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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 29 juin 2025

Chronique de juillet 2025.

 

Frédéric Vitoux et le procureur impérial.

 

Frédéric Vitoux se plaît à raconter –et pour cause, il faut bien le dire –qu´il est né à Vitry-aux-Loges, un petit village du Loiret, le 19 août 1944, au moment précis de la Libération, dans les heures séparant le départ de la Wehrmacht et l´arrivée des Alliés. Cependant, il n´est pas longtemps resté au village où il a vu le jour puisque peu après sa naissance, il est parti avec sa mère à Paris, dans l´hôtel Lambert, sur l´île Saint –Louis, où sa famille habitait depuis plusieurs générations. Pourtant, il n´a rencontré son père qu´à l´âge de quatre ans. Ceci s´explique parce que son géniteur –qui était venu le voir juste après sa naissance –avait été entre-temps emprisonné pour faits de collaboration. Il raconte l´histoire dans son roman L´ami de mon père. Cet épisode marquant de sa vie peut justifier sa passion pour les sujets historiques et son souci du détail.

Écrivain et critique littéraire, amant des chats (voir son Dictionnaire amoureux des chats, publié en 2008 chez Plon), élu à l´Académie Française en 2001 au fauteuil de Jacques Laurent, Frédéric Vitoux est l´auteur d´une quarantaine d´ouvrages couronnés de prix littéraires prestigieux dont le prix Goncourt de la biographie (1988) pour La vie de Céline, le prix Valéry Larbaud pour Sérénissime (1991) et le Grand prix du roman de l´Académie Française (1994) pour La Comédie de Terracina. Son premier roman, Cartes postales, fut publié en 1973.

Cette année, en avril, Frédéric Vitoux nous a fait découvrir son dernier livre, La mort du procureur impérial. Ce récit est inspiré par un crime survenu à Rodez dans la nuit du 19 au 20 mars 1817.  Ce crime s´est traduit par le meurtre d´un ancien procureur impérial, M. Fualdès, dont le corps qui dérivait dans l´Aveyron fut retrouvé le lendemain matin. L´hypothèse d´un complot politique a fusé dès les premières investigations. L´affaire a défrayé la chronique et a suscité de vives passions dans la France de la Restauration. La France entière –et même l´Europe et l´Amérique –ont été séduites par cette énigme appelée à devenir une des plus célèbres affaires judiciaires du dix-neuvième siècle. Des considérations politiques se sont mêlées à l´affaire étant donné que le procureur était accusé d´être bonapartiste alors que ses assassins présumés étaient au contraire royalistes. Dans une France marquée par les guerres napoléoniennes et par les bouleversements révolutionnaires, secouée par des complots et des conspirations, cette affaire judiciaire a ajouté à la confusion qui régnait déjà dans le pays.

 Les soupçons se sont vite portés sur les habitants de la maison Bancal, un tripot malfamé non loin de la demeure de l´ancien procureur impérial. Les accusés étaient légion : l´agent de change Joseph Jausion, époux de Victoire Bastide, et Bernard-Charles Bastide dit Gramont, beau-frère et filleul de la victime, débiteur d’une hypothétique créance auprès de Fualdès. Mais aussi des hommes de main et complices, un contrebandier, Boch, Jean-Baptiste Collard, locataire des Bancal, la veuve Bancal et sa fille Marianne, le portefaix Jean Bousquier, une blanchisseuse Anne Benoit et son amant. Tous sont accusés de lui avoir tendu un guet-apens. Ils ont fini presque tous coupables du meurtre ou de complicité dans le meurtre.

L´affaire a connu trois procès, mais le deuxième fut le plus fantasque. Oui, le mot est bien juste grâce à sa figure centrale : Clarisse Manzon, accusatrice incohérente, séductrice virevoltante. Incarcérée pour un temps, elle a fini par devenir la seule héroïne de cette affaire. Fille du juge Enjalran- président de la cour prévôtale de l'Aveyron,  qui venait d'être dessaisi du dossier-, elle a mené sa propre enquête sur cette affaire. Cette femme, divorcée et farfelue, avait pour amant le lieutenant Clémendot, un officier de la garnison auprès duquel elle s´était vantée d'avoir été témoin du meurtre. Comparaissant devant le jury, elle a déconcerté le public par ses changements constants de discours et de témoignages. Elle affirmait être témoin puis se rétractait, multipliait les effets et s'évanouissait aux moments les plus tendus du procès. Elle fut emprisonnée pour un temps avant d´être libérée.

 En prison, elle a signé ses Mémoires, un succès de librairie en Europe, mais était-elle le véritable auteur ou s´est- elle servie d´une plume plus expérimentée et littéraire ? En effet, celui qui a vraiment écrit les Mémoires de Clarisse Manzon fut Henri de Latouche qui a suivi le procès en tant que journaliste et dont Frédéric Vitoux brosse excellemment le portrait. Henri de Latouche, un républicain, nous est présenté comme un homme que l´histoire littéraire a négligé, que la postérité a relégué dans un quelconque tiroir aux oubliettes. Néanmoins, il fut écrivain, dramaturge, journaliste, découvreur de talents (entre autres, André Chénier, Balzac, Sand, Goethe, Marceline Desbordes-Valmore) et celui qui a donné au romantisme naissant sa touche crépusculaire. Frédéric Vitoux écrit dans les premières pages de ce récit que pour comprendre l´affaire Fualdès, pour mesurer le retentissement dont elle a bénéficié, il faut convoquer l´homme qui a contribué de façon décisive à la faire connaître et à la faire inscrire dans la nouvelle sensibilité de l´époque, «dans cette forme d´inquiétude qui allait être le propre des enfants du siècle en proie à l´exacerbation de leurs sentiments, de leurs passions, de leurs ferveurs, de leur refus, de leurs mélancolies ou de leurs peurs». Cet homme n´est bien sûr autre qu´Henri de Latouche. S´il signait pourtant Henri, pour l´état civil, il était né Hyacinthe –Joseph-Alexandre Thabaud de Latouche. On comprend sans peine, comme le remarque Frédéric Vitoux, qu´il ait préféré adopter comme prénom Henri, plutôt que l´inhabituel et précieux Hyacinthe. De fait, il avait commencé par signer ses premières œuvres «H. de Latouche». Ses lecteurs ont pris le «H» pour Henri et l´habitude s´est installée de le prénommer ainsi.

Latouche aimait versifier et rimait sans effort, mais il a écrit aussi de la prose, notamment des essais et des romans. En 1827, Latouche a publié la Correspondance de Clément XIV et de Carlin, roman épistolaire dirigé contre les jésuites, et dont un passage de l’abbé Galiani lui avait fourni l’idée. En 1829, il a publié son chef-d’œuvre, Fragoletta, roman mettant en scène « cet être inexprimable, qui n’a pas de sexe complet, et dans le cœur duquel luttent la timidité d’une femme et l’énergie d’un homme, qui aime la sœur, est aimé du frère, et ne peut rien rendre ni à l’un ni à l’autre » selon les termes de Balzac qui a reconnu sa dette à son égard, notamment pour Séraphita.

L´influence qu´il a exercée de son temps ne fut pas suffisante pour assurer à Latouche une célébrité posthume. Comment comprendre qu´il ait disparu des mémoires, lui qui fut tellement décisif dans l´histoire du romantisme français ?

Frédéric Vitoux a ébauché une explication : «Parce qu´il ne fut pas visible, encore une fois. Parce qu´il s´y refusa. Qu´il préféra l´ombre. Ou, pour le dire autrement, parce qu´il ne fut jamais un homme de clan, ou chef de meute ou de cénacle capable d´entraîner derrière lui une armée au combat. Sa fragilité resta celle d´un homme seul. Même s´il régna un temps sur le journalisme littéraire de la Restauration puis de la monarchie de Juillet, sa position demeura fragile. Personne pour lui venir en aide, pour le seconder dans ses combats, pour l´épauler dans les joutes littéraires et politiques où il se jetait volontiers tête baissée». Et il ajoute : «Ce n´est pas tout. Pour assurer sa position, il lui aurait fallu s´imposer aussi comme un écrivain irréfutable, dont les ouvrages serviraient de mètre étalon du romantisme». Latouche a même fini désavoué par Clarisse Manzon qui a renié ses Mémoires pour satisfaire les magistrats du deuxième procès d´Albi.

Le retentissement de l´affaire Fualdès fut tel qu´elle a inspiré des musiciens, des artistes plasticiens et surtout des écrivains. En musique, l´affaire Fualdès a fait l´objet d´une complainte dont l´auteur fut le dentiste Catalan. Elle est composée de 48 couplets qui retracent cette sinistre épopée du crime dans un style qui reste encore aujourd’hui un modèle du genre. Tous les artifices y sont, le burlesque, la caricature du genre humain plongé dans l’abîme du mal avec, bien sûr, en conclusion le repentir du « mauvais larron » dont le dernier couplet moralisateur est là pour rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour exprimer de bons sentiments.

En peinture, Théodore Géricault, s´inspirant de nombreux échos et illustrations de la presse, comme des images naïves véhiculées par les colporteurs, a commencé, comme nous le rappelle Frédéric Vitoux, «par ébaucher, dès la fin de l´année 1817 ou le début de l´année 1818, tantôt à la plume et au lavis de brun, tantôt á la mine de plomb, tantôt à la plume et à l´encre brune, avec parfois de la pierre noire et des rehauts de gouache, six épisodes du crime, depuis l´enlèvement de l´ancien magistrat dans une ruelle noire jusqu´à la procession nocturne des assassins et de leur victime vers la rivière». Ces six œuvres sur papier nous sont restées, mais le peintre a fini par renoncer au tableau spectaculaire qu´il envisageait de faire sur ce meurtre sordide et s´est consacré à un autre projet qui deviendrait son futur tableau La Méduse.

Côté littérature, on trouve de nombreuses références à l´affaire Fualdès dans les ouvrages des plus grands auteurs du dix-neuvième et du vingtième siècle : Balzac (on en trouve dans cinq romans dont La muse de département, Une ténébreuse affaire ou Le Curé de village) ; Flaubert (Bouvard et Pécuchet) ; Victor Hugo (Les Misérables), Gaston Leroux (Le fauteuil hanté), Anatole France (Le jardin d´Épicure) ou Jean Giono (Le Hussard sur le toit). On en trouve aussi chez des auteurs comme Arthur Bernède, Denis Marion, Frédéric Thomas ou Courteline (Le gendarme est sans pitié). 

Avec ce récit passionnant et écrit dans un français chatoyant, Frédéric Vitoux nous fait revivre une affaire judiciaire qui a agité la France au début du dix-neuvième siècle et dont la mémoire nous fut transmise au fil des générations.  

 

Frédéric Vitoux, La mort du procureur impérial, éditions Grasset, Paris, avril 2025.

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