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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 11 septembre 2012

Un article de François Mottier






 


Aujourd´hui, j´accueille sur mon blog l´article d´un ami, l´écrivain François Mottier, auteur du Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés(voir Promenade d´été -juillet 2012). Il s´agit d´une étude intéressante sur les héros populaires que vous allez sûrement apprécier. Bonne lecture!


   L´EUROPE DES HEROS POPULAIRES:MIROIR,MIROIRS...

A l'heure où l'Europe, évidence pour les uns, singulière entité pour les autres, se bat dans l'affirmation d'une mission et d'un avenir communs, seuls dans les mousqueteries des avancées et des certitudes, vivent, survivent, et perdurent les héros populaires, images d'Epinal, bois gravés littéraires, poétiques ou oraux épiques, contrepoints d'une Europe dynamique dans ses blessures, fragile par ses onguents.
   Précisons que l'on traitera ici du héros populaire plébéien, et non du héros populaire politique et national, dans lequel le citoyen solo ne risque guère de reconnaître la fronde de l'esprit et la faconde de sa culture, mais ressent peu ou prou l'exploitation de sa " délivrance" historique au travers de la geste d'une figure patriotique haussée à grands frais, (Garibaldi en Italie, Jeanne d'Arc en France me viennent à l'esprit...)
  Nous sommes tous des héros. Il n'y tient qu'à nous. Ou, à tout le moins, élisons un hérault (sans jeu de mots), émissaire de nos larmes sincères et de nos justes allégresses, parfait Mobilis in Mobili - mobile dans l'élément mobile, (Nemo, impressionnant rebelle populaire planétaire, dixit.)
   Mais la chose n'est pas si simple. Notre " bon élève " européen doit répondre à certaines exigences précises qui feront ou non de lui un héros populaire. Et ce sera bien le seul citoyen qui bâtira ce scanner culturel, et non le pouvoir du moment en place.
   En premier lieu, les défauts et qualités de notre personnage seront sublimés, portés à l'incandescence au coeur de la pochade, et sujets à une représentation hypertrophiée, (souvent bouffonne et épique), de son " excellente santé " nationale.
   En second lieu, notre héros  "collera " à son époque, et montrera les sensibilités de son siècle et de sa classe sociale. Il serait inconcevable que Karagöz, en Turquie, errât, libre de brides, dans les salons istanbuliotes, ou gagnât les cours sultanes. Karagöz, homme du peuple roublard, illettré et obscène, demeurera toujours, et tour à tour la victime ou le tourmenteur du cossu Hacivat, et le  " pourfendeur " convaincu de la différence des autres, suspecte à ses yeux : Kanbur l'opiomane, Neti Karis le nain, Nigâr la belle cruelle, mais aussi de l'Arabe-Ignorant-la-Langue-Turque,  de la souillon circasienne, de l'Arménien, du Grec, du Perse, du Juif, de l'Albanais, etc...Tout comme en Allemagne le Baron de Münchhausen (Baron de Crac, en français), inspiré d'un personnage réel, officier allemand à la solde mercenaire de l'armée Russe, ne peut prétendre à quitter son univers de demi-soldes, d'écuries et de tavernes, de revues militaires et de mirifiques exploits en des périodes troublées, ( entre mille autres, un voyage réussi dans la Lune et retour, juché sur un boulet de canon).
   Le héros populaire doit également se faire devoir d'être un modèle ( ou un anti-modèle !) de vie, ses malheurs servant de morale au lecteur ou au public, et ses nobles oeuvres, d'édification. C'est le cas de nombre d'entre eux : Till l'Espiègle aux Pays-Bas, Peer Gynt en Norvège (créé par le grand dramaturge Henrik Johan Ibsen), Pinocchio en Italie, Pan Twardowski, avatar de Faust, en Pologne, Nils Hölgersson en Suède, Cesky Honza, (Jeannot ), en République Tchèque, Djean de Mady au Luxembourg, ( avec son violon, son gâteau et le loup), Juraj Jonosik, brigand d'honneur, en Slovaquie, Toomas Nipernaadi en Estonie, ou le Gahan de Malte ( le Simplet-à-Ses-Heures ).
   De même, ses exploits n'en seront que plus appréciés, si réalisés dans un clair esprit commun, communautaire et identitaire, toutes classes confondues. Ainsi en est-il de Wilhelm (Guillaume) Tell en Suisse, en lutte contre l'âpre bailli Gessler ( qu'il finira par tuer sans phrases d'un carreau d'arbalète, sur la Hohle Gasse, la sente forestière menant d' Immensee à Küssnacht), de Tirant le Blanc, valeureux et courtois chevalier, création du Catalan Joanot Martorell, lequel Tirant enthousiasma au-delà de toute description Cervantès lui-même,  de Robin Hood (Robin des Bois) et des gestes Arthuriennes avec ses Preux de la Table Ronde en terres anglaises (et bretonnes), ou des Sept Frères finlandais d'Aleksis Kivi, à l'entraide poignante. Cas unique et remarquable d'icône littéraire communautaire et populaire au Portugal, avec l'oeuvre de Luis de Camoes qui, par son chef d'oeuvre Os Lusiadas ( les Lusiades, 1572) dresse en héros national le peuple portugais dans son entier.
   La prouesse brutale ou guerrière, le combat contre la Nature et ses périls ou l'osmose avec celle-ci, le héros chamanique, feront grande figure dans l'accession au statut de héros populaire. On se référera au " cultissime " Ulysse d'Homère, au champion du  roi Louis Ier de Hongrie, Miklos Toldi,  au touchant héros Roumain Alimos Toma, dont je ne peux résister à conter l'ultime aventure : Alimos étant un pur enfant de la Nature, sa bonté et son plaisir à trinquer...avec les arbres les font s'incliner devant lui ! Mais le perfide et jaloux propriétaire terrien Manea tend un piège à Alimos et l'éventre de son sabre. Alimos, maintenant ses entrailles d'une main, décapite promptement Manea de l'autre ; puis, avant de mourir, il prie son cheval de l'enterrer au sein de la forêt profonde, parmi les arbres ses amis, et de préserver sa mémoire...Autres héros solaires, Lacplesis (Tueur d'Ours ), figure centrale de l'épopée nationale lettone, fêté par tout un peuple chaque 11 novembre, " Jour de Lacplesis ", jour de la victoire décisive de la Guerre d'Indépendance Lettone, en 1919 ;  Dhigenis l'Hercule Chypriote, Itar Petar, adulé des Macédoniens et des Bulgares, pauvre laboureur en guerre incessante contre la noblesse égoïste, les moines hypocrites et libertins, les négociants cupides, etc..., le courageux berger slovène Kekec ( invention de l'écrivain Josip Vandot), le bouillonnant guerrier Holger Danske (Ogier le danois), ou Fjaila Eyvindur (Eyvindur des Montagnes), à jamais devenu errant et traqué par les vastes solitudes islandaises pour avoir volé une motte de beurre...
   Demeurent deux " inclassables ", le Quichotte de Cervantès pour l'Espagne, et le jeune Gavroche pour la France. L'Ingénieux Hidalgo de la Manche, sous couvert, (selon les époques), de parodie analytique, d'épopée burlesque ou de critique sociale, se présente aujourd'hui comme un coaching décalé ( les conseils de Sancho). De plus, Don Quichotte, (Alonzo Quixano, dit le Bon, de son nom véritable), vit pour les autres, mais en leur imposant comme standard de vie les angoisses et les fantasmes de son Lui-Même. Selon les circonstances Sauveur (mode dominant) / Bourreau / Victime, (dans l'Analyse Transactionnelle). Le Quichotte : dureté d'une époque sans rêves où se meut un esprit hyper-foisonnant. Son éthique personnelle, éminemment dynamique et romanesque," seul contre tous " fait de lui ( avec Ulysse, déjà cité), l'un des plus grands héros populaires.
   Gavroche, une définition : gouailleur jusqu'à la mort, de peur que celle-ci ne se prenne au sérieux. Citons, à ce sujet, son père littéraire, Victor Hugo : " la gaminerie parisienne est presque une caste. On pourrait dire : n'en est pas qui veut. " Rappelons-nous, par ailleurs, la si troublante chanson de Gavroche : " Je suis tombé par terre / C'est la faute à Voltaire / Le nez dans le ruisseau / C'est la faute à Rousseau ". Gavroche, c'est, lieu commun, l'esprit parisien expédiant un solide " pied au cul " à la misère, et cet esprit a conquis un pays entier, faisant de Gavroche un martyr social, sous le rire, souvent grinçant, de l'innocence. Un authentique, et des plus purs, héros populaire. Depuis, Paris ne nous a pas habitués à d'aussi riches caractères. 
   Il sera dit, ainsi, que le héros d'un peuple vivra, perdra, se noiera en ses songes, conquerra, s'illusionnera, séduira, dérangera, selon ses jours Jean-Qui-Rit-et-Jean-Qui-Pleure sera, indisposera en Matamore, se sacrifiera et se fourvoiera, fuira (se tirera des flûtes !) pointera son époque du doigt et en soulignera ses tendresses, s'indignera et se résignera, aimera, haïra, se vengera, pardonnera, et laissera une mémoire, comme nous tous et chacun d'entre nous, portraits de nous-mêmes, citoyens européens par la géographie et le voeu de nos Princes, de la mer de Barents à Gibraltar.
  
 François Mottier
(Blog de François Mottier:goldyssey.blogspot.com)









 












4 commentaires:

Unknown a dit…

salut françois philippe de lisboa

Unknown a dit…

essai de philippe despeysses

Unknown a dit…

Cher Dom François du Mottier.
Bien lu, 3 fois, lentement, avec attention votre brillant et érudit article ( dans cette "merveilleuse" Plume Dissidente ) sur l'Europe et ses héros populaires - dictionnaire en soutien permanent- et pas tout bien compris à mon grand desespoir...Alors m'en suis allé acheter un journal de sport et de football(ligue des champions oblige!)et le lire dans le petit bar de mon coin plein de héros populaires portugais et néanmoins " europèens", histoire de me redonner...?
Phil de Speysses... qui vous salue de Lisboa

Unknown a dit…

fernando
attend avec impatience ton commentaire dans ton blog sur le livre de patrick deville " peste et choléra " qui a mon avis méritait le goncourt; dommage aussi pour les oublis de prix concernant lobo antunes et surtout gonçalvo tavares
philippe de lisboa