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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 30 mai 2025

Chronique de juin 2025.

 




Les Barbelés : entre la collaboration et la résistance.

 

La Grande Guerre –qui après l´entre-deux-guerres a plutôt pris le nom, tout naturellement,  de Première Guerre Mondiale – a laissé grandes ouvertes des plaies qui n´étaient pas près de se refermer. L ´utilisation d´armes chimiques et la vie dans les tranchées ont traumatisé ceux qui ont combattu. Si beaucoup de soldats ont survécu à la guerre– quoique le nombre de morts fût naturellement élevé (plus de dix millions outre les disparus) –ils y sont parvenus dans la douleur voire au prix d´une souffrance inouïe. Nombre d´entre eux en sont revenus estropiés et inaptes au travail.  Des empires se sont écroulés et de nouvelles nations ont vu le jour. Néanmoins, les traités de paix n´ont pu effacer des esprits la haine, le ressentiment, la colère entre les peuples.

Le fascisme, l´antisémitisme et le nationalisme outrancier –le nationalisme ou la haine des autres, contrairement au patriotisme qui serait l´amour des siens, selon la célèbre formule de notre cher Romain Gary –ont gangrené les esprits et ont fait monter l´acrimonie un peu partout.

Après les années vingt, surnommées souvent les années folles, marquées par une forte croissance économique -mais déjà aussi par la poussée des fascismes -, les années trente se sont singularisées par la dépression et une ambiance délétère qui préfigurait déjà l´éclosion d´un nouveau grand conflit mondial.

La France n´échappait nullement à la crise. La Troisième République avait du mal à renouveler un projet politique déjà ancien bien que la France fût un des rares pays démocratiques du continent européen. L´expérience du  Front Populaire entre juin 1936 et avril 1938 a instauré d´importantes réformes sociales – comme la réduction du temps du travail à 40 heures par semaine ou la création de deux semaines de congés payés -, mais a attisé la haine d´une certaine bourgeoisie.

C´est justement l´année où a débuté l´expérience du Front Populaire que s´amorce l´intrigue du roman Les Barbelés, assurément un des meilleurs romans français que l´on ait pu lire ces derniers temps. C´est néanmoins un premier roman. L´auteur, Antoine Flandrin, âgé de 42 ans, fut dix ans durant journaliste au quotidien Le Monde en charge des commémorations des deux guerres mondiales et des questions mémorielles. 

Le roman  -divisé en quatre parties selon les années : 1936, 1940, 1944, 1948 - s´inspire du passé collaborationniste du grand-oncle d´Antoine Flandrin décrit dans le prologue du roman. L´auteur nous fait ainsi revivre l´une des périodes les plus troubles de l´histoire de France. Une période, il faut bien le rappeler, où des amitiés se sont déchirées, ou nombre de gens –y compris des gens bien –ont sombré dans l´abjection en collaborant avec l´occupant nazi, soit en soutenant le régime de Vichy, soit en dénonçant des résistants ou des juifs, soit en intégrant des milices qui semaient la terreur.

Tout juste installée à Saturnac, un petit village de Dordogne, la famille Marsac, qui habitait à Bordeaux, espère mener une vie paisible et familière. La famille est composée par le père, Maurice, professeur de lycée, la mère, Ernestine, et les enfants Jules et Claire.  

En roulant vers Saturnac, Maurice et Jules Marsac sursautent après une forte détonation.  Un coup de fusil avait retenti : «Jules tourna l´épaule et aperçut un homme armé à l´autre bout du chemin. Il était prêt à prendre la poudre d´escampette mais le père ouvrit la portière avant qu´il ait pu tenter quoi que ce soit. Jules n´en revenait pas : le père allait d´un pas lent, mais sûr, à la rencontre de cet homme qui pointait un fusil dans sa direction. Son visage était effrayant ; la moitié de son crâne avait été trépanée. C´était une gueule cassée. Il y avait de quoi avoir les foies, mais le père aussi avait fait la guerre de 14. N´osant pas descendre de la voiture, le fils suivit fébrilement l´explication du texte de loin». 

L´homme au visage déformé répond au nom de Gaston Ravidol, un paysan qui avait été à Verdun pendant la Grande Guerre avec le maire Fortané, un socialiste, que Maurice Marsac venait de connaître. Il reproche à son nouveau voisin de rouler trop vite - ««on fonce pas comme ça dans un village !» - mais la conversation  détend l´ambiance et l´altercation s´estompe. Tout en conservant la distance imposée par les différences d´extraction sociale, on pourrait dire qu´une certaine cordialité se noue entre les deux familles. Cette cordialité évolue même dans le sens de l´amitié entre Jules et René - le fils de Gaston et de Paulette Ravidol - qui fait découvrir à son nouvel ami la campagne périgourdine.

Cependant, le temps, la politique, les rumeurs d´un nouveau conflit entre la France et l´Allemagne et puis la guerre finissent par éloigner petit à petit jusqu´à la fracture définitive les deux familles et surtout Jules et René.

Jules est sous l´emprise de son parrain, le franco –américain Roger Blancarède –dont il épousera plus tard la fille Luce –, un riche propriétaire habitant Paris, vieil ami de son père –ils s´étaient connus sur le front d´Orient en 1915 alors qu´ils étaient brancardiers -,toujours déchaîné contre les mous, abreuvant d´imprécations «le juif Blum», et enthousiaste de l´Action Française de Charles Maurras. Il a un projet  pour contrecarrer le «péril juif». Il compte investir dans un titre de presse pour en faire «un authentique journal nationaliste et anti- sémite».   Son ami Maurice, le père de Jules, lui emboîte le pas : «Maurras avait su le convaincre que seul le nationalisme intégral pourrait régénérer la France. Pour lui, notre pays façonné par l´absolutisme et le cléricalisme avait accouché d´une société fondamentalement hiérarchisée, incompatible avec tout projet égalitaire. Pour qu´il retrouve sa grandeur d´âme, il fallait restaurer la monarchie et se débarrasser des Juifs, des protestants, des francs-maçons et des étrangers».  

Jules, quant à lui, se sent, au fil de ses lectures, de plus en plus attiré par les idées professées par son père et par son parrain. Dans un voyage en métro à Paris, plongé dans ses pensées, loin des yeux inquisiteurs de Saturnac,  il cherche à comprendre ce qui lui tient vraiment à cœur : «Il replongea dans Céline, la mobilisation générale et l´excitation qu´avait dû connaître son père. Son désir de défendre la patrie lui semblait moins ardent maintenant qu´il était au pays de l´anonymat et de l´indifférence. Il avait beau chercher ce qui le rapprochait des gens présents dans cette voiture, il ne voyait pas. Devant lui, des ouvriers maghrébins étaient assis à côté d´une famille qui parlait le russe, le polonais et l´arménien, qu´en savait-il. Il regarda par la fenêtre et aperçut son reflet juvénile qui s´en était sorti sans bosse. Ce miroir avait cela d´étrange qu´il cachait derrière lui la nuit du tunnel. Il s´approcha un peu plus de la vitre et, les yeux plongés dans l´obscurité, se perdit dans des pensées morbides, à imaginer un monde souterrain où les soldats de 14-18 continuaient à s´entretuer au milieu des rats».  

La guerre éclate et la France tombe sous la coupe de l´Allemagne nazie. Les Français se divisent entre résistants, collabos et ceux qui à vrai dire ne prennent pas position, menant leur vie quotidienne sans trop s´inquiéter du lendemain.

Jules, on le devine,  sombre dans la collaboration, il s´y jette à corps perdu en signant des articles pour L´omniprésent, un journal pétainiste, antisémite qui soutient les collabos et les milices fascistes qui sévissent dans le pays. Il se salit ses mains en intégrant une milice à Saturnac. L´abjection est à son comble.

Si la collaboration est toujours un sujet qui interpelle et interroge les Français sur leur passé, ce roman, Les Barbelés, s´inspirant d´une histoire familiale de l´auteur, remet sur le tapis les raisons qui poussent des gens à collaborer avec l´occupant, notamment en dénonçant ceux qui, sans être criminels, sont néanmoins honteusement persécutés par le nouveau régime en place. Ces indics, ces mouchards, ces collabos n´étaient pas forcément des salauds, c´étaient souvent des gens plutôt bien qui menaient une vie familiale irréprochable, pépère, sans soucis. D´ordinaire, la nature humaine sombre, on le sait, dans l´ignominie…

La littérature sert  aussi à combler les trous que l´Histoire ne saurait expliquer et à poser des questions plutôt qu´à chercher des réponses. C´est ce qu´a fait Antoine Flandrin dans  ce premier roman, Les Barbelés. Une véritable réussite.

 

Antoine Flandrin, Les Barbelés, éditions Plon, Paris, mars 2025.

 

 

 


jeudi 22 mai 2025

Roger Chartier à Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition d´aujourd´hui du Petit Journal Lisbonne un portrait que j´ai brossé de l´historien Roger Chartier qui sera la semaine prochaine à Lisbonne :

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/roger-chartier-lisbonne-du-26-au-30-mai-pour-un-cycle-de-conferences-413477



mercredi 7 mai 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Dans le cadre de la venue à Lisbonne pour des rendez-vous littéraires de l´écrivaine Lola Lafon dont le roman  La Petite communiste qui ne souriait jamais vient d´être traduit en portugais,  Le Petit Journal Lisbonne a récupéré un article que j´ai écrit en 2014 lors de la parution du roman en France chez Actes Sud:

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/8-mai-lola-lafon-presente-lisbonne-la-petite-communiste-qui-ne-souriait-jamais-412083  




La mort d´Angelo Rinaldi.

 



L´écrivain et critique littéraire français Angelo Rinaldi nous a quittés aujourd´hui à l´âge de 84 ans. Né le 17 juin 1940 à Bastia, en Corse, il était un écrivain, un homme de presse et un critique redouté. Comme le Ministère de la Culture nous le rappelle dans son communiqué, «il incarnait une certaine idée de la littérature: exigeante, libre et sans complaisance. Avec lui, s´éteint un grand écrivain et un esprit farouchement indépendant». 

Il a collaboré à Nice-Matin, à Paris-Jour, à L´Express, au Point, au Nouvel Observateur et au Figaro Littéraire dont il fut le directeur. Il a publié près d´une vingtaine d´ouvrages dont La loge du gouverneur,(1969) prix Fénéon, La Maison des Atlantes(1971), prix Femina ou Les Roses du Pline(1987), prix Jean-Freustié. Il a reçu le Prix Prince Pierre de Monaco pour l´ensemble de son oeuvre et il siégeait à L´Académie Française depuis 2001.