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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 28 juillet 2012

Chronique d´août 2012





Edgar Hilsenrath: le ghetto, le barbier, les clodos et les putes.


Il y a un comique juif, une sorte d´humour noir( issu parfois de la vieille tradition yiddish), qui a nourri la littérature européenne d´une couleur et d´une saveur qui forcent le respect. Ils ne sont sûrement pas particulièrement nombreux les lecteurs qui s´y connaissent mais quelques-uns d´entre eux, avec un peu de chance, auront peut-être déjà entendu parler du Brave soldat Chveïk du Tchèque Jaroslav Hasek, de La peste soit en Amérique de Sholem Aleikhem ou du Pentateuque ou les cinq livres d´Isaac d´Angel Wagenstein.
Dans la lignée des noms que je viens de citer, L´Allemagne a découvert, effarée, il y a quelques années, qu´elle comptait parmi ses écrivains un digne héritier de cette tradition littéraire juive : Edgar Hilsenrath. Devenu best-seller d´abord aux États-Unis où il a vécu pendant quelque temps, Edgar Hilsenrath a enrichi son écriture de l´expérience de ses multiples errances de par le monde.
Né en 1926 à Leipzig, Edgar Hilsenrath est issu d´une vieille famille de commerçants, juifs naturellement. C´est néanmoins dans la ville de Halle qu´il a grandi jusqu´à l´âge de 12 ans où «la nuit du pogrom du Reich» a poussé sa famille (sa mère, son jeune frère et lui-même) à se refugier  à Siret dans la région de Bucovine, en Roumanie, chez ses grands-parents. L´éclosion de la guerre a empêché que son père les eût rejoints, celui-ci ayant alors décidé de gagner la France où il est resté pendant toute la guerre, malgré l´occupation allemande. Quant au jeune Edgar et à sa famille, ils ont tous été déportés dans le ghetto roumain de Mogilev-Podolsk (aujourd´hui situé en Ukraine). À la fin de la guerre, il a tenté sa chance en Palestine grâce aux beaux soins de l´organisation de Ben Gurion mais, sous les coups de boutoir des dures conditions économiques (il vivotait en bricolant ici ou là), il a décidé de partir en France où sa famille s´était entre-temps réunie. Au début des années cinquante, toute la famille a pris la décision de rejoindre New York et c´est dans le pays de l´oncle Sam que l´on a été témoin petit à petit  à la naissance d´un écrivain.
Dans la dèche, Edgar Hilsenrath a publié son premier roman, Nuit, non sans mal,  la direction de sa maison d´édition ayant retiré le livre des librairies peu après la mise en vente, en vertu de la «crudité du texte». Toujours est-il qu´Edgar Hilsenrath a poursuivi son petit bonhomme de chemin et les livres se sont succédé en rendant  tout à fait respectable celui qui fut un peu une espèce de gueux, de clochard. Quand il est rentré en Allemagne en 1975, il commençait déjà à faire parler de lui avant de devenir un écrivain réputé.
Son œuvre, je l´ai écrit plus haut, est imprégnée de cet humour noir typiquement juif, satirique,  sarcastique où le tragique épouse parfois le grotesque et le burlesque. 
Son œuvre est d´ailleurs de nature à susciter des remous autour notamment de l´idée taboue selon laquelle on ne devrait nullement  faire de l´humour sur le dos de la mémoire de la tragédie de l´Holocauste et de la seconde guerre mondiale.  Aussi fut-elle longtemps boycottée en Allemagne, les observateurs n´y concevant pas que l´on puisse adopter une telle perspective en évoquant cette période sombre de l´histoire allemande. D´ordinaire, les éditeurs eux-mêmes faisaient très peu pour promouvoir les œuvres d´Edgar Hilsenrath, comme s´ils avaient honte de  les publier, comme s´il s´agissait d´une hérésie, d´un sacrilège.   
On se rappelle effectivement bien des polémiques concernant ce sujet de l´humour sur la guerre, comme  celle qui a vu le jour lors de la première du film La vita è bella (La vie est belle) de Roberto Benigni, en 1998, et comment une grande leçon de sagesse nous fut alors donnée par le regretté Jorge Semprún, un ancien détenu à Buchenwald, qui a pris la défense de Benigni contre ses détracteurs.
Concernant l´œuvre d´Edgar Hilsenrath, le moins que l´on puisse dire c´est que, tout en se servant d´un langage baignant dans le burlesque et le grotesque, elle est une œuvre de la mémoire contre l´oubli.
Dans son premier roman –Nuit –réécrit vingt fois en dix ans et qui a déjà vendu à ce jour plus de cinq cents mille exemplaires dans le monde entier, on nous raconte l´expérience du ghetto de Prokov où le personnage  Ranek lutte pour sa survie. Le quotidien du ghetto dans la misère et l´horreur fait quand même déclencher la  solidarité parce que malgré tout il faut vivre. Dans une interview accordée en 2009 au site internet français La Lettrine, Edgar Hilsenrath rappelait que la critique principale que l´on adressait à ce premier livre était  qu´il montrait les juifs sous un mauvais jour parce qu´on ne voyait pas les bourreaux ; les juifs étaient laissés à l´abandon dans des ghettos et ainsi ils volaient et violaient. Comme on ne mettait pas leurs actes en perspective avec ceux des bourreaux, ce n´était pas acceptable. 
Dans un autre roman (une commande de son éditeur américain Doubleday) –Le nazi et le barbier-Hilsenrath décrit sous des accents iconoclastes l´histoire de Max Schulz, fils bâtard mais aryen bon teint, un bourreau nazi reconverti en juif pour sauver sa peu et qui exerce le métier de barbier en Israël et claironne, qui plus est,  ses idées de sioniste fanatique ! Racontant un peu l´intrigue par le menu, au début il y avait deux garçons : un juif et un goy. Ce dernier, adulte, devient massacreur nazi dans un camp de concentration contribuant à l´élimination du juif-un barbier- et da sa famille. Recherché comme criminel de guerre,  il se fait circoncire et part en Israël se faisant passer pour le vrai barbier juif. D´après son traducteur Jörg Stickan, Edgar Hilsenrath insiste sur le fait que c´est lui-même le premier à poindre une fiction sur la Shoah du point de vue du coupable,  Max Schulz  devançant ainsi  d´une trentaine d´années Max Aue le héros criminel des Bienveillantes de Jonathan Littell.  
Un  autre titre important dans la généalogie de son œuvre est sans conteste Fuck America, curieusement le seul livre de Hilsenrath qui n´est pas traduit aux États-Unis.  L´auteur y dépeint les déboires de Jakob Bronsky (une sorte de son alter ego) dans le New York miteux des années cinquante parmi les clodos et les putes et qui  n´a que deux obsessions : soulager son sexe et écrire un roman sur son expérience des ghettos juifs.  Toujours à court d´argent, Bronsky vit de petits boulots, fréquente des cafétérias grouillantes de vieux immigrés égarés dans une ville bourgeoise et invente tout un tas d´histoires auprès de sa logeuse pour repousser le paiement du loyer de sa petite chambre, minable et pleine de cafards. Comme toujours chez Hilsenrath, les situations loufoques pullulent le long du roman. Je n´hésite pas à vous reproduire deux des épisodes les plus cocasses de l´histoire.
 Premier épisode : Bronsky enfile son costume, chausse ses souliers bien cirés et réserve une table dans le restaurant français le plus cher de New York, la Coupole de Montparnasse dans la cinquième avenue. Il prend un faux nom, Jacob Birnbaum, demande les mets les plus exquis et les boissons les plus raffinées et à la fin du repas il prétexte du dépassement du temps de stationnement pour aller regarder sa voiture- qu´il n´a pas, bien entendu- et file sans payer.
Deuxième épisode : Il s´imagine encore le petit boy (un métier qu´il a souvent exercé) qui apporte le sandwich et le café à une secrétaire d´un éditeur qui ne l´a jamais regardé en face et, à un moment donné, quand elle lui demande pourquoi il n´a pas pris le pourboire qu´elle lui a jeté, il lance à la secrétaire : «PARCE QUE J´AI ENVIE DE VOUS ENCULER !» La secrétaire fait l´air de ne pas comprendre, prend peur quand il lui dit qu´il a un couteau, puis se rassure quand il lui affirme : «Je suis écrivain». Alors qu´il dit encore «ET MAINTENANT JE VAIS ENFIN VOUS ENCULER», elle lui répond : «Mais vous n´avez pas encore vu mon cul !». Il ne l´avait pas vu parce qu´elle le cachait derrière le bureau. Bref, c´est à mourir de rire…
Deux autres livres emblématiques d´Edgar Hilsenrath sont Le retour au pays de Jossel Wassermann, où l´on assiste à l´irruption des personnages pittoresques (porteurs d´eau, traîne-savates, rabbins) typiques du petit monde juif d´Europe Centrale, et  Le conte de la pensée dernière qui a reçu le Prix Alfred Doblin et qui raconte l´odyssée rocambolesque d´un paysan arménien émigré aux États-Unis qui à son retour est accusé en 1914 d´être le meurtrier de l´archiduc François Ferdinand à Sarajevo.
 Enfin, très prochainement les éditions Attila* feront paraître avec traduction de Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb le roman Orgasme à Moscou. Il serait juste de mettre ici en exergue le parcours singulier des deux traducteurs et de leur travail remarquable.
Jörg Stickan est né en 1968 en Allemagne et vit en France depuis la fin des années quatre-vingt. Il a travaillé comme acteur, commis de cuisine, metteur en scène, barman, enquêteur téléphonique et chanteur d´opéra avant de devenir traducteur, rendant en français des œuvres de Hanns Eisler, Hanns Henny Jahnn, Gerhart  Hauptmann, Johann Nestroy et J.M.R.Lenz.
Sacha Zilberfarb est né à Paris en 1972. Agrégé d´allemand et d´histoire, il enseigne dans un lycée de la banlieue parisienne. Ancien acteur amateur, il a joué des pièces de Valère Novarina, Roberto Zucco  et Bernard-Marie Koltès.  Il est membre du comité de rédaction de la revue Vacarme et a appris le yiddish, langue de ses grands-parents paternels, pour lire dans le texte Sholem Aleikhem.
Quant à Edgar Hilsenrath, admirateur de Kafka et d´Erich Maria Remarque et à qui Max Brod a écrit un jour dans une lettre que, pour devenir écrivain, il  lui fallait faire de profondes études littéraires (alors que pour lui, ses études, c´était la vie), Edgar Hilsenrath donc, après avoir roulé sa bosse et filé un mauvais coton, peut, du haut de ses 86 ans, regarder la vie tranquillement, vivre de sa plume et dire : «Ma patrie est la langue allemande»…

*Attila est depuis quelques années l´éditeur français d´Edgar Hilsenrath. Les  nouvelles éditions de poche sont publiées dans la collection Points.

lundi 9 juillet 2012

Promenade d´été


Dictionnaire des mots oubliés ou délaissés.

François Mottier


 
Quand on fait (re)vivre les mots.
(Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés de François Mottier).


Nous sommes témoins depuis quelques années -ce n´est plus d´ailleurs un secret –d´un net abâtardissement de la langue parlée ou écrite. On tend à tout simplifier. Je ne m´insurge pas-loin s´en faut- contre la création de néologismes qui enrichissent la langue, ce phénomène en mouvement perpétuel. Vergílio Ferreira, grand écrivain portugais du vingtième siècle, traduit en d´autres langues, dont le français, avec un considérable retard par rapport à la date de parution de ses premiers livres-Le roman Matin perdu (Manhã submersa en portugais) s´est vu décerner le prix Femina étranger en 1990(Éditions La Différence) alors qu´au Portugal il avait été publié en 1954 !-Vergílio Ferreira a donc affirmé un jour que le grand écrivain est celui qui enrichit le dictionnaire de nouveaux vocables et non pas celui qui cherche des mots dans le dictionnaire.
Les Portugais les plus nationalistes rechignent un peu à reconnaître l´apport des Brésiliens, par nature plus pétillants, à l´enrichissement de la langue portugaise. Et pourtant, cet apport est significatif. On vous donne un tout petit exemple : pour féliciter quelqu´un pour son anniversaire on peut lui dire «Feliz aniversário» (joyeux anniversaire) mais aussi «Parabéns !». Or, de ce dernier mot, les Brésiliens en ont créé le verbe « parabenizar».
La création de nouveaux mots (noms, adjectifs, verbes) ne doit quand même pas nous faire ensevelir les plus anciens dans un vieux dictionnaire poussiéreux rangé dans un quelconque tiroir aux oubliettes. S´ils risquent de disparaître, il faut leur redonner vie, si possible par le biais d´un dictionnaire spécifique. C´est d´ailleurs ce que vient de faire, avec un indéniable doigté et-j´en suis sûr- un grand plaisir, François Mottier avec son Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés (Édition de la Mouette) et ce pour le bonheur des amants du beau parler et des amateurs de la préexcellence du langage français (pour paraphraser Joachim Du Bellay).
Un verbe est, on le sait, essentiel dans une phrase et il est en quelque sorte une antithèse de la banalité. En épigraphe de ce dictionnaire, François Mottier a choisi une belle phrase de Charles Baudelaire :«Il y a dans le mot, dans le verbe, quelque chose de sacré qui nous défend d´en faire un jeu de hasard. Manier savamment une langue, c´est pratiquer une sorte de sorcellerie évocatoire».
C´est donc avec un plaisir de collectionneur et de voyageur que nous parcourons ce dictionnaire comme si plonger dans ce livre et humer les mots qui s´en dégagent fût le meilleur antidote contre la disparition de ces verbes précieux et rares, comme si en exhumant ces verbes de la tombe ou du moins du limbe où ils se trouvaient empêtrés on fût imprégné d´un parfum de lavande et non pas d´une odeur de renfermé.
Au fur et à mesure que l´on feuillette les pages de ce dictionnaire atypique, on se sent embarqué dans un voyage où les mots défilent devant nos yeux comme autant de destinations inconnues ou oubliées. Ainsi, retenez bien le verbe «adraguer», verbe argotique qui signifie «boire en excès».Pour briser un peu la monotonie, si vous voulez parler de quelqu´un en disant notamment qu´il n´est plus particulièrement sobre, au lieu de dire qu´il est déjà un peu arrosé, vous pouvez dire tout bonnement qu´il est déjà un peu «adragué», n´est-ce pas ? Par contre, si vous voulez pénétrer furtivement dans un verger pour y cueillir des fruits, vous pourrez dire que vous allez «allevasser». Si vous vous sentez indolent en ce moment parce qu´il fait très chaud, vous pourrez dire que la chaleur est de nature à vous rendre paresseux, c´est-à-dire à vous «apparesser». Si vous avez un malaise, vous risquerez de «débâgouler», par d´autres mots, «vomir sans avertissement», un verbe qui peut signifier aussi au figuré «injurier quelqu´un en lâchant tout ce qui vient à la bouche, en fait de grossièretés». Si vous êtes assez téméraire pour, à la manière des aventuriers du passé, délivrer un ami qui est en taule, vous irez alors le «défermer». Si vous avez peur de déranger les heures ordinaires d´occupation de quelqu´un, vous lui poserez d´abord la question : «Je ne vous désheure (verbe désheurer) pas, au moins ?». Si vous êtes discret et ne laissez pas éclater votre colère quand il s´agit de vous plaindre, alors vous êtes en train de «hogner». Par contre« hollander» ne signifie aucunement voyager en Hollande ou être partisan de François Hollande, mais «ôter le suint d´une plume en la passant à la cendre très chaude». En outre, si vous avez l´intention de décerner à quelqu´un le titre de monseigneur de souriante façon, vous le «monseigneuriserez». Enfin, voulez-vous rappeler un événement à quelqu´un ? Ça s´appelle « ramentevoir».
Enfin, les exemples sont légion et l´on ne va pas bien sûr les épuiser ici. Ce que je cherche surtout c´est à vous donner une illustration de l´incomparable richesse de cette œuvre, un livre publié par une petite maison d´édition (Édition de la Mouette) de la ville de Sète au catalogue assez varié et qui prouve de la sorte qu´il faut souvent lorgner du côté des éditeurs de province pour y dénicher des joyaux comme celui-ci.
L´auteur, François Mottier, est né à Vevey, en Suisse, en 1952. Vieux baroudeur, passionné de mer, il a voyagé un peu partout notamment en Croatie et en Afrique avant de se fixer à Sète.
Il a travaillé presque exclusivement dans le tourisme, a écrit des poèmes, des romans et des nouvelles et prépare plusieurs ouvrages maritimes et d´autres livres sur la ville de Sète.
Personnalité avenante, François Mottier est un de ces rares écrivains pour qui la littérature est un lieu de rencontre, de rêves, d´amitié et de partage. Pour le grand bonheur de ses lecteurs.

François Mottier, Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés, éditions de la Mouette, Sète, 2011.

mardi 3 juillet 2012

Gabriela Adamesteanu à Lisbonne


On vient de passer un agréable début de soirée dans la librairie Leya na Barata, à Lisbonne. C´était la présentation de Uma manhã perdida(chez Leya Dom Quixote), traduction portugaise(par Corneliu Popa)du roman Dimineata perduta de la romancière roumaine Gabriela Adamesteanu qui sera l´objet d´une chronique de La plume dissidente dans un tout proche avenir(la traduction française, Une matinée perdue, est disponible depuis 2005, chez Gallimard, signée par Alain Paruit).
Au cours de cette présentation, nous avons eu droit à un entretien assez intéressant entre Gabriela Adamesteanu et la romancière portugaise Lídia Jorge. 
On ne peut que saluer la décision de Leya Dom Quixote de faire connaître aux lecteurs portugais l´immense talent de Gabriela Adamesteanu.