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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mercredi 29 janvier 2025

Chronique de février 2025.

 


Michel del Castillo ou les ombres et les lumières d´Espagne.

La disparition de Michel del Castillo le 17 décembre 2024 à l´âge de 91 ans, a marqué en quelque sorte la fin d´une ère, celle qui a vu poindre  une série d´écrivains nés dans les années vingt ou trente du vingtième siècle  - outre Michel del Castillo, je pense ici surtout à Jorge Semprún et à Agustin Gómez- Arcos, j´en exclue le cas particulier de Fernando Arrabal, toujours vivant - qui, s´étant installés en France et ayant choisi le français comme langue littéraire, ne se sont jamais départis de l´Espagne, le pays où ils ont vu le jour. Ils en ont même fait le plus souvent, chacun à sa guise, le sujet de leurs romans. L´Espagne, ce pays d´ombre et de lumière que Michel del Castillo a justement évoqué dans son très beau Dictionnaire Amoureux de l´Espagne, publié en 2005 chez Plon. En effet, l´Espagne est un pays de feu et de sang, de colère et de haine, de l´Inquisition et de la Guerre Civile de 1936, où les antagonismes parfois se ressemblent, mais aussi un pays de joie et de  solidarité, qui lutte jusqu´au bout pour ses idéaux, un pays dont la mélancolie s´insinue à travers le son plaintif d´une guitare comme dans Recuerdos de la Alhambra de Francisco de Tárrega. L´Espagne a donc été d´ordinaire pour ces écrivains une source inépuisable d´inspiration.

Concernant concrètement Michel del Castillo, il s´est forgé un caractère dans l´adversité et le malheur de son enfance. Né à Madrid le 2 août 1933, sous le nom de Miguel Janicot del Castillo, il était fils de l´Espagnole Candida del Castillo, très engagée politiquement du côté des progressistes républicains, et du Français Michel Georges Janicot, employé au Crédit Lyonnais de Madrid.

Devant l´instabilité politique en Espagne, le père est rentré en France en 1935 où il a occupé un poste de cadre commercial chez Michelin, à Clermont-Ferrand. La mère et l’enfant devraient le rejoindre bientôt. Au printemps 1936, Michel Georges Janicot a inopinément débarqué à Madrid et a fini par découvrir que sa femme avait renoué avec un ancien amant. Coupant court aux explications de sa femme, il est reparti en France. Entre-temps, la Guerre Civile a éclaté.  Candida del Castillo, proche du parti républicain de Manuel Azaña, fut jetée en prison (1936-1937) par ces mêmes républicains pour s’être inquiétée du sort des prisonniers politiques. Elle fut, plus tard, condamnée à mort par les franquistes, mais est parvenue à s´échapper. Michel del Castillo et sa mère se sont alors enfuis et ont pu rejoindre la France. Ils ont pourtant fini par être dénoncés aux autorités par Michel-Georges Janicot lui-même et internés au camp de Rieucros à Mende d’où Michel s’est évadé pour être, peu après, livré, par sa propre mère, aux Allemands et envoyé en Allemagne, jusqu’à la fin de la guerre. Il n´avait que neuf ans. Rapatrié en France, il fut livré aux Espagnols et enfermé, comme «fils de rouge», dans une maison de redressement, le tristement célèbre Asilo Durán de Barcelone, d’où il a pu décamper en 1949. Il fut recueilli dans un collège de Jésuites à Úbeda (Andalousie) pour ensuite devenir, en 1950, ouvrier dans une cimenterie proche de Barcelone. Il a enfin rejoint la France et son oncle Stéphane Janicot grâce à qui il a pu enfin vivre tranquillement. À vingt-deux ans, il a entrepris des études de sciences politiques puis de psychologie et, par la suite, des études de lettres à la Sorbonne.

La souffrance vécue dès sa prime enfance ne pouvait manquer d´inspirer et de marquer sa vie littéraire. Dans son premier livre, Tanguy(1957), il a relaté sous le tamis de la fiction son expérience de vie. Le roman a rencontré un immense succès et dans le quotidien Le Monde Emile Henriot de l´Académie Française lui a consacré un article publié le 20 mai 1957. Le prestigieux académicien a notamment écrit : «C´est probablement par pudeur que M. Michel del Castillo donne comme un roman l´émouvant récit qu´il publie sous le nom de Tanguy. Le caractère personnel de l´expérience rapportée ne fait pas de doute, et l´auteur aurait pu dire «je» sans avoir à modifier d´une ligne cette «Histoire d´un enfant d´aujourd´hui» qui est la sienne. Peut-être a-t-il bien fait de projeter ainsi son personnage dans un autre et lui a-t-il été plus facile de traiter objectivement le beau thème qu´il développe dans Tanguy : l´élévation d´une âme noble à travers les pires malheurs. Ce livre sans effet littéraire est un livre vrai, et il est tristement de notre temps». 

Au fil de sa carrière, Michel del Castillo a publié autour d´une quarantaine d´ouvrages parmi lesquels des romans, des essais et quelques pièces de théâtre. Son œuvre fut couronnée de nombreux prix littéraires comme le prix des Libraires et celui des Deux Magots en 1973 pour Le vent de la nuit, le prix Renaudot en 1981 pour La nuit du décret, le prix RTL-Lire en 1993 pour Le crime des pères, le Femina-essai en 1999 pour Colette, une certaine France, et le Prix Méditerranée en 2005 pour son Dictionnaire Amoureux de l´Espagne, déjà cité.

 

Dans ses récits comme De père français(1998) et Mamita(2010), il a évoqué son enfance marquée par l´abandon et la trahison. Dans ce dernier ouvrage, inspiré par sa mère, il a écrit : «Tout, dans cette existence tissée de mensonges et de parjures, inspirait de l´épouvante». Il a par ailleurs confié : «Contrairement à ce que tant de gens imaginent, l´écriture ne console de rien. Plus je fore dans les mots, plus mon malheur se creuse».

 

Il était un fervent admirateur de Dostoïevski, à qui il a consacré un essai intitulé Mon frère l´Idiot(1995). Dans ce livre, Michel del Castillo reconnaît sa dette à l´égard du grand écrivain russe : «Tu n´as jamais été un modèle au sens où un artisan dérive de ses maîtres ; tu es mieux que cela : tu es un souffle que j´aspire. Je n´aime pas tous tes livres, je ne suis pas un dévot. Tu demeures cependant étroitement lié à ma vie, si bien qu´à l´instant d´écrire, je dois chaque fois me situer par rapport à toi, établir la bonne distance. Je suis, Fédor, l´une de tes créatures. J´ai commencé par être un de ces enfants stupéfaits qui hantent tes livres. Je t´ai rencontré vers treize –quatorze ans à Barcelone, mais je t´ai reconnu au premier regard parce que je vivais en toi depuis ma naissance». Dans ce brillant essai, l´auteur met aussi l´exergue sur l´importance des mots, de la littérature dans sa vie comme une sorte de refuge ou de rempart contre le malheur, mais paradoxalement comme l´exemple aussi de la tragédie qui minait sa vie : «Je lisais chaque nuit contre la mort, j´entendais chaque nuit crisser les phrases de mon agonie. J´aimais les mots, qui me ressuscitaient, je les haïssais de tramer notre ruine. Si la  tragédie est bien un conflit où chacune des parties a raison contre l´autre, l´atmosphère de mes lectures fut d´emblée tragique. Je ne crois pas que j´aie jamais eu la moindre chance de devenir un auteur comique».

 

Michel del Castillo met aussi en scène dans quelques livres des épisodes de l´histoire d´Espagne. La tunique d´infamie (1997) en est l´un des plus puissants. La tunique d'infamie – San Benito - c'est cette casaque dont on revêtait l'hérétique lors de la procession solennelle des autodafés, avant sa montée au bûcher, sur laquelle on inscrivait son patronyme et que l'on suspendait ensuite dans les églises et les cathédrales, à la vue de tous, pour perpétrer la mémoire de l'infamie, de telle sorte qu'une parentèle, une fois souillée, le demeurait jusqu'à la fin des temps, une exclusion sociale à perpétuité. 

 

Don Manrique, orphelin est recueilli par son oncle, le chanoine de Palencia, Don Almagro. Le siège épiscopal devenu vacant, Almagro est désigné pour succéder à l'évêque défunt. C'est là que les choses s'enveniment. Almagro est victime d'une dénonciation anonyme : un San Benito où figure son patronyme est suspendu dans la mezquita (la cathédrale) de Cordoue, cela suppose qu'un de ces ancêtres a été condamné par l'Inquisition à subir un autodafé. Si cette accusation s'avère fondée, Don Almagro ne pourra pas occuper cette fonction et ne pourra plus jamais jouir de la moindre distinction honorifique. Il part en Andalousie et là, Il parvient à faire taire la rumeur, mais à son retour, épuisé, il décède en laissant un bel héritage à son neveu.

Un autre roman que l´on pourrait classer dans le même registre est La religieuse de Madrigal(2006). Les éditeurs nous annoncent d´ailleurs que dans ce livre nous retrouvons tous les thèmes chers à l´auteur : l´enfance bafouée, les manipulations du pouvoir, la passion avide pour la liberté, la chimère et l´illusion de toute vie.

L´intrigue du roman repose sur le destin d´Ana d´Autriche, fille de Don Juan, demi-frère de Philippe II roi d´Espagne et qui prenait pour les Portugais le titre de Philippe Ier. C´est que, à l´époque, - fin du XVIe siècle - en raison d´un problème de succession, suite à la disparition dans la bataille de Alkacer-Kébir du roi Don Sébastien (dont le corps n´a jamais été retrouvé), le Portugal s´était rallié, en 1580, à l´ Espagne, perdant ainsi en quelque sorte son indépendance, qu´il n´allait recouvrer qu´en 1640. Or, Don Sébastien, devenu un mythe pour la plupart des Portugais qui ont toujours espéré son retour, serait effectivement revenu incognito quelques années plus tard sous le nom de Gabriel de Espinosa et se serait épris d´Ana d´Autriche qui vivait, dès son enfance, en réclusion au monastère de Madrigal où elle aurait prononcé ses vœux à l´âge de seize ans. Une foule de péripéties se déchaîne au gré des humeurs de personnages importants de l´époque : le roi Philippe II (qui croit à une conspiration des Portugais hostiles à l´union entre les deux couronnes, comme, entre autres, le prieur du Crato), des inquisiteurs, des religieuses cyniques (les sœurs de Madrigal qui haïssent Ana), des magistrats véreux. Ana a une soif de liberté qu´elle ne peut assouvir et Gabriel refuse de confirmer devant les autorités s´il est effectivement le roi Don Sébastien, tombant ainsi dans le gouffre.

Dans ce roman, Michel del Castillo met en scène, on l´a vu, l´Espagne du XVIe siècle, comme il l´avait déjà fait en 1997 avec Tunique d´infamie. Pourtant, il refuse l´étiquette de roman historique, une désignation dont il se méfie. Il s´en explique dans la préface : «Dans plusieurs de mes livres, j´ai émis de fortes réserves sur le roman historique, genre hybride qui, à la peinture souvent rigoureuse et sensible d´un climat, croit devoir ajouter un psychologisme anachronique et trivial (…). Ce ne serait qu´une contradiction de plus parmi toutes celles dont je suis pétri si mon intention avait été de raconter une histoire présentée comme le reflet exact de ce qui se serait réellement passée. Or je récuse cette illusion. Je ne crois pas à la vérité, seulement à des approches et à des tâtonnements. Je n´accorde qu´une confiance mitigée aux documents, lesquels, autant que la parole, peuvent mentir. Fidèle à ma manière, c´est la généalogie d´une fable que j´ai choisi de raconter».

En 2008, Michel del Castillo a publié l´essai Le temps de Franco où il ne se contente pas d´analyser, non sans ironie, le mythe de Franco, mais il nous raconte également un demi-siècle de l´histoire d´Espagne. Un prêtre qui a connu Franco depuis l´enfance répondait que le dictateur espagnol était un «militaire chimiquement pur». Une question se posait lors de la parution de l´essai : À l´âge des radars et des missiles atomiques, pouvons-nous comprendre un militaire du temps de la baïonnette ? Michel del Castillo évoque dans cet essai les grandes étapes de la vie du Caudillo  comme la guerre civile, le décollage économique ou l´instauration de la monarchie avec Juan Carlos. Des assertions de Michel del Castillo à l´époque ont prêté à polémique. L´écrivain a déclaré dans plusieurs interviews que si Francisco Franco était bel et bien un dictateur et un homme autoritaire, il n´était pas pour autant un fasciste dans le sens le plus strict du terme. Sans blanchir le franquisme, l´auteur  mettait souvent l´accent, surtout dans les dernières années de sa vie,  sur la responsabilité écrasante de la gauche espagnole dans le déclenchement de la guerre civile et la nature, selon lui, de plus en plus totalitaire du régime du Front Populaire.

Il y a bien des écrivains qui, à chaque livre écrit, changent de registre. Est-ce un défaut ? On ne saurait le dire, sauf que, parfois, on a du mal à reconnaître, chez eux, une voix intérieure, et c´est, à vrai dire, ce fait qui différencie d´ordinaire un écrivain d´un auteur de livres. Les grands écrivains n´écrivent pas que des livres, ils construisent une œuvre. Toujours fidèle à sa manière, Michel del Castillo était assurément ces dernières années un des rares écrivains français à se prévaloir d´avoir, au fil des années, construit une œuvre. On ne peut que s´incliner devant sa mémoire.

 

 

 

 

 


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