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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 2 juillet 2016

La mort d´Yves Bonnefoy.



C´est avec une énorme trsitesse que je viens d´apprendre la nouvelle de la mort d´Yves Bonnefoy ce vendredi 1er Juillet. En guise d´hommage à cet immense poète, critique et traducteur, je reproduis ici un article que j´ai écrit il y a bientôt dix ans et publié à l´époque sur le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne.

Le pouvoir visuel d´Yves Bonnefoy.

«Je te voyais courir sur les terrasses / je te voyais lutter contre le vent / le froid saignait sur tes lèvres. / Et je t´ai vue te rompre et jouir d´être morte ô plus belle / Que la foudre, quand elle tache les vitres blanches de / ton sang».
Ces vers, vous les trouverez au début du livre Du mouvement et de l´immobilité de Douve , celui qui a fait connaître il y a plus de cinquante ans (en 1953) Yves Bonnefoy, qui est aujourd´hui, fort probablement, le plus grand poète français vivant.
Né à Tours en 1923, Yves Bonnefoy s´est intéressé à la littérature dès son enfance, mais le véritable déclic s´est produit lors de son baccalauréat de français en juillet 1940 grâce à la découverte du surréalisme: «Mon professeur de philosophie, un très jeune homme qui avait fréquenté à Paris quelques groupes de l´avant-garde, à la veille des dispersions de la guerre, me prêta un jour La Petite Anthologie du Surréalisme de Georges Hugnet, et je découvris là, d´un seul coup, les poèmes de Breton, de Péret, d´Éluard, les superbes masses verbales de Tzara aux temps dadaïstes, et Mystères de la mélancolie d´une rue de Chirico, un véritable coup de tonnerre et Boule suspendue de Giacometti, les collages de Max Ernst, Tanguy, les premiers Miró: tout un monde». * De ce temps date aussi une autre découverte, celle du Cimetière marin de Paul Valéry qui l´a également ébloui.
Sous le prétexte de préparer une licence de mathématiques à la Sorbonne , il part à Paris en 1943 et s´intègre, de proche en proche, dans le milieu littéraire parisien, fréquentant la librairie d´Adrienne Monnier, rencontrant le critique Maurice Saillet et Christian Dotremont, fondateur du groupe surréaliste Cobra dont faisait également partie André Breton. Cependant, la voie suivie, à un moment donné, par le surréalisme a fini par désenchanter Bonnefoy qui ne partageait guère l´intérêt de Breton, par exemple, pour la magie et l´occultisme. En 1948, il reprend les études universitaires et obtient une licence de philosophie agrémentée d´un diplôme d´études supérieures sur «Baudelaire et Kierkegaard». Enfin, en 1953, il fait son entrée en poésie par la grande porte (quoiqu´il y eût déjà eu un prélude en 1946 avec la publication d´une première version de l´Anti-Platon et le Traité du pianiste , poème en prose qui avait séduit Adrienne Monnier et Maurice Saillet) avec la parution de l´ouvrage cité plus haut: Du mouvement et de l´immobilité de Douve .
La poésie d´ Yves Bonnefoy est marquée par la quête d´un vrai lieu, de l´être humain engagé dans sa finitude. La poésie, de l´aveu même de l´auteur, n´est pas identifiable à une vérité formulable, elle change la vie autant qu´elle rénove les rapports sociaux. Peu d´écrivains français auront, au cours du vingtième siècle, autant que lui, poussé à un degré aussi élevé le culte des images. Sa poésie, consciente de la finitude des choses et des êtres, conduit à la recherche des manifestations simples de la vie: le feu, la lumière, la pierre, l´amour, le ciel, les oiseaux («Que l´oiseau se déchire en sables, disais-tu / Qu´il soit, haut dans son ciel de l´aube, notre rive. / Mais lui, le naufragé de la voûte chantante, / Pleurant déjà tombait dans l´argile des morts» in Hier régnant désert, 1958). Les figures familiales ne sont pas non plus absentes de sa poésie, surtout sa mère, puisque son père (mort quand le poète était encore adolescent) n´est évoqué que dans Planches courbes , livre publié en 2001. Mais on ne pouvait dissocier la poésie de Bonnefoy de sa passion pour le dessin et la peinture. Sa poésie a d´ailleurs un pouvoir visuel assez fort, une caractéristique qui se prolonge dans ses textes sur les couleurs et ses essais sur les oeuvres de grands peintres, surtout ceux de la Renaissance (bien qu´il ait aussi écrit sur des périodes précédentes et sur des artistes contemporains comme, entre autres, Giacometti). Un rêve fait à Mantoue (1967) , Rome 1630: l´horizon du premier baroque (1970) , L´arrière-pays (1972) , Le nuage rouge (1977) , La vérité de parole ( 1988) ou Dessin, couleur et lumière (1995) sont, là-dessus, quelques-unes de ses oeuvres fondamentales (publiées, pour la plupart, chez Gallimard et Le Mercure de France ).
Yves Bonnefoy, comme il arrive souvent chez les grands poètes, est aussi un remarquable traducteur et c´est à lui que l´on doit la plupart des traductions en français des oeuvres d´un des plus grands génies de la littérature universelle: William Shakespeare.
Si, en s´adressant, en 1994, aux étudiants de l´Institut Universitaire de la Formation des Maîtres à Lyon, Yves Bonnefoy faisait montre de pessimisme concernant l´avenir («Si l´humanité doit périr, ce sera peut-être plus tôt qu´on ne l´imaginait»), il n´en garde pas moins espoir dans le rôle positif que la poésie peut encore jouer pour renverser la vapeur, comme il l´a affirmé dans un entretien accordé en 2001 au Monde de l´éducation: « La poésie vécue comme poésie, c´est le désir et l´agent de l´instauration démocratique, qui peut seule sauver le monde»…
* Propos tenus par l´auteur, que nous avons trouvés dans le numéro de juin 2003 du Magazine littéraire , dont le dossier était consacré à Yves Bonnefoy.


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