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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 29 juin 2025

Centenaire de la naissance de Philippe Jaccottet.

 


Poète, critique et traducteur hors pair, le Suisse vaudois Philippe Jaccottet, décédé en 2021, aurait fêté demain son centième anniversaire. Je vous conseille de lire la chronique que je lui ai consacrée en février 2016 et que vous trouverez dans les archives de ce blog.

mercredi 4 juin 2025

La mort de Philippe Labro.

 


 Philippe Labro, né à Montauban le 27 août 1936, est mort à Paris ce mercredi 4 juin à l´âge de 88 ans, a annoncé son ancienne radio RTL. C'était une grande figure du journalisme et de la culture. Écrivain, homme de télévision et de radio, réalisateur.

Il avait refusé de choisir entre ses différentes passions. Curieux de tout, voulant tout essayer, la radio, la presse écrite, la télé, le cinéma, la littérature et même l'exercice du pouvoir, Philippe Labro a montré tout au long de sa vie une insatiable curiosité. "Éclectique", disait-il en décembre 2023 au micro de Léa Salamé sur France Inter. Il fut le parolier des chansons de Johnny Hallyday et son œuvre littéraire est composée d´une vingtaine de titres dont L´étudiant étranger (Prix Interallié) et Un été dans l´Ouest (Prix Gutenberg).

 

vendredi 30 mai 2025

Chronique de juin 2025.

 




Les Barbelés : entre la collaboration et la résistance.

 

La Grande Guerre –qui après l´entre-deux-guerres a plutôt pris le nom, tout naturellement,  de Première Guerre Mondiale – a laissé grandes ouvertes des plaies qui n´étaient pas près de se refermer. L ´utilisation d´armes chimiques et la vie dans les tranchées ont traumatisé ceux qui ont combattu. Si beaucoup de soldats ont survécu à la guerre– quoique le nombre de morts fût naturellement élevé (plus de dix millions outre les disparus) –ils y sont parvenus dans la douleur voire au prix d´une souffrance inouïe. Nombre d´entre eux en sont revenus estropiés et inaptes au travail.  Des empires se sont écroulés et de nouvelles nations ont vu le jour. Néanmoins, les traités de paix n´ont pu effacer des esprits la haine, le ressentiment, la colère entre les peuples.

Le fascisme, l´antisémitisme et le nationalisme outrancier –le nationalisme ou la haine des autres, contrairement au patriotisme qui serait l´amour des siens, selon la célèbre formule de notre cher Romain Gary –ont gangrené les esprits et ont fait monter l´acrimonie un peu partout.

Après les années vingt, surnommées souvent les années folles, marquées par une forte croissance économique -mais déjà aussi par la poussée des fascismes -, les années trente se sont singularisées par la dépression et une ambiance délétère qui préfigurait déjà l´éclosion d´un nouveau grand conflit mondial.

La France n´échappait nullement à la crise. La Troisième République avait du mal à renouveler un projet politique déjà ancien bien que la France fût un des rares pays démocratiques du continent européen. L´expérience du  Front Populaire entre juin 1936 et avril 1938 a instauré d´importantes réformes sociales – comme la réduction du temps du travail à 40 heures par semaine ou la création de deux semaines de congés payés -, mais a attisé la haine d´une certaine bourgeoisie.

C´est justement l´année où a débuté l´expérience du Front Populaire que s´amorce l´intrigue du roman Les Barbelés, assurément un des meilleurs romans français que l´on ait pu lire ces derniers temps. C´est néanmoins un premier roman. L´auteur, Antoine Flandrin, âgé de 42 ans, fut dix ans durant journaliste au quotidien Le Monde en charge des commémorations des deux guerres mondiales et des questions mémorielles. 

Le roman  -divisé en quatre parties selon les années : 1936, 1940, 1944, 1948 - s´inspire du passé collaborationniste du grand-oncle d´Antoine Flandrin décrit dans le prologue du roman. L´auteur nous fait ainsi revivre l´une des périodes les plus troubles de l´histoire de France. Une période, il faut bien le rappeler, où des amitiés se sont déchirées, ou nombre de gens –y compris des gens bien –ont sombré dans l´abjection en collaborant avec l´occupant nazi, soit en soutenant le régime de Vichy, soit en dénonçant des résistants ou des juifs, soit en intégrant des milices qui semaient la terreur.

Tout juste installée à Saturnac, un petit village de Dordogne, la famille Marsac, qui habitait à Bordeaux, espère mener une vie paisible et familière. La famille est composée par le père, Maurice, professeur de lycée, la mère, Ernestine, et les enfants Jules et Claire.  

En roulant vers Saturnac, Maurice et Jules Marsac sursautent après une forte détonation.  Un coup de fusil avait retenti : «Jules tourna l´épaule et aperçut un homme armé à l´autre bout du chemin. Il était prêt à prendre la poudre d´escampette mais le père ouvrit la portière avant qu´il ait pu tenter quoi que ce soit. Jules n´en revenait pas : le père allait d´un pas lent, mais sûr, à la rencontre de cet homme qui pointait un fusil dans sa direction. Son visage était effrayant ; la moitié de son crâne avait été trépanée. C´était une gueule cassée. Il y avait de quoi avoir les foies, mais le père aussi avait fait la guerre de 14. N´osant pas descendre de la voiture, le fils suivit fébrilement l´explication du texte de loin». 

L´homme au visage déformé répond au nom de Gaston Ravidol, un paysan qui avait été à Verdun pendant la Grande Guerre avec le maire Fortané, un socialiste, que Maurice Marsac venait de connaître. Il reproche à son nouveau voisin de rouler trop vite - ««on fonce pas comme ça dans un village !» - mais la conversation  détend l´ambiance et l´altercation s´estompe. Tout en conservant la distance imposée par les différences d´extraction sociale, on pourrait dire qu´une certaine cordialité se noue entre les deux familles. Cette cordialité évolue même dans le sens de l´amitié entre Jules et René - le fils de Gaston et de Paulette Ravidol - qui fait découvrir à son nouvel ami la campagne périgourdine.

Cependant, le temps, la politique, les rumeurs d´un nouveau conflit entre la France et l´Allemagne et puis la guerre finissent par éloigner petit à petit jusqu´à la fracture définitive les deux familles et surtout Jules et René.

Jules est sous l´emprise de son parrain, le franco –américain Roger Blancarède –dont il épousera plus tard la fille Luce –, un riche propriétaire habitant Paris, vieil ami de son père –ils s´étaient connus sur le front d´Orient en 1915 alors qu´ils étaient brancardiers -,toujours déchaîné contre les mous, abreuvant d´imprécations «le juif Blum», et enthousiaste de l´Action Française de Charles Maurras. Il a un projet  pour contrecarrer le «péril juif». Il compte investir dans un titre de presse pour en faire «un authentique journal nationaliste et anti- sémite».   Son ami Maurice, le père de Jules, lui emboîte le pas : «Maurras avait su le convaincre que seul le nationalisme intégral pourrait régénérer la France. Pour lui, notre pays façonné par l´absolutisme et le cléricalisme avait accouché d´une société fondamentalement hiérarchisée, incompatible avec tout projet égalitaire. Pour qu´il retrouve sa grandeur d´âme, il fallait restaurer la monarchie et se débarrasser des Juifs, des protestants, des francs-maçons et des étrangers».  

Jules, quant à lui, se sent, au fil de ses lectures, de plus en plus attiré par les idées professées par son père et par son parrain. Dans un voyage en métro à Paris, plongé dans ses pensées, loin des yeux inquisiteurs de Saturnac,  il cherche à comprendre ce qui lui tient vraiment à cœur : «Il replongea dans Céline, la mobilisation générale et l´excitation qu´avait dû connaître son père. Son désir de défendre la patrie lui semblait moins ardent maintenant qu´il était au pays de l´anonymat et de l´indifférence. Il avait beau chercher ce qui le rapprochait des gens présents dans cette voiture, il ne voyait pas. Devant lui, des ouvriers maghrébins étaient assis à côté d´une famille qui parlait le russe, le polonais et l´arménien, qu´en savait-il. Il regarda par la fenêtre et aperçut son reflet juvénile qui s´en était sorti sans bosse. Ce miroir avait cela d´étrange qu´il cachait derrière lui la nuit du tunnel. Il s´approcha un peu plus de la vitre et, les yeux plongés dans l´obscurité, se perdit dans des pensées morbides, à imaginer un monde souterrain où les soldats de 14-18 continuaient à s´entretuer au milieu des rats».  

La guerre éclate et la France tombe sous la coupe de l´Allemagne nazie. Les Français se divisent entre résistants, collabos et ceux qui à vrai dire ne prennent pas position, menant leur vie quotidienne sans trop s´inquiéter du lendemain.

Jules, on le devine,  sombre dans la collaboration, il s´y jette à corps perdu en signant des articles pour L´omniprésent, un journal pétainiste, antisémite qui soutient les collabos et les milices fascistes qui sévissent dans le pays. Il se salit ses mains en intégrant une milice à Saturnac. L´abjection est à son comble.

Si la collaboration est toujours un sujet qui interpelle et interroge les Français sur leur passé, ce roman, Les Barbelés, s´inspirant d´une histoire familiale de l´auteur, remet sur le tapis les raisons qui poussent des gens à collaborer avec l´occupant, notamment en dénonçant ceux qui, sans être criminels, sont néanmoins honteusement persécutés par le nouveau régime en place. Ces indics, ces mouchards, ces collabos n´étaient pas forcément des salauds, c´étaient souvent des gens plutôt bien qui menaient une vie familiale irréprochable, pépère, sans soucis. D´ordinaire, la nature humaine sombre, on le sait, dans l´ignominie…

La littérature sert  aussi à combler les trous que l´Histoire ne saurait expliquer et à poser des questions plutôt qu´à chercher des réponses. C´est ce qu´a fait Antoine Flandrin dans  ce premier roman, Les Barbelés. Une véritable réussite.

 

Antoine Flandrin, Les Barbelés, éditions Plon, Paris, mars 2025.

 

 

 


jeudi 22 mai 2025

Roger Chartier à Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition d´aujourd´hui du Petit Journal Lisbonne un portrait que j´ai brossé de l´historien Roger Chartier qui sera la semaine prochaine à Lisbonne :

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/roger-chartier-lisbonne-du-26-au-30-mai-pour-un-cycle-de-conferences-413477



mercredi 7 mai 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Dans le cadre de la venue à Lisbonne pour des rendez-vous littéraires de l´écrivaine Lola Lafon dont le roman  La Petite communiste qui ne souriait jamais vient d´être traduit en portugais,  Le Petit Journal Lisbonne a récupéré un article que j´ai écrit en 2014 lors de la parution du roman en France chez Actes Sud:

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/8-mai-lola-lafon-presente-lisbonne-la-petite-communiste-qui-ne-souriait-jamais-412083  




La mort d´Angelo Rinaldi.

 



L´écrivain et critique littéraire français Angelo Rinaldi nous a quittés aujourd´hui à l´âge de 84 ans. Né le 17 juin 1940 à Bastia, en Corse, il était un écrivain, un homme de presse et un critique redouté. Comme le Ministère de la Culture nous le rappelle dans son communiqué, «il incarnait une certaine idée de la littérature: exigeante, libre et sans complaisance. Avec lui, s´éteint un grand écrivain et un esprit farouchement indépendant». 

Il a collaboré à Nice-Matin, à Paris-Jour, à L´Express, au Point, au Nouvel Observateur et au Figaro Littéraire dont il fut le directeur. Il a publié près d´une vingtaine d´ouvrages dont La loge du gouverneur,(1969) prix Fénéon, La Maison des Atlantes(1971), prix Femina ou Les Roses du Pline(1987), prix Jean-Freustié. Il a reçu le Prix Prince Pierre de Monaco pour l´ensemble de son oeuvre et il siégeait à L´Académie Française depuis 2001. 

mardi 29 avril 2025

Chronique de mai 2025.

 


Flannery O´Connor: la foi catholique dans l´Amérique profonde.

 

«Aussi direct et brutal que l´ordre donné à un peloton d´exécution». C´est ainsi que l´écrivain américain William Goyen (1915-1983) a caractérisé un jour le style de sa consoeur Flannery O´Connor, un météore qui a traversé et bouleversé la littérature américaine et qui s´est éclipsé, à l´âge de 39 ans, le 3 août 1964. En dépit de la relative brièveté de son œuvre –deux romans, trente nouvelles (ce que les anglo-saxons dénomment «short stories») et de nombreux textes courts –son importance dans l´histoire de la littérature américaine est cruciale et indiscutable. Son style, qui a inspiré à William Goyen les commentaires que j´ai cités au tout début de cette chronique, est souvent défini comme le Southern Gothic, intimement lié à sa région, le sud des États-Unis, et à ses personnages grotesques. Dans les écrits de Flannery O´Connor perce sa foi catholique qui contraste avec le protestantisme évangélique qui prévaut dans le Sud profond américain. Elle ne concevait l´univers que selon la perspective unique et absolue de la Rédemption. Sa foi était d´une exigence rarement vue. Elle disait d´ailleurs qu´il était plus difficile de croire que de ne pas croire. En vain chercherait-on pourtant dans l´œuvre de cette croyante fervente – qui a lu les catholiques français comme Léon Bloy, Paul Claudel ou Georges Bernanos- les perplexités théologiques ou l´angoisse de l´au-delà, les semonces ou les moralités qui alourdissent d´ordinaire les livres de nombre d´écrivains d´inspiration chrétienne. Son but quand elle prenait la plume, dans la lignée de Joseph Conrad –une de ses références littéraires au même titre que Henry James et surtout William Faulkner -, était de rendre à l´univers visible la plus haute justice. Comme l´a écrit l´écrivain franco-argentin Hector Bianciotti (1930-2012) dans une chronique publiée au Monde en 1975 lors de la parution en français, chez Gallimard, de Le Mystère et les Mœurs, Pourquoi ces nations en tumulte : «Son devoir de catholique est d´être une bonne romancière, de se conformer aux règles de l´art. Quant à ces romans truffés de bons sentiments et de louables intentions, comme ceux commis par le cardinal Spellman, ils lui semblent tout juste bons à caler une chaise boiteuse. Et va jusqu´à s´insurger contre le prestige dont jouit la pitié en littérature, méfiante qu´elle est à l´égard des écrivains qui «travaillent dans la pitié comme d´autres dans l´adultère». Car la pitié et la compassion amènent trop souvent à tout excuser, «pour l´excellente raison que la faiblesse humaine est humaine»».

Cette année, on signale le centenaire de la naissance de cette écrivaine qui suscite encore aujourd´hui l´admiration d´un nombre croissant de lecteurs. En effet, Mary Flannery O´Connor est née le 25 mars 1925 à Savannah, en Géorgie. Enfant unique d´Edward F. O´Connor  et de Regina Cline, elle s´est souvent décrite comme une enfant aux pieds tournés en-dedans avec un menton fuyant et un complexe du type «fiche-moi la paix ou je te mords».

Enfant au talent précoce, ses proches ont flairé assez tôt la vocation de Flannery O´Connor soit pour les  arts soit pour  les lettres. Néanmoins, alors qu´elle n´avait que 15 ans, une triste nouvelle a bouleversé sa vie, la laissant complètement anéantie : la mort du père qui avait été diagnostiqué quatre ans plus tôt d´un lupus érythémateux disséminé, une maladie systémique auto-immune chronique, de la famille des connectives, touchant les organes du tissu conjonctif.  Malheureusement, en 1951, un médecin allait diagnostiquer chez Flannery O´Connor la même maladie qui avait emporté son père et qui devait l´emporter également en 1964.

Ses années de formation  -les années quarante -ont été particulièrement fécondes. Elle a décroché une licence en sciences sociales et a participé intensément à la création de planches de bande-dessinée pour le journal de l´université, dépeignant avec humour et d´un ton sarcastique la vie sur le campus. Elle était d´abord destinée à une carrière de caricaturiste. Elle a d´ailleurs essayé de publier ses dessins dans The New Yorker afin de financer l´écriture de ses premiers récits, mais le prestigieux magazine a refusé leur publication. D´après certains observateurs, cette première vocation a imprégné le ton satirique de son œuvre.

Son œuvre- composée essentiellement, comme je l´ai déjà mentionné plus haut, de deux romans et une trentaine de nouvelles- met l´accent sur le grotesque, la plus riche source que la nature puisse offrir à l´art, d´après Victor Hugo. Dans un article publié le 24 juillet 2018 dans le magazine En attendant Nadeau, Claude Grimal a écrit que chez Flannery O´Connor les créatures grotesques qui pullulent ses fictions sont laides, bêtes, méchantes et parfois hallucinées. Enrôlées au service d´une charge impitoyable contre le Sud arriéré et raciste des années cinquante et soixante dans laquelle l´écrivaine vivait, elles sont également actrices de la plus féroce des eschatologies chrétiennes. Cependant, ces personnages grotesques sont avant tout stupides parce que «pauvres ou riches, jeunes ou vieux, habitants de la campagne ou de la ville (cas plus rare dans ses textes), ils ne cessent de prétendre à une supériorité intellectuelle, morale, sociale ou raciale qu´ils tentent en permanence d´exercer. Chaque nouvelle, chaque épisode romanesque est l´histoire d´une volonté de pouvoir. Celles des Blancs sur les Noirs, des fermiers sur leurs journaliers, des enfants instruits sur leurs parents ignorants, des géniteurs sur leur progéniture rétive, des esprits éclairés sur les cerveaux enténébrés, des athées sur les croyants, des progressistes sur les réactionnaires…Une libido dominandi qui se révèle à double sens puisque, et c´est là qu´O´ Connor dérange, les «victimes» se rebiffent et font alors souvent preuve d´une volonté aussi stupide qui ceux qui cherchent à leur faire plier l´échine».

À propos de l´importance du grotesque dans son œuvre, Flannery O´Connor a déclaré un jour : «Tout ce qui vient du Sud sera affublé de l´étiquette «grotesque» par le lecteur du Nord. A moins que le sujet ne soit réellement grotesque, auquel cas, il recevra l´étiquette réaliste». Dans toutes ses œuvres, elle emploie la technique de la «préfiguration narrative» donnant au lecteur une idée de ce qui va arriver longtemps avant l´événement proprement dit. La plupart de ses œuvres présentent des caractéristiques dérangeantes quoiqu´elle n´aime pas être qualifié de cynique. Elle réfutait les critiques qu´on lui adressait là-dessus : «Je suis fatiguée de lire des critiques qui qualifient A Good Man de brutal et sarcastique. Les histoires sont dures, mais elles le sont parce qu´il n´y a rien de plus dur ni de moins sentimental que le réalisme chrétien (…) Quand je vois ces histoires décrites comme des histoires d´horreur, je suis toujours amusée parce que la critique a toujours la mainmise sur la bonne ou la mauvaise horreur».

Si l´œuvre de Flannery O´Connor force l´admiration et le respect, elle n´échappe pas pour autant à la culture de l´annulation ou de l´effacement, ce que les anglo-saxons appellent la cancel culture. En 2020, une polémique a éclaté après la parution dans l´hebdomadaire The New Yorker sous la plume de Paul Elie d´un article où l´auteur tirait à boulets rouges sur Flannery O´Connor, dénonçant des traces de racisme dans son œuvre et pointant du doigt des moments de sa vie où elle aurait fait montre de ses préjugés à l´égard des Afro- Américains. On l´accuse entre autres choses d´employer souvent le mot «nigger» terme dépréciatif pour citer les Afro-Américains, non seulement dans ses récits mais également dans ses lettres. On lui reproche aussi un incident survenu en 1959 lors de la visite en Géorgie de l´écrivain afro-américain James Baldwin. Une amie de New York avait suggéré un rendez-vous entre les deux écrivains mais Flannery O´Connor a refusé de rencontrer son confrère sous prétexte que ce ne serait pas prudent dans une ville du Sud : «À New York, ce serait bien de faire sa connaissance, mais pas ici. Cela aurait provoqué de la désunion et des échauffourées». William Sessions, un ami de toute la vie, a affirmé que Flannery O´Connor lui avait exprimé l´angoisse qu´elle avait éprouvée de ne pas être en mesure de recevoir James Baldwin chez elle.

Pour Lorraine Murray, chroniqueuse de The Atlanta-Journal Constitution, de The Georgia Bulletin et autrice d´une biographie sur Flannery O´Connor, ces critiques sont on ne peut plus injustes puisqu´on ignore la réalité de l´époque et le contexte dans lequel certaines attitudes et affirmations se sont produites. D´autre part, Lorraine Murray rappelle que Flannery O´Connor avait prouvé à maintes reprises sa sensibilité à l´égard du problème du racisme et elle cite deux exemples. Le premier, c´est l´intervention de Flannery O´Connor dans un voyage en autobus où elle a défendu des citoyens noirs après des propos racistes du chauffeur. Le deuxième, c´est la nouvelle Revelation (Révélation) où elle met en scène une pauvre dame blanche raciste, Madame Turpin, propriétaire foncière qui, assise dans la salle d´attente d´un hôpital, profère à haute voix des imprécations contre les noirs qui, selon elle, devraient être tous renvoyés en Afrique. Cependant, à un moment donné, une universitaire lui lance un livre au visage en lui murmurant : «Retourne à l´enfer d´où tu es sortie, ordure !». C´est le moment de grâce pour Madame Turpin qui, plus tard, a une vision de gens allant au ciel où les noirs y entrent d´abord et les propriétaires fonciers blancs sont les derniers à y entrer.

En français, les lecteurs qui veulent découvrir ou redécouvrir l´œuvre de Flannery O´Connor peuvent lire les deux romans La sagesse dans le sang (Wise Blood, 1952) et Ce sont les violents qui l´emportent (The Violent Bear it Away, 1960) chez Gallimard, dans la collection L´Imaginaire, mais la quasi-totalité de ses fictions, surtout les nouvelles qui ont été traduites et publiées, sont aujourd´hui épuisées. Espérons que le centenaire de la naissance de celle que l´on peut considérer comme un des noms les plus emblématiques de la littérature américaine du vingtième siècle soit le prétexte pour la republication de ses œuvres. 

  

 

 

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lundi 14 avril 2025

La mort de Mario Vargas Llosa.

 


Ce dimanche 13 avril nous avons appris la triste nouvelle de la mort d´un des plus grands écrivains contemporains: Mario Vargas Llosa. Né le 28 mars 1936, à Arequipa, au Pérou, il fut l´une des figures les plus emblématiques du boom latino-américain. Membre de l´Académie Française depuis peu, il était un des plus grands écrivains de langue espagnole et il nous a laissé des romans mémorables comme  La cuidad y los perros(La ville et les chiens); La guerra del fin del mundo(La guerre de la fin du monde); La casa verde(La maison verte); Conversación en la catedral(Conversation à la cathédrale), La fiesta del chivo(La fête du bouc) ou Tiempos recios(Temps sauvages) parmi beaucoup d´autres.   

Vous pouvez lire dans les archives de ce blog(2010) l´article que j´ai écrit il y a deux décennies pour le site de la Nouvelle Librairie Française, à propos de son essai sur Flaubert, et que j´ai reproduit ici quand Mario Vargas Llosa fut couronné du Prix Nobel de Littérature.      

jeudi 10 avril 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le livre Quand la terre était plate de Jean-Claude Grumberg, publié aux éditions du Seuil.

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/litterature-quand-la-terre-etait-plate-de-jean-claude-grumberg-410179





samedi 29 mars 2025

Chronique d´avril 2025.

 


Jacques Rivière et les domaines de la création

Elle est passée relativement inaperçue et néanmoins c´est une date qui aurait sans doute mérité que l´on s´y fût penché avec une autre attention. En effet, le 14 février, on a signalé le centième anniversaire de la mort de Jacques Rivière, un nom qui a marqué l´histoire littéraire du premier quart du vingtième siècle. Les lecteurs les plus jeunes- certains d´entre eux, du moins - n´auront peut-être jamais entendu parler de Jacques Rivière. Toujours est-il qu´il fut - d´abord comme secrétaire puis en tant que directeur- un des piliers de La Nouvelle Revue Française aux côtés d´André Gide, Paul Claudel, Jacques Copeau, Jean Schlumberger et, bien sûr, Gaston Gallimard. Il était un critique de génie dont les essais et la mort prématurée ont éclipsé le talent en tant que créateur. Critique de littérature, mais aussi d´art et de musique. On dit de lui que nul n´a plus intimement compris Marcel Proust ou Antonin Artaud, ou écouté d´une oreille plus fine Debussy et Stravinsky. Il aurait saisi parmi les tout premiers l´apport des avant-gardes du vingtième siècle (et deviné certaines de leurs apories), enfin quelqu´un qui, d´après André Gide, vivait à travers les autres.   

Fils d´un grand médecin, professeur d´obstétrique à la Faculté de Médecine, Jacques Rivière est né à Bordeaux le 15 juillet 1886. De son enfance bordelaise, il a écrit dans une lettre de 1906 à Alain Fournier (pseudonyme littéraire d´Henri- Alban Fournier), devenu plus tard son beau-frère : «La maison où je suis né et où j´ai habité jusqu´à 15 ans est dans le vieux quartier de Bordeaux, étroit, humide, avec la proximité qu´on sent, de la rivière et des quais. Cette maison était grande : elle datait du XVIIème siècle».  Jacques Rivière s´était lié d´amitié avec Alain Fournier- futur auteur du Grand Meaulnes, mort au combat en 1914, à l´âge de 27 ans. –sur les bancs du lycée Lakanal à Sceaux où ils préparaient le concours d´entrée à l´École Normale Supérieure, à Paris. Ils ont échoué au concours, mais leur amitié est restée à jamais et s´est même renforcée dès 1908 lorsque Jacques Rivière s´est officiellement fiancé à Isabelle Fournier la sœur d´Alain. 

Pendant ce temps, ils avaient poursuivi leurs études. Jacques Rivière a obtenu sa licence ès Lettres à Bordeaux où il était revenu, a fait son service militaire avant de regagner Paris pour préparer son agrégation de philosophie et une thèse à la Sorbonne sur La Théodicée de Fénelon. Pour vivre, il enseignait le latin et la philosophie à Saint-Joseph des Tuileries. Il a également commencé à publier ses premiers écrits. Après «La musique à Bordeaux» dans Le Mercure musical en 1906, il a vu paraître «Paul Claudel, poète chrétien» dans L´Occident.

Néanmoins, en 1909, sa vie a connu un tournant décisif. Il a certes échoué à l´agrégation de philosophie, mas par contre, il s´est marié et a rencontré André Gide qui lui a ouvert les portes de La Nouvelle Revue Française où il a publié son premier article –«Bouclier du zodiaque d´André Suarès» – le 1er avril.

Mobilisé pour la Grande Guerre en 1914(où il a été fait prisonnier par les Allemands), il est devenu à la fin du conflit une référence du Tout-Paris littéraire en dirigeant La Nouvelle Revue Française et en donnant son apport à la fondation en 1919 de la maison d´édition Gallimard.

Le 1er novembre 1922 est paru Aimée, son seul roman achevé, dédié à Marcel Proust qui finirait par mourir le 18 novembre.

1923 est également une année importante dans la vie de Jacques Rivière : il a débuté une liaison avec Antoinette Morin-Pons, surnommée «Belonne», qui lui a servi de modèle pour Florence, personnage principal du roman inachevé et éponyme de Jacques Rivière. Au même titre que par Antoinette, le personnage de Florence fut également inspirée par la figure de Maggie Horneffer, épouse du médecin qui l´avait examiné lors de son séjour en Suisse à la fin de la Grande Guerre et dont il était amoureux sans être payé de retour.

Enfin, au tout début de l´année 1925, il fut touché par la fièvre typhoïde. Le 12 février, Jacques Copeau lui a rendu visite et a témoigné : «Il n´a pas l´air d´un moribond, mais un air de souffrance et de terreur… Il paraît qu´on l´a soigné pour une grippe alors qu´il est atteint en réalité d´une fièvre typhoïde…Son rein ne fonctionne plus». Il est mort deux jours plus tard, le 14 février, à l´âge de 38 ans…

En janvier dernier, les éditions Bouquins et les éditions Mollat en partenariat ont fait paraître, à l´occasion du centenaire de la mort de Jacques Rivière, le volume Critique et Création, contenant ses écrits, une édition établie par Robert Kopp avec la collaboration d´Ariane Charton, une préface de Jean-Yves Tadié et une postface d´Agathe Rivière, petite-fille de l´auteur. Ce volume est divisé en cinq parties : littérature, peinture, musique, politique (où il évoque d´une façon visionnaire une possible communauté européenne dans un texte de 1924 pour le Luxemburger Zeitung) et œuvres d´imagination. 

Dans sa préface, Jean-Yves Tadié analyse les caractéristiques de Jacques Rivière en tant que critique tout en affirmant qu´il aurait souhaité être essentiellement romancier, son roman Aimée et ses autres tentatives fictionnelles le prouvant sans doute. Pourtant, on peut dire là-dessus sur Jacques Rivière, toujours d´après Jean-Yves Tadié, ce que l´on dirait d´autres critiques littéraires, à savoir qu´ils auraient d´abord voulu, pour la plupart devenir romanciers, mais qu´à force d´analyser ils auraient tué l´élan spontané de la création, la naïveté nécessaire et instinctive de l´invention. Comme écrit l´insigne préfacier : «On ne dissèque pas le vivant. Si Proust avait persisté dans la voie de Contre Sainte -Beuve, il se serait stérilisé lui-même». 

Proust est justement un des créateurs de prédilection de Jacques Rivière qui fut d´ailleurs un des tout premiers critiques à saisir l´originalité de l´auteur de À la recherche du temps perdu. Dans une conférence qu´il a donnée sur Marcel Proust prononcée le 1er mars 1924-donc, après la mort de l´auteur – à Monaco (1), Jacques Rivière ne s´est pas fait faute d´afficher son enthousiasme pour celui qui fut ultérieurement considéré comme le plus grand écrivain français du vingtième siècle et un des meilleurs(le meilleur pour nombre de critiques) toutes langues confondues, au même titre que, par exemple, James Joyce ou Franz Kafka. Néanmoins, cet enthousiasme ne l´a pas empêché de garder l´esprit critique et ses analyses n´ont jamais manqué de profondeur. Dans la troisième partie, il a dit : «De même que nous avons reconnu, à côté de sa passivité et de son impressionnabilité radicales, un trait positif dans le caractère de Proust, de même nous devons rechercher, ou nous devons nous attendre à voir apparaître un second aspect de son œuvre, une autre originalité de sa manière. Il y a la tache de peinture sur le gant ; mais il y a aussi l´entêtement de Proust, son art de demander et d´obtenir, cet appétit, cette exigence, cet effort «pour convertir en quelque chose d´actif le passif qui semblait son lot», et plus généralement encore, dans le plan intellectuel, sa défiance des apparences, son besoin de saisir quelque chose de plus solide que ce qui s´offre d´abord à ses sens, sa passion de la vérité».   

Outre Proust (ou encore André Suarès et Maurice Barrès), un des auteurs que Jacques Rivière  admire le plus  c´est Paul Claudel avec qui il est entré en correspondance et qui l´a en quelque sorte poussé  à se convertir au catholicisme. Dans une conférence qu´il a prononcée à Genève le 6 février 1918, Jacques Rivière n´a pas caché son admiration pour le grand poète et dramaturge d´inspiration catholique. À un moment donné, il a dit : «Je ne sais pas s´il ne faut pas voir la plus grande beauté du théâtre de Claudel dans cette espèce de continuité, de solidarité, d´abord entre les personnages du drame, entre ceux-là même qui s´opposent, se haïssent et se font la guerre, et ensuite entre le groupe des personnages pris en bloc et le décor où ils se meuvent. Tout est lié, au sens où on emploie ce mot en musique. Aucun effet n´est cherché dans le contraste, dans le blanc et le noir, dans l´opposition du clair et des ombres. Mais on passe, on suit, on retrouve, on est en face de la pièce «comme un peintre clignant des yeux devant l´œuvre d´un peintre, comme un ingénieur devant le travail d´un castor» (2). On constate une relation constante entre certains motifs, comme d´une fleur à sa tige, du bras avec la main».

Jacques Rivière, on l´a vu, n´a publié de son vivant qu´un seul roman, Aimée, mais il a fait d´autres tentatives romanesques qu´il a appelées Œuvres d´Imagination. Dans l´introduction à cette dernière partie, intitulée «Une autre part de lui-même», Jean-Marc Quaranta se penche sur les perspectives fictionnelles et le sens de l´imagination dans l´œuvre de Jacques Rivière : «L´écriture d´imagination est(…) pour Rivière à la fois un désir et une violence faite à ce qu´il perçoit comme sa nature ; violence que lui font les autres par leurs incitations répétées, violence qu´il se fait d´«orienter» son écriture dans des directions différentes pour se connaître. En cela, sa situation à l´égard de l´écriture n´est pas très éloignée de celle qu´il a vécue dans la passion platonique pour Yvonne Gallimard, l´épouse de Gaston, qu´il raconte dans Aimée et de celles, plus charnelles, qui sont la matière de Florence, avec à chaque fois Gide en «inquiéteur» (3) que celui-ci pousse à l´écriture d´imagination ou à consommer l´adultère».  Plus loin, il ajoute : «Il s´agit en effet dans ces textes de la fin du symbolisme et de l´élaboration d´une formule romanesque susceptible de sortir le roman français de sa «crise», qui remonte au naturalisme et dure jusqu´aux années 1920, pour reprendre le terme et la chronologie de Michel Raimond (4). On oublie facilement que Rivière a été un acteur de la résolution de cette crise : il a accompagné intimement l´écriture du Grand Meaulnes et a été le premier à prendre Proust au sérieux (5), or l´un et l´autre sont les romanciers dont Michel Raimond montre précisément qu´ils marquent la sortie de cette crise. Les efforts de Rivière pour écrire des œuvres d´imagination doivent être rapprochés de sa réflexion sur la littérature française de son époque. «La Poésie après le symbolisme» et les études sur Rimbaud et Claudel notamment sont comme la partie théorique d´une vaste démarche dont les textes de cette section donnent un aperçu de la partie pratique, du laboratoire. Ils ont un rapport étroit avec les échanges de Rivière avec Alain- Fournier autour de ce qui deviendra Le Grand Meaulnes et avec ses articles sur l´œuvre de Proust, tout ce qui fait de lui un acteur indirect mais majeur de l´avènement de nouvelles formes romanesques, celle qu´il appelle de ses vœux dans son article sur «Le Roman d´aventure»».

À travers ce volume Critique et Création où l´on peut découvrir l´avis de Jacques Rivière sur les sujets les plus divers –le nationalisme allemand, le catholicisme et le nationalisme, les grands musiciens et peintres de son temps, mais aussi des «dialogues» avec le passé(voir, par exemple Poussin et la peinture contemporaine) -, on saisit on ne peut mieux la modernité d´un critique total qui a su transmettre l´enthousiasme que les créateurs lui suscitaient sans perdre pour autant l´esprit critique. Malheureusement, sa mort prématurée a empêché la postérité de saisir à sa juste mesure son immense talent de romancier, entrevu dans les fictions qu´il nous a laissées.

 

(1)Cette conférence fut prononcée à la demande de la Société de conférences instituée sous le haut patronage de Son Altesse Sérénissime le prince Pierre de Monaco. L´idée de cette conférence venait de Proust lui-même en mars 1920 car l´écrivain était ami avec Pierre de Polignac qui avait épousé Charlotte de Grimaldi.

(2) Citations de Paul Claudel extraites de Connaissance du temps-I.

(3)Jean-Marc Quaranta a repris ici le titre de la biographie d´André Gide de Frank Lastringant, André Gide, l´inquiéteur, biographie publiée en 2011 et en 2012 (deux volumes) chez Flammarion.

(4) Jean-Marc Quaranta fait allusion ici à l´œuvre de Michel Raimond La crise du roman. Des lendemains du naturalisme aux années vingt, éditions José Corti, 1985.

(5)Thierry Laget, Introduction au texte «Quelques progrès dans l´étude du cœur humain par Jacques Rivière», Cahiers Marcel Proust, nº 13, éditions Gallimard, 1985.

 Jacques Rivière, Critique et Création, édition établie par Robert Kopp avec la collaboration d´Ariane Charton, préface de Jean-Yves Tadié et postface d´Agathe Rivière. Bouquins, Paris ; Mollat, Bordeaux, janvier 2025.

 

dimanche 16 mars 2025

Bicentenaire de la naissance de Camilo Castelo Branco.

 


Aujourd´hui on signale le bicentenaire de la naissance de l´écrivain portugais Camilo Castelo Branco, né le 16 mars 1825 à Lisbonne et mort le  à São Miguel de Seide. Il est considéré comme l’un des fondateurs du roman moderne portugais. Écrivain majeur, c’est l'un des plus prolifiques de la littérature portugaise, spécialement du XIXe siècle.

La vie de Camilo Castelo Branco a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages. Il a connu des passions tumultueuses, dont l'une l´a mené en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Devenue l’épouse d’un homme d’affaires brésilien, Camilo l’a séduite et enlevée.  Après avoir été acquitté du crime d’adultère, à l’âge de 38 ans, il a commencé à vivre avec Ana Plácido et les enfants. Cette charge l’a obligé à écrire à un rythme effréné. 

Ecrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, il est un maître de la langue portugaise. Amor de perdição(Amour de perdition), publié en 1862, est, d'après le grand écrivain espagnol Miguel de Unamuno(1864-1936) le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique. Écrit en 1840, il relate la passion clandestine de deux jeunes, Simão et Teresa, passion à laquelle s'ajoute l'amour de Mariana, une fille du peuple qui s'éprend de Simão, tout en continuant à lui servir de messagère auprès de Teresa.

Camilo Castelo Branco a quelques livres traduits en français - malheureusement, pas beaucoup, il est vrai –, surtout aux éditions Chandeigne et aux éditions Michel Lafon. Mystères de Lisbonne fut adapté au cinéma (coproduction franco-portugaise)en  2010 par le cinéaste franco-chilien Raúl Ruiz.

jeudi 27 février 2025

Chronique de mars 2025.

 


Hans Fallada ou l´honneur des petites gens.

Dans son essai tout récent Les Irresponsables –Qui a porté Hitler au pouvoir (éditions Gallimard), l´historien français Johann Chapoutot raconte comment un consortium libéral-autoritaire, tissé de solidarités d´affaires, de partis conservateurs, nationalistes et libéraux, de médias réactionnaires et d´élites traditionnelles, a ouvert la voie à la déferlante nazie qui a sévi sur l´Allemagne et l´Europe. L´étude de Johann Chapoutot repose sur la lecture minutieuse des archives politiques, des journaux intimes, correspondances, discours, articles de presse et Mémoires des acteurs et témoins majeurs. Néanmoins, si une clique infecte, bourgeoise et irresponsable a hypothéqué l´avenir immédiat de l´Allemagne et sacrifié la démocratie à l´autel de ses intérêts personnels, nombre de citoyens anonymes et de petites gens ont tenu tête à la bête immonde et résisté comme ils pouvaient, d´ordinaire au risque de leur vie, afin de sauver leur pays et chasser du pouvoir le clan hideux qui s´en était emparé.

Un des romans qui ont le mieux retracé la résistance du peuple allemand au Troisième Reich et les conditions de survie pendant la Seconde Guerre Mondiale  fut sans conteste Seul dans Berlin de Hans Fallada. En allemand, le livre s´intitule Jeder stirbt für sich allein, littéralement Chacun meurt pour lui seul. Il est fondé sur l´histoire réelle d´Otto et Elise Hampel, exécutés le 8 avril 1943 à la prison de Plötzensee pour des actes de résistance et dont le dossier à la Gestapo fut transmis à Hans Fallada après la guerre (j´y reviendrai). Ce roman dépeint avec un indéniable réalisme les bassesses de la nature humaine soumise à la peur et à la haine. Il met en valeur le courage de ceux qui honorent leurs principes et refusent de pactiser avec l´innommable.

L´intrigue de Seul dans Berlin débute en 1940. Berlin fête la campagne de France. La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Ce roman raconte le quotidien d´un immeuble modeste de la Rue Jablonski où cohabitent persécuteurs et persécutés. D´une part, il y a Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. D´autre part, il y a Frau Rosenthal, juive, dénoncée et pillée par ses voisins, ou les Quangel qui, désespérés d´avoir perdu leur fils au front, inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une effroyable descente aux enfers.  De ce roman, paru à titre posthume, en Allemagne, en 1947 –l´année de la mort de l´auteur -, ne fut traduit en France qu´en 1967 chez Plon. Sur Seul dans Berlin, l´écrivain juif italien Primo Levi, rescapé d´Auschwitz, a écrit qu´il s´agissait d´un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie.

L´histoire de ce roman mérite que l´on s´y attarde un petit peu. Le roman fut rédigé en deux mois seulement dans la zone sous contrôle soviétique (qui allait devenir la RDA). Le sujet avait été proposé par Johannes Robert Becher, écrivain réputé et responsable culturel du Parti Communiste Allemand qui sera nommé Ministre de la Culture de la RDA. Il avait remis à Hans Fallada le dossier de la Gestapo cité plus haut. Ce dossier portait sur la traque d´un couple d´ouvrier berlinois, Otto et Elisa Hampel, on l´a vu, qui pendant plus de deux ans avaient écrit des tracts et des cartes appelant la population à la résistance contre le régime hitlérien qu´ils déposaient un peu partout dans Berlin. Arrêtés en 1942, ils avaient été condamnés à mort et pendus. Le livre est paru peu après la mort de Hans Fallada chez Aufbau-Verlag, mais amputé de près d´un tiers. De nombreux passages et même un chapitre entier (le chapitre 17) ont disparu. Comme nous le rappelle Alain Pujat dans «Une lecture suivie de Seul dans Berlin de Hans Fallada», paru en 2021 sur le site Mémoires en jeu (memoires-en-jeu.com), «Les œuvres autorisées à paraître en zone soviétique doivent donner une représentation idéalisée de la lutte contre le nazisme et du peuple allemand qui a pu être abusé, écrasé par une dictature, mais qui, dans ses profondeurs, ne s´est pas donné au national-socialisme. Mais les dossiers de la Gestapo révélaient une réalité plus complexe. On y apprenait que la factice Eva Kluge ainsi que les Quangel (non de fiction des Hampel), avant de devenir des résistants, avaient appartenu au parti national-socialiste ou à des organisations satellites. Et le roman donnait sur la vie quotidienne des Berlinois et sur le fonctionnement de la police nombre de détails véridiques et gênants. De même que le régime stalinien retouchait les photos officielles en y faisant disparaître l´image des dirigeants tombés en disgrâce, les éditeurs de Fallada ont rectifié la représentation du peuple donnée dans le livre, en procédant à d´amples coupes». Il a fallu attendre 2011 pour qu´eût paru une nouvelle version, intégrale cette fois, toujours chez Aufbau. En France, une nouvelle traduction a vu le jour en 2014 chez Denoël.

Hans Fallada était le nom de plume de Rudolf Wilhelm Adolf Ditzen, né le 21 juillet 1893 à Greifswald (en Poméranie). Son pseudonyme Hans Fallada renvoie à deux personnages des contes des frères Grimm : le héros de Hans im Glück et le cheval nommé Falada de Die Gänsemagd. Il est de la même génération que Johannes Robert Becher, déjà cité, Bertold Brecht, Kurt Tucholsky, ou Walter Benjamin, des auteurs qui sont nés dans l´Empire Allemand sur son déclin, qui ont connu, au début de leur âge adulte, la chute de l´Empire avec la Première Guerre Mondiale, et qui vivront seulement quatorze années de démocratie parlementaire avant que le nazisme ne prenne le pouvoir et que n´éclate la Seconde Guerre Mondiale. 

Il est né au sein d´une famille aisée. Son père Wilhelm Ditzen, magistrat, voulait bien que son fils eût marché sur ses traces, mais le jeune Rudolf, qui entretenait une relation conflictuelle avec son géniteur ne s´intéressait nullement à une carrière de juriste. À la fin du dix-neuvième siècle, alors que Rudolf était encore un enfant, la famille avait déménagé d´abord à Berlin, puis vers 1909 à Leipzig.

En 1911, sa vie fut marquée par un drame. Élève au Fürstliches Gymnasium (Lycée princier) à Rudolstadt en Thuringe, il a fait un pacte suicidaire sous couvert d´un duel avec son ami Hans Dietrich von Necker qui a fini par mourir tandis que Rudolf a survécu à de graves blessures. Il fut dans un premier temps inculpé de meurtre avant d´être admis dans une clinique psychiatrique à Iéna pour une courte durée, puis à Tannenfeld en 1912.    

Hans Fallada a quitté les études secondaires sans diplôme et a décidé de faire un apprentissage agricole. Il a eu de divers emplois dans cette branche d´activité sans avoir jamais atteint une stabilité professionnelle et financière. Par ailleurs, il a connu d´autres ennuis découlant de la vie déréglée et sans but qu´il menait : de 1917 à 1919, il a suivi plusieurs cures de désintoxication (alcool et morphine) et a séjourné en prison à au moins deux reprises, trois mois en 1924 et deux ans et demi à partir de 1926.

Après son mariage en 1919 avec Anna Margarete Issel –dont il aura trois enfants – sa vie a pris finalement un tournant décisif et il a pu travailler dans le secteur de l´édition –notamment chez Ernst Rowohlt à Berlin –et faire du journalisme jusqu´à ce qu´il ait pu enfin vivre de ses droits d´auteur.

Entre-temps, il avait déjà commencé à écrire et publier des romans. Son premier roman Der junge Godeschal -inédit en français tout comme le deuxième Anton und Gerda -   fut écrit en 1920, mais n´est paru qu´en 1923. C´étaient les turbulentes années vingt en Allemagne où l´instabilité politique de la jeune et fragile République de Weimar côtoyait l´effervescence artistique et littéraire qui a fait de Berlin en quelque sorte la capitale culturelle de l´Europe dans cette décennie-là.  Néanmoins, Hans Fallada n´a jamais vraiment fait partie de ce bouillonnement culturel, lui, qui ne s´identifiait à aucun courant littéraire spécifique et qui dans ses romans décrivait plutôt la vie de petites gens. Il était un écrivain populaire, loin des inquiétudes de l´élite littéraire allemande, mais son premier succès, il ne l´a connu qu´en 1931 avec Bauem, Bonzen und Bomben que l´on peut traduire littéralement par Paysans, Gros Bonnets et Bombes, mais qui a paru en français en 1942, chez Sorlot (1) sous le titre  Levée de Fourches. Le roman évoque les révoltes paysannes de Neumünster lors de la crise de 1928-29.

C´était le début d´une véritable carrière littéraire qui ne fut pas pour autant exempte de soucis. Avec l´ascension du pouvoir nazi, Hans Fallada, plutôt qu´apprécié, fut  surtout toléré. En 1933, il a même subi une arrestation de courte durée (onze jours) par la S.A- organisation paramilitaire dont est ensuite issue la SS- après avoir été dénoncé pour des propos tenus à l´écrivain Ernst von Solomon, figure majeure de la Révolution Conservatrice (2).  À la suite de cette arrestation et de la consolidation du nazisme en Allemagne, il s´est retiré dans une ferme qu´il avait acquise à Carwitz (un hameau de pêcheurs de la commune de Feldberg) et dans le Mecklemburg où il s´est entièrement consacré à l´écriture. Il est devenu un écrivain prolifique, publiant à un rythme d´au moins un livre par an, mais ses conditions matérielles demeuraient tout autant précaires.

En juillet 1944, il a divorcé d´avec Anna Margarete Issel, mais un nouvel épisode violent contre son ex-épouse peu après a entrainé son incarcération. Il a fait ensuite la connaissance d´Ursula Losch qu´il  a épousée en 1945.

Hospitalisé en raison de ses problèmes d´addiction, Hans Fallada est mort d´un arrêt cardiaque le 5 février 1947, à Berlin, à l´âge de 53 ans.   

Son œuvre est composée d´une trentaine de titres dont quasiment une dizaine ont paru à titre posthume. Il manque encore une immense correspondance inédite découverte en Israël en 2011. En français, moins d´une dizaine de ses titres ont été traduits dont à peine cinq sont en ce moment disponibles, les autres étant hors commerce depuis quelque temps.

Outre Seul dans Berlin, sans doute son roman le plus emblématique,  les autres romans que le lecteur français peut trouver s´il veut découvrir l´œuvre de Hans Fallada sont –tout comme Seul dans Berlin, d´ailleurs –disponibles dans la collection de poche Folio chez Gallimard, tous traduits de l´allemand par Laurence Courtois.

 Dans Le buveur (Der Trinker), on a affaire à l´histoire d´Erwin Sommer, citoyen estimé de sa ville qui mène une vie paisible. Heureux propriétaire d´un magasin florissant de produits agricoles, il est marié à Magda depuis une quinzaine d´années. Néanmoins, une foule d´échecs professionnels et de tensions avec sa femme le fait sombrer dans l´alcoolisme. Il découvre alors la plénitude de l´ivresse, les joies de la débauche et de l´oubli. Lucide sur sa dépendance et sa lâcheté, Erwin Sommer ne quitte pas pour autant la boisson, précipitant sa déchéance. Ce roman, rédigé en 1944, est à la fois un témoignage brûlant d´une dépendance dont l´auteur lui-même n´est jamais parvenu à se départir et une peinture réaliste et amère des bas-fonds de la société allemande.  

Du bonheur d´être morphinomane (Gute Krüsliner Wiese rechts) est un recueil de nouvelles où l´écrivain met en scène le quotidien d´un morphinomane : un alcoolique cherche à se faire emprisonner pour arriver enfin à se désintoxiquer ; une paysanne au mari jaloux perd son alliance pendant la récolte de pommes de terre ; un cambrioleur rêve de retourner en prison où la vie est, au bout du compte, si tranquille ; enfin, un mendiant vend sa salive porte-bonheur. Hans Fallada nous brosse un portrait passionnant de son époque, une époque qui tend peut-être un miroir singulier à la nôtre.

Quoi de neuf, petit homme ? (Kleiner Mann-Was nun ?) – qui dans la première traduction française (de Philippe Boegner, en 1933) s´intitulait Et puis après ?- nous plonge dans l´Allemagne des années trente. Johannes Pinneberg, petit comptable de province, et Emma Mörschel, fille d´ouvriers, s´aiment d´un amour sans nuage. Ils décident de se marier lorsqu´ils découvrent la grossesse d´Emma. Cependant, en ces années noires, construire une vie en famille n´est aucunement une partie de plaisir. La société allemande est rongée par la crise économique et les conflits sociaux et idéologiques. Ils ont beau lutter, tout semble les pousser vers le fond. Dans ce roman, l´auteur dépeint avec brio la vie des petites gens et les affres de la République de Weimar. Quoi de neuf, petit homme ? tient de la satire sociale et du roman d´amour. D´aucuns considèrent ce titre comme l´un des chefs d´œuvre de la littérature allemande d´avant-guerre.

Enfin, Le Cauchemar (Der Alpdruck) est le dernier roman en date de l´auteur traduit en France. L´intrigue se déroule en 1945, toujours en Allemagne. Le couple Doll, contrairement au reste du village, accueille avec espoir l´arrivée des troupes russes. Étant donné qu´il ne s´est pas compromis pendant la guerre, Herr Doll est désigné maire par intérim. Toutefois, les villageois renâclent devant cette perspective. Confronté à leur bassesse et leur jalousie, le couple décide de fuir pour Berlin. Au cœur de leur périple à travers les ruines et la désolation, les Doll devront s´accrocher à chaque étincelle d´humanité… 

S´il n´a pas la réputation et l´audience à l´étranger d´autres écrivains de sa génération, Hans Fallada est néanmoins, sans l´ombre d´un doute, un nom indiscutablement original,  populaire  et incontournable de la littérature allemande du vingtième siècle.

 

(1)Fernand Sorlot (1904-1981) fut un éditeur français connu pour avoir publié la première édition française de Mein Kampf (Mon combat) d´Adolf Hitler en 1934. Proche de Charles Maurras, il fut condamné en 1948 à vingt ans d´indignité nationale et à la confiscation de ses biens pour ses activités d´éditeur pendant l´occupation allemande de la France.

  (2) La Révolution Conservatrice, surnommée souvent comme un «pré-fascisme allemand», fut une mouvance théorique qui, en Allemagne entre les deux guerres, a précédé le nazisme, même si elle n´y est aucunement assimilable.

 

dimanche 23 février 2025

La mort d´Antonine Maillet.

 


La romancière et dramaturge canadienne Antonine Maillet, grande voix de l'Acadie et première non-Européenne à recevoir le prix Goncourt, est décédée le 17 février à Montréal,  à l'âge de 95 ans.

Autrice d'une quarantaine d'œuvres –dont la pièce La Sagouine-, elle a été la première francophone hors d'Europe à être lauréate en 1979 du Goncourt pour son roman Pélagie-la-Charrette.

Elle reste, à ce jour, la seule Canadienne à avoir obtenu ce prestigieux prix littéraire français.

Née le 10 mai 1929, dans la province du Nouveau-Brunswick, Antonine Maillet a popularisé à l'extérieur du Canada l'histoire et la culture des Acadiens, ces francophones qui habitent la côte Atlantique.

Pélagie-la-Charrette raconte justement l'histoire d'une femme lors du Grand dérangement, la déportation par les troupes britanniques de milliers d'Acadiens vers le sud des Etats-Unis, il y a 270 ans.

 

lundi 3 février 2025

La mort de Pierre Mertens.

 


Ce n´est qu´aujourd´hui que j´ai appris la mort le 19 janvier du grand écrivain belge Pierre Mertens. Il est décédé dans une résidence de Watermael-Boitsfort. Né le 9 octobre 1939, il avait 85 ans. Il avait été sans aucun doute la figure centrale des lettres belges pendant un quart de siècle. En tant qu’écrivain d’abord : L’Inde ou l’Amérique, prix Rossel 1969 ; Les Eblouissements, Prix Médicis 1987 ; Une paix royaleLes chutes centrales, etc. En tant qu’observateur et critique de la littérature ensuite, où il a œuvré comme membre du jury du Prix Victor Rossel puis comme son président depuis plusieurs années. Il était aussi juriste et très actif dans la défense des droits humains partout dans le monde.  

Vous pouvez lire dans les archives de ce blog la chronique que je lui ai consacrée en janvier 2010.