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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 28 août 2012

Chronique de septembre 2012





La Roumanie de Gabriela Adamesteanu : le  fil du temps, la nostalgie et la mémoire.

 
J´ai toujours éprouvé une certaine perplexité à l´égard de certains critiques littéraires et quelques libraires qui ont ce que je me permets de dénommer une approche impérialiste de la littérature. Pour eux, la vraie littérature ne saurait être enfantée ailleurs que dans les pays anglo-saxons, comme autrefois en France, éventuellement en Allemagne ou en Russie.
Les pays qui n´occupent pas le devant de la scène, dont on n´entend parler que très sporadiquement ne seraient donc pas en mesure de produire de grands noms même si on ne rechigne pourtant pas à reconnaître à certains écrivains de ces pays-là d´indiscutables qualités littéraires.
Ces critiques et ces libraires-là-probablement minoritaires quand même (suis-je trop optimiste ?) – ne liront  vraisemblablement jamais un écrivain comme Gabriela Adamesteanu. Ils ont tort, eux qui, pataugeant dans leur morgue et leur ignorance, ne sauront jamais ce qu´ils auront perdu. 
Née en 1942 à Târgu Ocna, Gabriela Adamesteanu a néanmoins passé sa jeunesse à Pitesti. Fille d´un prêtre orthodoxe, elle est issue d´une famille d´intellectuels férus d´histoire et de généalogie.  Elle a suivi des études de littérature à l´Université de Bucarest et a écrit sa thèse sur l´œuvre de Marcel Proust. Si elle a commencé à collaborer régulièrement en de prestigieuses revues littéraires roumaines dont Viata Româneasca et România Literara, ses débuts dans le domaine de la fiction ont été plus tardifs.  Ayant grandi dans un pays où la langue de bois et le réalisme socialiste laissaient très peu d´espace à la liberté d´esprit et de création- elle a vu d´ailleurs un oncle être emprisonné et un autre, le célèbre archéologue Dinu Adamesteanu, partir en exil, en Italie- elle a longtemps hésité avant de publier ses premiers écrits.
J´évoque Gabriela Adamesteanu à propos de deux  de ses livres que j´ai  très récemment lus : Dimineata pierduta (Une matinée perdue) et Drumul egal al fiecarei zile(Vienne le jour). Le premier, dans la traduction portugaise (Uma manhã perdida) de Corneliu Popa qui vient de paraître aux éditions D.Quixote et dont la présentation a eu lieu le 3 juillet dans la librairie Leya na Barata à Lisbonne avec la présence de l´auteur et d´un autre grand écrivain : la Portugaise Lídia Jorge. Le deuxième, dans la  traduction française de Marily Le Nir grâce à l´amabilité de Gabriela Adamesteanu elle-même.
Une matinée perdue est un roman polyphonique paru pour la première fois en Roumanie en 1984 dans les années crépusculaires du régime démentiel du Conducator Nicolae Ceausescu. C´est une de ces œuvres qui assoient définitivement la réputation d´un écrivain. 
Dans une froide matinée d´hiver, Vica Delca, une femme de soixante-dix ans qui a vu le régime communiste fermer sa boutique et qui a du fil à retordre pour arrondir ses fins de mois, marche toute seule dans les rues de Bucarest. Elle prétend tout d´abord visiter sa sœur et ensuite se rendre chez une dame pour laquelle elle avait jadis travaillé, non seulement pour toucher sa petite somme mensuelle mais aussi pour  bavarder un peu et évoquer les bons vieux temps. Vica Delca, des sacs  à la main (une habitude chez les Roumains dans les dernières années du régime communiste, une habitude à laquelle j´ai déjà fait référence en d´autres circonstances) et portant de vieux habits (une métaphore en quelque sorte de la misère généralisée en Roumanie), parcourt les rues de la capitale et au travers des personnages qu´elle rencontre on assiste à l´évocation de tout le vingtième siècle roumain, le siècle des  deux guerres mondiales, du rattachement à la Roumanie d´anciennes régions de l´empire austro –hongrois, amputées après la seconde guerre, de l´amour pour la culture française (le roman est truffé de mots français), de la décadence aristocratique et de l´avènement du communisme. Dans cette immense féerie verbale, dans cette galerie de portraits que Gabriela Adamesteanu brosse de main de maître –et où les femmes ont normalement une personnalité plus forte que les hommes-, on côtoie une dame de la haute société (Mme Ioaniu) «dévalisée» par les communistes et qui plonge sa nostalgie dans les souvenirs des jours heureux et un tas d´autres personnages pittoresques, grotesques qui ne sont décidément  que des épaves que la vie a poussées dans un méli-mélo de sentiments, de colères, dans le sombre désespoir d´une existence, parfois solitaire, qu´il faut quand même essayer d´enjoliver puisque, au bout du compte, l´espoir fait vivre. Curieusement-et c´est tout à l´honneur de l´auteur- Ceausescu  n´est pas cité dans le roman, mais paradoxalement (vraiment ?) c´est une figure qui n´en est pourtant pas complètement absente. C´est presque un être invisible et qui néanmoins manipule dans l´ombre certains personnages comme s´ils étaient  des pantins pris dans la toile tissée par le conducator. Ceci nous renvoie à une petite réflexion : malgré l´absence du nom de Ceausescu, le livre a quand même été censuré. Est-ce la preuve que les censeurs sont pour la plupart des bureaucrates ineptes ou sont-ils assez intelligents (quoiqu´intelligents dans la perversité) pour voir venir le danger ?  Ce serait sûrement un sujet pour un autre article…
Ce roman – qui a fait l´objet d´une adaptation théâtrale et fait partie des lectures obligatoires dans l´enseignement public roumain- met également  en exergue l´importance du passé et de la mémoire. Les communistes dans leur obsession de la création de l´homme nouveau ont souvent oublié que l´on ne peut faire table rase de l´histoire et que tout progrès se construit en éliminant certes les préjugés, mais en tenant compte du fait que l´être humain a des sentiments et des émotions et que l´on ne peut nullement en faire l´impasse en voulant tout planifier, qui plus est d´une manière d´ordinaire inflexible.
Si Une matinée perdue est un roman fleuve qui retrace-je l´ai écrit plus haut- la vie roumaine au vingtième siècle et dont la lecture fut on ne peut plus réjouissante,  je ne puis m´empêcher de garder une tendresse particulière, après l´avoir refermé, pour l´autre roman dont il est question ici : Vienne le jour. 
Ce roman paru en 1975, réédité sans cesse et augmenté maintenant des passages censurés lors de la première publication, raconte la vie de Letitia qui habite une petite ville de la province roumaine avec sa mère et son oncle Ion. Les conditions de vie sont très difficiles puisque le père de Letitia a été arrêté et l´oncle Ion, un grand intellectuel, a été relégué dans un collège pour les raisons que l´on devine. La famille est visitée régulièrement par un autre oncle de Letitia, Bitza, qui habite à Bucarest. Letitia mène une vie monotone de jeune fille provinciale, découvrant les premiers émois amoureux et rêvant d´une vie où l´on serait moins souffrant.
Contre toute attente, Letitia obtient l´autorisation de partir dans la capitale roumaine et s´installe dans un foyer d´étudiantes, mais la vie monotone- malgré sa liaison avec un jeune professeur, ancien élève de son oncle- ne se dilue pas.
Vienne le jour est la chronique de la grisaille roumaine des années cinquante et soixante du vingtième siècle. Une grisaille et une monotonie où les bureaucrates et les plus mesquins (comme le propriétaire de la maison où habite Letitia et sa famille) se taillaient une place de choix, où la paupérisation généralisée déclenchait souvent les sentiments les plus sordides. Les gens se cherchaient une identité qu´ils ne parvenaient pas à découvrir étant donné la vie étriquée qu´ils étaient condamnés à mener. Une vie sans perspectives où il y avait peut-être une certaine égalité, mais une égalité dans la misère, car c´était aussi la misère que l´on se partageait. 
Gabriela Adamesteanu excelle toujours dans la caractérisation de ses personnages ou la description d´une émotion, elle sait dépeindre on ne peut mieux soit une ambiance soit tout sentiment qui sous-tend un personnage. Les mots ponctuent le fil du temps comme une rivière qui coule et qui emporte le flot des personnages.
 Dans ce cadre, la figure de l´oncle Ion nous touche énormément par la solitude d´un homme qui doit se contenter d´un rôle subalterne dans un petit collège loin de son domicile alors qu´il pourrait devenir un intellectuel renommé. Les intellectuels étaient vus d´ailleurs en Roumanie, comme dans tout pays communiste, comme des êtres dangereux dès lors qu´ ils ne trempaient  pas dans le réalisme socialiste, quand leur littérature-dans le cas des écrivains- ne se pliait pas aux préceptes de la révolution.
 Assez souvent – je l´ai évoqué à maintes reprises à propos d´autres auteurs-les intellectuels dans les régimes dictatoriaux (quelle qu´en soit l´obédience) sont réduits à une sorte d´exil intérieur, ce que Diamela Eltit, figure majeure des lettres chiliennes, a défini comme l´«inxilio» (de «in» et «exilio», ce qui en français donnerait le néologisme «inxil») sur la condition des intellectuels de son pays sous la botte d´Augusto Pinochet. L´alternative, ce serait la prison ou la fuite à l´étranger.
La nostalgie est parfois ce qui reste quand on n´a rien d´autre pour nourrir sa vie, une vie qui se dessine comme la trace de l´oiseau dans l´air, en paraphrasant le titre d´un livre de l´écrivain franco-argentin Hector Bianciotti, récemment décédé et dont Gabriela Adamesteanu a traduit en roumain le roman Sans la miséricorde du Christ.  
Aujourd´hui, dans la Roumanie du vingt-et-unième siècle qui, membre de plein droit de l´Union Européenne depuis 2007, fait encore l´apprentissage de la démocratie, Gabriela Adamesteanu poursuit son combat civique en dirigeant la revue 22, une des publications politiques et littéraires les plus prestigieuses en Roumanie, mais n´a pas pour autant  abdiqué  sa carrière d´écrivain.
En gardant à l´esprit le souvenir de son sourire fraternel et  de sa gentillesse aussi bien que le plaisir de lecture que ces deux livres m´ont procuré, je ne puis qu´attendre impatiemment ses prochains livres…

À lire de Gabriela Adamesteanu :
Uma manhã perdida (édition portugaise), traduit du roumain par Corneliu Popa, éditions Dom Quixote, Lisbonne, 2012 (édition française: Une matinée perdue, traduit du roumain par Alain Paruit, Gallimard, Paris, 2005).
Vienne le jour, traduit du roumain par Marily Le Nir, Gallimard, Paris, 2009.

mardi 21 août 2012

Centenaire de la naissance de Nelson Rodrigues



 Jeudi prochain, 23 août, on commémorera le centenaire de la naissance, à Recife, de Nelson Rodrigues, une des figures les plus originales, brillantes et atypiques de la vie littéraire brésilienne du vingtième siècle.
Connu pour ses talents de romancier, conteur, journaliste et chroniqueur de football, il s´est pourtant singularisé comme dramaturge. Ses dix-sept pièces de théâtre sont autant de joyaux d´érotisme,d´ironie sociale, bref, des portraits au vitriol de la société brésilienne où l´auteur dénonce l´hypocrisie et les institutions sociales, surtout le mariage.
A mulher sem pecado(Une femme sans péché); Anjo negro(L´ange noir);Senhora dos afogados(Dame des noyés);Perdoa-me por me traíres(Pardonne-moi de m´avoir trahie); Viúva, porém honesta(Veuve, mais honnête); Oto Lara Rezende ou Bonitinha mas ordinária(La phrase d´Otto); Toda nudez será castigada(Toute nudité sera châtiée); O anti- Nelson Rodrigues(L´anti-Nelson Rodrigues) ou A serpente(Le serpent) sont quelques-unes de ses oeuvres les plus représentatives qui ont souvent fait l´objet aussi d´adaptations cinématographiques et télévisuelles.
Malheureusement, les oeuvres de Nelson Rodrigues traduites en français sont presque toutes épuisées en ce moment.
Nelson Rodrigues est mort le 21 décembre 1980, à Rio de Janeiro.
Les lecteurs comprenant le portugais, pourront découvrir force informations sur la vie et l´oeuvre de Nelson Rodrigues sur le site: nelsonrodrigues.com.br

lundi 20 août 2012

Souvenir de Carlos Drummond de Andrade


Vendredi 17 août, on a signalé le vingt-cinquième anniversaire de la mort, à Rio de Janeiro,de Carlos Drummond de Andrade. Il fut, sans conteste, un des plus grands poètes brésiliens du vingtième siècle(né le 31 octobre 1902 à Itabira,Minas Gerais), un poète que j´ai découvert dans ma jeunesse. S´il est souvent considéré comme un des principaux représentants du modernisme brésilien, la dimension de son oeuvre dépasse toute frontière catégorielle.  
L´ironie, les questions sociales et métaphysiques et l´érotisme sont les sujets majeurs des livres de cet admirable poète qui fut également conteur et chroniqueur. 
En français, il est surtout disponible le volume La machine du monde et autres poèmes dans la collection Poésie, chez Gallimard (2005), traduit par Didier Lamaison.En portugais, on se doit de mettre en exergue l´édition Nova Reunião, 23 livros de poesia en trois volumes, publiée en 2009 à Rio de Janeiro par les éditions Bestbolso.
Une oeuvre à (re)découvrir.

mardi 7 août 2012

Centenaire de la naissance de Jorge Amado




On commémorera vendredi prochain, 10 août, le centenaire de la naissance de Jorge Amado, grand romancier brésilien et, sans l´ombre d´un doute, un des plus grands écrivains de langue portugaise du vingtième siècle.Il fut marié à Zélia Gattai,un nom important de la littérature brésilienne.
Sa droiture morale et son honnêteté intellectuelle ont honoré les lettres brésiliennes.Persécuté par les différents régimes dictatoriaux qui ont sévi au Brésil, il a vécu plusieurs années en exil, en Argentine, en Uruguay, en France et en Tchécoslovaquie.
Son oeuvre abondante(près d´une cinquantaine de titres) et traduite en plus de quarante langues a enchanté ma jeunesse et il serait injuste de mettre en exergue  l´importance de certains livres au détriment d´ autres. Je me permets d´en citer quelques-uns au hasard: Terras do Sem-Fim(Terres du bout du monde);Capitães de areia(Capitaines des sables); Bahia de todos os santos(Bahia de tous les saints);Jubiabá; Gabriela, cravo e canela(Gabriela, girofle et cannelle);Dona Flor e seus dois maridos(Dona Flor et ses deux maris) ou Tieta do Agreste. La plupart de ses livres sont traduits en français, surtout chez Gallimard et Stock éditions.
Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma et à la télévision.
Son oeuvre a été couronnée de nombreux prix littéraires dont le prix Camões en 1994, le plus important des lettres de langue portugaise. 
Né à Itabuna donc le 10 août 1912, il est mort  le 6 août 2001 à Salvador.
Vendredi prochain plusieurs initiatives sont prévues au Brésil et aussi au Portugal pour honorer la mémoire de cette figure majeure de la littérature.

jeudi 2 août 2012

Centenaire de la naissance de Virgilio Piñera


 Ce samedi 4 août, on signalera le centenaire de la naissance de Virgilio Piñera, un des plus grands écrivains cubains du vingtième siècle. Poète, conteur, romancier et dramaturge, Virgilio Piñera est né à Cardenas et mort le 18 octobre 1979 à La Havane.
 L´éditeur espagnol Alfaguara a publié ses Cuentos Completos et sa poésie est surtout disponible chez Tusquets, tout comme son roman emblématique La carne de René(La chair de René). Les traductions françaises de ses livres ont paru chez Métailié. Sa pièce de théâtre Electra Garrigó, après des débuts très difficiles,a été jouée plusieurs fois avec un grand succès, surtout au Mexique. Son oeuvre est tributaire de la tradition de l´humour noir et certaines voix le tiennent même pour un des précurseurs du théâtre de l´absurde.
Dans les années cinquante, il a vécu en Argentine où il s´est lié d´amitié avec Witold Gombrowicz et a fait la connaissance de Jorge Luís Borges, Victoria Ocampo et José Bianco. 
À Cuba, avant et après la révolution, il a dirigé et collaboré en de prestigieuses revues littéraires, parfois aux côtés de José Lezama Lima et de Rodriguez Feo.Il a écrit aussi des articles pour Les Lettres Nouvelles et Les Temps Modernes. Dans les dernières années de sa vie, il fut voué à l´ostracisme par le régime et les institutions oficielles en raison de son homosexualité qu´il n´a d´ailleurs jamais cachée. 
Ironie du sort, rappelée par Rafael Rojas(historien cubain exilé au Mexique)dans une tribune récente du quotidien espagnol El País: en cette année du centenaire de Virgilio Piñera, le gouvernement cubain essaie de s´approprier le nom de l´auteur pour honorer le régime castriste.

P.S (le 4 août)-Je vous conseille la lecture de l´article «Virgilio Piñera, cien años con la isla en peso»,signé Abilio Estevéz et paru aujourd´hui dans le supplément culturel Babelia du quotidien espagnol El País. 

mercredi 1 août 2012

Gore Vidal n´est plus.

 

Écrivain à la plume acérée, figure polémique qui ne mâchait pas ses mots, Gore Vidal va décidément nous manquer. Il est décédé hier à Los Angeles à l´âge de 86 ans, des suites d´une pneumonie. Né le 3 octobre 1925, son arbre généalogique le reliait de près ou de loin à Jackie Kennedy, Jimmy Carter et Al Gore.
En 1948 il a publié The City and the Pillar(Un garçon près de la rivière,dans la traduction française) qui a provoqué un tollé puisqu´il s´agissait du premier vrai roman américain à mettre en scène des personnages ouvertement homosexuels. À l´époque plusieurs journaux -dont le New York Times- ont refusé de le chroniquer.
Son oeuvre est assez abondante, composée de romans, de pièces de théâtre et d´essais. Il a également écrit pour le cinéma et pour la télévision.
C´était une voix qui dérangeait et qui dénonçait souvent ce que l´auteur appelait «la politique impériale des États-Unis».
 C´était indiscutablement un des plus grands écrivains américains.