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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 28 mars 2008

Chronique d´avril 2008



Boualem Sansal, l´honneur d´un grand écrivain
(à propos de son dernier livre Le village de l´Allemand)




Lors de la rentrée de septembre 1999, les lecteurs français ont pu voir chez leurs libraires préférés le premier livre d´un Algérien, né en 1949 à Boumerdès près d´Alger. Le livre s´intitulait Le serment des barbares et l´auteur répondait au nom de Boualem Sansal, présenté comme un haut fonctionnaire ministériel. Depuis huit ans et demi et le succès de son premier roman, la vie de Boualem Sansal a bel et bien changé. Cependant, autant sa réputation de grand écrivain s´amplifie, autant sa vie en Algérie devient de plus en plus insupportable. S´il envisage, d´après les dernières informations disponibles, la possibilité de se fixer en France, il le fera sûrement dans la douleur, lui qui nourrit- contrairement à ce qu´insinuent les autorités locales et une certaine presse qui pactise avec un pouvoir méprisant et corrompu- un profond amour pour son pays natal. En 2003, il fut «démissionné» de ses fonctions et ses livres sont désormais interdits en Algérie, surtout depuis la parution en 2006 de Poste restante : Alger, des lettres de colère et d´espoir sur l´emprise délétère du FLN sur les esprits. Les attaques virulentes à l´encontre de Boualem Sansal se sont accentuées après la parution en France, le mois de janvier, de son dernier livre Le village de l´Allemand ou le journal des frères Schiller, chez Gallimard. Basé sur une histoire réelle, ce roman aborde, sous le tamis de la fiction, trois sujets brûlants : la sale guerre des années quatre-vingt-dix en Algérie, la situation des Algériens et des Français de souche algérienne dans les banlieues françaises et l´abandon auquel ils sont souvent voués par la République et surtout la proximité entre islamisme radical et nazisme. C´est que le roman raconte l´histoire des deux frères algériens qui découvrent, après le massacre de leurs parents par les fondamentalistes du GIA(Groupe islamiste armé), dans un petit village algérien, que leur père, un citoyen allemand au titre de moudjahid- puisqu´il avait lutté contre les Français aux côtés du FLN- était, en fait, un ancien officier SS. Les deux frères- Rachel,l´aîné, et Malrich, le cadet- ont été élevés par un vieil oncle immigré dans une cité de la banlieue parisienne. C´est Rachel(contraction de Rachid et Helmut) qui apprend, en regardant le journal télévisé, le massacre perpétré contre son village d´Aïn Deb, près de Sétif. Il entreprend le voyage là-bas, tient un petit journal, tombe dans la déprime et se suicide. Malrich découvre le journal de son frère et tient lui aussi son petit journal -que l´on suit au fil de la narration- et prend le relais de son frère, se déplaçant lui aussi en Algérie pour comprendre ce qui s´était véritablement produit. Derrière la narration et la langue superbe, on entend une voix intérieure, celle qui fait l´étoffe des grands écrivains.
Avec un tel sujet, ce roman-qui vient d´obtenir le prix RTL-Lire 2008- ne pourrait susciter qu´un vrai tollé en Algérie, surtout quand, dans le même temps, l´auteur accordait un long entretien à l´hebdomadaire français Le Nouvel Observateur qui a mis le feu aux poudres. En fait, dans cet entretien-là, Boualem Sansal ne s´est pas privé de rapprocher l´intégrisme islamique de la barbarie nazie et s´est étonné sur le silence autour de l´Holocauste dans les pays arabes et, en l´occurrence, en Algérie : «…Je me suis avisé de quelque chose que je savais mais sans lui avoir jamais accordé plus d´importance que cela : la Shoah était totalement passée sous silence en Algérie, sinon présentée comme une sordide invention des Juifs.» Ce constat de Sansal n´a rien de surprenant. On sait que les thèses négationnistes ont toujours trouvé des interlocuteurs attentifs chez les milieux politiques arabes, une situation que l´impasse autour de la question israélo- palestinienne n´a pas aidé à infléchir. Mais Sansal n´a pu s´empêcher de tirer également à boulets rouges, cela va sans dire, sur le pouvoir algérien en place du président Bouteflika : «Avec des régimes comme ceux de Bouteflika et de Kadhafi, les démocraties occidentales ne peuvent pas grand-chose. Tout ce qu´elles diront et feront sera retourné contres elles et contre nous. Nos leaders sont de redoutables tennismen. Ils connaissent tous les coups pour détruire les balles en vol. Comme d´habitude, ils se dresseront sur leurs ergots et crieront : ingérence, colonialisme, néocolonialisme, impérialisme, atteinte à nos valeurs islamiques, lobby juif, etc !»
Comme je l´ai écrit plus haut, la vie de Boualem Sansal à Boumerdès, à une cinquantaine de kilomètres d´Alger, est de plus en plus difficile. Sa femme- professeur de mathématiques- a été poussée vers une retraite anticipée qu´elle était loin de souhaiter et à lui, malgré ses qualifications professionnelles, nul n´ose offrir un nouvel emploi. Par-dessus le marché, son nom est quotidiennement traîné dans la boue par des plumitifs à la solde du sordide pouvoir algérien. Pour couronner le tout, Sansal, contrairement à d´autres intellectuels arabes, n´a pas boycotté le Salon du Livre qui vient de se tenir à Paris et dont le pays invité a été, comme chacun le sait, l´Israël. Sansal, en effet, prétendait que l´on ne pouvait nullement punir des écrivains pour la politique de leur gouvernement. Des écrivains qui, dans le cas israélien, peuvent s´attaquer librement, s´ils le veulent, à la politique intolérable de leur régime vis-à-vis des Palestiniens alors que les intellectuels arabes, pour la plupart, sont soit muselés soit sujets à la plus stricte surveillance de la part des autorités de leurs pays.
À Boualem Sansal, on ne cesse de le menacer du même sort qui fut autrefois réservé au grand écrivain Tahar Djaout, occis par les intégristes musulmans. Ceci ne lui retire pourtant ni l´allant, ni le courage, ni l´espoir.
Il faut lire Le village de l´Allemand, un roman superbe, écrit par celui qui est un des plus grands écrivains algériens et assurément un des meilleurs écrivains vivants de langue française.

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