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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 28 juin 2011

Chronique de juillet 2011






Les réflexions de Liu Xiaobo.

Quand l´Académie Nobel a annoncé à Oslo, le 8 octobre 2010, le nom du lauréat de l´ année du prix Nobel de la Paix, tous ceux qui oeuvrent à la promotion des droits de l´homme et des valeurs humanistes n´ont pu que s´en réjouir. Le gouvernement chinois –comme on pouvait d´ailleurs s´en douter ne s´est pas privé de clamer son indignation devant cette nouvelle «ingérence dans les affaires chinoises» et de jeter l´opprobre sur l´Académie Nobel et aussi sur le gouvernement norvégien. Les autorités chinoises, dans leur mentalité rétrograde et totalitaire, sont incapables de concevoir la séparation et l´indépendance d´une institution privée vis-à-vis du gouvernement du pays auquel elle appartient. Le lauréat Liu Xiaobo, quant à lui, purge toujours (depuis octobre 2009) une peine de prison de onze ans pour avoir été un des rédacteurs de la Charte 08 et son épouse Liu Xia a été placée en résidence surveillée dès l´annonce du prix.

Si Liu Xiaobo n´était pas à proprement parler un inconnu, ses écrits et ses réflexions étaient encore ignorés de la plupart des intellectuels et des lecteurs occidentaux. En Chine, on les lisait bien entendu en catimini, dans les milieux de la dissidence ou grâce à des journaux de Hong Kong ou des sites internet mais ailleurs on en connaissait surtout des extraits publiés très sporadiquement. Or, les lecteurs de langue française peuvent désormais connaître la pensée de Liu Xiaobo grâce à la parution chez Gallimard, dans la collection Bleu de Chine, du livre La philosophie du porc et autres essais, un choix important de ses textes, présentés par Jean-Philippe Béja – qui a traduit lui-même la plupart des articles ou essais- qui dans une belle introduction retrace le parcours de ce dissident chinois hors pair, professeur universitaire, né en 1955 à Changchun.

Dans le premier texte de ce recueil, «Un épisode biographique», Liu Xiaobo raconte comment il a été privé de sa liberté en dix-neuf minutes. Il s´agit d´un texte où il évoque une de ses nombreuses arrestations (cette fois-ci en 1996) et son enfermement pour une durée de trois ans dans un camp de rééducation, et qui a été écrit pour le colloque international «Le Goulag soviétique et le laogai chinois» organisé par la Laogai Foundation en 2006. Il rappelle qu´entre le moment où il est sorti de chez lui, fut emmené au commissariat puis enfermé dans la voiture de police, il ne s´était écoulé que quelques dizaines de minutes. Refusant de signer un document où il se serait reconnu coupable de «fabrication de rumeurs» et «trouble de l´ordre social», il fut envoyé dans un centre de détention puis, sur une décision des hautes sphères du parti communiste chinois, dans un laojiao, un centre de rééducation par le travail, une des plus grandes aberrations du régime chinois. Liu Xiaobo écrit à propos de son arrestation et de ses conséquences : « C´est cela le système de rééducation par le travail aux couleurs de la Chine : une punition aussi sévère que la privation de liberté d´un citoyen, sans arrestation officielle, sans instruction, sans accusation et sans procès est décidée en quelques dizaines de minutes, un coût minime pour piétiner les droits de l´homme».

Le témoignage d´un intellectuel victime du pouvoir autocratique et de la bureaucratie totalitaire constitue une partie non négligeable de ce recueil d´essais, mais Liu Xiaobo nous livre également ses réflexions sur la littérature, la philosophie, le rôle des intellectuels et l´évolution de la société chinoise.

Dans l´essai «Crise ! La littérature de la nouvelle époque est entrée en crise», il analyse le manque de fraicheur, les procédés figés, le langage archaïsant d´une littérature qui exprime, sous l´étendard de la «quête des racines», une conscience tournée vers le passé, une tendance à la régression conceptuelle. En somme, une littérature en panne d´imagination qui n´a jamais atteint les sommets, contrairement au mouvement pour la Nouvelle Culture. Ce mouvement, connu aussi sous le nom de mouvement du 4 mai, a été fondé à la suite des manifestations du 4 mai 1919 contre le Traité de Versailles. Son chef de file était Lu Xun qui s´était fait remarquer en 1918 en publiant dans la revue Nouvelle Jeunesse la nouvelle Journal d´un fou qui s´attaquait violemment à la culture hiérarchique confucéenne. Lu Xiaobo affirme dans cet essai qu´il ne s´oppose point à la quête des racines dans son ensemble dès que cette quête ne serve pas à provoquer une régression : « Le cœur du problème est de savoir de quelle façon envisager la culture traditionnelle. Dans la littérature chinoise moderne, Lu Xun est le premier à s´être mis en quête de racines, mais les racines qu´il cherchait étaient celles soutenant l´arbre millénaire de la société féodale chinoise dont les branches vont jusqu´à la voûte céleste ; il était sans cesse travaillé par le souci de savoir quelle hache tranchante pourrait les couper. Sous l´influence de la culture occidentale progressiste, il s´est placé au plus haut degré de la conscience moderne pour soumettre la tradition à une analyse froide, une critique profonde et un rejet radical ; il a été le premier à ouvrir les yeux des Chinois sur les pitoyables, lamentables, détestables, abominables tares nationales(…)» (page 72).

Toujours dans ce même essai, Lu Xiaobo n´hésite pas à écrire que les écrivains chinois manquent de conscience individuelle et cette assertion est une espèce de prélude à l´essai suivant, intitulé «Réflexions d´un anti traditionaliste» où l´auteur s´interroge sur les raisons pour lesquelles il n´y a jamais eu de véritable tradition de bons écrivains chinois en exil et la dissidence en Chine n´est pas particulièrement florissante alors que dans les pays d´Europe occidentale, en Urss et en Europe de l´Est est toujours apparue une foule de remarquables écrivains en exil. Lu Xiaobo présente son point de vue là-dessus : « En dehors des obstacles dus à la langue, je crois que la raison majeure consiste, d´une part, en l´étroitesse de l´horizon de l´intellectuel chinois, uniquement préoccupé des problèmes de la Chine, et, d´autre part, en l´utilitarisme de sa pensée, toujours axée sur les valeurs de l´existence concrète. Dans la vie de cet intellectuel, il manque une impulsion transcendantale, il manque un esprit de résistance qui oppose la vie individuelle à la société dans son ensemble, il manque une endurance à la solitude, il manque le goût et le courage de faire face au monde étranger, au monde de l´inconnu. Les intellectuels chinois ne peuvent vivre que sur une terre qui leur soit familière, au milieu des applaudissements d´une foule ignare qui les met en valeur(…) Cela est un complexe typiquement chinois dont on s´affranchit très difficilement car sa spécificité est l´absence de toute individualité authentique. Et c´est ce complexe qui va pousser les grands noms de la culture chinoise à s´agripper au nationalisme.»(page 96).

Même des voix lucides et novatrices comme celles de Lu Xun ont dû succomber en quelque sorte à ce terrible drame. Incapable de supporter la peur et la solitude de celui qui fait face seul au monde de l´inconnu et une fois l´espoir perdu en l´homme chinois, en la culture chinoise et en lui-même, il a épousé une réalité qu´il ne pouvait que rejeter d´une façon radicale.

Puisqu´on évoque la réalité, celle qui existe en Chine n´est plus sur la même longueur d´onde de la vieille rengaine des lendemains qui chantent mijotés à la sauce orientale. Le communisme chinois n´est plus celui de la révolution culturelle et des morts qu´elle a entraînés. Mao Zedong a dit un jour qu´un tiers de l´humanité pourrait mourir si c´était pour le bonheur du communisme. Or, le communisme chinois n´est même plus celui du 4 juin 1989 et du massacre de Tiananmen. En effet, il y a toute une génération de chinois qui sont nés ultérieurement ou qui étaient des enfants à cette époque-là. Ce qu´il y a aujourd´hui c´est un capitalisme d´État à l´idéologie nationaliste (n´est-il pas assez bizarre, comme je l´ai déjà écrit ailleurs, que le communisme, en panne d´idées, verse assez souvent dans le nationalisme ?), où l´on prend la carte du parti communiste afin d´obtenir certains privilèges qu´elle permet d´accorder à ses titulaires. La corruption est, cela va sans dire, monnaie courante soit dans les sections locales et régionales du parti soit dans les différents échelons de l´appareil d´Etat ( l´Etat et le parti se confondant, bien entendu). Toutes ces vérités que je viens d´énoncer et tant d´autres encore (notamment la situation des enfants esclaves dans les briqueteries chinoises et celle des paysans qui veulent récupérer leurs terres), sont analysées de la plume fine et élégante de Lu Xiaobo. Le dissident chinois le plus connu au monde n´oublie pas de nous rappeler le rôle fondamental joué par les bloggeurs dans la dénonciation des atrocités et la défense de la démocratie, malgré la surveillance très stricte à laquelle est soumis le Net. À ce propos, on ne pourrait passer sous silence la lettre, reproduite dans ce recueil, que Lu Xiaobo a adressée le 7 octobre 2005 à Jerry Yang, président de la société Yahoo, né à Taipei en 1968 et parti aux États-Unis avec sa mère à l´âge de dix ans. Le sujet de cette lettre est la condamnation à une peine de dix ans de prison du journaliste Shi Tao, grâce à des pièces à conviction fournies par Yahoo aux autorités chinoises. Cette lettre est non seulement un cri d´indignation mais aussi l´occasion pour dénoncer les entreprises commerciales de l´Occident qui, dans la perspective de gains substantiels dans un marché aussi juteux que le chinois, font fi des principes et des valeurs humanistes tant vantés, théoriquement, du moins…

Enfin, ce recueil s´achève sur un dossier intitulé «Le procès», divisé en trois chapitres : le texte de la Charte 08, inspiré comme on le sait par la Charte 77 des intellectuels tchécoslovaques dont Vaclav Havel (qui a accepté de rédiger la préface de ce recueil), «Ma défense» et «Je n´ai pas d´ennemis (dernière déclaration)». Dans ces deux textes, Liu Xiaobo réitère les idées démocratiques qu´il a toujours prônées et sa fidélité aux principes de la tolérance et de la liberté d´expression. Dans la dernière page, on peut lire de la plume de cet homme remarquable : «Etrangler la liberté d´expression, c´est fouler aux pieds les droits de l´homme, étouffer l´humanité, supprimer la vérité» et plus loin il affirme qu´il ne se plaint pas d´être accusé pour avoir mis en œuvre son droit constitutionnel à la liberté d´expression.

Puisse cet homme –qui a dédié son prix Nobel aux «âmes errantes du 4 juin»- jouir pleinement un jour de sa liberté et de son plus bel outil, sa plume. Un outil autrement plus raffiné, noble et utile que le fusil ou la trique, l´outil dont se servent –ne serait-ce que métaphoriquement-les bourreaux…


Liu Xiaobo, La philosophie du porc et autres essais, traduit du chinois. Textes choisis et présentés par Jean-Philippe Béja, collection Bleu de Chine, éditions Gallimard, 2011.

dimanche 26 juin 2011

Le centenaire de la naissance de Czeslaw Milosz



Jeudi prochain, 30 juin, on signalera le centenaire de la naissance du grand poète, essayiste et romancier polonais Czeslaw Milosz. Né à Szetejnie en Lituanie(alors dans l´Empire russe), il était issu de la noblesse polonaise et arrière-cousin du grand poète lituanien de langue française O.V. de Lubicz-Milosz qu´il a rencontré à Paris dans les années trente et qui a exercé sur lui une influence considérable.
Diplomate après la seconde guerre mondiale, il a rompu en 1951 avec le régime communiste de Varsovie et s´est installé en France où il a vécu pendant dix ans avant de partir aux États-Unis, en 1961, pour enseigner à l´Université de Berkeley, en Californie. En 1970, il est devenu citoyen américain et en 1980 il s´est vu décerner le Prix Nobel de Littérature.
Parmi ses oeuvres, on se permet de relever La pensée captive(une réflexion sur la place des intellectuels et des dissidents au sein des régimes autoritaires), le roman La prise du pouvoir, l´essai Une autre Europe et ses nombreux livres de poésie dont La lumière du jour, Traité poétique,Le roi Popiel et autres poèmes,La ville sans nom, Chroniques ou Orphée et Eurydice.
Czeslaw Milosz est mort à Cracovie le 14 août 2004. Un immense poète et écrivain à l´oeuvre considérable.

dimanche 12 juin 2011

Poésie dans la rue


Selon un grand ami, le poète Philippe Despeysses,«trop souvent les mots de la Poésie sont hermétiques, compliqués; trop souvent la Poésie est une affaire de spécialistes; trop souvent la Poésie s´endort dans les livres au fond des librairies et des bibliothèques...» Aussi, dans une initiative spontanée et passionnée, un collectif de poètes et de photographes a-t-il décidé de remettre la poésie dans la rue en distribuant pendant le mois de mai dans les rues de Lisbonne des feuilles de poésies/photographies avec trois thèmes proposés liés à la ville: Ange, Regard et Murmure. Tout cela débouchera sur un happening poétique le jeudi 16 juin au bar café Cruzes Credo, 29, rue Cruzes da Sé, à Lisbonne. Ne manquez pas!

Festival Silêncio 2011



Du 15 au 25 juin se tiendra à Lisbonne-à Music Box, au cinéma São Jorge et à la Faculté des Lettres- une nouvelle édition du festival Silêncio avec au programme, comme les années précédentes, des débats, des rencontres avec des écrivains, des expositions et beaucoup de spectacles. On peut connaître tout le programme en consultant le site:www.festivalsilencio.com

Souvenir de Jorge Luis Borges



Ce mardi 14 juin, on signale le vingt-cinquième anniversaire de la mort de Jorge Luis Borges. Ce grand écrivain argentin, né à Buenos Aires le 24 août 1899 et mort à Genève, fut sans l´ombre d´un doute un des plus grands noms de la littérature du vingtième siècle. Ses poèmes, essais et fictions ont envoûté plusieurs générations de lecteurs, surtout des lecteurs intelligents qui ne font pas de concessions à la facilité.
Fêtons Borges, en lisant ses oeuvres, en faisant s´il le faut-comme il l´a écrit dans un de ses poèmes-de notre tristesse une musique...

mercredi 8 juin 2011

Jean Echenoz à Lisbonne




À l´occasion de la venue à Lisbonne de Jean Echenoz pour la présentation de la traduction portugaise de son livre Courir, aujourd´hui même à l´Institut Français du Portugal, je reproduis ici un article que j´ai rédigé sur ce livre en 2009 pour Literalia, le bulletin de la médiathèque de l´Institut Franco-Portugais, devenu Institut Français du Portugal en janvier 2011.


Zatopek vu par Echenoz.

Avec une dizaine de livres publiés, Jean Echenoz, né en 1947, est une sorte d´auteur culte d´une maison d´édition –les éditions de Minuit- qui est, elle aussi, une espèce d´éditeur culte, qui nous a révélé grâce à son fondateur, Jérôme Lindon, nombre d´écrivains inconnus qui sont devenus par la suite, des auteurs majeurs comme Marguerite Duras, Claude Simon ou Samuel Beckett. La réputation de l´éditeur s´est beaucoup formée autour de Alain Robbe –Grillet et de la création du Nouveau Roman, mais aussi d´autres auteurs qui ont suivi leur propre chemin, indépendants de toute école littéraire.

Quoiqu´il en soit, Jean Echenoz est considéré aujourd´hui, après la parution de certains livres salués par la critique tels Le méridien de Greenwich, Cherokee, Les Grandes Blondes ou Je m´en vais (Prix Goncourt 1999) comme un des meilleurs écrivains français de sa génération.

Après Ravel- publié en 2006-, un roman autour de la figure du grand compositeur français Maurice Ravel, Jean Echenoz a récidivé en octobre dernier avec Courir où la figure portraiturée est cette fois-ci l´athlète tchèque Emil Zatopek. Il ne s´agit nullement d´une biographie romancée (le personnage du roman se prénomme d´ailleurs Émile et non pas Emil, comme l´athlète qui a inspiré le roman), mais d´un roman où l´auteur nous livre, par petites touches et d´une écriture sobre et limpide, des moments décisifs de la carrière de ce monstre sacré du sport international- beaucoup le tiennent pour le plus grand coureur de tous les temps- et, en concomitance, de la vie d´un pays dont l´évolution politique a en quelque sorte conditionné Zatopek lui-même.

Emil Zatopek (1922-2000) était issu d´une famille modeste et à l´âge de seize ans était employé dans une fabrique de chaussures à Zlin au moment où la Tchécoslovaquie a été envahie par les troupes du Troisième Reich. C´est par là que Jean Echenoz fait débuter son roman : «Les Allemands sont entrés en Moravie. Ils y sont arrivés à cheval, à moto, en voiture, en camion mais aussi en calèche, suivis d´unités d´infanterie et de colonnes de ravitaillement, puis de quelques véhicules semi-chenillés de petit format, guère plus.» Jean Echenoz a d´ailleurs cette qualité rare de la concision, de dire l´essentiel par de petites phrases qui vont, on dirait, droit au but. Mais, pour en revenir à Zatopek, c´est en courant dans des meetings en portant les couleurs de sa fabrique, qu´il commence à se faire remarquer. Petit à petit, il gravit les échelons et commence à participer dans des courses plus importantes. Engagé dans l´armée, il suit une carrière militaire mais l´athlétisme est sa véritable passion. Sa méthode- dont il est vraiment précurseur- reposait sur l´entraînement par intervalles, même quand les conditions atmosphériques étaient particulièrement adverses. Il a participé à trois éditions des Jeux Olympiques- Londres (1948), Helsinki (1952) et Melbourne (1956)-et à des éditions des Championnats d´Europe et d´autres grandes compétitions internationales où il a pulvérisé tous les records de toutes les catégories : 5000 mètres, 10000 mètres ou le marathon. Cela va sans dire que le nouveau gouvernement de la soi-disant démocratie populaire ne s´est pas privé de faire de Zatopek un des symboles de renouveau tchèque sous la bannière communiste. Toutes les conditions de travail et d´entraînement lui étaient fournies pourvu qu´il ne dérogeât pas aux bons principes de la nouvelle réalité socialiste. Pour éviter que cette gloire tchèque n´eût la tentation de succomber aux sirènes de la «démocratie bourgeoise», le nouveau régime lui a tendu plusieurs pièges en défigurant des propos tenus à des journaux tchèques à la solde du Parti. Ainsi, Emil s´est-il vu interdit de séjour soit en France soit au Brésil pour cause d´affirmations qu´il n´a en effet jamais produites.

Lorsque, avec l´âge il a commencé à perdre de sa fraîcheur et à ne plus obtenir de victoires, celui que l´on a un jour surnommé la «locomotive tchèque», homme affable et intelligent qui parlait couramment cinq langues étrangères (allemand, anglais, français, hongrois et russe) et s´était marié à la lanceuse de javelot Dana Zátopková(née curieusement le même jour que son mari), ne s´est vu subtiliser aucun des privilèges dont il jouissait auparavant. Colonel de l´armée tchèque, il a mené une vie paisible jusqu´à la fin du Printemps de Prague. Là, ayant pris fait et cause pour les rénovateurs qui préconisaient un socialisme à visage humain et en démocratie, il est tombé en disgrâce. Envoyé dans les mines d´uranium à Jackymov, devenu plus tard éboueur dans les rues de Prague, Emil Zatopek a finalement été poussé à l´autocritique, ce procédé sordide et humiliant dont les régimes staliniens ont le secret. Ce n´est qu´après la révolution de velours que Zatopek a pu enfin recouvrer sa dignité.

Jean Echenoz nous a fait connaître avec cet extraordinaire récit des fragments de la vie de ce coureur de fond, avec l´œil discret mais efficace d´un conteur- non pas un conteur selon les canons traditionnels, mais sans doute un vrai et indiscutable conteur- qui sait trouver le mot juste pour nous transmettre sa passion de la littérature et donc de la vie.

Courir, Jean Echenoz, Éditions de Minuit

La disparition de Jorge Semprún



Hier, s´est éteint à Paris, à l´âge de 87 ans, Jorge Semprún, écrivain espagnol dont la majeure partie de l´oeuvre a été écrite en français.
Déporté à Buchenwald, expulsé du Parti Communiste Espagnol en 1964, il a été ministre de la culture d´Espagne pendant trois ans(1988-1991) sous le gouvernement de Felipe González. Sa mort est une énorme perte pour la culture européenne.
Dans les archives de ce blog, vous pourrez trouver un article que j´ai rédigé en juin 2008 sur la vie et l´oeuvre de ce grand écrivain.