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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 1 mars 2008

Chronique de mars 2008


Blaise Cendrars, l´éternel voyageur.



«J´étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers/ des sept gares/Et je n´avais pas assez des sept gares et des mille et trois jours/Car mon adolescence était si ardente et si folle/ Que mon cœur tour à tour brûlait comme le temple d´Éphèse/ou comme la place Rouge de Moscou/Quand le soleil se couche…». Ces vers, on peut les retrouver en épigraphe de Place Rouge, le tout dernier roman de Dominique Fernandez, écrivain récemment élu à L´Académie Française, et ce choix traduit on ne peut mieux l´importance de Blaise Cendrars- puisque c´est lui l´auteur des vers- pour tout écrivain qui place son œuvre sous le signe du voyage, du cosmopolitisme et du brassage entre cultures.
Mû par une incorrigible envie de tout connaître et de jouir intensément des plaisirs de la vie, Blaise Cendrars n´a cessé de voyager et de traduire dans ses écrits, quel qu´en fût le genre- roman, poésie ou récit-, les échos et les bruits d´un monde en perpétuelle métamorphose et en permanente ébullition.
Blaise Cendrars était en effet le nom de plume de Frédéric Sauser, né le 1er septembre 1887 à la Chaux –de –Fonds, en Suisse.
Le goût du voyage et de l´aventure a tôt germé chez le jeune sémillant Frédéric et à 16 ans il prend le train qui le mène à Moscou. De là, il part en Chine par Le Transsibérien, clandestinement, naturellement ! Des voyages qu´il évoquera plus tard lorsque, devenu Blaise Cendrars, il répandra son talent par les poèmes, romans et récits qu´il enfantera. Fidèle à sa nature aventurière et intrépide, le jeune Frédéric ne pourrait nullement se contenter de vivre dans la très paisible, provinciale et presque paroissiale Suisse et on le retrouve donc en France à l´âge de 20 ans où il exerce à tour de rôle les métiers de cultivateur de cresson et d´apiculteur. Dans ce dernier métier, il réussit on ne peut mieux, ce qui lui permet de nourrir, pour un certain temps, son goût du voyage. Il se lie d´amitié avec Rémy de Gourmont (un génie inconnu de la langue française), mais s´absente pour un temps de France pour faire une petite escale à Bruxelles avant de se déplacer à Londres où il devient jongleur dans un music – hall et partage la chambre d´un certain Charlie Chaplin qui n´était alors qu´un jeune artiste sans le sou. Après Londres, Saint-Pétersbourg encore une fois et New- York sont les étapes suivantes du jeune Frédéric.
En 1914 éclate la première guerre mondiale et Blaise Cendrars s´engage dès le début dans la Légion étrangère. De cette expérience au casse –pipes, il en sort avec un bras en moins (le droit) qu´il perd dans la grande offensive de Champagne le 28 septembre 1915. Ayant vécu en France- il devient citoyen français en 1916- avant et après la Grande Guerre, il fréquente cela va sans dire tout le milieu littéraire et artistique parisien de l´époque : Apollinaire, Chagall, Modigliani ou Fernand Léger qui illustrera quelques-uns de ses livres. Il fraie également avec les jeunes dadaïstes et surréalistes, mais, par esprit d´indépendance, il se détourne quelque peu de ces deux mouvements.
Dans les années vingt, il voyage, à l´invitation d´un mécène local, au Brésil et c´est le coup de foudre. Il y revient deux fois pendant la décennie, se lie d´amitié avec les poètes Oswaldo et Mario de Andrade, Manuel Bandeira et Carlos Drummond de Andrade et fait de l´ancienne colonie portugaise, pour un certain temps, une sorte de pays d´adoption. Il en apprend un peu la langue et traduit même en français des auteurs brésiliens et portugais dont le grand roman de Ferreira de Castro, Forêt Vierge (A Selva, en portugais). Dans les années trente il officie surtout comme journaliste à Paris- Soir de Pierre Lazareff où il se taille un succès avec un certain nombre de reportages comme La promenade de la pègre en 1935 sur les bas-fonds ou le voyage inaugural du paquebot Normandie.
En 1939, il se retrouve correspondant de guerre auprès de l´armée britannique, mais après l´occupation, il se réfugie à Aix- en – Provence.
Après la guerre, il continue d´écrire des livres jusqu´en 1957, l´année où il est victime d´une congestion cérébrale. En 1960, malade, il reçoit à l´initiative d´André Malraux, ministre de la culture, la décoration de Commandeur de la Légion d´Honneur.
Le 21 janvier 1961, à l´âge de soixante-seize ans, il s´éteint sans avoir été récompensé par un grand prix littéraire, à part celui de la Ville de Paris.
De son œuvre, colorée et foisonnante, il serait difficile de mettre en exergue un ou deux titres. De sa plume éclectique jaillissaient les bruissements d´un monde en pleine mutation, le cliquetis des machines, la gouaille des milieux populaires et interlopes qui peuplent la nuit des vieux ports des grandes villes ou les secrets qui se cachent derrière les bouges fréquentés par tous ceux et celles que repousse la clarté du jour.
Beaucoup de ses titres sont inspirés par ses souvenirs de voyage de par le monde comme D´Oultremer à Indigo ou autobiographiques comme L´homme foudroyé, La main coupée, Bourlinguer et Le lotissement du ciel, mais Blaise Cendrars a également écrit des romans comme L´Or (1925, revu en 1947), Moravagine- dont la première édition remonte à 1926, mais qu´il n´a cessé de remanier- ou Emmène –moi au bout du monde paru en 1956.
L´Or raconte l´ascension et la chute du Suisse Johann August Suter(qui a réellement existé) qui part un jour en Amérique pour y faire fortune. Il réussit en effet grâce à l´or, fonde une communauté – La Nouvelle Helvétie- en Californie, mais la richesse ne le rend pas plus heureux.
Moravagine nous présente- par le biais du narrateur, un médecin-le dernier descendant d´une lignée noble dégénérée de l´Europe de l´Est qui se trouve interné dans une clinique près de Berne pour cause d´homicide. Il s´en évade grâce à la complicité du médecin et les deux hommes en fuite vivent des aventures cocasses et loufoques à travers le monde.
Enfin, Emmène –moi au bout du monde est un roman à clefs sous couvert d´intrigue policière qui serait inspiré dans la vie de la comédienne Marguerite Moreno.
La poésie de Blaise Cendrars –dont je vous ai reproduit un extrait, tiré de La prose du Transsibérien, au début de cet article- est l´exaltation de la modernité, du progrès, des machines, du bruit des roues sur les rails, de la peinture, bref de la vie. Sa verve et son esprit bouillonnant et révolutionnaire ne vont pas sans rappeler, à certains moments, les textes du mouvement futuriste fondé par Filippo- Tommaso Marinetti. Sa poésie est regroupée chez Denoël dans le volume Du monde entier au cœur du monde et en édition de poche en deux tomes dans la collection Poésie chez Gallimard.
Dans une vie pleine d´aventures, la grande frustration de Blaise Cendrars aura été le cinéma, une de ses passions majeures où il n´a jamais pu néanmoins exceller, malgré l´écriture de quelques scénarii et sa participation comme assistant et figurant, dans les années vingt, au film J´accuse de Abel Gance. Fasciné par Hollywood, il en a fait un reportage lors d´un séjour aux Etats-Unis dans les années trente.
À retenir encore que Blaise Cendrars fut un des premiers en Europe à s´intéresser à la culture africaine avec la parution en 1921 d´une Anthologie nègre avec des contes de tradition orale.
De Blaise Cendrars il nous reste ses œuvres, son esprit aventurier et révolutionnaire et cette éternelle image, clope au bec, de «vagabond intellectuel» selon l´expression du grand écrivain américain John Dos Passos.

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