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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 27 février 2016

Chronique de mars 2016.





 





La passion éternelle de Dominique Fernandez.  


Né le 25 août 1929 à Neuilly-sur-Seine, ancien agrégé d´italien à l´École Normale Supérieure, élu à l´Académie Française en 2007 au fauteuil du professeur Jean Bernard, Dominique Fernandez est l´un des écrivains français contemporains les plus éblouissants.
Professeur universitaire et critique littéraire-d´abord à L´Express, puis au Nouvel Observateur (devenu récemment L´Obs)-,  une grande partie de l´œuvre de Dominique Fernandez est traversée, on le sait, par une réflexion fictionnelle sur la condition des artistes homosexuels. Ainsi les personnages de ses romans sont-ils pour la plupart des peintres, des écrivains, des sculpteurs, des musiciens et autres artistes qui puisent dans leur condition souvent misérable et dans la répression dont ils sont les victimes, l´inspiration pour leur création. Dominique Fernandez s´est vu à maintes reprises attirer les foudres de certains homosexuels plus militants qui lui reprochent la complaisance dans la douleur, ce qui est effectivement faux. En effet, homosexuel lui-même, il ne fait que constater que nombre d´homosexuels, quoique« ghéttoïsés», ou menant une vie où l´incompréhension fut leur lot quotidien, ont pu quand même se construire une œuvre, les exemples étant là pour le prouver, de Caravage (La course à l´abîme) à Pasolini (Dans la main de l´ange), en passant par Tchaïkovski (Tribunal d´honneur).
Ceux qui suivent son œuvre depuis des années ne peuvent ignorer qu´entre l´écrivain français Dominique Fernandez et l´Italie il y a une lointaine et inconditionnelle histoire d´amour. S´il a fait parfois des détours par la Roumanie, la Syrie et l´Inde, et maintes fois par la Russie (son autre grande passion) par exemple, c´est  toujours  l´Italie le sujet qui jaillit le plus souvent sous sa plume dans des romans comme Dans la main de l´ange (Prix Goncourt 1982) et La course à l´abîme(2003) déjà cités, mais aussi Le dernier des Médicis(1994), Porporino ou les mystères de Naples (Prix Médicis 1974), sur les «soprani castrati», L´École du Sud(1991) ou Porfirio et Constance(1992), où il part en partie à la recherche de son père Ramon Fernandez, brillant intellectuel français de l´entre-deux-guerres, égaré dans la collaboration, à qui Dominique Fernandez a consacré en 2009 une magnifique enquête-biographique intitulée tout court Ramon.  La plupart des romans cités, Dominique Fernandez les considère comme des autobiographies imaginaires, comme il l´a affirmé en 2007 dans un entretien accordé à L´Orient littéraire, le supplément mensuel du quotidien libanais L´Orient-Le Jour.        
Néanmoins, la gaie, fervente et contagieuse érudition de Dominique Fernandez concernant l´Italie ne se ramène pas, bien entendu, à la fiction. Elle se matérialise aussi dans ses merveilleux essais sur les voyages, l´art et la littérature (parfois avec de belles photos de Ferrante Ferranti) comme Mère Méditerranée (1966), Le Radeau de la Gorgone, Promenades en Sicile (1988), Dictionnaire amoureux de l´Italie (2008) ou, le dernier en date, Piéton de Rome, paru en octobre 2015, aux éditions Philippe Rey.
 Pour Dominique Fernandez la passion pour la soi-disant ville éternelle chantée par de grands écrivains voyageurs venus d´ailleurs-Montaigne, Goethe, Chateaubriand, Stendhal, Keats, Rilke, Larbaud, entre autres- a commencé au début des années cinquante alors que celui que l´on peut tenir  aujourd´hui comme un des ex-libris de la ville, la fameuse Stazione Termini, «spécimen intelligent de modernisme aérodynamique», selon les dires de Dominique Fernandez lui-même, venait d´être inaugurée.  À Rome, où le prix de la course en taxi de l´aéroport Léonard de Vinci au centre ville est prohibitif, le train qui vous mène de Fiumicino à la  Stazione Termini en environ une demi-heure est une bonne alternative pour arriver au centre-ville. En 1950, lorsque, jeune étudiant, Dominique Fernandez a découvert la ville de Rome, l´Italie était on ne peut plus discréditée après deux décennies de fascisme sous Mussolini et une participation à la seconde guerre mondiale aux côtés d´Hitler. Certes, après l´occupation de son territoire en 1943, l´Italie a fini par basculer du côté des Alliés- l´Italie commence d´ailleurs toujours les guerres mondiales d´un côté de la barricade pour les terminer de l´autre, c´était déjà ainsi lors de la première guerre en des circonstances tout autres, il est vrai- mais l´épisode de la République de Salò, le dernier sursaut grotesque du fascisme agonisant, et plus tard celui du cadavre de Mussolini pendu et soumis aux outrages de la population à la Piazzale Loreto à Milan– ce qui a poussé l´écrivain roumain Mircea Eliade (un nationaliste conservateur, il est vrai)à écrire dans ses Journaux que l´Italie avait un peuple de traîtres-ont laissé un mauvais souvenir. 
 Dominique Fernandez a donc découvert Rome en 1950 lors d´un séjour avec un groupe de khâgneux et de normaliens que leur aumônier, l´abbé André Brien, emmenait en audience chez le pape Pie XII. Dominique Fernandez ne garde pas une souvenance particulièrement agréable du pontife : «Pie XII ne me fit pas autant d´impression qu´à certains de mes camarades, qui s´évanouirent quand il parut dans la salle de marbre blanc ; je n´ai gardé le souvenir que d´un vieillard pâle, sec, élégant, pressé de se décharger par quelques phrases mécaniques d´un message à l´intention des «jeunes intellectuels» que nous étions censés être, race où il devinait que se recruteraient bientôt ceux qui lui demanderaient des comptes de son action, ou inaction, pendant la domination nazie.»
Deux ans plus tard, il est revenu à Rome pour y séjourner un an et y préparer son mémoire de maîtrise. Découragé par les vieux grimoires où il ne parvenait pas à identifier un seul mot, il a fini par abandonner son premier sujet, l´œuvre et la pensée de Jérôme Savonarole, «ce moine dominicain intransigeant et fanatique, d´une puissance oratoire inouïe, qui avait terrorisé Florence à la fin du XVe siècle, avant d´être lui- même brûlé en place publique par la population lasse de ses excès», pour se tourner vers un auteur non moins difficile pour des raisons tout autres : Cesare Pavese. S´étant suicidé deux ans plus tôt, à quarante-deux ans, dans la nuit du 26 au 27 août à Turin, Cesare Pavese était ignoré en France, mais en Italie où il était connu, il n´était pas pour autant particulièrement apprécié. Pier Paolo Pasolini (plusieurs fois citée dans cet essai), figure de proue de la littérature italienne du vingtième siècle, a même affirmé un jour : «Un type comme ça ne m´intéresse pas du tout.».Dominique Fernandez a fini par conclure qu´il était un écrivain plutôt atypique pour les canons traditionnels de la Péninsule : «Pavese, il est vrai, est un auteur replié sur lui-même, adepte de l´introspection et de l´autoanalyse ; son meilleur livre, Le Métier de vivre, est son journal intime, genre très peu pratiqué en Italie, où un solitaire, un «perdant», surtout s´il est convaincu d´infériorité sexuelle, est regardé de haut(…)les Italiens n´estiment que celui qui se bat, et se bat victorieusement ; ou, du moins, que celui qui adopte la posture du vainqueur. C´est pourquoi le fascisme a pris si facilement dans ce pays».
Les intellectuels italiens, Dominique Fernandez les a fréquentés le long des dernières décennies. Pier Paolo Pasolini, bien sûr, mais aussi Alberto Moravia, Giorgio Bassani, Leonardo Sciascia, Mario Praz (que la plupart de ses pairs ne tenaient pas en haute estime), Fabrizio Clerici et tellement d´autres. La majeure partie des intellectuels italiens de l´après-guerre étaient tous naturellement antifascistes, mais Dominique Fernandez s´interroge s ils étaient bel et bien libérés de toute mauvaise conscience à l´égard du fascisme. Il en donne deux exemples probants : l´accueil distant réservé au chimiste juif Primo Levi et à son chef –d´œuvre Si questo è un uomo(Si c´est un homme), un des plus beaux témoignages sur l´expérience des camps nazis vécue par un survivant et le silence dans lequel est tombée l´œuvre de Curzio Malaparte. Le livre de Primo Levi, on le sait, a paru chez un petit éditeur de Turin, De Silva, en 1947, et hormis un article d´Italo Calvino, l´accueil de la presse fut très discret. Même Natalia Ginzburg, juive elle aussi et dont le premier mari Leone Ginzburg, spécialiste de littérature russe, avait été torturé à mort par les Allemands, a rendu un rapport négatif et fait refuser la publication du témoignage chez Einaudi où elle était lectrice. Ce poignant récit autobiographique ne serait publié par ce prestigieux éditeur qu´en 1958. Pour Dominique Fernandez « il est impensable qu´un seul du groupe que je fréquentais ignorât ce livre. Pas une fois, il n´en fut fait mention, pas une fois le nom de son auteur, non que je n´ai découvert que bien plus tard, ne fut prononcé. On ne voulait pas revenir sur les crimes dont le pays tout entier s´était rendu complice». Quant à Curzio Malaparte, décédé en 1957, surnommé le caméléon à cause de ses constants changements de camp politique (à lire la magnifique biographie, directement écrite en français, que Maurizio Serra lui a consacrée en 2011), auteur de deux romans parmi les plus importants que la littérature italienne ait enfantés, Kaputt(1944) et La Pelle (La Peau, 1947), il n´était jamais nommé. Dominique Fernandez écrit là-dessus : «Sans doute ne supportaient-ils pas son goût de l´ostentation, sa faconde publicitaire, sa versatilité politique. Je crois qu´ils rejetaient surtout ce qu´il leur avait raconté : la misère de Naples, les horreurs nazies perpétrées en Russie par les Allemands dont les Italiens étaient les alliés. Toujours ce refus de se sentir coupables, et ce ressentiment envers celui qui les y obligeait.»
Parmi les intellectuels que Dominique Fernandez a fréquentés, Pier Paolo Pasolini était sans l´ombre d´un doute le plus polémique. Il fut assassiné par un gigolo de rencontre sur la plage d´Ostie le 2 novembre 1975. Dominique Fernandez ne croit pas au complot fasciste et soutient la thèse selon laquelle il cherchait obscurément une mort affreuse  et rédemptrice. À entériner cette idée, il y a la coutume qu´il nourrissait depuis qu´il avait débarqué dans la capitale de draguer tous les soirs à la gare de Rome.  
Dominique Fernandez ne passe pas à côté du puritanisme catholique, de l´obscurantisme culturel ininterrompu pendant des siècles et plus récemment des  impositions du Vatican- il en donne quelques exemples -depuis qu´en 1929 à la suite des accords de Latran l´État Italien et le Saint –Siège ont mis fin à une brouille de plus de cinquante ans. Je  vous rappelle qu´en 1870, l´Italie unifiée depuis une décennie s´est emparée des États pontificaux ne laissant à l´église catholique que ce petit territoire à Rome qu´on appelle justement le Vatican. Néanmoins, ce qui nous enchante le plus dans cet essai(ou portrait-souvenir, comme on peut lire sur la couverture) c´est le talent de l´auteur à nous faire partager son enthousiasme sur les innombrables beautés de la ville éternelle. Les musées et monuments, les grands architectes, les tableaux, les sculptures, les artistes qui ont fait la réputation de Rome et des autres États de la péninsule italique. Dans ce livre il est question de Bernin, mais aussi de Borromini, de Caravage, de Canova et de tant d´autres qui ont fait la gloire de l´art italien. Bien sûr, Dominique Fernandez n´oublie pas l´antiquité classique ni les merveilles que l´on peut découvrir en visitant les multiples églises de Rome. Quoi qu´il en soit, je vous ménage les détails pour que vous puissiez en jouir pleinement en lisant ce livre.
Il y a bien sûr des regrets. Dominique Fernandez se souvient avec nostalgie de la période faste de la vie culturelle italienne dont il ne reste presque rien. Aujourd´hui, les cinémas ne programment plus que des films commerciaux, les librairies ne proposent plus que des best-sellers et les classiques contemporains comme Moravia, Calvino ou Sciascia ont quasiment disparu des étagères. Même les maisons de Pompéi, dont les vestiges avaient survécu pendant deux mille ans, s´écroulent faute d´entretien. On ne peut que souscrire à la mélancolie de l´auteur. Pourtant, on est en droit de s´interroger : n´est-ce pas ainsi un peu partout en Europe ? Une Europe entièrement soumise au capitalisme financier qui fait fi de la culture et des valeurs humanistes ? Une Europe où justement le premier-ministre italien Matteo Renzi fin janvier (déjà après la parution de cet essai) s´est ridiculisé en donnant des ordres- ou quelqu´un à son nom- pour que les statues fussent couvertes dans les musées du Capitole pour ne pas choquer le président iranien Hassan Rohani ?
Foin de ces politiciens ignorants ! Profitons des merveilles de Rome. Si vous n´êtes pas en mesure  de faire le déplacement, lisez au moins ce beau livre de Dominique Fernandez. 

 

Dominique Fernandez, Le piéton de Rome, portrait-souvenir, éditions Philippe Rey, Paris, octobre 2015.

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