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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

lundi 28 mai 2012

Chronique de juin 2012

Miljenko Jergovic
Velibor Colic






Miljenko Jergovic et Velibor Colic : l´histoire et la fiction.


Il y a vingt ans, la Bosnie-Herzégovine sombrait dans une guerre atroce et sa capitale Sarajevo, un creuset de cultures où jadis les chrétiens (fussent-ils catholiques ou orthodoxes) et les musulmans se fréquentaient dans une convivialité quasiment fraternelle, devenait le théâtre des combats les plus cruels et irrationnels. Les démons de la vieille Europe que l´on croyait à jamais révolus refaisaient surface avec leur cortège de viols, d´épuration ethnique et de camps de concentration.
L´imaginaire de Sarajevo est néanmoins peuplé d´autres mémoires, de force souvenirs où la violence avait déjà laissé son empreinte de façon indélébile dans l´histoire européenne du vingtième siècle. On sait que l´attentat perpétré par Gavrilo Princip contre l´archiduc François- Ferdinand qui a déclenché la première guerre mondiale a eu lieu à Sarajevo. On n´ignore pas non plus que lors de la seconde guerre mondiale l´ancienne Yougoslavie dans son ensemble fut la proie de tensions nationalistes qui ont poussé certaines républiques, notamment la Croatie par le biais des honteux oustachis, entre les bras de l´occupant nazi.
En France, ont paru ces derniers mois deux romans qui ont remis à l´ordre du jour les années précédant les deux grandes guerres mondiales du vingtième siècle, deux romans écrits par deux jeunes écrivains de la même génération, d´origine croate et dont la vie est étroitement liée à Sarajevo: Ruta Tannenbaum de Miljenko Jergovic et Sarajevo Omnibus de Velibor Colic.
Miljenko Jergovic, né en 1966 à Sarajevo justement, en est à son cinquième livre traduit en français (toujours chez le même éditeur, Actes Sud) après Le jardinier de Sarajevo et Buick Riviera(2004), Le palais en noyer(2007) et Freelander(2009). Curieusement, Ruta Tannenbaum est disponible en français avec un considérable retard par rapport à la version originale croate, parue en 2006. C´ est sans doute le roman le plus polémique de cet auteur réputé, vivant à Zagreb (où il travaille également comme journaliste) depuis 1993.
L´héroïne du roman Ruta Tannenbaum est en fait inspirée par la figure de Lea Deutsch, une fillette juive de Zagreb devenue une vedette du Théâtre national croate dans les années trente du vingtième siècle. Ruta est la fille de Salomon Tannenbaum et d´ Ivka Singer et petite-fille du vieil Abraham Singer vendeur de marchandises coloniales dans la rue Mesnicka. Sa fille Ivka connaît pas mal de prétendants mais Abraham rechigne à donner la main de sa fille au premier venu. Quand on est trop exigeant, on risque de se décevoir un jour et Ivka finit par épouser le maladroit Salamon Tannenbaum qu´ Abrahaml ne tient pas dans un premier temps en haute estime. La maladresse de Salamon se voit dès le début du roman où, s´apprêtant à s´attabler dans la brasserie de sa prédilection dans une belle journée de l´année 1920, il se moque du fait qu´elle ne porte plus son ancien nom, du temps de l´empire habsbourgeois, et ne peut s´empêcher d´s´exclamer, en lançant son chapeau sur le perroquet à l´autre bout de la salle comme il le faisait autrefois : «Voilà Moni qui arrive chez l´empereur d´Autriche !», à quoi les ivrognes lui répondent: «Longue vie à l´empereur !». Or, dans la brasserie - qui ne s´appelle plus Chez l´empereur d´Autriche, mais Les trois Cerfs, par imposition des nouvelles autorités municipales yougoslaves- se trouvent deux gendarmes qui, à peine Salomon a-t-il le temps de retirer les papiers d´identité demandés, lui appliquent une claque avant de le rouer de coups plus tard au sous-sol de la gendarmerie. Salomon, égaré pendant un temps, a du mal à comprendre ce qui lui arrive, mais, personnage un tant soit peu timbré, il rejoint une société plus ou moins secrète aux mœurs un peu étranges. Quoi qu´il en soit, il ne vole pas la vedette dans le roman à sa fille Ruta Tannenbaum, une fillette talentueuse devenue une sorte de Shirley Temple yougoslave qui fait un tabac sur la scène zagreboise sous les yeux attendris d´Amalija Morinj qui, privé d´un fils emporté par une maladie, reporte sur sa jeune voisine tous ses espoirs, tant et si bien qu´elle parvient à rendre jalouse Ivka, la mère de Ruta. Mais si l´intrigue du roman tourne autour de la figure de Ruta, Miljenko Jergovic a excellé encore une fois-comme on l´avait vu dans ses romans précédents- à reproduire l´atmosphère de l´époque. Dans une fiction grouillante de personnages hauts en couleur, typiques de cette mosaïque de cultures que renferment les Balkans (où l´on voit même figurer l´ombre fugace du grand intellectuel Miroslav Krleza), Jergovic pousse indirectement ses lecteurs à réfléchir sur l´hypocrisie d´un monde où l´on sacrifie les affinités, les complicités, la convivialité d´une vie sur l´autel de l´idéologie et de sentiments prétendument purs, mais baignant à vrai dire dans l´abjection la plus honteuse.
Quand en 1941, l´Allemagne nazie a envahi la Yougoslavie, les forces du Troisième Reich ont parrainé la mise en place d´un État indépendant croate, ultra –nationaliste, commandé par les oustachis (du croate Ustase, insurgés), issus d´un mouvement antisémite, fasciste et catholique, fondé en 1929 par Ante Pavelic. Ce mouvement fut à l´origine du meurtre du roi Alexandre Ier en 1934 à Marseille (dans cet attentat fut également tué le ministre français Louis Barthou). L´État croate a mené une politique de purification ethnique visant les Juifs, les Serbes (orthodoxes pour la plupart) et les Tziganes. Soit ils massacraient les habitants par villages entiers, soit ils promouvaient des rafles de milliers de personnes qui étaient ensuite acheminées vers des camps d´extermination, notamment ceux de Jasenovac et Stara Gradiska. Cet État croate fut un des plus sanguinaires de tous les Etats collaborationnistes de la seconde guerre mondiale. À la fin de la guerre, nombre d´oustachis ont pu s´enfuir en raison de force complicités et Ante Pavelic, le fondateur du mouvement, est mort tranquillement en 1959 à Madrid où il avait vécu ses dernières années sous l´aile protectrice du caudillo Francisco Franco. Avant de s´être fixé dans la capitale espagnole, Ante Pavelic avait déjà bénéficié de la protection du Vatican d´abord, puis de Juan Domingo Perón en Argentine.
J´ai rappelé ces faits historiques puisqu´il en est question dans le roman de Miljenko Jergovic. Ruta, après l´avènement du régime oustachi, est mise au ban, condamnée à la négation sociale par ses concitoyens. Les nouveaux maîtres de Croatie semaient la violence et se servaient des méthodes les plus iniques pour atteindre leurs buts. Une scène d´agression gratuite décrite dans la dernière partie du roman en est l´illustration suprême.
Velibor Colic est né en 1964 à Modrica, mais a fait ses études à Sarajevo. Il a été enrôlé dans l´armée bosniaque lors de la guerre des Balkans il y a vingt ans, ce après avoir perdu sa maison et ses manuscrits, brûlés dans un incendie. En mai 1992, il a déserté, puis il fut fait prisonnier, mais au mois d´août de la même année il est parvenu à s´échapper et s´est réfugié en France. Il fut pendant quelque temps accueilli à Strasbourg par le Parlement des écrivains et s´est fixé à Douarnenez, en Bretagne où il vit toujours et organise des ateliers d´écriture. Dans une interview récente (mise en ligne le 6 avril) accordée à Jean-Arnault Derens du quotidien La Libre Belgique, Velibor Colic a reconnu un sentiment d´étrangeté toutes les fois qu´il se déplace en Bosnie : « Sarajevo, explique-t-il, reste une ville qui vit, qui bouge. Il y a quelques années, quand je revenais, il me fallait 48 heures pour me sentir à nouveau chez moi. Maintenant, il me suffit de 24 heures. Par contre, dans ma ville natale de Modrica, qui appartient désormais à la Republika Srpska, je me sens aussi étranger que si j’étais sur une autre planète.». D´autre part, il exclut toute possibilité d´un retour définitif là-bas : «J´ai loué une langue, le français. Ce n’est pas la mienne, je n’en suis pas le propriétaire, mais c’est comme dans une maison qu’on loue : on finit par s’y sentir à l’aise.»
Il a défrayé la chronique en 1994 en publiant Les Bosniaques, écrit en serbo-croate tout comme les livres suivants jusqu´en 2008 l´année où est paru Archanges, son premier roman écrit directement en français. En 2010, il a publié Jésus et Tito et en avril dernier, enfin, Sarajevo Omnibus.
L´auteur avertit les lecteurs en guise d´introduction : «Le texte qui suit est une œuvre de fiction avec des personnages historiques. Il n´est donc pas une interprétation historique, encore moins une analyse scientifique, juste un roman, imaginé et conçu comme un omnibus cinématographique, comme cinq chapitres d´une même histoire». Et plus loin : «Ce n´est qu´une fiction. J´ai voulu l´imposer comme une histoire vraie, parce que, par essence, chaque roman est vrai. Le romancier, dixit Milan Kundera, n´a de comptes à rendre à personne, sauf à Cervantès ».
Le roman a comme toile de fond le meurtre de l´archiduc François – Ferdinand et l´archiduchesse Sophie à Sarajevo en juin 1914. La plupart des personnages du roman ont en commun le fait d´avoir assisté d´une façon ou d´une autre à cet attentat.
Un des personnages est Gavrilo Princip lui-même, celui par qui la guerre a indirectement éclaté, qui nous est décrit comme un jeune de condition modeste mais aux dons intellectuels précoces, sachant déjà compter jusqu´à mille à l´âge de cinq ans et écrire avec les deux mains à six ans, avec la main gauche en cyrillique et avec la main droite en alphabet latin. Malgré ces dons tellement vantés, il devient pourtant un lycéen médiocre et finit par rejoindre une organisation secrète terroriste prônant la réunion de tous les Slaves du sud sous la bannière serbe, dénommée la Main Noire et dirigée par le chef de renseignements serbe, le colonel Dragutin Dimitrijevic Apis. Cette organisation encourage des mouvements politiques comme le Mlada Bosna (Jeune Bosnie) à Sarajevo. Ces mouvements sont financés par Viktor Artamanov affairiste russe illuminé qui le fait au nom du tsar. De cette mouvance fait aussi partie pour un temps, sans qu´il y eût jamais joué un rôle important, le grand écrivain Ivo Andric. «Homme de réflexion plutôt qu´un homme d´action, préférant l´ ombre littéraire à l´héroïsme, les univers imaginaires au réalisme sec de cette époque sordide», comme l´écrit le narrateur, le futur auteur du Pont sur la Drina et de La chronique de Travnik et futur Prix Nobel(1961) est arrêté à la suite de l´assassinat de l´archiduc, mais aussitôt libéré faute de preuves.
D´autres personnages enrichissent cet omnibus comme, par exemple, le rabbin Baroukh Abramovicz, philosophe et poète, qui reçoit dans la nuque une des cinq balles destinées à l´archiduc, ou Nikola Barbaric grand-père de l´auteur qui a eu quatre épouses et fut donné pour mort à plusieurs reprises. Ou encore d´autres figures liées à Sarajevo mais qui n´étaient pas présents lors de l´attentat tels Alexandre Wittek, architecte, poète, peintre et maître d´échecs, qui fait construire le Conseil(Vijecnica), édifice de l´hôtel de ville et meurt dans un hôpital psychiatrique en 1894, et un ami de Carl Orff, Ernst Rosenbaum, qui expliquait ses plaisirs charnels et homosexuels par les textes d´un obscur écrivain romantique, Otto Von Loeben dit Isidorus Orientalis, et qui, en tant qu´agent de la Gestapo, a sévi dans la ville bosniaque pendant la seconde guerre mondiale avant d´être assassiné .
Ces deux romans, Ruta Tannenbaum et Sarajevo Omnibus, nous montrent que Miljenko Jergovic et Velibor Colic sont deux admirables conteurs et que la mémoire des événements survenus de tout temps dans la région des Balkans ne cesse de nourrir la culture européenne. 
 

Miljenko Jergovic, Ruta Tannenbaum, traduit du croate par Aleksandar Grujicic avec la collaboration d´Elisabeth Beyer, Actes Sud, Arles, 2012
Velibor Colic, Sarajevo Omnibus, Gallimard, Paris, 2012

P.S- Les livres précédents de Velibor Colic cités dans l´article ont été publiés chez Galilée(le premier) et chez Gaïa(les deux autres). D´autre part,sur un sujet tout autant «yougoslave» il vient de paraître aussi le roman d´Igor Stiks, Le Serpent du destin (aux éditions Gaalade), traduit par Jeanne Delcroix-Angelovski. Enfin, à tous ceux qui s´intéressent à la culture des Balkans, je suggère le portail francophone Le Courrier des Balkans (balkans.courriers.info).


mercredi 16 mai 2012

La mort de Carlos Fuentes


C´est avec une énorme consternation que l´on vient d´apprendre la mort à l´âge de 83 ans du grand écrivain mexicain Carlos Fuentes. Auteur de romans mémorables comme La región más transparenteCambio de piel, La muerte de Artemio Cruz, Terra Nostra ou Los años con Laura Díaz, Carlos Fuentes- né en 1928 au Panama où son père exerçait des fonctions diplomatiques- était un des noms les plus emblématiques du boom littéraire latino -américain des années soixante, aux côtés de Julio Cortázar, Mario Vargas Llosa, Gabriel Garcia Marquez ou José Donoso, entre autres.Son oeuvre, couronnée dans le monde entier, était considérée comme l´une des plus riches de la littérature contemporaine.En 1987, il a reçu le Prix Cervantès, le plus prestigieux des lettres hispaniques, pour l´ensemble de son oeuvre. Son dernier livre -l´essai La gran novela latinoamericana- a été publié en septembre 2011 chez Alfaguara. Il fut également diplomate, ayant été ambassadeur du Mexique en France dans les années soixante-dix .  Son oeuvre est abondamment traduite en français et ses livres sont  disponibles chez plusieurs éditeurs.   Il est mort hier à Mexico.

mardi 15 mai 2012

Dominique Rolin, la mort de «l´écrivaine de l´infini amoureux»


C´était, selon les sages paroles de René de Ceccatty, publiées aujourd´hui dans le quotidien français Le Monde, «l´écrivaine de l´infini amoureux». Dominique Rolin, décédée ce matin, aurait eu 99 ans le 22 mai. Née à Bruxelles, figure respectée des milieux littéraires français et belge, Dominique Rolin s´est imposée dès la parution des Marais en 1942. Son oeuvre fut couronnée de nombreux prix littéraires dont le Femina (Le souffle, en 1952),  le Franz Hellens(L´enragé, en 1978), le Kléber Haedens(L´infini chez soi, en 1980) et le Thyde-Monnier de la Société  des Gens de Lettres pour l´ensemble de son parcours littéraire. Elle a été jurée de plusieurs prix littéraires et, en mars 2000, elle a publié  Journal amoureux, roman à la gloire de l´être aimé depuis quarante ans, l´écrivain Philippe Sollers(plus jeune de vingt-trois ans), figure qui était déjà apparue en des livres précédents(dont Trente ans d´amour fou, en 1988)déguisée sous le nom Jim.
La plupart de ses livres sont disponibles chez Gallimard.