est dans le nationalisme cocardier, il est on ne peut plus pertinent de rappeler que la culture polonaise a enrichi la culture européenne de sa sève inventive et que nombre de scientifiques, d´intellectuels, et d´artistes tout court de ce brave pays ont réussi ailleurs et irrigué de leur génie la culture d´autres pays surtout la France, l´Angleterre, l´Allemagne ou les États-Unis.
La culture polonaise est par nature cosmopolite et c´est dans cette tradition de grands voyageurs que l´on peut inclure le grand poète, dramaturge et essayiste Zbigniew Herbert.
Zbigniew Herbert est né le 29 octobre 1924 à Lwow, qui en ce temps-là faisait partie du territoire polonais (aujourd´hui intégrant l´Ukraine). Fils d´un banquier et petit-fils d´un professeur de langue anglaise, il était un lointain descendant du poète anglais-gallois du dix-septième siècle George Herbert. S´éprenant de la magie des mots, il s´est tôt tourné vers les lettres se découvrant une vocation qu´il n´a cessé de cultiver le long de sa vie. Cependant, sa formation a connu des soubresauts en raison de l´éclatement de la seconde guerre mondiale alors qu´il n´était qu´un adolescent. Aussi, pendant cette période noire où son pays était occupé par l´armée nazie, a-t-il poursuivi ses études dans une université secrète à Lwow même, sa ville natale. En même temps, il était engagé dans l´armée nationale clandestine (Armia Krajowa) faisant montre d´une conscience politique qui forgeait déjà son caractère libre et indépendant. La guerre terminée, il a suivi des études d´économie à l´Université Jagellonne à Cracovie et plus tard, dans les années cinquante, des études de droit à l´université Nicolas Copernic à Torun. C´est plus ou moins à cette époque, profitant d´un certain dégel dans le régime polonais après le stalinisme des premières années, qu´il a débuté une carrière prestigieuse qui l´a propulsé au fil des ans au sommet de la littérature polonaise voire européenne du deuxième demi-siècle. Rechignant devant l´exubérance de ce voyageur atypique, le régime polonais lui a quand même permis de voyager sans trop l´inquiéter. Zbigniew Herbert a alors donné libre cours à son imagination en façonnant sa poésie d´une clarté si rarement rencontrées au vingtième siècle. Puisant aux sources antiques, sa poésie a une singularité de trait remarquable. Elle est souvent lyrique sans se départir pour autant d´une perspective réflexive et philosophique. Ses voyages- entrecoupés de séjours en France, en Italie, en Allemagne, en Autriche et ailleurs ainsi que de retours en Pologne- lui ont inspiré des essais d´une richesse stylistique et d´un engouement pour tout ce qui touche à la culture qui le placent sans l´ombre d´un doute parmi les essayistes les plus originaux de la seconde moitié du vingtième siècle, toutes langues confondues.
En France, nombre de ses livres ont longtemps été épuisés. Pour combler cette lacune, l´excellente maison d´édition Le Bruit du Temps a commencé depuis quelque temps la publication de ses œuvres poétiques complètes et de ses principaux essais.
L´Œuvre poétique complète est rassemblée en trois tomes et les recueils d´essais dont il est question sont Un barbare dans le jardin, Le Labyrinthe au bord de la mer et Nature morte avec bride et mors. Ces livres d´essais sont le fruit de ses voyages en Europe ou de ses réflexions à la suite de ses périples sur le vieux continent, le premier en France et en Italie, le deuxième sur l´Antiquité grecque et latine et le troisième aux Pays-Bas. Ces trois livres sont illustrés avec des reproductions des œuvres et des monuments commentés par l´auteur.
Dans l´avant-propos d´Un barbare dans le jardin, Brigitte Gautier reproduit des extraits d´une lettre de Zbigniew Herbert à ses parents où il écrit : « Je feins de ne pas être content alors que j´explose de joie à l´intérieur, j´ai vraiment eu une veine incroyable (s´ils ne me refoulent pas à la frontière tchèque –je touche du bois) car ils refusent des passeports à mes amis et il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark, en général». Dans cette lettre du 22 mai 1958 alors que Zbigniew Herbert n´a que trente-trois ans l´auteur, ayant rompu les mailles de la bureaucratie polonaise, exprime son incrédulité de voir le rêve de son voyage en France se concrétiser.
 En ce livre, nous sommes témoins de l´érudition du savant mais aussi de l´émerveillement du voyageur devant la beauté qui se dévoile devant ses yeux. Aussi ses impressions sont-elles nourries de réflexions d´un fin connaisseur. Le raffinement de l´érudit se grise de la réjouissance du dilettante (dans le sens qu´a le mot en italien alors qu´en français il est plutôt péjoratif). En France, Zbigniew Herbert s´extasie en France devant Lascaux et ses peintures rupestres. La perspective et la découverte de l´admirateur le disputent à la mémoire de ses lectures et des choses vues qui lui permettent de formuler un raisonnement clair et avisé. Ainsi, sur une peinture de deux bisons, il écrit : «Composition d´une force d´expression inégalable, devant laquelle toutes les violences des peintres d´aujourd´hui semblent puériles, deux bisons couleur de goudron, arrière-train contre arrière-train. Celui de gauche a la peau de l´échine déchirée, la chair à nu. Ils ont la tête dressée, le pelage hérissé ; leurs sabots de devant bondissent dans la vitesse. Le tableau explose d´une sombre et aveugle puissance. Même les tauromachies de Goya ne sont qu´un faible écho de cette passion»
Quelques pages plus loin, il livre une réflexion sur l´aspiration de l´artiste à l´époque préhistorique : «L´idéal que poursuivaient les artistes et qui était d´imiter les animaux à la perfection, cela à des fins de magie, fut sans doute ce qui les poussa à se lancer dans la couleur. La palette est simple et peut se réduire au rouge et à ses dérivés, au noir et au blanc. Il semble que l´homme préhistorique n´ait pas été sensible aux autres couleurs, tout comme aujourd´hui les Bantous. Du reste, les vieux livres de l´humanité, les Veda, l´Avesta, l´Ancien Testament et les poèmes homériques demeurent fidèles à cette limitation de la vision colorée».
En Italie, il y a, on le sait, une myriade de palais, musées et cathédrales à visiter. Zbigniew Herbert y ressent le même éblouissement de ceux qui l´ont précédé et, par-dessus le marché, il semble avoir la volupté de la langue où excellaient Chateaubriand et Stendhal au dix-neuvième siècle, André Suarès et Valery Larbaud au vingtième siècle, d´autres grands voyageurs en Italie.
Sur la cathédrale de Sienne, il écrit : «Il ne faut pas céder au terrorisme des guides et contempler cet édifice, qui est certainement l´un des plus beaux du monde, avec un regard un peu critique. Le premier moment d´éblouissement et de ravissement passé, bien entendu. C´est un plaisir qu´il ne faut jamais se refuser. Du reste les auteurs de la façade, et parmi eux Giovanni Pisano, ont tout fait pour nous maintenir dans cet état de fièvre esthétique. Les historiens de l´art s´accordent généralement pour dire que la cathédrale de Sienne est le plus beau monument gothique d´Italie. Cela fait ricaner les Français qui affirment avec une indignation mal dissimulée que leur style-le gothique-, dans la péninsule apennine n´est que du roman auquel on aurait adapté des croisées d´ogives».
Ce barbare dans le jardin livre aussi ses impressions sur Arles, Il Duomo, Piero della Francesca, fait un plaidoyer en faveur des templiers et dédie un chapitre aux Albigeois, inquisiteurs et troubadours, entre autres sujets.
 Dans Le Labyrinthe au bord de la mer-publié en Pologne deux ans après sa mort, survenue le 28 juillet 1998-, Zbigniew Herbert rassemble sept essais sur l´Antiquité classique grecque et latine, cette époque lointaine qui fascine encore aujourd´hui les lecteurs et dont on peut tirer force enseignements.
Dans l´essai qui donne le titre au recueil «Le Labyrinthe au bord de la mer» l´auteur décrit son séjour en Crète et évoque la figure d´Arthur Evans (1851-1941), l´archéologue anglais qui a largement contribué aux fouilles de Cnossos et qui a à son actif la découverte de la civilisation minoenne. Il y a un chapitre consacré au paysage grec et un autre à l´Acropole où Zbigniew Herbert cite Chateaubriand : «Les récits de Chateaubriand, sa précision, son intérêt pour les détails techniques et la qualité littéraire de ses descriptions le placent au premier rang des voyageurs en Grèce de «l´époque préarchéologique». Il n´a pas réussi à éviter les erreurs (il est facile de les lui reprocher aujourd´hui) car, influencé par les récits de Spon, il attribue les sculptures du fronton du Parthénon aux artistes de l´époque d´Hadrien. Mais mû par une intuition juste, il dit en même temps qu´il est impossible que Phidias ait laissé nus les deux frontons».
Néanmoins, un des plus beaux chapitres du livre est celui où Zbigniew Herbert évoque les Étrusques, civilisation disparue qui a vécu au centre de la péninsule italienne depuis la fin de l´âge de bronze jusqu´à la fin de l´âge du fer. Par d´autres mots, du VIIIème au Ier siècle av. J.C. Comme  Zbigniew Herbert nous le rappelle, l´histoire des Étrusques est comme celle d´une espèce éteinte d´animaux. Ce que nous savons de l´ Étrurie nous le tenons de sources étrangères. Sur la religion de ce peuple, les informations sont parvenues jusqu´à nous par des commentaires romains, grecs et byzantins : «Les premières tombes étrusques sont encore remplies de scènes de chasse, de festins, de danse et de musique. Les ombres semblent mener une vie insouciante et joyeuse. Mais au IVème siècle avant J.-C, sur les murs pleins de peints de maisons de morts surgissent des démons, effrayants comme des oiseaux nocturnes : Charun et Tuchulcha. Le tombeau des augures de Tarquinia constitue un document bouleversant de jeux funéraires cruels, en l´honneur des défunts. L ´un des personnages tient un énorme chien en laisse et attaque un homme à la tête enveloppée dans un sac, qui se défend avec une masse». Quoi qu´il en soit, les Étrusques, poursuit l´auteur plus loin, « étaient incontestablement des maîtres dans l´art de la vie. Ils se caractérisaient par une légèreté enfantine attachante, un culte du jeu, un goût pour l´élégance raffinée et le luxe. Les cours toscanes de la Renaissance sont une sorte d´écho lointain de cette civilisation». 
 Enfin, dans Nature morte avec bride et mors, Zbigniew Herbert a réuni ses essais sur la Hollande. Asile de tolérance au XVIIème siècle dans une Europe déchirée par les guerres de religion, les Pays-Bas sont devenus, peu d´années après la fin du joug espagnol, une puissance maritime et un empire colonial rivalisant avec l´Angleterre, la France et l´Espagne.
Outre un essai très intéressant sur les tulipes («Des tulipes le parfum amer») et leur importance dans l´économie hollandaise, les réflexions, les histoires, les anecdotes, les digressions que Zbigniew Herbert développe dans ces essais tournent pour la plupart autour de l´art, principalement, cela va sans dire, de la peinture. Particulièrement documenté est l´essai-ou, si vous voulez, le chapitre- consacré au peintre de genre et de portraits hollandais Gerard Terborch (1608-1681). Zbigniew Herbert explique les caractéristiques de sa peinture: «Terborch créa un type de portrait qui lui est propre, foncièrement distinct de Hals, de Rembrandt et des autres maîtres de l´époque, et portant son infalsifiable marque de fabrique. Il tendait à limiter jusqu´à l´excès les moyens picturaux, remplaçait le jeu des couleurs par une gamme étendue de gris, construisant une forme ramassée, statique. Le plus souvent, il peignait la figure toute entière, en pied, sur le fond d´un mur sombre, portant un épais manteau-pèlerine en laine tombant librement des épaules, une redingote, un pantalon à mi-genou, des bas gris perle et des chaussures élégantes à boucle, le pied droit avancé, le pied gauche parallèle au bas du cadre du tableau, conférant ainsi au personnage, même de forte corpulence, presque la grâce d´un danseur. On peut comparer l´ensemble de ces compositions à un fuseau ou à deux cônes joints par la base». Et plus loin, il écrit à propos des couleurs choisies: « Terborch est un coloriste particulier. Il évite ce que nous appelons construction de la forme avec la couleur. Dans ses sobres tableaux dominent des bruns éteints, des ocres et des gris, et sur ce fond éclate soudain une robe bleu outre-mer, des jaunes lumineux ou des rouges cinabre». 
En refermant ces trois œuvres,  le lecteur cultivé, qui aime jouir du plaisir des arts, peut se piquer d´avoir peut-être retrouvé les livres qu´il cherchait. Les livres d´un grand écrivain polonais, cosmopolite, qui aimait la liberté et dont les poèmes ont servi aux contestataires dans les années soixante-dix pour dénoncer le système d´oppression qui les étouffait.
Les paroles sages de Brigitte Gautier dans l´avant-propos du livre Le Labyrinthe au bord de la mer traduisent on ne peut mieux l´essence du travail de Zbigniew Herbert : «Dans ces trois volumes d´essais, Zbigniew Herbert semble être à la recherche de la formule de la culture européenne. La question de l´art y est étroitement liée à celle de la durée. L´art instaure une harmonie contre le chaos, mais il vaut aussi comme la trace laissée par les individus. Herbert est sensible à cette aspiration à transmettre un gage de beauté, un témoignage d´existence, un héritage. Et il retrouve toujours l´homme derrière un vase ou un temple». Et pour couronner le tout, Brigitte Gautier écrit à la fin : «N´étant pas un auteur qui force le trait ou entreprend de tout expliquer, Herbert a toujours attendu de ses lecteurs qu´ils le rejoignent dans ses émotions et ses réflexions, qu´ils réactivent à chaque fois pour eux-mêmes la sensation et la séduction du lieu, de l´objet, de la vie».

    
Zbigniew Herbert :
Un barbare dans le jardin, traduction du polonais par Jean Lajarrige, revue par Laurence Dyèvre, éditions Le bruit du temps, Paris, 2014.
Le Labyrinthe au bord de la mer, traduit du polonais par Brigitte Gautier, éditions Le bruit du temps, Paris, 2011, réédition 2015.
Nature morte avec bride et mors, traduit du polonais par Thérèse Douchy, éditions Le bruit du temps, Paris, 2012.


      
  

La mort de Michel Déon.

Michel Déon était le pseudonyme d´Édouard Michel, né le 4 août 1919 à Paris et mort hier à Galway(Irlande),à l´âge donc de 97 ans,  d´une embolie pulmonaire.
Romancier, dramaturge et éditeur(chez Plon), il siégeait à l´Académie Française depuis 1978.
Parmi ses titres les plus emblématiques, on se permet de mettre en exergue Les poneys sauvages, Un taxi mauve(qui ont fait l´objet d´adaptations à la télé et au cinéma, respectivement), Je vous écris d´Italie, Le jeune homme vert ou Ma vie n´est plus un roman.
Il était souvent rattaché au mouvement des «Hussards»né dans les années cinquante qui s´opposait à la figure de l´intellectuel engagé incarné par Jean-Paul Sartre. Il a également collaboré en tant que chroniqueur littéraire aux Nouvelles Littéraires et au Journal du Dimanche.
 Les éditions de L´Herne lui ont consacré en 2009, lors de son quatre-vingt-dixième anniversaire, un Cahier Déon avec des inédits de l´auteur et des témoignages d´autres écrivains dont Milan Kundera, Emmanuel Carrère, Fernando Arabal et Jean d´Ormesson.


dimanche 4 décembre 2016

La mort de Ferreira Gullar.






On vient d´apprendre avec une énorme tristesse la mort aujourd´hui, à l´âge de 86 ans à Rio de Janeiro, du grand poète brésilien Ferreira Gullar, victime d´une pneumonie Pseudonyme de José Ribamar Ferreira, il est né le 10 septembre 1930 à la ville de São Luís do Maranhão. 
Il fut non seulement un grand poète(un des plus grands poètes de langue portugaise du dernier demi-siècle), mais aussi un critique d´art, essayiste, traducteur, mémorialiste et un des fondateurs du néoconcrétisme, mouvement artistique surgi au Brésil à la fin des années cinquante, qui s´opposait au concrétisme orthodoxe. Le néoconcretisme défendait que l´art n´était pas un simple objet: il avait une sensibilité, une expressivité et une subjectivité propres. 
Malheureusement, il n´y a pas beaucoup de traductions de ses oeuvres en français. On trouve Dans la nuit veloce, paru en 2003 aux éditions Eulina Carvalho et Poème sale, publié en 2005 chez Le Temps des Cerises. Sur Poème Sale(Poema sujo, en portugais), Ferreira Gullar a écrit ce qui suit" J'ai écrit Poème sale en 1975, à Buenos Aires, après plusieurs années d'exil. Il ne s'agissait pas d'évoquer simplement l'enfance et la ville lointaine. Je voulais sauvegarder la vie vécue (une manière, peut-être de me sentir vivant), descendre les labyrinthes du temps, qui sait, peut être pour faire de ma terre natale un refuse affectif. Je dois à Poème sale la fin anticipée de mon exil."
Ferreira Gullar a reçu le Prix Camões, le plus prestigieux de langue portugaise, en 2010.