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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 29 avril 2025

Chronique de mai 2025.

 


Flannery O´Connor: la foi catholique dans l´Amérique profonde.

 

«Aussi direct et brutal que l´ordre donné à un peloton d´exécution». C´est ainsi que l´écrivain américain William Goyen (1915-1983) a caractérisé un jour le style de sa consoeur Flannery O´Connor, un météore qui a traversé et bouleversé la littérature américaine et qui s´est éclipsé, à l´âge de 39 ans, le 3 août 1964. En dépit de la relative brièveté de son œuvre –deux romans, trente nouvelles (ce que les anglo-saxons dénomment «short stories») et de nombreux textes courts –son importance dans l´histoire de la littérature américaine est cruciale et indiscutable. Son style, qui a inspiré à William Goyen les commentaires que j´ai cités au tout début de cette chronique, est souvent défini comme le Southern Gothic, intimement lié à sa région, le sud des États-Unis, et à ses personnages grotesques. Dans les écrits de Flannery O´Connor perce sa foi catholique qui contraste avec le protestantisme évangélique qui prévaut dans le Sud profond américain. Elle ne concevait l´univers que selon la perspective unique et absolue de la Rédemption. Sa foi était d´une exigence rarement vue. Elle disait d´ailleurs qu´il était plus difficile de croire que de ne pas croire. En vain chercherait-on pourtant dans l´œuvre de cette croyante fervente – qui a lu les catholiques français comme Léon Bloy, Paul Claudel ou Georges Bernanos- les perplexités théologiques ou l´angoisse de l´au-delà, les semonces ou les moralités qui alourdissent d´ordinaire les livres de nombre d´écrivains d´inspiration chrétienne. Son but quand elle prenait la plume, dans la lignée de Joseph Conrad –une de ses références littéraires au même titre que Henry James et surtout William Faulkner -, était de rendre à l´univers visible la plus haute justice. Comme l´a écrit l´écrivain franco-argentin Hector Bianciotti (1930-2012) dans une chronique publiée au Monde en 1975 lors de la parution en français, chez Gallimard, de Le Mystère et les Mœurs, Pourquoi ces nations en tumulte : «Son devoir de catholique est d´être une bonne romancière, de se conformer aux règles de l´art. Quant à ces romans truffés de bons sentiments et de louables intentions, comme ceux commis par le cardinal Spellman, ils lui semblent tout juste bons à caler une chaise boiteuse. Et va jusqu´à s´insurger contre le prestige dont jouit la pitié en littérature, méfiante qu´elle est à l´égard des écrivains qui «travaillent dans la pitié comme d´autres dans l´adultère». Car la pitié et la compassion amènent trop souvent à tout excuser, «pour l´excellente raison que la faiblesse humaine est humaine»».

Cette année, on signale le centenaire de la naissance de cette écrivaine qui suscite encore aujourd´hui l´admiration d´un nombre croissant de lecteurs. En effet, Mary Flannery O´Connor est née le 25 mars 1925 à Savannah, en Géorgie. Enfant unique d´Edward F. O´Connor  et de Regina Cline, elle s´est souvent décrite comme une enfant aux pieds tournés en-dedans avec un menton fuyant et un complexe du type «fiche-moi la paix ou je te mords».

Enfant au talent précoce, ses proches ont flairé assez tôt la vocation de Flannery O´Connor soit pour les  arts soit pour  les lettres. Néanmoins, alors qu´elle n´avait que 15 ans, une triste nouvelle a bouleversé sa vie, la laissant complètement anéantie : la mort du père qui avait été diagnostiqué quatre ans plus tôt d´un lupus érythémateux disséminé, une maladie systémique auto-immune chronique, de la famille des connectives, touchant les organes du tissu conjonctif.  Malheureusement, en 1951, un médecin allait diagnostiquer chez Flannery O´Connor la même maladie qui avait emporté son père et qui devait l´emporter également en 1964.

Ses années de formation  -les années quarante -ont été particulièrement fécondes. Elle a décroché une licence en sciences sociales et a participé intensément à la création de planches de bande-dessinée pour le journal de l´université, dépeignant avec humour et d´un ton sarcastique la vie sur le campus. Elle était d´abord destinée à une carrière de caricaturiste. Elle a d´ailleurs essayé de publier ses dessins dans The New Yorker afin de financer l´écriture de ses premiers récits, mais le prestigieux magazine a refusé leur publication. D´après certains observateurs, cette première vocation a imprégné le ton satirique de son œuvre.

Son œuvre- composée essentiellement, comme je l´ai déjà mentionné plus haut, de deux romans et une trentaine de nouvelles- met l´accent sur le grotesque, la plus riche source que la nature puisse offrir à l´art, d´après Victor Hugo. Dans un article publié le 24 juillet 2018 dans le magazine En attendant Nadeau, Claude Grimal a écrit que chez Flannery O´Connor les créatures grotesques qui pullulent ses fictions sont laides, bêtes, méchantes et parfois hallucinées. Enrôlées au service d´une charge impitoyable contre le Sud arriéré et raciste des années cinquante et soixante dans laquelle l´écrivaine vivait, elles sont également actrices de la plus féroce des eschatologies chrétiennes. Cependant, ces personnages grotesques sont avant tout stupides parce que «pauvres ou riches, jeunes ou vieux, habitants de la campagne ou de la ville (cas plus rare dans ses textes), ils ne cessent de prétendre à une supériorité intellectuelle, morale, sociale ou raciale qu´ils tentent en permanence d´exercer. Chaque nouvelle, chaque épisode romanesque est l´histoire d´une volonté de pouvoir. Celles des Blancs sur les Noirs, des fermiers sur leurs journaliers, des enfants instruits sur leurs parents ignorants, des géniteurs sur leur progéniture rétive, des esprits éclairés sur les cerveaux enténébrés, des athées sur les croyants, des progressistes sur les réactionnaires…Une libido dominandi qui se révèle à double sens puisque, et c´est là qu´O´ Connor dérange, les «victimes» se rebiffent et font alors souvent preuve d´une volonté aussi stupide qui ceux qui cherchent à leur faire plier l´échine».

À propos de l´importance du grotesque dans son œuvre, Flannery O´Connor a déclaré un jour : «Tout ce qui vient du Sud sera affublé de l´étiquette «grotesque» par le lecteur du Nord. A moins que le sujet ne soit réellement grotesque, auquel cas, il recevra l´étiquette réaliste». Dans toutes ses œuvres, elle emploie la technique de la «préfiguration narrative» donnant au lecteur une idée de ce qui va arriver longtemps avant l´événement proprement dit. La plupart de ses œuvres présentent des caractéristiques dérangeantes quoiqu´elle n´aime pas être qualifié de cynique. Elle réfutait les critiques qu´on lui adressait là-dessus : «Je suis fatiguée de lire des critiques qui qualifient A Good Man de brutal et sarcastique. Les histoires sont dures, mais elles le sont parce qu´il n´y a rien de plus dur ni de moins sentimental que le réalisme chrétien (…) Quand je vois ces histoires décrites comme des histoires d´horreur, je suis toujours amusée parce que la critique a toujours la mainmise sur la bonne ou la mauvaise horreur».

Si l´œuvre de Flannery O´Connor force l´admiration et le respect, elle n´échappe pas pour autant à la culture de l´annulation ou de l´effacement, ce que les anglo-saxons appellent la cancel culture. En 2020, une polémique a éclaté après la parution dans l´hebdomadaire The New Yorker sous la plume de Paul Elie d´un article où l´auteur tirait à boulets rouges sur Flannery O´Connor, dénonçant des traces de racisme dans son œuvre et pointant du doigt des moments de sa vie où elle aurait fait montre de ses préjugés à l´égard des Afro- Américains. On l´accuse entre autres choses d´employer souvent le mot «nigger» terme dépréciatif pour citer les Afro-Américains, non seulement dans ses récits mais également dans ses lettres. On lui reproche aussi un incident survenu en 1959 lors de la visite en Géorgie de l´écrivain afro-américain James Baldwin. Une amie de New York avait suggéré un rendez-vous entre les deux écrivains mais Flannery O´Connor a refusé de rencontrer son confrère sous prétexte que ce ne serait pas prudent dans une ville du Sud : «À New York, ce serait bien de faire sa connaissance, mais pas ici. Cela aurait provoqué de la désunion et des échauffourées». William Sessions, un ami de toute la vie, a affirmé que Flannery O´Connor lui avait exprimé l´angoisse qu´elle avait éprouvée de ne pas être en mesure de recevoir James Baldwin chez elle.

Pour Lorraine Murray, chroniqueuse de The Atlanta-Journal Constitution, de The Georgia Bulletin et autrice d´une biographie sur Flannery O´Connor, ces critiques sont on ne peut plus injustes puisqu´on ignore la réalité de l´époque et le contexte dans lequel certaines attitudes et affirmations se sont produites. D´autre part, Lorraine Murray rappelle que Flannery O´Connor avait prouvé à maintes reprises sa sensibilité à l´égard du problème du racisme et elle cite deux exemples. Le premier, c´est l´intervention de Flannery O´Connor dans un voyage en autobus où elle a défendu des citoyens noirs après des propos racistes du chauffeur. Le deuxième, c´est la nouvelle Revelation (Révélation) où elle met en scène une pauvre dame blanche raciste, Madame Turpin, propriétaire foncière qui, assise dans la salle d´attente d´un hôpital, profère à haute voix des imprécations contre les noirs qui, selon elle, devraient être tous renvoyés en Afrique. Cependant, à un moment donné, une universitaire lui lance un livre au visage en lui murmurant : «Retourne à l´enfer d´où tu es sortie, ordure !». C´est le moment de grâce pour Madame Turpin qui, plus tard, a une vision de gens allant au ciel où les noirs y entrent d´abord et les propriétaires fonciers blancs sont les derniers à y entrer.

En français, les lecteurs qui veulent découvrir ou redécouvrir l´œuvre de Flannery O´Connor peuvent lire les deux romans La sagesse dans le sang (Wise Blood, 1952) et Ce sont les violents qui l´emportent (The Violent Bear it Away, 1960) chez Gallimard, dans la collection L´Imaginaire, mais la quasi-totalité de ses fictions, surtout les nouvelles qui ont été traduites et publiées, sont aujourd´hui épuisées. Espérons que le centenaire de la naissance de celle que l´on peut considérer comme un des noms les plus emblématiques de la littérature américaine du vingtième siècle soit le prétexte pour la republication de ses œuvres. 

  

 

 

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lundi 14 avril 2025

La mort de Mario Vargas Llosa.

 


Ce dimanche 13 avril nous avons appris la triste nouvelle de la mort d´un des plus grands écrivains contemporains: Mario Vargas Llosa. Né le 28 mars 1936, à Arequipa, au Pérou, il fut l´une des figures les plus emblématiques du boom latino-américain. Membre de l´Académie Française depuis peu, il était un des plus grands écrivains de langue espagnole et il nous a laissé des romans mémorables comme  La cuidad y los perros(La ville et les chiens); La guerra del fin del mundo(La guerre de la fin du monde); La casa verde(La maison verte); Conversación en la catedral(Conversation à la cathédrale), La fiesta del chivo(La fête du bouc) ou Tiempos recios(Temps sauvages) parmi beaucoup d´autres.   

Vous pouvez lire dans les archives de ce blog(2010) l´article que j´ai écrit il y a deux décennies pour le site de la Nouvelle Librairie Française, à propos de son essai sur Flaubert, et que j´ai reproduit ici quand Mario Vargas Llosa fut couronné du Prix Nobel de Littérature.      

jeudi 10 avril 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le livre Quand la terre était plate de Jean-Claude Grumberg, publié aux éditions du Seuil.

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/litterature-quand-la-terre-etait-plate-de-jean-claude-grumberg-410179