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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 3 juillet 2016

La mort d´Elie Wiesel.


Juif survivant des camps nazis, citoyen américain mais écrivain de langue française, prix Nobel de la Paix en 1986, Élie Wiesel est décédé hier près de New York. C´est d´Élie Wiesel, la phrase que vous trouvez en épigraphe de ce blog: «L´enfer, c´est un endroit sans livre».
Comme je l´ai fait il y a deux jours pour Yves Bonnefoy, je reproduis ici, en guise d´hommage, un article  que j´ai écrit naguère sur l´écrivain. C´était aussi pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne en avril 2007 à propos de son livre La Nuit:

Elie Wiesel et la nuit des camps nazis.



  L´une des épreuves les plus dures que les rescapés des camps de concentration ou d´extermination ont eu à affronter après la libération et la fin de la seconde guerre mondiale fut le mur de silence qui s´est dressé devant leur expérience concentrationnaire. Le monde ne voulait pas entendre parler de leur souffrance, c´était trop encombrant. On connaît d´ailleurs les difficultés- je les ai déjà évoquées ici dans une autre occasion- que Primo Levi a rencontrées pour pouvoir publier ses premiers récits en Italie. Les rescapés, il est vrai, n´ont pas trop voulu remuer le couteau dans la plaie. Les souvenirs de l´enfer hantaient leurs nuits et concernant les écrivains il fallait d´autre part un temps de maturation et un certain recul pour que l´écriture pût jaillir de façon épurée, fût-ce sous la forme d´un simple témoignage ou sous le tamis de la fiction.
  En 1958 les éditions de Minuit publiaient un ouvrage- intitulé La nuit- d´un jeune inconnu de trente ans, né en  1928 à Sighet en Transylvanie qui répondait au nom de Élie Wiesel. Depuis lors, l´auteur a écrit autour d´une quarantaine de livres, s´est vu décerner le prix Nobel de la paix en 1986, est devenu citoyen américain (tout en conservant le français comme langue littéraire) et il est titulaire d´une chaire à l´université de Boston. Quoique d´autres livres de Élie Wiesel aient acquis une notoriété internationale comme Le testament d´un poète juif assassiné ou Les oubliés, c´est peut-être toujours à La nuit que l´on pense tout d´abord quand on cite l´œuvre de Élie Wiesel. Les éditions de Minuit viennent de faire paraître dans la collection de poche Double une nouvelle  traduction de ce livre- écrit originalement en yiddish- qui connaît un énorme succès aux Etats-Unis depuis 2006. Cette édition a une préface de l´auteur lui-même et un avant-propos- repris de l´ancienne édition- de François Mauriac. Cette ancienne  édition de 1958- à laquelle j´ai fait référence plus haut- fut, cela va sans dire, refusée par nombre d´éditeurs français et américains. C´est finalement Jérôme Lindon qui a accepté de la publier en français, en version abrégée.
  La nuit est donc le récit de la déportation du jeune Élie en 1944-il n´avait que seize ans- à Auschwitz et à Birkenau avec sa famille : sa mère et sa sœur dont il fut séparé dès le début et qu´il ne reverrait plus et son père avec qui il partage la faim, le froid, les tortures et les humiliations.
  Le récit commence par le quotidien d´une ville- Sighet - où la communauté juive a assisté quasiment résignée à l´instauration de mesures discriminatoires à son égard adoptées de proche en proche, comme le décret intimant les juifs à porter l´étoile jaune :« L´étoile jaune ? Eh bien, quoi ? On n´en meurt pas…» Cette résignation avait quelque chose d´atavique et s´enracinait profondément dans l´imaginaire juif de souffrances et de persécutions. On ne croyait pourtant pas à la déportation même après qu´un ami de la famille de Wiesel, Berkovitz, eût ramené des nouvelles inquiétantes de la capitale hongroise : « Les Juifs de Budapest vivent dans une atmosphère de crainte et de terreur. Des incidents antisémites ont lieu tous les jours (…) Les fascistes s´attaquent aux boutiques des Juifs, aux synagogues…». Néanmoins on était persuadés, jusqu´au dernier moment, que le régime fasciste hongrois de Horthy et les nazis allaient épargner les Juifs habitant l´arrière-pays hongrois :« Les Allemands ne viendront pas jusqu´ici. Ils resteront à Budapest. Pour des raisons stratégiques, politiques…». Trois jours plus tard les Allemands parcouraient les rues de la ville. D´abord ce fut le ghetto et puis, inévitablement, le déportation. Le cortège d´infamies qui s´en est ensuivi est assez connu : les wagons à bestiaux sous une chaleur insupportable, les coups et les travaux forcés dans le camp, les combines et les affaires qui se nouent afin d´assurer la survie de tout un chacun, les luttes de pouvoir, un système ne visant qu´ à déshumaniser les gens, enfin, l´attente de la solution finale. On ne pourrait reproduire fidèlement ici toutes les abominations relatées dans le texte. Il n´y a que les mots de Élie Wiesel qui puissent éventuellement traduire le côté monstrueux de cette expérience qu´il a lui-même vécue. Elie Wiesel est sûrement avec un autre grand écrivain rescapé des camps, Jorge Semprún, un des derniers survivants de l´univers concentrationnaire nazi. En 1995, ils se sont retrouvés pour évoquer cette expérience commune*. Une des dernières questions qu´il se sont posées portait sur l´attitude future du dernier survivant de l´enfer des camps. Pour que la mémoire des camps d´extermination et l´évocation de l´Holocauste puissent survivre à ce dernier survivant, il faut lutter incessamment contre l´oubli. Dans cette société contemporaine de fureur consumériste et de l´ennui, où l´on oublie le jour même ce que l´on a fait la veille, cultiver le devoir de mémoire est un impératif civique.

*Se taire est impossible, éditions Mille et une nuits. (Jorge Semprún, on le sait, est décédé en juin 2011). 


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