Tierno Monénembo |
Addi Bâ, un Guinéen,
héros de la France.
Il faudra
bien qu´un jour l´histoire honore les hommes qui dans les anciennes
colonies se sont battus pour les couleurs de la France. Souvent
oubliés, grâce ne leur fut rendue qu´à titre posthume. L´épopée
d´un de ces héros nous est racontée par un des romans les plus
surprenants de cette rentrée littéraire 2012, Le terroriste noir
(éditions du Seuil), sorti de la plume d´un écrivain guinéen dont
l´audience ces dernières années ne cesse de croître et pour cause :
Tierno Monénembo.
De son vrai
nom Thierno Saïdou Diallo, il est né le 21 juillet 1947 à
Porédaka, en République de Guinée (que l´on dénomme d´ordinaire
Guinée – Conakry, histoire de ne pas confondre avec soit la Guinée
– Bissau soit la Guinée Équatoriale). En 1969, à l´âge de
vingt-deux ans, ce fils de fonctionnaire a rejoint le Sénégal à
pied, fuyant un pays mis en coupe réglée par le régime dictatorial
d´ Ahmed Sekou Touré. Après son séjour au Sénégal, il est
parti en Côte d´Ivoire où il a poursuivi ses études avant de
rejoindre la France en 1973 où il a obtenu un doctorat en
biochimie. Il a enseigné au Maroc et en Algérie et depuis 2007, il
est visiting professor au Middlebury College dans le Vermont aux
États-Unis.
Son premier
roman, Les crapauds-brousse, est paru en 1979 et, au fil des années,
il s´est taillé une place de choix dans le cadre de la littérature
africaine d´expression française notamment avec des livres comme
Les écailles du ciel(1986), Pelourinho(1995), L´aîné des
orphelins (2000, Prix Tropiques), Peuls(2004) ou Le roi de
Kahel(2008, Prix Renaudot). Ses livres portent, entre autres sujets,
sur l´impuissance des intellectuels en Afrique, les difficultés des
Africains en exil en France, l´histoire coloniale et la geste des
Peuls, peuple de la région sahelo –saharienne minoritaire dans
pratiquement tous les pays où ils habitent (une quinzaine d´États,
surtout en Afrique de l´Ouest) mais constituant le principal groupe
ethnique en Guinée (environ quarante pour cent de la population).
Le
terroriste noir donc, le dernier roman de Tierno Monénembo, paru le
23 août, retrace le parcours singulier et véridique d´Addi Bâ, un
Guinéen élevé en France dès l´âge de 13 ans, qui, enrôlé
dans l´armée française lors de la seconde guerre mondiale, devient
ce qu´on appelait à l´époque un tirailleur sénégalais. Retrouvé
affalé dans un fourré d´alisiers dans un village des Vosges, en
Lorraine, par le petit Étienne et son père Hubert Valdenaire alors
qu´il venait de s´évader d´une garnison à Neufchâteau, Addi Bâ
est caché dans l´appartement de fonction de l´école primaire
grâce à Madame Yolande Valdenaire, la Directrice, justement la mère
d´Étienne et épouse d´Hubert.
Devant
pourtant s´enfuir une nouvelle fois en raison de la présence d´une
brigade allemande dans les alentours de l´école, il est repris,
mais parvient à s´évader derechef et s´installe dans le village
de Romaincourt(nom de fiction, en fait Tollaincourt), pas loin du
premier village des Vosges où il avait été retrouvé par les
Valdenaire qui renouent contact avec lui. Addi Bâ, aidé par des
villageois, commence alors à se promener en vélo (tout en prenant
certaines précautions à cause des Allemands) et à fréquenter
toute une foule de personnages hauts en couleur qui animent le
village et tissent la trame du roman : un colonel qui habite un
château et qui était à vrai dire le seul habitant de Romaincourt
qui avait vu un Nègre jusqu´alors, le maire, Huguette dont le mari
avait été arrêté par les Boches ou Germaine Tergoresse, la
narratrice de l´histoire qui la raconte- des décennies après les
faits- soit sous la forme d´un monologue intérieur, soit en
s´adressant à un neveu de notre héros.
Romaincourt
est un village typiquement français, mais qui parfois semble se
transmuer en village africain. Au fond c´est un village universel,
puisque tous les villages à vrai dire se ressemblent un peu avec
leurs radotages, leurs rivalités-comme l´inimitié ancestrale entre
les Rapanne et les Tergoresse-mais aussi leurs complicités, leur
tendre insouciance et les liens de camaraderie qui se nouent dans la
douleur. C´était de toute façon- et par-dessus le marché- un
village sous occupation, qui plus est situé dans les Vosges, en
Lorraine, dans une zone grise ou rouge, puisque ne faisant partie à
vrai dire ni de la zone soi-disant libre ni da la zone occupée
étant donné que les Allemands considéraient que La Lorraine et
l´Alsace qui leur avaient appartenu entre 1870 et 1918 faisaient
naturellement partie du territoire tudesque.
Addi Bâ
enchante les femmes et se lie d´amitié avec les gens du village
tant et si bien qu´il entre en contact avec la Résistance et crée
un des premiers maquis de la région, le maquis de la Délivrance. Ce
maquisard que les Allemands appellent « der schwarze Terrorist»(Le
terroriste noir) est enfin dénoncé et fusillé en 1943. Qui l´aura
mouchardé ? Nul ne l´a jamais su, mais l´on sait que quand
un pays est occupé tous les habitants ne sont pas forcément des
héros ou de braves résistants-ou, comme on nous le rappelle dans le
roman, des imans de mosquées qui ont aidé des Juifs à Paris- les
collabos sont toujours là et pas si minoritaires qu´on pourrait le
croire…
Si le roman
nous emballe par l´intrigue et le talent de conteur de Tierno
Monénembo, on se doit aussi de réserver un mot au travail de la
langue, l´intonation vosgienne, de l´aveu même de l´auteur (qui
s´est déplacé dans de petits villages de la région) dans une
interview accordée le 12 septembre à l´émission La danse des mots
sur Radio France Internationale. L´auteur, imprégné de ce parler
patoisant des Vosges, nous sert quelques pépites de cette délicieuse
langue régionale qu´on lit dans la bouche des personnages, comme le
«pâquis» (rue principale du village), «hachepailler» (le parler
ou le baragouin des Allemands), les «zézesses»(Les SS), la
«mâmiche» (grand-mère, vieille dame) ou «couarail» (veillée,
réunion campagnarde).
Si le roman
Le terroriste noir est une fiction, le héros et la plupart des
événements qui nous sont racontés sont bel et bien réels. Addi
Bâ Mamadou est arrêté le 15 juillet 1943 et conduit à la prison
de la Vierge, à Epinal, avec quelques autres maquisards raflés. Des
habitants de Tollainville suspectés d´avoir aidé les maquisards
sont eux aussi arrêtés quoique relâchés peu après, pour la
plupart. En vain des amis essayent- ils de lui rendre visite, les
Allemands étaient irréductibles. Addi Bâ Mamadou n´a rien lâché
malgré les tortures qui lui ont été infligées. Aujourd´hui à
Tollainville et dans d´autres villages des Vosges, des rues portent
à juste titre son nom. Un hommage tardif mais tout à fait mérité,
rendu à un homme qui fut un véritable héros.
On ne peut
que remercier Tierno Monénembo de nous l´ avoir fait connaître
grâce à son admirable roman.
Tierno
Monénembo, Le terroriste noir, éditions du Seuil, Paris, 2012.
P.S- Si vous
voulez vous renseigner davantage sur la figure d´Addi Bâ Mamadou,
vous pourrez consulter le site http://addiba.free.fr
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