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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 28 octobre 2014

Chronique de novembre 2014




 


L´âme tourmentée de Sylvia Plath.


Nous autres francophones et francophiles devons nous rendre à l´évidence : nous ne pouvons nullement nous prévaloir d´avoir un nombre aussi important de femmes écrivains(ou écrivaines, un mot que d´aucuns rechignent toujours à employer) que, par exemple, les Anglo-Saxons. En plus, si l´on ne s´en tient qu´à la poésie, alors là, l´écart se creuse davantage. Ceci vaut tant pour la littérature contemporaine que pour tout notre patrimoine littéraire.    
Si elle était encore en vie, la poète ou poétesse (il y a toujours un hic quand on parle de femmes en littérature) américaine Sylvia Plath -y a-t-il une figure littéraire féminine de la même génération aussi forte en France ?-aurait pu fêter le 27 octobre son quatre-vingt-deuxième anniversaire, mais son esprit tourmenté et sa séparation en 1962 d´avec le poète anglais Ted Hugues (tombé entre-temps amoureux d´Assia Wevill, femme du poète canadien David Wevill), l´ont poussée vers l´au-delà : le 11 février 1963, à l´âge de trente ans, après avoir préparé le petit-déjeuner pour ses enfants, elle s´est enfermée dans sa cuisine, les fenêtres et les portes calfeutrées, et s´est donné la mort en ouvrant le gaz du réchaud. L´écrivaine était morte, mais une légende venait de naître.
Sylvia Plath a vu le jour à Boston, une ville un peu rigide et puritaine selon certains, mais incontestablement bien plus intellectuelle et progressiste que beaucoup d´autres villes américaines, loin donc de l´Amérique profonde tellement ringarde qu´une autre écrivaine américaine, Gertrude Stein-vivant à Paris et ayant parrainé la soi-disant Lost Generation(Génération perdue) a pu dire-une boutade, il est vrai-qu´il s´agissait du plus vieux pays au monde !
 Sylvia Plath y est donc née  le 27 octobre 1932. Son père, Otto Plath, un professeur de biologie d´origine allemande, est prématurément mort en 1940. L´histoire se raconte en peu de mots : suite à une gangrène diabétique, il est amputé d´une jambe avant de succomber à un cancer du poumon. Sylvia, qui n´avait alors que huit ans, fut profondément touchée par cette disparition, à telle enseigne qu´elle n´allait jamais vraiment s´en remettre. En 1950, après des études secondaires brillantes, elle a fait son entrée au Smith College grâce à une bourse. Elle s´est tôt fait remarquer en remportant plusieurs petits prix littéraires qui annonçaient déjà un rare talent d´écriture. Pourtant, ce parcours sans tache au Smith College, où elle a achevé ses études en 1955, a connu une courte interruption, après sa première tentative de suicide en 1953. Cette tentative, elle l´a ratée de très peu. Elle s´est produite à la suite d´une hospitalisation pour cause de dépression. Soumise ensuite à des électrochocs, Sylvia Plath a avalé un flacon de somnifères avant de se cacher à la cave. Ce n´est qu´au bout de trois jours que son frère l´a retrouvée évanouie.
Une fois cette dépression surmontée (toujours apparemment chez Sylvia Plath), elle est partie perfectionner ses études, grâce à une bourse Fullbright à la prestigieuse Université de Cambridge, en Angleterre, et c´est dans ce pays que sa vie a pris un tournant qui devait la bouleverser à jamais : la connaissance de Ted Hugues. Ce fut le coup de foudre, une véritable passion : ardente, fougueuse, impétueuse. Au mariage en 1956 s´est succédé un séjour prolongé de deux ans aux États-Unis après quoi le couple est rentré en Angleterre. Pendant ce temps, Sylvia Plath commençait à susciter l´admiration des milieux littéraires anglo-américains. En 1960, elle publiait The Colossus and other poems (Le Colosse et autres poèmes) et l´année suivante, elle écrivait The Bell Jar (La cloche de détresse, rebaptisée La cloche de verre dans la traduction récente des Œuvres dans la collection Quarto) qui ne devait paraître que le 14 janvier 1963, un mois avant sa mort, sous le pseudonyme de Victoria Lucas. Ce roman allait connaître un succès retentissant aux Etats-Unis vers 1971, presque une dizaine d´années après la disparition de Sylvia, lors de la réédition du roman et ce parce que la jeunesse féminine de l´époque se reconnaissait dans l´ héroïne Esther Greenwood, une étudiante romantique des années cinquante, âgée de dix-neuf ans, qui veut se procurer une place au soleil, mais qui se trouve tiraillée entre ses ambitions intellectuelles et le modèle féminin d´une société rongée par le maccarthysme. À la fin, Esther rate son suicide, contrairement à Sylvia Plath…
Une partie non négligeable de l´œuvre de Sylvia Plath est composée par ses Journaux intimes, qui témoignent des angoisses et déboires de la jeunesse américaine de l´époque aussi bien que de la névrose permanente de l´écrivaine, des journaux qui ont été caviardés dans un premier temps par sa mère, Aurelia Plath, et par son mari Ted Hugues afin de «ménager à sa famille et à ses enfants certains déboires».Ted Hugues est d´ailleurs souvent accusé d´avoir exercé une emprise tyrannique sur ses femmes. En 2006, un livre paru en Angleterre, chez Robson Books, un livre écrit par deux journalistes israéliens, Yehuda Koren et Eliat Negev, intitulé A lover for unreason :the life and tragic death of Assia Wevill (Un amant de la déraison : la vie et la mort tragique de Assia Wevill) dépeignait le comportement atrabilaire et violent de Ted Hugues qui aurait poussé Assia Wevill à reproduire, six ans plus tard, le 25 mars 1969, l´attitude de Sylvia Plath, en des circonstances d´ailleurs fort similaires, à la différence près que Assia a entraîné avec elle, dans son « dernier voyage », sa fille Shura, alors que Sylvia avait laissé en vie ses enfants. Ce n´est qu´après la mort de Ted Hugues en 1998 que l´édition intégrale des Journaux a vu le jour sous le titre de Unabridged Journals.
 Quoi qu´il en soit et pour ne s´en tenir qu´à l´œuvre de Sylvia Plath-si tant est que, dans ce cas, l´œuvre puisse se dissocier de la vie, tellement elles sont imbriquées-, la poésie en est la partie la plus expressive et lumineuse. Un des titres les plus prestigieux, Ariel, fut publié après sa mort, à l´initiative de Ted Hugues. Au début des années quatre-vingt, paraissait une anthologie des meilleurs poèmes de Sylvia Plath avec quelques textes inédits qui fut couronnée en 1982 du prix Pulitzer.
Le poète Robert Pinsky a écrit un jour dans The New York Times Book Review que «tourmentés, hyperactifs, perpétuellement accélérés, les poèmes de Sylvia Plath nous saisissent par leur imagination extravagante, dégageant des images et des phrases avec l´énergie d´un cheval qui s´enfuit».        
La poésie de Sylvia Plath est le fruit d´une sensibilité exacerbée tissée de l´obsession récurrente de la mort, servie par un style personnel et recherché. La nature, les objets, le quotidien et les ombres sont des sujets qui peuplent la plupart des poèmes de Sylvia. Le pouvoir d´évocation de sa poésie est éblouissant, comme par exemple, dans le poème « The manor garden » (Le jardin du manoir) : « The fountains are dry and the roses over / Incense of death. Your day approaches. / The pears fatten like little buddhas. / A blue mist is dragging the lake ... (Les fontaines sont taries et les roses sont finies / encens de mort, ton heure est proche / Les poires grossissent comme de petits bouddhas / Une brume bleue prolonge le lac…) »; ou comme dans « Widow » (La veuve): « Widow. The word consumes itself - / Body, a sheet of newsprint on the fire / Levitating a numb minute in the updraft / Over the scalding, red topography / That will put her heart out like an only eye… (Veuve. Le mot se détruit lui-même / Corps, une feuille de journal dans le feu / qui s´élève pour un instant engourdi dans l´air chaud / sur la topographie rouge et brûlante / qui étalera son cœur comme un seul regard…) » ; ou encore dans Contusion(Contusion) que l´on vous présente intégralement : «Colour floods to the spot,dull purple/The rest of the body is all washed out/The colour of pearl. In a pit of rock/The sea sucks obsessively,/One hollow the whole sea´s pivot./The size of a fly, the doom mark/Crawls down the wall./The heart shuts,/The sea slides back,/The mirrors are sheeted(«La couleur surgit à l´endroit, pourpre et grise./Le reste du corps est sans couleur,/La couleur de la perle./Dans le creux du roc/La mer avale compulsivement /une concavité, le centre de toute la mer./De la taille d´une mouche,/l´empreinte du destin/glisse le mur./Le cœur se renferme,/la mer s´éloigne,/les miroirs sont voilés»)*.
Le poème le plus énigmatique de Sylvia Plath et qui suscite les interprétations les plus diverses est néanmoins «Daddy» («Papa») où elle écrit les vers «Every woman adores a fascist/The boot in the face, the brute/Brute heart of a brute like you» («Toutes les femmes adorent un fasciste/Les coups de botte dans la figure, le cœur / de brute brutale d´une brute comme toi»)**. Un poème plein de références historiques, surtout à l´Holocauste, aux juifs, au nazisme. Un règlement de comptes avec feu son père ? L´allusion à une tyrannie paternelle ? Que veut-elle évoquer au juste? La fascination du pouvoir ? La tyrannie de l´amour fou que certaines femmes ressentent pour un homme (et donc en filigrane, par exemple, sa passion pour Ted Hugues) ? Plus récemment, d´aucuns ont avancé une troisième possibilité selon laquelle il s´agirait d´un artifice, d´une métaphore pour porter atteinte à l´image de sa mère, symbole, elle, de la tyrannie. À chacun son interprétation…
La vie de Sylvie Plath, cette vie courte qui n´a duré que trente ans, mais qui aura été vécue intensément, violemment, avidement, a toujours fait jaser et a surtout inspiré des biographies, des fictions et même un film. J´omets les biographies-écrites par des Anglais, des Américains, des Français et une Italienne-que les admirateurs de Sylvie Plath pourront facilement dénicher, en faisant une petite recherche sur le Net. Quant aux fictions, gravitant le plus souvent autour de la relation avec Ted Hugues, on peut citer : Les femmes du braconnier (Claude Pujade-Renaud) ; La ballade de Ted et Sylvia (Emma Tenant) ; Froidure (Kate Moses) et Mourir est un art, comme tout le reste (Oriane Jeancourt Galignani).Pour ce qui est du film, il s´intitule Sylvia et il est sorti en 2003, tourné par la Britannique Christine Jeffs, avec Gwyneth Paltrow et Daniel Craig. Enfin, il y a eu aussi un opéra, J´irai vers le nord, j´irai vers la nuit polaire de Kasper T.Toeplitz, créé en 1989 au Festival d´Avignon.
Le suicide de Sylvia Plath a mis un terme aux angoisses, aux frustrations, aux dépressions, aux mésaventures d´une femme qui en avait assez de vivre. Elle a pu enfin trouver le repos. Par contre, nous les amants de la littérature- et de la poésie en particulier – nous avons été privés de jouir du talent d´une écrivaine hors pair qui aurait peut-être enfanté de nouvelles œuvres aussi brillantes que celles qu´elle nous a laissées.


* La traduction en français des vers anglais est de ma responsabilité.
**Traduction de Valérie Rouzeau.



 


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