Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma dernière chronique. J´écris sur le roman La nef de Géricault de Patrick Grainville, publié aux éditions Julliard.
La plume dissidente
«L´enfer, c´est un endroit sans livre»-Elie Wiesel.
Qui êtes-vous ?

- Fernando Couto e Santos
- Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.
jeudi 3 juillet 2025
dimanche 29 juin 2025
Chronique de juillet 2025.
Frédéric Vitoux et le procureur impérial.
Frédéric Vitoux se plaît à raconter –et pour cause, il faut bien le dire
–qu´il est né à Vitry-aux-Loges, un petit village du Loiret, le 19 août 1944,
au moment précis de la Libération, dans les heures séparant le départ de la
Wehrmacht et l´arrivée des Alliés. Cependant, il n´est pas longtemps resté au
village où il a vu le jour puisque peu après sa naissance, il est parti avec sa
mère à Paris, dans l´hôtel Lambert, sur l´île Saint –Louis, où sa famille
habitait depuis plusieurs générations. Pourtant, il n´a rencontré son père qu´à
l´âge de quatre ans. Ceci s´explique parce que son géniteur –qui était venu le
voir juste après sa naissance –avait été entre-temps emprisonné pour faits de
collaboration. Il raconte l´histoire dans son roman L´ami de mon père. Cet
épisode marquant de sa vie peut justifier sa passion pour les sujets
historiques et son souci du détail.
Écrivain et critique littéraire, amant des chats (voir son Dictionnaire
amoureux des chats, publié en 2008 chez Plon), élu à l´Académie Française en
2001 au fauteuil de Jacques Laurent, Frédéric Vitoux est l´auteur d´une
quarantaine d´ouvrages couronnés de prix littéraires prestigieux dont le prix
Goncourt de la biographie (1988) pour La vie de Céline, le prix Valéry Larbaud
pour Sérénissime (1991) et le Grand prix du roman de l´Académie Française
(1994) pour La Comédie de Terracina. Son premier roman, Cartes postales, fut
publié en 1973.
Cette année, en avril, Frédéric Vitoux nous a fait découvrir son dernier livre,
La mort du procureur impérial. Ce récit est inspiré par un crime survenu à
Rodez dans la nuit du 19 au 20 mars 1817. Ce crime s´est traduit par le meurtre d´un
ancien procureur impérial, M. Fualdès, dont le corps qui dérivait dans
l´Aveyron fut retrouvé le lendemain matin. L´hypothèse d´un complot politique a
fusé dès les premières investigations. L´affaire a défrayé la chronique et a
suscité de vives passions dans la France de la Restauration. La France entière
–et même l´Europe et l´Amérique –ont été séduites par cette énigme appelée à
devenir une des plus célèbres affaires judiciaires du dix-neuvième siècle. Des
considérations politiques se sont mêlées à l´affaire étant donné que le
procureur était accusé d´être bonapartiste alors que ses assassins présumés
étaient au contraire royalistes. Dans une France marquée par les guerres
napoléoniennes et par les bouleversements révolutionnaires, secouée par des
complots et des conspirations, cette affaire judiciaire a ajouté à la confusion
qui régnait déjà dans le pays.
Les soupçons se sont vite portés sur
les habitants de la maison Bancal, un tripot malfamé non loin de la demeure de
l´ancien procureur impérial. Les accusés étaient légion : l´agent de change Joseph Jausion, époux
de Victoire Bastide, et Bernard-Charles Bastide dit Gramont, beau-frère et filleul de la
victime, débiteur d’une hypothétique créance auprès de Fualdès. Mais aussi des
hommes de main et complices, un contrebandier, Boch, Jean-Baptiste Collard,
locataire des Bancal, la veuve Bancal et sa fille Marianne, le portefaix Jean
Bousquier, une blanchisseuse Anne Benoit et son amant. Tous sont accusés de lui avoir
tendu un guet-apens. Ils ont fini presque tous coupables du meurtre ou de
complicité dans le meurtre.
L´affaire a connu trois procès, mais le
deuxième fut le plus fantasque. Oui, le mot est bien juste grâce à sa figure
centrale : Clarisse Manzon, accusatrice incohérente, séductrice
virevoltante. Incarcérée pour un temps, elle a fini par devenir la seule
héroïne de cette affaire. Fille du juge Enjalran- président de la cour
prévôtale de l'Aveyron, qui venait d'être dessaisi du dossier-, elle
a mené sa propre enquête sur cette affaire. Cette femme, divorcée et farfelue,
avait pour amant le lieutenant Clémendot, un officier de la garnison auprès
duquel elle s´était vantée d'avoir été témoin du meurtre. Comparaissant devant
le jury, elle a déconcerté le public par ses changements constants de discours
et de témoignages. Elle affirmait être témoin puis se rétractait, multipliait
les effets et s'évanouissait aux moments les plus tendus du procès. Elle fut
emprisonnée pour un temps avant d´être libérée.
En prison, elle a signé ses Mémoires, un
succès de librairie en Europe, mais était-elle le véritable auteur ou s´est-
elle servie d´une plume plus expérimentée et littéraire ? En effet, celui
qui a vraiment écrit les Mémoires de Clarisse Manzon fut Henri de Latouche qui
a suivi le procès en tant que journaliste et dont Frédéric Vitoux brosse
excellemment le portrait. Henri de Latouche, un républicain, nous est présenté
comme un homme que l´histoire littéraire a négligé, que la postérité a relégué
dans un quelconque tiroir aux oubliettes. Néanmoins, il fut écrivain,
dramaturge, journaliste, découvreur de talents (entre autres, André Chénier,
Balzac, Sand, Goethe, Marceline Desbordes-Valmore) et celui qui a donné au
romantisme naissant sa touche crépusculaire. Frédéric Vitoux écrit dans les
premières pages de ce récit que pour comprendre l´affaire Fualdès, pour mesurer
le retentissement dont elle a bénéficié, il faut convoquer l´homme qui a
contribué de façon décisive à la faire connaître et à la faire inscrire dans la
nouvelle sensibilité de l´époque, «dans cette forme d´inquiétude qui allait
être le propre des enfants du siècle en proie à l´exacerbation de leurs
sentiments, de leurs passions, de leurs ferveurs, de leur refus, de leurs
mélancolies ou de leurs peurs». Cet homme n´est bien sûr autre qu´Henri de
Latouche. S´il signait pourtant Henri, pour l´état civil, il était né Hyacinthe
–Joseph-Alexandre Thabaud de Latouche. On comprend sans peine, comme le
remarque Frédéric Vitoux, qu´il ait préféré adopter comme prénom Henri, plutôt
que l´inhabituel et précieux Hyacinthe. De fait, il avait commencé par signer
ses premières œuvres «H. de Latouche». Ses lecteurs ont pris le «H» pour Henri
et l´habitude s´est installée de le prénommer ainsi.
Latouche aimait versifier et rimait sans
effort, mais il a écrit aussi de la prose, notamment des essais et des romans. En 1827,
Latouche a publié la Correspondance
de Clément XIV et de Carlin, roman épistolaire dirigé contre
les jésuites, et dont un passage de l’abbé Galiani lui avait fourni
l’idée. En 1829, il a publié son chef-d’œuvre, Fragoletta, roman mettant en
scène « cet être inexprimable, qui n’a pas de sexe complet, et dans
le cœur duquel luttent la timidité d’une femme et l’énergie d’un homme, qui
aime la sœur, est aimé du frère, et ne peut rien rendre ni à l’un ni à
l’autre » selon les termes de Balzac qui a reconnu sa dette à son
égard, notamment pour Séraphita.
L´influence qu´il a exercée de son temps
ne fut pas suffisante pour assurer à Latouche une célébrité posthume. Comment
comprendre qu´il ait disparu des mémoires, lui qui fut tellement décisif dans
l´histoire du romantisme français ?
Frédéric Vitoux a ébauché une
explication : «Parce qu´il ne fut pas visible, encore une fois. Parce
qu´il s´y refusa. Qu´il préféra l´ombre. Ou, pour le dire autrement, parce
qu´il ne fut jamais un homme de clan, ou chef de meute ou de cénacle capable
d´entraîner derrière lui une armée au combat. Sa fragilité resta celle d´un
homme seul. Même s´il régna un temps sur le journalisme littéraire de la
Restauration puis de la monarchie de Juillet, sa position demeura fragile.
Personne pour lui venir en aide, pour le seconder dans ses combats, pour l´épauler
dans les joutes littéraires et politiques où il se jetait volontiers tête
baissée». Et il ajoute : «Ce n´est pas tout. Pour assurer sa position, il
lui aurait fallu s´imposer aussi comme un écrivain irréfutable, dont les
ouvrages serviraient de mètre étalon du romantisme». Latouche a même fini
désavoué par Clarisse Manzon qui a renié ses Mémoires pour satisfaire les
magistrats du deuxième procès d´Albi.
Le retentissement de l´affaire Fualdès
fut tel qu´elle a inspiré des musiciens, des artistes plasticiens et surtout
des écrivains. En musique, l´affaire Fualdès a fait l´objet d´une complainte
dont l´auteur fut le dentiste Catalan. Elle est composée de 48 couplets qui
retracent cette sinistre épopée du crime dans un style qui reste encore
aujourd’hui un modèle du genre. Tous les artifices y sont, le burlesque, la
caricature du genre humain plongé dans l’abîme du mal avec, bien sûr, en
conclusion le repentir du « mauvais larron » dont le dernier couplet
moralisateur est là pour rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour exprimer de
bons sentiments.
En peinture, Théodore Géricault,
s´inspirant de nombreux échos et illustrations de la presse, comme des images
naïves véhiculées par les colporteurs, a commencé, comme nous le rappelle
Frédéric Vitoux, «par ébaucher, dès la fin de l´année 1817 ou le début de
l´année 1818, tantôt à la plume et au lavis de brun, tantôt á la mine de plomb,
tantôt à la plume et à l´encre brune, avec parfois de la pierre noire et des
rehauts de gouache, six épisodes du crime, depuis l´enlèvement de l´ancien
magistrat dans une ruelle noire jusqu´à la procession nocturne des assassins et
de leur victime vers la rivière». Ces six œuvres sur papier nous sont restées,
mais le peintre a fini par renoncer au tableau spectaculaire qu´il envisageait
de faire sur ce meurtre sordide et s´est consacré à un autre projet qui
deviendrait son futur tableau La Méduse.
Côté littérature, on trouve de
nombreuses références à l´affaire Fualdès dans les ouvrages des plus grands
auteurs du dix-neuvième et du vingtième siècle : Balzac (on en trouve dans
cinq romans dont La muse de département, Une ténébreuse affaire ou Le Curé de
village) ; Flaubert (Bouvard et Pécuchet) ; Victor Hugo (Les
Misérables), Gaston Leroux (Le fauteuil hanté), Anatole France (Le jardin
d´Épicure) ou Jean Giono (Le Hussard sur le toit). On en trouve aussi chez des
auteurs comme Arthur Bernède, Denis Marion, Frédéric Thomas ou Courteline (Le
gendarme est sans pitié).
Avec ce récit passionnant et écrit dans
un français chatoyant, Frédéric Vitoux nous fait revivre une affaire judiciaire
qui a agité la France au début du dix-neuvième siècle et dont la mémoire nous
fut transmise au fil des générations.
Frédéric Vitoux, La mort du procureur
impérial, éditions Grasset, Paris, avril 2025.
Centenaire de la naissance de Philippe Jaccottet.
Poète,
critique et traducteur hors pair, le Suisse vaudois Philippe Jaccottet, décédé
en 2021, aurait fêté demain son centième anniversaire. Je vous conseille de
lire la chronique que je lui ai consacrée en février 2016 et que vous trouverez
dans les archives de ce blog.
mercredi 4 juin 2025
La mort de Philippe Labro.
Philippe Labro, né à Montauban le 27 août 1936, est mort à
Paris ce mercredi 4 juin à l´âge de 88 ans, a annoncé son ancienne radio RTL.
C'était une grande figure du journalisme et de la culture. Écrivain, homme de
télévision et de radio, réalisateur.
Il avait refusé de choisir entre ses différentes
passions. Curieux de tout, voulant tout essayer, la radio, la presse écrite, la
télé, le cinéma, la littérature et même l'exercice du pouvoir, Philippe Labro a
montré tout au long de sa vie une insatiable curiosité. "Éclectique",
disait-il en décembre 2023 au micro de Léa Salamé sur France Inter. Il fut le
parolier des chansons de Johnny Hallyday et son œuvre littéraire est composée
d´une vingtaine de titres dont L´étudiant étranger (Prix Interallié) et Un été
dans l´Ouest (Prix Gutenberg).
vendredi 30 mai 2025
Chronique de juin 2025.
Les Barbelés : entre la collaboration et la résistance.
La Grande Guerre –qui après l´entre-deux-guerres a plutôt pris le nom, tout
naturellement, de Première Guerre Mondiale
– a laissé grandes ouvertes des plaies qui n´étaient pas près de se refermer. L ´utilisation
d´armes chimiques et la vie dans les tranchées ont traumatisé ceux qui ont
combattu. Si beaucoup de soldats ont survécu à la guerre– quoique le nombre de
morts fût naturellement élevé (plus de dix millions outre les disparus) –ils y
sont parvenus dans la douleur voire au prix d´une souffrance inouïe. Nombre
d´entre eux en sont revenus estropiés et inaptes au travail. Des empires se sont écroulés et de nouvelles
nations ont vu le jour. Néanmoins, les traités de paix n´ont pu effacer des
esprits la haine, le ressentiment, la colère entre les peuples.
Le fascisme, l´antisémitisme et le nationalisme outrancier –le nationalisme
ou la haine des autres, contrairement au patriotisme qui serait l´amour des
siens, selon la célèbre formule de notre cher Romain Gary –ont gangrené les
esprits et ont fait monter l´acrimonie un peu partout.
Après les années vingt, surnommées souvent les années folles, marquées par
une forte croissance économique -mais déjà aussi par la poussée des fascismes
-, les années trente se sont singularisées par la dépression et une ambiance
délétère qui préfigurait déjà l´éclosion d´un nouveau grand conflit mondial.
La France n´échappait nullement à la crise. La Troisième République avait
du mal à renouveler un projet politique déjà ancien bien que la France fût un
des rares pays démocratiques du continent européen. L´expérience du Front Populaire entre juin 1936 et avril 1938
a instauré d´importantes réformes sociales – comme la réduction du temps du
travail à 40 heures par semaine ou la création de deux semaines de congés payés
-, mais a attisé la haine d´une certaine bourgeoisie.
C´est justement l´année où a débuté l´expérience du Front Populaire que s´amorce
l´intrigue du roman Les Barbelés, assurément un des meilleurs romans français
que l´on ait pu lire ces derniers temps. C´est néanmoins un premier roman.
L´auteur, Antoine Flandrin, âgé de 42 ans, fut dix ans durant journaliste au
quotidien Le Monde en charge des commémorations des deux guerres mondiales et
des questions mémorielles.
Le roman -divisé en quatre parties
selon les années : 1936, 1940, 1944, 1948 - s´inspire du passé
collaborationniste du grand-oncle d´Antoine Flandrin décrit dans le prologue du
roman. L´auteur nous fait ainsi revivre l´une des périodes les plus troubles de
l´histoire de France. Une période, il faut bien le rappeler, où des amitiés se
sont déchirées, ou nombre de gens –y compris des gens bien –ont sombré dans
l´abjection en collaborant avec l´occupant nazi, soit en soutenant le régime de
Vichy, soit en dénonçant des résistants ou des juifs, soit en intégrant des
milices qui semaient la terreur.
Tout juste installée à Saturnac, un petit village de Dordogne, la famille
Marsac, qui habitait à Bordeaux, espère mener une vie paisible et familière. La
famille est composée par le père, Maurice, professeur de lycée, la mère,
Ernestine, et les enfants Jules et Claire.
En roulant vers Saturnac, Maurice et Jules Marsac sursautent après une
forte détonation. Un coup de fusil avait
retenti : «Jules tourna l´épaule et aperçut un homme armé à l´autre bout
du chemin. Il était prêt à prendre la poudre d´escampette mais le père ouvrit
la portière avant qu´il ait pu tenter quoi que ce soit. Jules n´en revenait
pas : le père allait d´un pas lent, mais sûr, à la rencontre de cet homme
qui pointait un fusil dans sa direction. Son visage était effrayant ; la
moitié de son crâne avait été trépanée. C´était une gueule cassée. Il y avait
de quoi avoir les foies, mais le père aussi avait fait la guerre de 14. N´osant
pas descendre de la voiture, le fils suivit fébrilement l´explication du texte
de loin».
L´homme au visage déformé répond au nom de Gaston Ravidol, un paysan qui
avait été à Verdun pendant la Grande Guerre avec le maire Fortané, un
socialiste, que Maurice Marsac venait de connaître. Il reproche à son nouveau
voisin de rouler trop vite - ««on fonce pas comme ça dans un village !» - mais
la conversation détend l´ambiance et
l´altercation s´estompe. Tout en conservant la distance imposée par les
différences d´extraction sociale, on pourrait dire qu´une certaine cordialité se
noue entre les deux familles. Cette cordialité évolue même dans le sens de
l´amitié entre Jules et René - le fils de Gaston et de Paulette Ravidol - qui
fait découvrir à son nouvel ami la campagne périgourdine.
Cependant, le temps, la politique, les rumeurs d´un nouveau conflit entre
la France et l´Allemagne et puis la guerre finissent par éloigner petit à petit
jusqu´à la fracture définitive les deux familles et surtout Jules et René.
Jules est sous l´emprise de son parrain, le franco –américain Roger
Blancarède –dont il épousera plus tard la fille Luce –, un riche propriétaire
habitant Paris, vieil ami de son père –ils s´étaient connus sur le front
d´Orient en 1915 alors qu´ils étaient brancardiers -,toujours déchaîné contre
les mous, abreuvant d´imprécations «le juif Blum», et enthousiaste de l´Action
Française de Charles Maurras. Il a un projet
pour contrecarrer le «péril juif». Il compte investir dans un titre de
presse pour en faire «un authentique journal nationaliste et anti-
sémite». Son ami Maurice, le père de
Jules, lui emboîte le pas : «Maurras avait su le convaincre que seul le
nationalisme intégral pourrait régénérer la France. Pour lui, notre pays
façonné par l´absolutisme et le cléricalisme avait accouché d´une société
fondamentalement hiérarchisée, incompatible avec tout projet égalitaire. Pour
qu´il retrouve sa grandeur d´âme, il fallait restaurer la monarchie et se
débarrasser des Juifs, des protestants, des francs-maçons et des étrangers».
Jules, quant à lui, se sent, au fil de ses lectures, de plus en plus attiré
par les idées professées par son père et par son parrain. Dans un voyage en
métro à Paris, plongé dans ses pensées, loin des yeux inquisiteurs de
Saturnac, il cherche à comprendre ce qui
lui tient vraiment à cœur : «Il replongea dans Céline, la mobilisation
générale et l´excitation qu´avait dû connaître son père. Son désir de défendre
la patrie lui semblait moins ardent maintenant qu´il était au pays de
l´anonymat et de l´indifférence. Il avait beau chercher ce qui le rapprochait
des gens présents dans cette voiture, il ne voyait pas. Devant lui, des
ouvriers maghrébins étaient assis à côté d´une famille qui parlait le russe, le
polonais et l´arménien, qu´en savait-il. Il regarda par la fenêtre et aperçut
son reflet juvénile qui s´en était sorti sans bosse. Ce miroir avait cela
d´étrange qu´il cachait derrière lui la nuit du tunnel. Il s´approcha un peu
plus de la vitre et, les yeux plongés dans l´obscurité, se perdit dans des
pensées morbides, à imaginer un monde souterrain où les soldats de 14-18
continuaient à s´entretuer au milieu des rats».
La guerre éclate et la France tombe sous la coupe de l´Allemagne nazie. Les
Français se divisent entre résistants, collabos et ceux qui à vrai dire ne
prennent pas position, menant leur vie quotidienne sans trop s´inquiéter du
lendemain.
Jules, on le devine, sombre dans la
collaboration, il s´y jette à corps perdu en signant des articles pour
L´omniprésent, un journal pétainiste, antisémite qui soutient les collabos et
les milices fascistes qui sévissent dans le pays. Il se salit ses mains en
intégrant une milice à Saturnac. L´abjection est à son comble.
Si la collaboration est toujours un sujet qui interpelle et interroge les
Français sur leur passé, ce roman, Les Barbelés, s´inspirant d´une histoire familiale
de l´auteur, remet sur le tapis les raisons qui poussent des gens à collaborer
avec l´occupant, notamment en dénonçant ceux qui, sans être criminels, sont
néanmoins honteusement persécutés par le nouveau régime en place. Ces indics,
ces mouchards, ces collabos n´étaient pas forcément des salauds, c´étaient
souvent des gens plutôt bien qui menaient une vie familiale irréprochable,
pépère, sans soucis. D´ordinaire, la nature humaine sombre, on le sait, dans
l´ignominie…
La littérature sert aussi à combler
les trous que l´Histoire ne saurait expliquer et à poser des questions plutôt
qu´à chercher des réponses. C´est ce qu´a fait Antoine Flandrin dans ce premier roman, Les Barbelés. Une véritable
réussite.
Antoine Flandrin, Les Barbelés, éditions Plon, Paris, mars 2025.
jeudi 22 mai 2025
Roger Chartier à Lisbonne.
Vous pouvez lire sur l´édition d´aujourd´hui du Petit Journal Lisbonne un portrait que j´ai brossé de l´historien Roger Chartier qui sera la semaine prochaine à Lisbonne :
mercredi 7 mai 2025
Article pour Le Petit Journal Lisbonne.
Dans le cadre de la venue à Lisbonne pour des rendez-vous littéraires de l´écrivaine Lola Lafon dont le roman La Petite communiste qui ne souriait jamais vient d´être traduit en portugais, Le Petit Journal Lisbonne a récupéré un article que j´ai écrit en 2014 lors de la parution du roman en France chez Actes Sud: