Dictionnaire des mots oubliés ou délaissés. |
François Mottier |
Quand on fait (re)vivre les mots.
(Dictionnaire des
verbes oubliés ou délaissés de François Mottier).
Nous
sommes témoins depuis quelques années -ce n´est plus d´ailleurs
un secret –d´un net abâtardissement de la langue parlée ou
écrite. On tend à tout simplifier. Je ne m´insurge pas-loin s´en
faut- contre la création de néologismes qui enrichissent la
langue, ce phénomène en mouvement perpétuel. Vergílio Ferreira,
grand écrivain portugais du vingtième siècle, traduit en d´autres
langues, dont le français, avec un considérable retard par rapport
à la date de parution de ses premiers livres-Le roman Matin perdu
(Manhã submersa en portugais) s´est vu décerner le prix Femina
étranger en 1990(Éditions La Différence) alors qu´au Portugal il
avait été publié en 1954 !-Vergílio Ferreira a donc affirmé
un jour que le grand écrivain est celui qui enrichit le dictionnaire
de nouveaux vocables et non pas celui qui cherche des mots dans le
dictionnaire.
Les
Portugais les plus nationalistes rechignent un peu à reconnaître
l´apport des Brésiliens, par nature plus pétillants, à
l´enrichissement de la langue portugaise. Et pourtant, cet apport
est significatif. On vous donne un tout petit exemple : pour
féliciter quelqu´un pour son anniversaire on peut lui dire «Feliz
aniversário» (joyeux anniversaire) mais aussi «Parabéns !».
Or, de ce dernier mot, les Brésiliens en ont créé le verbe «
parabenizar».
La
création de nouveaux mots (noms, adjectifs, verbes) ne doit quand
même pas nous faire ensevelir les plus anciens dans un vieux
dictionnaire poussiéreux rangé dans un quelconque tiroir aux
oubliettes. S´ils risquent de disparaître, il faut leur redonner
vie, si possible par le biais d´un dictionnaire spécifique. C´est
d´ailleurs ce que vient de faire, avec un indéniable doigté
et-j´en suis sûr- un grand plaisir, François Mottier avec son
Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés (Édition de la
Mouette) et ce pour le bonheur des amants du beau parler et des
amateurs de la préexcellence du langage français (pour paraphraser
Joachim Du Bellay).
Un
verbe est, on le sait, essentiel dans une phrase et il est en quelque
sorte une antithèse de la banalité. En épigraphe de ce
dictionnaire, François Mottier a choisi une belle phrase de Charles
Baudelaire :«Il y a dans le mot, dans le verbe, quelque chose
de sacré qui nous défend d´en faire un jeu de hasard. Manier
savamment une langue, c´est pratiquer une sorte de sorcellerie
évocatoire».
C´est
donc avec un plaisir de collectionneur et de voyageur que nous
parcourons ce dictionnaire comme si plonger dans ce livre et humer
les mots qui s´en dégagent fût le meilleur antidote contre la
disparition de ces verbes précieux et rares, comme si en exhumant
ces verbes de la tombe ou du moins du limbe où ils se trouvaient
empêtrés on fût imprégné d´un parfum de lavande et non pas
d´une odeur de renfermé.
Au fur
et à mesure que l´on feuillette les pages de ce dictionnaire
atypique, on se sent embarqué dans un voyage où les mots défilent
devant nos yeux comme autant de destinations inconnues ou oubliées.
Ainsi, retenez bien le verbe «adraguer», verbe argotique qui
signifie «boire en excès».Pour briser un peu la monotonie, si vous
voulez parler de quelqu´un en disant notamment qu´il n´est plus
particulièrement sobre, au lieu de dire qu´il est déjà un peu
arrosé, vous pouvez dire tout bonnement qu´il est déjà un peu
«adragué», n´est-ce pas ? Par contre, si vous voulez
pénétrer furtivement dans un verger pour y cueillir des fruits, vous
pourrez dire que vous allez «allevasser». Si vous vous sentez
indolent en ce moment parce qu´il fait très chaud, vous pourrez
dire que la chaleur est de nature à vous rendre paresseux,
c´est-à-dire à vous «apparesser». Si vous avez un malaise, vous
risquerez de «débâgouler», par d´autres mots, «vomir sans
avertissement», un verbe qui peut signifier aussi au figuré
«injurier quelqu´un en lâchant tout ce qui vient à la bouche, en
fait de grossièretés». Si vous êtes assez téméraire pour, à la
manière des aventuriers du passé, délivrer un ami qui est en
taule, vous irez alors le «défermer». Si vous avez peur de
déranger les heures ordinaires d´occupation de quelqu´un, vous lui
poserez d´abord la question : «Je ne vous désheure (verbe
désheurer) pas, au moins ?». Si vous êtes discret et ne
laissez pas éclater votre colère quand il s´agit de vous plaindre,
alors vous êtes en train de «hogner». Par contre« hollander» ne
signifie aucunement voyager en Hollande ou être partisan de François
Hollande, mais «ôter le suint d´une plume en la passant à la
cendre très chaude». En outre, si vous avez l´intention de
décerner à quelqu´un le titre de monseigneur de souriante façon,
vous le «monseigneuriserez». Enfin, voulez-vous rappeler un
événement à quelqu´un ? Ça s´appelle « ramentevoir».
Enfin,
les exemples sont légion et l´on ne va pas bien sûr les épuiser
ici. Ce que je cherche surtout c´est à vous donner une illustration
de l´incomparable richesse de cette œuvre, un livre publié par une
petite maison d´édition (Édition de la Mouette) de la ville de
Sète au catalogue assez varié et qui prouve de la sorte qu´il faut
souvent lorgner du côté des éditeurs de province pour y dénicher
des joyaux comme celui-ci.
L´auteur,
François Mottier, est né à Vevey, en Suisse, en 1952. Vieux
baroudeur, passionné de mer, il a voyagé un peu partout notamment
en Croatie et en Afrique avant de se fixer à Sète.
Il a
travaillé presque exclusivement dans le tourisme, a écrit des
poèmes, des romans et des nouvelles et prépare plusieurs ouvrages
maritimes et d´autres livres sur la ville de Sète.
Personnalité
avenante, François Mottier est un de ces rares écrivains pour qui
la littérature est un lieu de rencontre, de rêves, d´amitié et de
partage. Pour le grand bonheur de ses lecteurs.
François
Mottier, Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés, éditions
de la Mouette, Sète, 2011.
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