Roger Nimier, un hussard hors du commun.
Roger Nimier, dont on célèbre ces jours-ci –le 31 octobre (1) - le
centenaire de la naissance était-il un enfant terrible des lettres françaises,
comme on l´a maintes fois surnommé ? La question que nombre de critiques
s´est souvent posée n´est pas particulièrement pertinente. Toutes les épithètes
que l´on colle sur le dos d´un écrivain ne traduisent d´ordinaire qu´un manque
de réflexion sur son œuvre puisque celle-ci ne peut aucunement se ramener aussi
fragile ou insuffisante soit-elle à un simple lieu commun vide de sens. Or,
Roger Nimier –un des noms les plus emblématiques des Hussards, groupe
d´écrivains de droite ainsi baptisés par Bernard Frank dans Les Temps Modernes
(2) - fut une personnalité à la fois
complexe, riche et atypique.
Né à Paris, Roger Nimier était issu d´une vieille famille bretonne et
tirait quelque fierté de ses ancêtres La Perrière, corsaires à Saint-Malo (il a
d´ailleurs signé ses premiers articles du nom de Roger de La Perrière). Son
père, ingénieur assez réputé, fut l´inventeur de l´horloge parlante. Sa mère,
premier prix de violon au Conservatoire, avait abandonné la musique au
lendemain de son mariage. Enfin, Roger Nimier fut un élève brillant au Lycée
Pasteur. Michel Tournier, son condisciple en classe de philosophie jugeait sa
précocité «un peu monstrueuse» et son intelligence et sa mémoire «hors du
commun».
Quel que soit le jugement que l´on porte sur son œuvre, le moins que l´on
puisse dire c´est qu´elle ne laissait personne indifférent et ce parce que,
plus de soixante ans après sa disparition dans un tragique accident de voiture–
aux côtés de l´extravagante et très belle Sunsiaré de Larcône, autrice d´un
seul roman, La Messagère –,et, à la veille du centenaire de sa naissance, ils
sont sans doute légion ceux qui ne tarissent pas d´éloges sur ses romans et ses
essais dont l´influence dans l´histoire de la littérature française du
vingtième siècle est irréfutable. On pourrait peut-être –exercice aussi vain
que paradoxalement intéressant – imaginer dans une perspective un brin
uchronique ce qui serait advenu si Roger Nimier n´était pas mort le 28
septembre 1962 au volant de son Aston Martin, à l´âge de 36 ans, et aurait vécu
encore au moins deux, trois, voire quatre décennies développant ainsi une œuvre
qui avait déjà, quoique relativement courte, forcé l´admiration. Jacques
Chardonne, un des pères spirituels –avec Paul Morand –des Hussards, répétait
pourtant à Roger Nimier qu´il ne fallait pas être pressé de vouloir tout écrire
à vingt ou trente ans et lui donnait en exemple André Gide : «Sachez que
si Gide était mort à cinquante ans, il ne compterait guère. Ayant atteint
quatre-vingts ans, il a pu obtenir le Prix Nobel…méfiez-vous de l´alcool, des
belles voitures, n´oubliez pas que les battements du cœur sont comptés.
Beaucoup dormir».
Cet avis de Chardonne est, à vrai dire, fort discutable, étant donné que
chaque écrivain a son rythme d´écriture et tous n´atteignent pas la maturité au
même moment de leur vie. Albert Camus s´est vu décerner le Prix Nobel de
Littérature à l´âge de 44 ans (il est
mort à 46 ans, dans un accident de voiture comme Roger Nimier) et Arthur
Rimbaud avait composé pratiquement toute son œuvre avant l´âge de 20 ans. D´autre
part, Raymond Radiguet est mort à 20 ans et Alain Fournier à 27 ans. S´ils
n´avaient pas publié prématurément, on n´aurait jamais entendu parler d´eux,
simples citoyens anonymes. Par contre, l´Allemand Theodor Fontane fut un
romancier tardif et le Portugais José Saramago, un autre prix Nobel de
Littérature, n´a acquis la notoriété en tant qu´écrivain qu´avec Le Dieu
Manchot (Memorial do Convento, en portugais) à l´âge de 60 ans. On pourrait
donner une foule d´autres exemples dans un sens ou dans l´autre.
Toujours est-il que Roger Nimier a pris note des conseils de Chardonne,
surtout ceux concernant le rythme d´écriture et la périodicité de la parution
de ses livres. En effet, Roger Nimier avait commencé à écrire et à publier
assez tôt. Le premier livre qu´il a écrit ne fut néanmoins publié qu´après sa
mort. Il s´agissait de L´Étrangère, un roman aux contours autobiographiques
rédigé dans un style proche de Giraudoux et de Cocteau. C´est en 1948 qu´est
paru chez Gallimard le roman Les Épées, salué par la critique. C´était un bref
roman qui racontait l´histoire d´un jeune homme passant de la Résistance à la
Milice dans le contexte de La seconde guerre mondiale.
Dans son deuxième roman, Perfide, paru en 1950, on assiste à une sorte de
complot où la politique et le monde sont l´enjeu de lycéens turbulents qui
aiment des dames du monde et chahutent le gouvernement. Cette même année, Roger
Nimier a publié aussi celui que d´aucuns considèrent comme son meilleur
roman : Le Hussard Bleu. Écrit à plusieurs voix, chaque chapitre est un
monologue intérieur d´un personnage différent. On y voit reparaître François Sanders,
protagoniste du roman Les Épées qui prend cette fois-ci sous son aile son ami
Saint -Anne, plus jeune et inexpérimenté. Sanders a eu la chance d´échapper à
l´épuration et donne libre cours à ses instincts guerriers en occupant
l´Allemagne vaincue. Il y a d´autres personnages essentiels comme un colonel
réactionnaire et vichyssois et l´inévitable Allemande facile auprès de laquelle
se retrouvent tous les officiers du régiment. Ces soldats parlent un argot un
peu littéraire, mais assez plaisant ; Roger Nimier y mêle quelques termes
de métier et les jurons indispensables à la couleur locale.
C´est encore cette année-là qu´il publie l´essai Grand d´Espagne, dédié à
Georges Bernanos, un essai où, selon les paroles de Pierre Boisdeffre, Roger
Nimier va dresser l´acte de naissance d´une génération désenchantée. D´après
Gabrielle Roy Chevarier, de l´Université Mc Gill à Montréal, cet essai
mi-politique mi-littéraire fait de Nimier non seulement le porte-parole de la
génération qui a eu 20 ans en 1945, mais aussi l´incarnation d´une jeunesse
mélancolique, frustrée et insoumise, qui s´affirme en s´opposant haut et fort à
l´existentialisme, comme en témoigne cet extrait reproduit par la professeure
de littérature dans son texte «Le roman d´aventure ou l´art de courir après la
balle», publié en 2011: «L´humanisme est toujours très prudent dans ses
principes, très impératif dans ses mandements. Il nous défend clairement de
tuer nos semblables, sans nous expliquer pourquoi les autres sont nos
semblables. On me répondra que ces choses –là «se sentent». Ce n´est pas
impossible. Mais dans le domaine des sensations, l´humeur est dominante, chaque
instant est un argument nouveau et, enfin, il n´est pas juré que tous les
habitants de la terre sortent du même atelier, puisque aussi bien, il n´y a
plus de sculpteur. Tout à coup, si nos voisins nous apparaissent comme des
insectes ou de purs étrangers, rien ne nous empêchera d´en supprimer
quelques-uns. Les moustiques tués, les résistants fusillés, les fascistes
abattus, ces choses-là ne se comptent plus. C´est une affaire d´impatience ou
de colère» (Grand d´Espagne, pages 75-76).
Un essai comme Grand d´Espagne est de nos jours tout bonnement inconcevable,
comme l´a vu à juste titre Juan Asensio dans un texte publié dans son
magnifique blog Stalker(dissection du cadavre de la littérature) en septembre
2016. Inconcevable de plus d´une façon : «par manque de talent, par
absence de hardiesse, par intumescence prodigieuse d´inculture, de vulgarité,
de bassesse, de médiocrité, et puis parce que tout le monde se contrefiche de
saluer ce qui nous a précédés et qui, pour le dire point trop désobligeamment,
est presque toujours plus grand que nous ne sommes».
Roger Nimier a encore publié jusqu´en 1953 deux romans, Les enfants tristes
– qui se termine par la description d´un prémonitoire accident de voiture- et
Histoire d´un amour, ou encore un essai, Amour et Néant. Il a continué d´écrire
à un rythme régulier mais ces livres-là -dont D´Artagnan amoureux ou Cinq ans avant ou
encore L´Élève d´Aristote, entre autres - n´ont été publiés qu´à titre posthume
puisque, comme je l´ai écrit plus haut, Roger Nimier s´est imposé un silence
volontaire après un entretien avec Jacques Chardonne.
La période d´abstinence romanesque n´a pas été pour autant une période de
silence journalistique ou cinématographique. Il a écrit des scénarios pour
Michelangelo Antonioni ou Louis Malle (notamment Ascenseur pour l´échafaud) et
s´est également consacré à la critique, surtout dans la revue L´Opéra qu´il a
dirigée. Conseiller littéraire auprès de Gaston Gallimard à partir de 1956, il
a défendu l´édition de plusieurs ouvrages en mettant en avant leur valeur
littéraire au-dessus des considérations politiques. Sa démarche se trouvait
donc aux antipodes de l´engagement sartrien. Il a ainsi œuvré à l´édition et à
la promotion du roman D´un château l´autre de Louis-Ferdinand Céline en 1957
alors que les livres précédents de l´écrivain de Voyage au bout de la nuit et
de Mort à crédit parus après la guerre n´avaient pas rencontré de succès. Un
des écrivains qui ont partagé cette politique éditoriale fut François Mauriac
qui lui a écrit un courrier en le saluant pour sa démarche : «Vous êtes le
seul de votre génération. C´est vous qui délivrerez la littérature de
l´engagement qui l´étouffe». Il a contribué aussi à la réhabilitation de Paul
Morand et, cela va sans dire, de Jacques Chardonne. Déjà en 1950, il avait
adhéré à l´Association des amis de Robert Brasillach –le seul écrivain collabo
fusillé à la Libération –et avait participé en 1955 à l´hommage qui lui fut
rendu par Défense de l´Occident, revue nationaliste et d´extrême-droite dirigée
par l´écrivain Maurice Bardèche, beau-frère de Robert Brasillach.
Sur le chapitre politique, on n´ignore nullement qu´il était un homme de
droite, d´une sensibilité donc nationaliste. Néanmoins, au gré de ses
contradictions, on se rend compte qu´il ne se reconnaissait dans aucune, si
j´ose dire, chapelle spécifique. Pendant la seconde guerre mondiale, il a écrit
des articles pour l´hebdomadaire royaliste La Nation Française, puis il a
révélé un penchant gaulliste. En 1960, il a signé le «Manifeste des
intellectuels français» soutenant l´action de la France en Algérie.
Ceci dit, Roger Nimier était-il, comme on l´a souvent surnommé, le chef de
file de la droite littéraire d´après-guerre ? Malgré son indiscutable
orientation politique, Olivier Frébourg dans Roger Nimier, trafiquant
d´insolence (3), considère que la légende est née d´un malentendu créé par la
confusion entre le romancier et les personnages de ses romans, tous
suicidaires, férus de jeunesse et de l´uniforme. Olivier Frébourg remarque –et
je cite- que Nimier n´a abusé ni de l´excentricité ni de la débauche
romantique : «il détestait le pathétique et les confessions déplacées.
Nimier fut un écrivain consciencieux, fasciné par la Vie de Rancé. Les
intellectuels l´insupportaient, il se donna un air dégagé, se moqua du dandysme
et de la préciosité». Par contre, Marc Dambre dans Roger Nimier, Hussard du
demi- siècle (4), voit ses prises de positions politiques comme autant d´appels
à une réformation complète de la civilisation : «Pour une génération qui
avait le jeune âge de Roger Nimier, le bonheur était une idée neuve, dont le
caractère fragile et menacé accentuait l´attrait (…) Nimier est avant tout un
révolutionnaire nostalgique des anciens
Ordres Humains». Enfin, en 1950, dans un article paru dans Témoignage Chrétien, le critique suisse Albert Béguin (5), inquiet de voir un jeune
écrivain de talent soutenir des «valeurs peu nouvelles», relevait dans son
style toutes les qualités traditionnelles d´une certaine école critique de
droite, un peu de sécheresse maurassienne, mâtinée de raideur à la façon de
Massis ou de Thierry Maulnier (6). Les jeunes comme Roger Nimier, se donnant
pour insolents, ajoutait Albert Béguin, n´étaient peut-être qu´impatients
d´écrire.
Toujours est-il que l´insolence et l´impatience sont d´ordinaire des
sentiments qui siéent à ceux qui veulent faire de la bonne littérature…
(1)
Le
31 octobre paraîtra dans la collection Quarto chez Gallimard, le volume
Roger Nimier, Œuvres (romans, essais,
critique chroniques).
(2)
Il
s´agissait d´une allusion de Bernard Frank au roman de Roger Nimier, Le Hussard
Bleu. Outre Roger Nimier faisaient partie des Hussards Jacques Laurent, Antoine
Blondin et Michel Déon. Le texte Les Grognards et les Hussards est paru dans
Les Temps Modernes en 1952.
(3)
Olivier
Frébourg, Roger Nimier, trafiquant d´insolence, éditions du Rocher, Monaco,
1989.
(4)
Marc
Dambre, Roger Nimier, Hussard du demi-siècle, éditions Flammarion, Paris, 1989.
(5)
L´article
d´Albert Béguin s´intitule «La vertu d´insolence».
(6)
Henri
Massis et Thierry Maulnier étaient des journalistes, critiques littéraires et
essayistes d´extrême-droite.
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