Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Rwanda.
«Je ne suis pas une rescapée, je suis une survivante». Cette assertion,
Scholastique Mukasonga l´a proférée en 2008 dans une interview accordée à
France 24 et elle se référait aux traces que le génocide des Tutsi au Rwanda en
1994 a laissées dans sa vie : elle y a en effet perdu toute sa famille. Née
en 1956 et établie en France depuis 1992(donc, dès avant le génocide), elle
s´est affirmée ces dernières années comme une étoile montante da la littérature
africaine d´expression française. Depuis 2006, elle a publié en moyenne un
livre tous les deux ans, toujours chez Gallimard, dans la collection Continents
Noirs. Tout d´abord ce fut Inyenzi ou les Cafards, récit autobiographique, du
nom dépréciatif «inyenzi» (cafard en kinyarwanda, la langue majoritaire du
Rwanda) dont les Hutu affublent les Tutsi. Ensuite, ce fut le tour de La femme
aux pieds nus, un hommage rendu à sa mère (morte dans les massacres de 1994) et
à toutes les mères courageuses qui dans ce continent de la douleur qu´est
l´Afrique ont toujours mené leur vie la tête haute devant toutes les
adversités. Ce livre fut couronné du prix Seligmann contre le racisme et
l´intolérance. Puis, en 2010, est paru Pour l´iguifou, recueil de nouvelles sur
le quotidien, entre le malheur et l´espoir, des Tutsi, un livre qui s´est vu
attribuer le Prix Renaissance de la Nouvelle et le Prix de l´Académie des
Sciences d´Outre –Mer. Enfin, l´année dernière, Scholastique Mukasonga a publié
son premier roman Notre –Dame du Nil auquel les jurés du Renaudot ont décerné,
à la surprise générale, le grand prix du roman 2012, en novembre dernier.
Scholastique Mukasonga fut dès son enfance un témoin oculaire des
tiraillements entre les Hutu et les Tutsi, les deux principales ethnies du pays
(il y a aussi les Twa et d´autres groupes ethniques très minoritaires). Elle a
vécu l´humiliation à laquelle fut d´ordinaire vouée son ethnie, les Tutsi,
surnommés les cafards par les Hutu, comme on l´a vu plus haut. En 1960, sa
famille fut déplacée dans une région insalubre du pays, Nyamata, au Bugesera.
D´autres Tutsi ont dû souvent se réfugier au Burundi ou en Ouganda pour
échapper aux purges menées contre eux, assez courantes depuis que le pays s´est
émancipée de la tutelle belge en 1962(le territoire du Rwanda fut d´abord
colonisé par les Allemands qui, comme chacun le sait, ont perdu leurs colonies
africaines après leur défaite lors de la première guerre mondiale). Les Tutsi
ont acquis une certaine suprématie sur les Hutu dans les premières décennies de
la colonisation belge, mais les Hutu se sont rebiffés peu avant l´indépendance
et se sont emparés du pouvoir dès les premiers temps de la jeune république.
Certains historiens vont jusqu´à affirmer que cette distinction entre les Hutu
et les Tutsi était au départ plutôt socio -professionnelle qu´ethnique.
Toujours est-il que ces conflits ont fait du Rwanda une authentique poudrière et
cette guerre larvaire où des pogroms survenaient à la moindre étincelle a culminé dans le terrible génocide mené par
les Hutu contre les Tutsi en 1994.
Pour en revenir à Notre-Dame du Nil, Scholastique Mukasonga s´est servie de
sa plume trempée dans l´expérience de survie face au génocide -puisque résidant
en France- non pas pour faire un travail de deuil, mais pour- fouillant dans sa
mémoire et sa connaissance du pays- poindre une fiction tissée par l´ histoire
d´un lycée aux alentours des années 70 du vingtième siècle qui finit par
représenter un microcosme de la réalité rwandaise.
Ce lycée pour jeunes filles, situé sur la crête Congo-Nil, à 2500 mètres
d´altitude, et à qui échoit un jour
l´honneur de recevoir une visite éclair de sa majesté la reine Fabiola de
Belgique, est censé former la future élite féminine du pays, des filles
d´hommes politiques, diplomates ou riches commerçants, bref, le gratin de la
vie sociale et politique du Rwanda. Ce sont évidemment des élèves
majoritairement Hutu, les Tutsi ne pouvant dépasser le quota de dix pour cent.
Les familles espèrent ainsi- en confiant leurs enfants aux religieuses qui
tiennent le lycée dans un havre de paix baptisé Notre-Dame du Nil (dont la
statue est suivie en pèlerinage) que les futures dames de la société rwandaise
seront à l´abri des regards indiscrets et parviendront vierges au mariage,
négocié dans l´intérêt du lignage.
On côtoie des figures atypiques et parfois un brin excentriques. Si la mère
supérieure et la plupart des religieuses ne dérogent pas aux canons de la
décence et des bonnes mœurs, on ne pourrait pas en dire autant du père
Herménégilde dont on laisse deviner la lubricité quand il invite parfois des
jeunes filles, triées sur le volet, à monter dans sa chambre. Les professeurs
sont dans leur écrasante majorité Belges et parfois Français. On retrouve des
figures plutôt cocasses comme le professeur de mathématiques, M. Van der Putten,
un Flamand. En effet, ses élèves ne l´ont jamais entendu prononcer un mot de
français (à part le vocabulaire concernant les chiffres). Avec un des religieux, le père Auxile, il
communique en un dialecte qu´ils maitrisent tous les deux mais à la mère
supérieure, il s´adresse dans un autre dialecte. La religieuse, visiblement
importunée, lui répond toujours en français en détachant les syllabes,
déclenchant de la sorte l´ire du professeur qui s´éloigne en grommelant des
mots incompréhensibles. Une autre figure qui tient un peu du burlesque est
celle d´un des trois professeurs
coopérants français, des professeurs nécessaires, envoyés par le ministère mais
dont la mère supérieure craint le pire puisqu´ils arrivent au titre de
«volontaires du service national actif», donc, ce seraient peut-être des
objecteurs de conscience antimilitaires ou témoins de Jéhovah ou encore semeurs
de trouble, la mémoire de mai 68 étant encore trop présente dans les esprits.
Les craintes de la mère supérieure se révèlent infondées sauf pour le dernier
arrivant, un jeune chevelu qui, même sous la menace des représentants
diplomatiques français, refuse de se
faire couper ses longs cheveux.
Il est prêt à faire toutes les concessions que l´on veut y compris
porter chemise et cravate, mais «touche pas à ma chevelure», c´était sa fierté.
On finit par lui permettre de donner cours en conservant sa chevelure.
Néanmoins, un des personnages Blancs les plus intéressants, non pas
tellement pour son côté farfelu, mais pour son importance dans l´histoire est
un autre Français, M. de Fontenaille. Habitant une plantation à demi
abandonnée, peintre et anthropologue un peu loufoque, M. de Fontenaille assure
avec un enthousiasme débridé que les Tutsi sont les descendants des pharaons
noirs de Méroé. Il persuade Veronica, une des jeunes lycéennes, qu´elle
ressemble à la déesse Isis. Une autre lycéenne Tutsi, Virginia, chez qui il dit
reconnaître les traits de la reine Candace, est moins enthousiaste et rechigne
devant les avances de M. de Fontenaille.
Veronica et Virginia étant des Tutsi, elles font l´objet de la hargne des
élèves Hutu commandées par Gloriosa…
Enfin, toutes les péripéties se
déroulent sur fond d´insinuations, de complots ou d´attisements à la haine
raciale ou ethnique. Une poussée de violence avant la fin du roman vient nous
rappeler que le génocide rwandais a connu d´innombrables répétitions le long
des années et que les tristes, sombres et inhumains événements de 1994 ne sont
malheureusement que le corollaire de décennies d´incitations aux meurtres.
L´indifférence des responsables Belges, Français et autres de l´époque (aussi
bien que celle, à vrai dire, de toute la communauté internationale) devant les
signes avant-coureurs des massacres qui ont endeuillé le Rwanda aurait dû les
couvrir de honte. C´est que l´indifférence est elle aussi une certaine
forme-aussi raffinée soit-elle- de racisme…
Peut-être la littérature a-t-elle souvent un effet cathartique. Peut-être
peut-elle alléger la souffrance de ceux qui ont perdu leurs proches. Quoiqu´il
en soit, les livres nous sauvent de
l´oubli et quand un livre est bien écrit, dans un style direct, sobre et sans fioritures, comme le
roman Notre- Dame du Nil, on ne peut que s´en réjouir.
Je vous ai présenté aujourd´hui, chers lecteurs, le roman de Madame
Scholastique Mukasonga, un grand écrivain de langue française.
Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil,
collections Continents Noirs, éditions Gallimard, Paris, 2012.
1 commentaire:
fernando
merci et bravo pour ce bel article qui donne envie de lire;
mais oui la littérature peut sauver !
phil de space de lijboa
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