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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 28 novembre 2013

Chronique de décembre 2013





La rumeur du monde  d´après  Karel Capek.


À part les linguistes et quelques amateurs férus d´étymologie, ils ne sont peut-être pas aussi nombreux que ça ceux qui se penchent régulièrement sur l´origine des mots. On n´ignore pas que les écrivains sont friands de néologismes et qu´ils en inventent d´ordinaire pour donner libre cours à leur imagination débridée, pour le grand bonheur-faut-il le dire- de leurs lecteurs plus ou moins fidèles. Pourtant, ces mots-là deviennent parfois assez courants à telle enseigne qu´ils s´autonomisent par rapport à leur créateur et que la trace de leur origine se dilue. C´est le cas sans doute du mot «robot». Combien de gens savent-ils, en effet, que ce mot a surgi pour la première fois en 1920 dans une pièce de théâtre de l´écrivain tchèque Karel Capek ? Selon la légende, le mot lui aurait été soufflé par son frère, le peintre Josef Capek, et il se dissimule derrière les initiales du titre de la pièce : R.U.R (Rossum´s Universal Robots). Ce mot robot, inspiré par le mot robota (corvée en tchèque) désigne, dans cette œuvre de science-fiction, des machines humanoïdes et intelligentes, inventées par Rossum, un scientifique génial. Des machines se développent, se perfectionnent et sont produites en masse par la société Rossum´s Universal Robots. Force de travail peu coûteuse, ces nouveaux êtres remplacent petit à petit l´homme dans ses tâches quotidiennes le poussant à l´inactivité et à l´oisiveté. La procréation en pâtit naturellement. Les guerres sont donc désormais menées par les robots qui, manquant de vie spirituelle et de sentiments, mais se croyant supérieurs, se rebellent contre leurs maîtres.
Epuisé depuis quelque temps, le texte de la version française de cette œuvre (traduite par Jan Rubes)  vient de reparaître aux Editions de la Différence, dans la collection Minos. Dans la belle préface qu´elle consacre à Karel Capek (lisez Tchapek) et à son œuvre, Brigitte Munier attire notre attention sur le côté original  de cette pièce  et de toutes les fictions (quel qu´en soit le genre) de cet auteur incontournable de la littérature tchèque du vingtième siècle : «En découvrant ce texte, le lecteur contemporain oubliera peut-être sa date de parution ou croira Capek visionnaire : le chien artificiel le fera penser à Dolly, brebis clonée à la vie brève, tandis que les robots lui paraîtront anticiper des ordinateurs capables d´apprentissage ! L´impression d´actualité suscitée par la pièce est renforcée par un recours à un procédé littéraire original : Capek ne situe jamais ses contre-utopies ou dystopies dans un futur lointain, comme Wells ou Orwell, ou dans une contrée imaginaire, tel Anatole France ou Samuel Butler ; l´anomalie, l´étrangeté surgissent ici et maintenant en un quotidien fort semblable au nôtre». Il en est ainsi en effet non seulement dans R.U.R, mais également dans La guerre des salamandres, La maladie blanche, La fabrique de l´absolu ou Hordubal, comme on le verra plus loin, mais qui était au fait Karel Capek ?
Ce génie de la littérature du vingtième siècle- que l´on classe souvent (parfois à juste titre) dans le genre science –fiction- est né le 9 janvier 1890 à Malé Svatonovice(dans la région de Hradec Králové, en Bohême)et mort le 25 décembre 1938 à Prague. Ayant commencé ses études secondaires dans sa région natale, il a dû pourtant les finir à Brno en raison de la découverte d´un cercle anti- autrichien (la future Tchécoslovaquie faisait naturellement encore partie de l´empire des Habsbourg) auquel il appartenait. Les études universitaires, il les a suivies d´abord à la Faculté de Philosophie de l´Université Charles à Prague, puis à l´Université Whilhelm(Guillaume) à Berlin et enfin à la Faculté des Lettres de la Sorbonne à Paris où il a soutenu  une thèse, en 1915, portant sur Les méthodes esthétiques objectives en référence aux arts appliqués. 
Pour cause de problèmes de santé (des douleurs au dos qui se sont prolongées le long de sa vie), il fut réformé et n´a donc pas participé en tant  que combattant à la première guerre mondiale, contrairement à tant d´autres écrivains européens dont  l´expérience de cette triste réalité a nourri l´imaginaire comme Ernst Jünger, Erich Maria Remarque, Maurice Genevoix, Roland Dorgelès, Drieu La Rochelle ou Ernest Hemingway, entre autres. Quoi qu´il en soit, la guerre a quand même laissé des  traces qui ont inspiré un peu son œuvre, Karel Capek étant d´ailleurs un homme qui n´était pas indifférent aux questions politiques et philosophiques posées par la nouvelle donne issue de la fin de la guerre. La carte de l´Europe, on le sait, en a été bouleversée et la Tchécoslovaquie est née, devenant en quelques années, grâce à une industrie florissante, la dixième puissance industrielle mondiale. Karel Capek  a salué, cela va sans dire, l´avènement de cette nouvelle république et a soutenu le président Tomás Masaryk.
  C´est pendant les années vingt qu´il a entamé sa carrière d´écrivain et de journaliste. Il s´est également singularisé en tant que traducteur. Ses traductions des poètes de langue française ont  inspiré l´avant-garde littéraire tchèque et ses études sur la langue aussi bien que ses premiers romans et pièces de théâtre lui ont procuré une énorme réputation et ont fait de lui un auteur prestigieux, l´ayant hissé à la présidence du PEN club tchécoslovaque. De ses déplacements à l´étranger, il a ramené des impressions assez riches qui se sont matérialisées dans la publication d´excellents carnets de voyages sur l´Italie, l´Angleterre, la Hollande, l´Espagne ou l´Europe du Nord. Enfin, dans les années trente, il fut plusieurs fois pressenti pour le Prix Nobel de Littérature.
Son œuvre, nourrie par l´ironie, le sarcasme, l´humour noir et un style et des sujets innovateurs, déroutait néanmoins par l´imagination prodigieuse de l´auteur et son côté visionnaire.
Après le coup d´éclat de la pièce R.U.R, Karel Capek a publié un autre livre fort remarqué en 1922, le roman La fabrique d´absolu(1). Ce roman met en scène l´invention de l´ingénieur Maret. Pour se faire une idée de l´inventivité de Capek et du côté atypique et bouleversant de l´invention de Maret, imaginez que Dieu était contenu (ou en quelque sorte enfermé) dans la matière comme l´enseignaient Baruch Spinoza et les panthéistes. Or, en libérant l´énergie calorique par combustion, c´est donc l´Absolu que le carburateur  de l´ingénieur Maret  répand dans le monde. À la différence près que cette fois-ci cette force divine n´a pas la mission de créer le monde, mais des machines de toutes sortes. Les carburateurs sont commercialisés et ainsi chaque banque, chaque ministère, chaque industrie se mue en temple producteur d´abondance et de religiosité. Ne peut-on pas y voir un des signes du danger qui guette les sociétés modernes ? N´y a-t-il pas un côté visionnaire dans toute la trame ?
Les années trente ont été particulièrement prolifiques. En moins de deux ans, entre 1933 et 1934, Capek a publié la trilogie romanesque Hordubal, L´Aérolithe et Une vie ordinaire(2). De ces trois titres, Hordubal est, sans conteste, le plus fort. Ce roman raconte l´histoire d´un homme (Hordubal, justement) qui rentre au pays après huit ans de travail en Amérique, où il a trimé comme mineur à Johnstown. Étrangement, il n´est pas bien accueilli de retour dans son village, soit on ne le reconnaît pas, soit on se montre hostile à son égard y compris sa femme qu´il croit un exemple de fidélité conjugale  et qui pourtant  le trompe  avec le valet de ferme. Les relations deviennent assez tendues et Hordubal découvre le pot aux roses. Sa femme et son amant concoctent un plan qui aboutit à sa mort et sont arrêtés et condamnés. Pour Marcel Aymonin, les romans de cette trilogie reflètent encore la psychologie relativiste du Capek des années vingt mais annoncent déjà un changement de cap. Ce sont des romans où «chacun détient sa vérité personnelle, c´est avant tout lui-même que l´homme intègre à sa connaissance d´autrui, tout individu est finalement un conglomérat mental multiple et contradictoire. Mais là déjà perle une mélancolie, l´hésitant pressentiment d´une mutation à consentir. La phase euphorique de la démocratie de mois en mois s´éloigne, les tensions se dessinent, économique, sociale, politique, en Europe et dans le pays même»(3). En effet, les deux grandes œuvres de Capek postérieures à cette trilogie-La guerre des salamandres(4) et La maladie blanche(5)- renferment, quoiqu´en filigrane et sous une forme allégorique, un contenu politique plus incisif.
La guerre des salamandres (1935) est une parabole visionnaire emplie d´humour où certains ont vu un pied de nez aux totalitarismes de tout bord et d´autres une dénonciation originale du nazisme.  Découvertes sur une petite île sauvage au large de l´Indonésie, ces salamandres apprennent la langue humaine de communication, seront apprivoisées et asservies par l´homme, mais à l´instar des robots de R.U.R, finiront par se révolter. Puisqu´on  fait reproduire les salamandres en progression géométrique, les océans ne semblent plus suffire à leur épanouissement. Epousant l´impérialisme et le nationalisme, ces sauriens sont à même de reproduire les défauts de l´homme moderne jusque dans sa manie d´autodestruction. La forme originale de ce roman se traduit, au cours de la narration, par une compilation d´articles de journaux et communications scientifiques et l´intervention de l´auteur à la fin en guise d´épilogue sous le titre «L´auteur discute avec lui-même». Ce livre fracasse toutes les étiquettes littéraires qu´on puisse lui coller : roman d´anticipation, conte philosophique, utopie, voire anti-utopie. Lors de la parution du livre, la critique l´a qualifié d´utopie, mais dans une interview, Capek a réfuté cette idée : «Je refuse ce mot. Ce n´est pas l´utopie, mais l´actualité. Ce n´est pas une spéculation sur quelque chose qui pourrait se produire dans l´avenir, mais cela reflète ce qui est au milieu de quoi nous vivons. De la fantaisie, je peux vous en donner combien vous voudrez et gratuitement, mais ici je visais la réalité. Rien à faire, la littérature qui ne s´occupe pas de réalité, de ce qui se passe vraiment dans le monde, la littérature qui ne veut pas réagir avec toute la force que possèdent la parole et l´idée, cette littérature n´est pas la mienne»(6).
La maladie blanche(1937) est aussi une parabole, sous la forme d´une pièce de théâtre, où la population est atteinte d´une sorte de lèpre qui se manifeste par des tâches blanches sur la peau de personnes âgées de plus de quarante-cinq ans. Celles-ci sont donc tout près d´une mort certaine, en l´absence d´un antidote. Pourtant, selon le vieil adage, le malheur des uns fait le bonheur des autres et les jeunes voient cette maladie comme une aubaine, puisque l´avenir s´ouvre à eux et le chômage s´amenuisera de plus belle. Entre-temps, le docteur Galen trouve le remède pour neutraliser l´épidémie mais refuse de soigner les riches avant l´instauration de la paix mondiale.  Le dictateur- Maréchal qui dirige le pays d´une poigne de fer et  attaque un pays voisin sous les applaudissements de la majorité de son peuple, est atteint  à son tour par la maladie et finit à contrecœur (puisqu´il a peur d´être emporté par l´épidémie) par obtempérer aux conditions du médecin. Or, une foule indignée et belliqueuse, alors que le médecin crie «Non à la guerre !», se révolte, l ´accusant de «traître», le tuant et piétinant le médicament qui aurait guéri les malades…
Après ce nouveau succès, il ne lui reste plus longtemps à vivre.  L´année de sa mort, les événements se précipitent en Tchécoslovaquie. Hitler occupe les Sudètes et les Tchécoslovaques, ne pouvant compter sur le soutien de ses principaux Alliés (France et Angleterre), doivent s´incliner. Capek décide de rester au pays, alors que plusieurs  amis le somment de partir en exil, puisqu´il est clair que Hitler tôt ou tard s´emparerait du reste du territoire. Son décès le 25 décembre 1938, trois mois avant l´occupation nazie, lui aura peut-être épargné un destin aussi cruel que celui de son frère, mort au camp de Bergen-Belsen en avril 1945.
Après la guerre, l´œuvre de Karel Capek fut mise sous le boisseau par le nouveau régime communiste qui ne pouvait voir d´un bon œil cet auteur anti -totalitaire d´autant plus qu´il avait écrit dès 1924 un article intitulé« Pourquoi je ne suis pas communiste». Cette mise à l´index fut néanmoins levée vers les années soixante.
Cela va sans dire que, depuis 1989, l´œuvre de Karel Capek a pris un nouvel élan et sa bibliographie critique s´est considérablement enrichie.
Au moment où l´on signale le soixante-quinzième anniversaire de sa mort, l´œuvre de Karel Capek ne peut que séduire un nombre croissant de lecteurs, non seulement grâce à sa richesse et à son originalité, mais aussi parce que, derrière son côté allégorique, elle est porteuse d´un message humaniste et universel.  

(1)Malheureusement épuisé en ce moment.

(2)Titres disponibles chez l´Âge d´Homme (traductions de Michel –Léon Hirsch et Daniela Staskova-Pelliccioli) sauf Aérolithe qui, paraît-il, n´aurait jamais été traduit en français.

(3) Préface (novembre 1968) à l´œuvre Récits Apocryphes, chez l´Âge d´Homme  (traduction de Marilyse Poulette).

(4)Deux éditions disponibles, chez Cambourakis et La Baconnière, traduites toutes les deux par  Claudia Ancelot.

(5) Chez La Différence (Collection Minos) avec préface et traduction d´Alain Van Crugten.

(6) Propos que l´on peut retrouver sur le site : europecentrale.asso-web.com.

P.S-(Le 9 décembre)-Je viens d´apprendre que le 21 octobre est paru en France, toujours de Karel Capek, le livre La vie et l´oeuvre du compositeur Foltyn,traduit du tchèque par François Kerel, aux éditions Sillage.

dimanche 17 novembre 2013

La mort de Doris Lessing




La romancière britannique Doris Lessing est décédée ce dimanche à l´âge de 94 ans. Née en 1919 en Perse (l´actuel Iran), elle a passé son adolescence en Rhodésie (rebaptisée Zimbabwe après l´indépendance). Arrivée à Londres en 1949, elle a toujours été une femme engagée, ayant d´ailleurs été autrefois interdite de séjour en Afrique du Sud à cause de ses positions anti-apartheid. Par contre, les espoirs qu´elle fondait sur le communisme se sont dissipés, après que les nouvelles en provenance de Moscou et ailleurs (par exemple, l´écrasement de la révolte de Budapest, en 1956)  eurent fait état des violations des droits de l´homme que l´on y commettait au nom d´un idéal théoriquement juste et humaniste.

  En 2007, l´Académie Nobel lui a décerné son prix de Littérature. Les jurés du prix ont décidé de récompenser «la conteuse épique de l´expérience féminine qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée».

  L´œuvre de celle qui a affirmé un jour dans une interview qu´elle était assez intolérante envers les idéologies était très éclectique (elle a même fait une incursion dans la science-fiction) et composée de plusieurs titres dont Le chant de l´herbe, Le carnet d´or, La marche dans l´ombre, Les enfants de la violence, Nouvelles de Londres, Les Grands-mères et Un enfant de l´amour. Flammarion et Albin Michel sont ses principaux éditeurs français.

 

 


 
 

 

jeudi 7 novembre 2013

Centenaire de la naissance d´Albert Camus


Aujourd´hui, on signale le centenaire de la naissance d´Albert Camus. Je lui rends hommage dans  ma chronique du mois de novembre que vous pourrez lire sur ce blog et que j´ai mise en ligne la semaine dernière.

lundi 4 novembre 2013

Le Prix Goncourt pour Pierre Lemaître.






La saison des prix littéraires est lancée en France. Après l´attribution le 24 octobre du Prix de l´Académie Française à Christophe Ono-Dit-Biot pour son roman Plonger(éditions Gallimard), trois autres prix ont été annoncés aujourd´hui: le Renaudot roman pour Yann Moix avec Naissance(chez Grasset); le Renaudot essai pour Séraphin, c´est la fin(chez La Table Ronde) de Gabriel Matzneff et , le plus attendu de tous, le Goncourt pour Pierre Lemaître récompensant son roman Au revoir là-haut(aux éditions Albin Michel).
Pierre Lemaître est né en 1951 et son roman évoque la France d´après la première guerre mondiale et le scandale des exhumations militaires, étouffé par le gouvernement en 1922, une période où les capitalistes s´enrichissent sur les ruines et les imposteurs triomphent.
D´autres prix littéraires seront annoncés au cours de cette semaine.