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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 29 août 2025

Chronique de septembre 2025.

 


Andrea Camilleri : portrait d´un  maître du polar à la sauce sicilienne.

 

«Cette lettre vous servira de compte-rendu de tout ce que j´ai fait depuis ma venue à Rome jusqu´à aujourd´hui. À peine arrivé, après un voyage discret, je suis allé chez oncle Carmelo et j´ai déjeuné. L´après-midi, après avoir été à l´Académie pour remettre les thèmes, je me suis rendu chez Léo et avec lui j´ai cherché un endroit où dormir étant donné que chez l´oncle Carmelo on ne pouvait pas m´héberger. J´ai décroché une chambre d´hôtel à 700 lires la nuit et je m´y suis installé. Le lendemain matin, je me suis rendu chez Vincenzo qui m´a accueilli avec une courtoisie et une gentillesse qui m´ont vraiment ému».

Ces lignes, que j´ai directement traduites de l´italien, on les trouve au début de la première lettre –datée du 3 novembre 1949- qu´un jeune étudiant sicilien, né le 6 septembre 1925 à Porto Empedocle, près d´Agrigente, en Sicile, a adressée à sa famille à peine arrivé à Rome pour étudier à l´Académie nationale d´art dramatique. On peut lire toutes les lettres de ce jeune étudiant dans son livre, publié à titre posthume en 2024, Vi scriverò ancora (Je vous écrirai encore, inédit en français) (1). Les lignes que j´ai reproduites traduisent combien ce jeune était proche de sa famille à telle enseigne qu´il racontait tout par les menus détails, comme il était de mise chez toute bonne famille sicilienne. Ce jeune n´était autre que celui qui deviendrait un jour le célèbre metteur –en-scène et surtout écrivain Andrea Camilleri, décédé à l´âge de 93 ans à Rome le 17 juillet 2019 et dont on signale ce mois-ci, on l´a vu, le centenaire de la naissance.

Né donc le 6 septembre 1925 à Porto Empedocle, en Sicile, Andrea Camilleri était le fils unique d´une famille de la haute bourgeoisie, mais désargentée. Son père, inspecteur des ports, avait participé en 1922 à la Marche sur Rome qui allait finir par porter Mussolini au pouvoir, et sa grand-mère paternelle était cousine germaine du grand écrivain italien –Sicilien lui aussi – Luigi Pirandello, futur Prix Nobel de Littérature (1934). À l´âge de dix ans, à la période où l´Italie menait la guerre en Éthiopie, encore immature et endoctriné par la propagande que le régime exerçait sur les enfants, il a écrit en cachette une lettre au Duce où, baignant dans l´atmosphère de l´époque, il exprimait son désir de partir au front et de combattre pour la patrie italienne. Or, il se fait que Benito Mussolini a bel et bien répondu à la lettre en déclarant qu´il était encore trop petit pour aller à la guerre, mais qu´un jour on aurait sûrement besoin de lui. Plus tard, Andrea Camilleri écrirait une fiction La presa di Macallè (La prise de Makalé, Fayard 2006), inspirée par cet épisode de son enfance. Politiquement, aucune trace n´est restée de cet enfantillage dans l´esprit du futur écrivain qui dans les années quarante s´est inscrit au Parti Communiste. 

Andrea Camilleri a fait d´abord des études à Palerme où il a fréquenté la bohème locale. L´écriture était déjà une passion et il a tôt commencé à écrire des nouvelles, de la poésie, des articles et des chroniques pour des journaux et des revues.

En 1947, habitant encore sa Sicile natale, il a remporté le prix de poésie Libera Stampa (Presse Libre) devant Pier Paolo Pasolini, et l´année suivante, à Florence, il s´est vu couronner d´un prix de la Commune pour sa pièce de théâtre Giudizio a mezzanotte (Jugement à minuit). Un jour, alors qu´il était déjà étudiant à Rome, de retour en Sicile pour un bref séjour, il a relu la pièce et s´en est trouvé si peu satisfait qu´il l´a jetée par la fenêtre du train. C´était le seul exemplaire. Enfin, pendant ces années que l´on peut qualifier d´apprentissage, il s´est vu décerner le prestigieux prix Saint-Vincent et a connu aussi le bonheur de voir ses poésies figurer sur une anthologie organisée par le grand poète Giuseppe Ungaretti. Avant de devenir vraiment écrivain, il fut metteur en scène et a travaillé pour la Rai, la télévision publique italienne.  

Auteur prolifique de plus d´une centaine d´ouvrages, traduit en plus d´une trentaine de langues, Andrea Camilleri est entré dans la prestigieuse collection «I Meridiani» que l´on pourrait comparer en quelque sorte à La Pléiade française. Son œuvre est composée de nouvelles, d´écrits autobiographiques, mais surtout de romans policiers. Dans ce cadre, on se doit de mettre en exergue la saga du commissaire Montalbano qui, à elle seule, regroupe autour d´une trentaine de titres dont le premier, La forma dell´acqua (La forme de l´eau, en français) n´est pourtant paru qu´en 1994 chez Sellerio, insigne maison d´édition sicilienne (2). Il faut dire que, si aujourd´hui les histoires du commissaire Montalbano et les autres titres de l´auteur sont fort connus et constituent un motif de réjouissance pour des milliers de lecteurs de par le monde, Andrea Camilleri n´a pu assoir sa réputation d´écrivain que vers 1978, la date où il a finalement publié, sous les encouragements de son ami Leonardo Sciascia, Sicilien comme lui, le premier roman Il corso delle cose, chez Lalli,(en français Le cours des choses, paru chez Fayard en 2005), un roman d´abord refusé par les grands éditeurs italiens.

Salvo Montalbano, flic débonnaire et amateur de bonne chère, est donc le personnage de fiction qui a rendu célèbre Andrea Camilleri. C´est un commissaire de police de Vigàta, bourgade fictive ressemblant pourtant énormément à sa ville natale, Porto Empedocle, en Sicile. Le héros aurait tiré son nom de celui de l´auteur espagnol Manuel Vásquez Montalbán dont Camilleri appréciait le personnage de Pepe Carvalho quoiqu´il n´eût jamais non plus caché une dette immense vis-à-vis de Georges Simenon et son héros, le commissaire Maigret.

Une première série télévisée (Il Commissario Montalbano), mettant principalement en scène les romans de Camilleri a été diffusée sur la Rai et a été suivie d´une seconde (Il giovane Montalbano), au scénario de laquelle Camilleri a collaboré et dont l´action se situe environ vingt ans plus tôt.

La technique d´Andrea Camilleri était très particulière. Il se plaisait à jouer sur la langue, mêlant parfois l´italien et le sicilien, à la fois par le vocabulaire et la syntaxe, n´hésitant pas à utiliser des termes inconnus de tous ceux qui ne sont pas des Siciliens de la région d´Agrigente, mais dont le sens peut être aisément compris grâce au contexte. Cela donne une langue truffée de particularismes qui ajoutent au charme de l´intrigue. Souvent, il n´hésitait pas non plus à faire découvrir au lecteur les spécialités savoureuses de la cuisine sicilienne, au hasard des repas du commissaire Montalbano. Enfin, il évoquait également tout l´attachement qu´éprouvent les Siciliens pour la terre et la famille. Sur son héros. Andrea Camilleri a affirmé un jour : «Je l´aime et je le hais à la fois. Je lui dois presque tout. Il m´a ouvert la voie pour les autres romans. Mais, il est envahissant, prétentieux, antipathique et quand je tombe sur un os, je le vois arriver qui me dit : «Moi, je ferais comme ça»».

Andrea Camilleri ne gardait jamais les brouillons de ses œuvres, comme il a déclaré dans une interview, la dernière de sa vie, accordée au grand quotidien Corriere della Sera : «Une fois le roman terminé, je jette tout. Brouillons, projets, corrections, notes d´inspiration. Je veux qu´il ne reste rien de l´effort, rien qui puisse me renvoyer à une erreur, à un oubli. Savez-vous quelle est l´une des tortures de ma vie ? Quand un traducteur –le grec, supposons –me demande de lui expliquer un passage. Or, c´est fort compréhensible et tous ceux qui connaissent mes livres le savent. Mais cela implique que j´aille relire l´une de mes pages. Mon Dieu, quel dommage !»       

En fait, qu´un traducteur pût avoir plein de doutes c´était la moindre des choses quand il s´agissait des romans d´Andrea Camilleri. La traduction de ses œuvres était par ailleurs un défi monstrueux pour ses traducteurs. En français, Serge Quadruppani, responsable de la traduction des aventures de Montalbano, a essayé de rendre sa langue en mêlant tournures siciliennes et emprunts au parles marseillais, ce qu´il a pu faire avec, il faut le dire, un énorme doigté.

Andrea Camilleri n´avait aucun mal à parler de lui et à confier ses impressions à la presse. Il restituait habilement les couleurs et les sons de sa Sicile natale. Aussi se définissait-il comme un artisan : «En toute sincérité, je pense que je suis un bon artisan de l´écriture, un bon employé. Quand j´ouvre un livre de Dostoïevski –ou plutôt quand j´ouvrais un livre, maintenant je ne vois plus rien –je mesure la distance stellaire entre un génie et une personne comme moi». Ces assertions, il les a prononcées après 2016, l´année où il a perdu la vue. Dès cette année jusqu´à sa mort en 2019, il a appris à mettre en valeur d´autres sens comme l´ouïe, l´odorat ou le toucher. Dans une interview accordée en 2018 à fanpage.it que l´on peut trouver sur YouTube, il parle de ce qu´il appelle la mélancolie de l´aveuglement. Ce qu´il regrettait le plus, entre autres choses, c´était, par exemple, de ne plus pouvoir regarder la beauté des femmes, cela le rendait vraiment mélancolique. Il déplorait aussi ne pouvoir plus apprécier les toiles, les tableaux, les peintures qui l´ont émerveillé pendant sa vie : « Un des premiers exercices que j´ai faits après être devenu aveugle c´était celui de reconstituer mentalement «La flagellation du Christ» de Piero della Francesca et essayer de me rappeler les couleurs des trois personnages à droite, les habits qu´ils portaient. Et puis, le mieux c´est d´aller au lit parce qu´en rêvant je revois les choses, les couleurs y rejaillissent avec une force et une beauté extraordinaires».

 Quoi qu´il en soit, Andrea Camilleri ne se plaignait pas de la vie, il avait toujours pu faire ce qu´il voulait sans regrets, peut-être parce que …la merde porte bonheur ! Bah oui ! C´est une sorte de blague, mais dans cette vidéo, l´auteur raconte une histoire - avec laquelle je termine cette chronique - qui s´est produite alors qu´il n´avait que 15 ans. Dans l´arrière –cour de sa maison de campagne, il y avait un puits noir couvert de planches de bois. Un jour, en jouant avec un ami dans cette arrière-cour, il a avancé de trois pas quand il a soudain senti le sol se dérober sous ses pieds. En un clin d´œil, il était enfoncé dans la boue jusqu´au cou. Il sentait que ses pieds étaient placés sur une pierre glissante. Une paysanne qui passait est allée chercher son oncle qui, en arrivant, a pu tant bien que mal le retirer du pétrin où il était fourré. Alors, la paysanne a clamé : Don Nenè, tutta ricchezza è ! Tutta fortuna è ! O sape, la merda porta fortuna ! (Don Nenè, c´est toute la richesse ! c´est tout le bonheur ! Vous savez, la merde porte bonheur !). Pour Andrea Camilleri, la paysanne n´avait pas tort…

 

(1)  Andrea Camilleri, Vi scriverò ancora, édition de Salvatore Silvano Nigro avec la collaboration d´Andreina, Elisabetta et Mariolina Camilleri.

(2)  Sellerio, prestigieuse maison d´édition de Palerme, a publié l´écrasante majorité des livres d´Andrea Camilleri. En français, ses livres sont surtout disponibles chez Fayard et chez Métailié.

   

               

 

    

jeudi 31 juillet 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Malestroit de Jean de Saint -Chéron, publié aux éditions Grasset. 

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/malestroit-de-jean-de-saint-cheron-une-vie-atypique-419695





mardi 29 juillet 2025

Chronique d´août 2025.

 



Leopoldo Maria Panero: folie, malédiction et subversion.

Le 16 juin 1948, naissait à Madrid celui qui allait devenir sans doute le poète espagnol le plus fou, maudit et subversif de la deuxième moitié du vingtième siècle. Alcoolique, héroïnomane, sa lucidité et son talent étaient paradoxalement aussi forts que sa folie, sa démesure et sa subversion parce que dans un monde où la grille d´interprétation qui le régit se lit d´ordinaire à l´envers, il faut des hommes comme Leopoldo María Panero pour nous réconcilier avec la transgression, le véritable ferment qui fait bouger la littérature. On peut observer chez Panero le dialogue avec une tradition née dans le vingtième siècle, en particulier avec Antonin Artaud, d´artistes victimes d´une société répressive qui exclut ceux qui osent défier la dictature de la raison avec leurs délires et leurs folies. 

Leopoldo María Panero était fils de Leopoldo Panero, poète officiel du franquisme, et de Felicidad  Blanc, de famille républicaine. Déchiré entre deux traditions antagoniques, il n´a eu néanmoins aucun mal à choisir son camp dès sa jeunesse: celui de l´engagement républicain contre le régime puant du général Franco. Un régime  qui exsudait la bigoterie hypocrite, le militarisme cocardier et la répression contre ceux qui osaient se soulever contre le caudillo et ses sbires.

Le côté rebelle de Leopoldo María Panero l´a mené plusieurs fois en prison. Michi Panero  -un de ses frères, également poète tout comme l´autre frère Juan Luis Panero – a tenu un jour les propos qui suivent concernant les arrestations de son frère : «Une des premières choses à motiver le changement de pouvoir à la maison, c’est-à-dire de Juan Luis à Leopoldo, ce fut précisément la série d’arrestations politiques de Leopoldo. Les deux dont je me souviens le mieux, parce qu’elles furent celles qui eurent le plus d’impact, furent les suivantes : à l’occasion du referendum, Leopoldo distribuait, ou plutôt était en train de coller des affiches de propagande qui invitaient à «ne pas voter», quand il fut pris par un veilleur de nuit rue Ibiza. Ce veilleur de nuit l’attrapa et l’emmena dans une boulangerie jusqu’à l’arrivée de la police. Leopoldo raconte, il m’a raconté, que pendant cette attente, il prit toute la propagande qu’il portait dans les poches et la jeta dans la masse du pain. C’est-à-dire qu’il est donc tout à fait possible que le jour suivant dans toute la rue Ibiza, voire tout le quartier de Retiro, il y ait eu du «ne pas voter» dans le pain. La deuxième arrestation de Leopoldo dont je me souviens pendant ces années-là ce fut lorsque Leopoldo, dans une manifestation de la rue Bravo Murillo, au cri de «Par ici ! Par ici !», conduisit un groupe de 50 ou 60 manifestants à la seule impasse qu’il y avait dans toute la rue Bravo Murillo. Bien sûr, on attrapa tout le monde, y compris mon frère Leopoldo.».

Leopoldo Maria Panero a étudié la philosophie et les lettres à la prestigieuse Université Complutense à Madrid et la philologie française à l´Université de Barcelone. C´est à cette époque qu´il s´est lié d´amitié avec le poète catalan Père Gimferrer. Cette rencontre avec un grand poète écrivant en deux langues- castillan (ou espagnol, si vous préférez) et catalan –fut décisive pour l´affirmation de son esthétique. À ce propos et sur ses jeunes années, il a écrit dans Bonne nouvelle du désastre et autres poèmes : «À seize ans environ, je suis entré dans un parti communiste alors illégal et j´ai participé à la lutte politique. C´est alors que je me suis mis à écrire des poèmes, sous l´influence de Père Gimferrer, que j´ai connu dans le club de jazz Borbón. Plus tard, je suis entré en prison pour trafic de drogue et j´y ai découvert mon homosexualité, qui auparavant avait été latente. Ensuite, c´est une longue histoire d´asiles de fous qui me séparent de mes amis et me font haïr ma mère». De ces jeunes années de Leopoldo María Panero datent, on l´a vu, ses premiers séjours dans des établissements psychiatriques. La consommation de drogues et de boissons alcoolisées sont les raisons qui l´ont mené notamment à Leganés, à Tenerife et à  Mondragón, ce qui lui a inspiré les Poemas del manicomio de Mondragón (Poèmes de l´asile de Mondragón). Dans un de ses poèmes, il a écrit (je traduis directement) : «Les livres tombaient sur mon masque (où il y avait un rictus de vieux moribond) et les mots me fouettaient et un tourbillon de gens hurlait contre les livres, donc je les ai tous jetés sur le bûcher pour que le feu défasse les mots…». Il a d´ailleurs poursuivi son œuvre de poète, de traducteur, de critique et d´essayiste au sein de ces institutions psychiatriques où il a vécu dont il pouvait toutefois sortir pour donner des lectures et mener des activités littéraires. Il a écrit de nombreux articles contre la psychiatrie et a notamment écrit : «Le psychiatre ne peut rien faire, sinon se suicider». Ses séjours intercalés dans ces asiles psychiatriques ne l´ont pourtant pas empêché de voyager et de s´installer pour un temps en France et au Maroc. 

Les premiers poèmes de Leopoldo María Panero ont suscité de l´admiration et ont poussé José María Castellet à le placer dans le groupe des Tout Nouveaux (Los Novísímos), et à l´inclure dans l´anthologie Los nueve novísimos poetas españoles (Les neuf tout nouveaux poètes espagnols). Néanmoins, trente ans plus tard, Leopoldo María Panero s´est plaint d´avoir été le seul poète du groupe qui fût absent d´un rendez-vous qui célébrait la parution de ladite anthologie trois décennies plus tôt. Outre Leopoldo María Panero, de cette anthologie faisaient partie Manuel Vásquez Montalbán (1939-2003), Antonio Martínez Sarrión 1939-2021), José María Álvarez (1942-2024), Félix de Azúa (1944), Pere Gimferrer (1945), Vicente Molina Foix (1946), Guillermo Carnero (1947) et Ana María Moix (1947-2014). Pour Manuel Vásquez Montalbán, un des plus connus parmi les auteurs sélectionnés de cette anthologie, «la sélection de Castellet fut le portrait de celle qui incarnait en ce temps-là la jeune poésie espagnole ; elle saisissait un fragment et un moment et c´était l´image réelle d´une évolution esthétique qui cadrait parfaitement dans la logique interne de notre littérature contemporaine» (El País, le 3 décembre 1985).

Dans l´édition des œuvres complètes de Leopoldo María Panero –décédé à Las Palmas le 5 mars 2014 – publiée par l´excellente maison d´édition Visor (1), volume comprenant la période entre 1970 et 2000 –il y a aussi deux autres volumes (2000-2010 et 2011-2014), le poète étant décédé le 5 mars 2014 à Las Palmas- Túa Blesa, professeur de l´Université de Saragosse, rappelle la richesse lexicale et les différents langages sociaux du poète et pourtant ce qui résonne en chacun des types textuels c´est le silence. Il ne s´agit pourtant pas d´un silence vierge de signification, mais plutôt d´un silence qui reflète comme dans un miroir un autre où la poésie s´est recroquevillée. Un silence qui revient pour être jeté à la figure de ceux qui tiennent le pouvoir du discours, de ceux qui prescrivent ce que l´on peut (ou doit) ou pas dire, ce qui va circuler dans le dialogue social. De ce dialogue, le discours poétique en a été exclu. On en a fait une allocution sans réponse, mot que nul n´a dit et qui n´est adressé à personne. De telle loi, la poésie de Panero se constitue comme une infraction permanente en démasquant au fur et à mesure son esprit et sa lettre. Poésie politique, donc, non plus parce que quelques-unes de ses pages le sont dans le sens traditionnel, mais parce qu´elles le sont toutes et chacune d´entre elles au bout du compte en tant que réinscription du silence du destin prescrit.

La poésie de Panero est une poésie du désir, mais aussi de la violence, de la désobéissance et de l´expérience de la mort. On suit toujours la pensée de Túa Blesa : «Quand se forme la voix du «je» sur un point qui est au-delà de la vie, sa vision est l´image du jamais vu et son savoir, donc, celui qui n´a jamais été dit, justement le secret. Un secret qui est à présent avoué, dont le poème rend intervenant le lecteur pour qu´il soit enfin lu, comme si la mort pouvait «se lire», alors qu´elle ne pouvait être autre chose qu´événement –l´événement dernier et premier, le seul réel -, expérience de l´être, d´un être, expérience d´un être qui ne peut la transférer à aucun autre. Néanmoins, obstinément, les poèmes de Panero reviennent à une tombe imaginaire, à cette crypte dont on évacue la parole, qui reste ainsi marquée, du fait de sa provenance, comme cryptique».

Si la folie est au cœur de la vie et de l´œuvre de Panero, le poète a toujours mis l´accent sur la lucidité de son travail. Comme nous le rappelle Vinicius Silva de Lima, de l´Université de Londrina, au Brésil, dans un texte brillant, publié en 2010 dans Estação Literária –quand Panero était encore en vie -, Panero est sûrement un des fous qui aient le plus parlé de folie, mais il écarte l´idée que les travaux littéraires sont souvent le fait de la folie. Vinicius Silva de Lima écrit dans son essai (je traduis directement) : «Nous pouvons affirmer que la question du délire, du discours déplacé et d´auto-marginalisation peuple toute la production de Panero. Pourtant, tout cet univers apparemment nébuleux, impalpable où «la poesía de la locura quiere decir poesía opaca, dura, impermeable al signo, a la razón, semejante todo lo más a la pintura abstracta (Panero, apud García 2008 ; en français ; La poésie de la folie veut dire poésie opaque, dure, imperméable au signe, à la raison, en tout pareille à la peinture abstraite), c´est pour le poète fruit d´un extrême exercice de lucidité». Vinicius Silva de Lima nous rappelle encore que dans la préface à son livre El ultimo hombre (Le dernier homme, 1983), Panero est assez clair en présentant la poésie comme un travail d´artisan qui consiste en un profond exercice avec les mots : «Je dois dire aussi dans cette sorte de poétique que, tout comme Mallarmé, je ne crois pas en l´inspiration. La littérature comme le disait Pound, est un travail, un job, et tout ce qui nous revient c´est de faire un bon travail et être compris (…) Tout ce que le poète inspiré ignore est que trouver c´est difficile, que la bonne poésie ne tombe pas du ciel, ni attend rien de la jeunesse ou du désir» (2).    

Leopoldo María Panero (3) compte donc parmi les poètes qui peuplent l´univers littéraire  de leurs voix eschatologiques et révolutionnaires en subvertissant toutes les normes de la décence et en attirant l´attention sur une société malade. Toujours selon Vinicius Silva de Lima, «en s´attaquant à tout et à tous, en cherchant sa propre destruction, il affiche son mépris profond à l´égard du monde. En ce sens, la mission du poète est donc toujours celle d´offrir une conscience critique devant le soi-disant bien-être de la société».

 

(( (1)  Leopoldo María Panero a près d´une vingtaine de titres traduits en français, pour la plupart chez les éditeurs Fissile et Zoème.

(2)  L´extrait en espagnol : «También he de decir, en esta suerte de poética, que, al igual Mallarmé, no creo en la inpiración. La literatura, como decía Pound, es un trabajo, un job, y todo lo que en ella nos cabe es hacer un buen trabajo, y ser comprendidos (…) Algo que no sabe decididamente el poeta inspirado es que trovar es difícil, que la buena poesía no cae del cielo, ni espera nada de la juventud o el deseo. (Panero 2001: 287 - 8)».

(3)  Pour ceux qui veulent mieux connaître la vie et l´œuvre  de Leopoldo María Panero la biographie de J.Benito Fernández El contorno del abismo(Anagrama). Ce livre n´est pas encore traduit en français.

jeudi 3 juillet 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma dernière chronique. J´écris sur le roman La nef de Géricault de Patrick Grainville, publié aux éditions Julliard.

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/la-nef-de-gericault-un-roman-de-patrick-grainville-417582




dimanche 29 juin 2025

Chronique de juillet 2025.

 

Frédéric Vitoux et le procureur impérial.

 

Frédéric Vitoux se plaît à raconter –et pour cause, il faut bien le dire –qu´il est né à Vitry-aux-Loges, un petit village du Loiret, le 19 août 1944, au moment précis de la Libération, dans les heures séparant le départ de la Wehrmacht et l´arrivée des Alliés. Cependant, il n´est pas longtemps resté au village où il a vu le jour puisque peu après sa naissance, il est parti avec sa mère à Paris, dans l´hôtel Lambert, sur l´île Saint –Louis, où sa famille habitait depuis plusieurs générations. Pourtant, il n´a rencontré son père qu´à l´âge de quatre ans. Ceci s´explique parce que son géniteur –qui était venu le voir juste après sa naissance –avait été entre-temps emprisonné pour faits de collaboration. Il raconte l´histoire dans son roman L´ami de mon père. Cet épisode marquant de sa vie peut justifier sa passion pour les sujets historiques et son souci du détail.

Écrivain et critique littéraire, amant des chats (voir son Dictionnaire amoureux des chats, publié en 2008 chez Plon), élu à l´Académie Française en 2001 au fauteuil de Jacques Laurent, Frédéric Vitoux est l´auteur d´une quarantaine d´ouvrages couronnés de prix littéraires prestigieux dont le prix Goncourt de la biographie (1988) pour La vie de Céline, le prix Valéry Larbaud pour Sérénissime (1991) et le Grand prix du roman de l´Académie Française (1994) pour La Comédie de Terracina. Son premier roman, Cartes postales, fut publié en 1973.

Cette année, en avril, Frédéric Vitoux nous a fait découvrir son dernier livre, La mort du procureur impérial. Ce récit est inspiré par un crime survenu à Rodez dans la nuit du 19 au 20 mars 1817.  Ce crime s´est traduit par le meurtre d´un ancien procureur impérial, M. Fualdès, dont le corps qui dérivait dans l´Aveyron fut retrouvé le lendemain matin. L´hypothèse d´un complot politique a fusé dès les premières investigations. L´affaire a défrayé la chronique et a suscité de vives passions dans la France de la Restauration. La France entière –et même l´Europe et l´Amérique –ont été séduites par cette énigme appelée à devenir une des plus célèbres affaires judiciaires du dix-neuvième siècle. Des considérations politiques se sont mêlées à l´affaire étant donné que le procureur était accusé d´être bonapartiste alors que ses assassins présumés étaient au contraire royalistes. Dans une France marquée par les guerres napoléoniennes et par les bouleversements révolutionnaires, secouée par des complots et des conspirations, cette affaire judiciaire a ajouté à la confusion qui régnait déjà dans le pays.

 Les soupçons se sont vite portés sur les habitants de la maison Bancal, un tripot malfamé non loin de la demeure de l´ancien procureur impérial. Les accusés étaient légion : l´agent de change Joseph Jausion, époux de Victoire Bastide, et Bernard-Charles Bastide dit Gramont, beau-frère et filleul de la victime, débiteur d’une hypothétique créance auprès de Fualdès. Mais aussi des hommes de main et complices, un contrebandier, Boch, Jean-Baptiste Collard, locataire des Bancal, la veuve Bancal et sa fille Marianne, le portefaix Jean Bousquier, une blanchisseuse Anne Benoit et son amant. Tous sont accusés de lui avoir tendu un guet-apens. Ils ont fini presque tous coupables du meurtre ou de complicité dans le meurtre.

L´affaire a connu trois procès, mais le deuxième fut le plus fantasque. Oui, le mot est bien juste grâce à sa figure centrale : Clarisse Manzon, accusatrice incohérente, séductrice virevoltante. Incarcérée pour un temps, elle a fini par devenir la seule héroïne de cette affaire. Fille du juge Enjalran- président de la cour prévôtale de l'Aveyron,  qui venait d'être dessaisi du dossier-, elle a mené sa propre enquête sur cette affaire. Cette femme, divorcée et farfelue, avait pour amant le lieutenant Clémendot, un officier de la garnison auprès duquel elle s´était vantée d'avoir été témoin du meurtre. Comparaissant devant le jury, elle a déconcerté le public par ses changements constants de discours et de témoignages. Elle affirmait être témoin puis se rétractait, multipliait les effets et s'évanouissait aux moments les plus tendus du procès. Elle fut emprisonnée pour un temps avant d´être libérée.

 En prison, elle a signé ses Mémoires, un succès de librairie en Europe, mais était-elle le véritable auteur ou s´est- elle servie d´une plume plus expérimentée et littéraire ? En effet, celui qui a vraiment écrit les Mémoires de Clarisse Manzon fut Henri de Latouche qui a suivi le procès en tant que journaliste et dont Frédéric Vitoux brosse excellemment le portrait. Henri de Latouche, un républicain, nous est présenté comme un homme que l´histoire littéraire a négligé, que la postérité a relégué dans un quelconque tiroir aux oubliettes. Néanmoins, il fut écrivain, dramaturge, journaliste, découvreur de talents (entre autres, André Chénier, Balzac, Sand, Goethe, Marceline Desbordes-Valmore) et celui qui a donné au romantisme naissant sa touche crépusculaire. Frédéric Vitoux écrit dans les premières pages de ce récit que pour comprendre l´affaire Fualdès, pour mesurer le retentissement dont elle a bénéficié, il faut convoquer l´homme qui a contribué de façon décisive à la faire connaître et à la faire inscrire dans la nouvelle sensibilité de l´époque, «dans cette forme d´inquiétude qui allait être le propre des enfants du siècle en proie à l´exacerbation de leurs sentiments, de leurs passions, de leurs ferveurs, de leur refus, de leurs mélancolies ou de leurs peurs». Cet homme n´est bien sûr autre qu´Henri de Latouche. S´il signait pourtant Henri, pour l´état civil, il était né Hyacinthe –Joseph-Alexandre Thabaud de Latouche. On comprend sans peine, comme le remarque Frédéric Vitoux, qu´il ait préféré adopter comme prénom Henri, plutôt que l´inhabituel et précieux Hyacinthe. De fait, il avait commencé par signer ses premières œuvres «H. de Latouche». Ses lecteurs ont pris le «H» pour Henri et l´habitude s´est installée de le prénommer ainsi.

Latouche aimait versifier et rimait sans effort, mais il a écrit aussi de la prose, notamment des essais et des romans. En 1827, Latouche a publié la Correspondance de Clément XIV et de Carlin, roman épistolaire dirigé contre les jésuites, et dont un passage de l’abbé Galiani lui avait fourni l’idée. En 1829, il a publié son chef-d’œuvre, Fragoletta, roman mettant en scène « cet être inexprimable, qui n’a pas de sexe complet, et dans le cœur duquel luttent la timidité d’une femme et l’énergie d’un homme, qui aime la sœur, est aimé du frère, et ne peut rien rendre ni à l’un ni à l’autre » selon les termes de Balzac qui a reconnu sa dette à son égard, notamment pour Séraphita.

L´influence qu´il a exercée de son temps ne fut pas suffisante pour assurer à Latouche une célébrité posthume. Comment comprendre qu´il ait disparu des mémoires, lui qui fut tellement décisif dans l´histoire du romantisme français ?

Frédéric Vitoux a ébauché une explication : «Parce qu´il ne fut pas visible, encore une fois. Parce qu´il s´y refusa. Qu´il préféra l´ombre. Ou, pour le dire autrement, parce qu´il ne fut jamais un homme de clan, ou chef de meute ou de cénacle capable d´entraîner derrière lui une armée au combat. Sa fragilité resta celle d´un homme seul. Même s´il régna un temps sur le journalisme littéraire de la Restauration puis de la monarchie de Juillet, sa position demeura fragile. Personne pour lui venir en aide, pour le seconder dans ses combats, pour l´épauler dans les joutes littéraires et politiques où il se jetait volontiers tête baissée». Et il ajoute : «Ce n´est pas tout. Pour assurer sa position, il lui aurait fallu s´imposer aussi comme un écrivain irréfutable, dont les ouvrages serviraient de mètre étalon du romantisme». Latouche a même fini désavoué par Clarisse Manzon qui a renié ses Mémoires pour satisfaire les magistrats du deuxième procès d´Albi.

Le retentissement de l´affaire Fualdès fut tel qu´elle a inspiré des musiciens, des artistes plasticiens et surtout des écrivains. En musique, l´affaire Fualdès a fait l´objet d´une complainte dont l´auteur fut le dentiste Catalan. Elle est composée de 48 couplets qui retracent cette sinistre épopée du crime dans un style qui reste encore aujourd’hui un modèle du genre. Tous les artifices y sont, le burlesque, la caricature du genre humain plongé dans l’abîme du mal avec, bien sûr, en conclusion le repentir du « mauvais larron » dont le dernier couplet moralisateur est là pour rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour exprimer de bons sentiments.

En peinture, Théodore Géricault, s´inspirant de nombreux échos et illustrations de la presse, comme des images naïves véhiculées par les colporteurs, a commencé, comme nous le rappelle Frédéric Vitoux, «par ébaucher, dès la fin de l´année 1817 ou le début de l´année 1818, tantôt à la plume et au lavis de brun, tantôt á la mine de plomb, tantôt à la plume et à l´encre brune, avec parfois de la pierre noire et des rehauts de gouache, six épisodes du crime, depuis l´enlèvement de l´ancien magistrat dans une ruelle noire jusqu´à la procession nocturne des assassins et de leur victime vers la rivière». Ces six œuvres sur papier nous sont restées, mais le peintre a fini par renoncer au tableau spectaculaire qu´il envisageait de faire sur ce meurtre sordide et s´est consacré à un autre projet qui deviendrait son futur tableau La Méduse.

Côté littérature, on trouve de nombreuses références à l´affaire Fualdès dans les ouvrages des plus grands auteurs du dix-neuvième et du vingtième siècle : Balzac (on en trouve dans cinq romans dont La muse de département, Une ténébreuse affaire ou Le Curé de village) ; Flaubert (Bouvard et Pécuchet) ; Victor Hugo (Les Misérables), Gaston Leroux (Le fauteuil hanté), Anatole France (Le jardin d´Épicure) ou Jean Giono (Le Hussard sur le toit). On en trouve aussi chez des auteurs comme Arthur Bernède, Denis Marion, Frédéric Thomas ou Courteline (Le gendarme est sans pitié). 

Avec ce récit passionnant et écrit dans un français chatoyant, Frédéric Vitoux nous fait revivre une affaire judiciaire qui a agité la France au début du dix-neuvième siècle et dont la mémoire nous fut transmise au fil des générations.  

 

Frédéric Vitoux, La mort du procureur impérial, éditions Grasset, Paris, avril 2025.

Centenaire de la naissance de Philippe Jaccottet.

 


Poète, critique et traducteur hors pair, le Suisse vaudois Philippe Jaccottet, décédé en 2021, aurait fêté demain son centième anniversaire. Je vous conseille de lire la chronique que je lui ai consacrée en février 2016 et que vous trouverez dans les archives de ce blog.

mercredi 4 juin 2025

La mort de Philippe Labro.

 


 Philippe Labro, né à Montauban le 27 août 1936, est mort à Paris ce mercredi 4 juin à l´âge de 88 ans, a annoncé son ancienne radio RTL. C'était une grande figure du journalisme et de la culture. Écrivain, homme de télévision et de radio, réalisateur.

Il avait refusé de choisir entre ses différentes passions. Curieux de tout, voulant tout essayer, la radio, la presse écrite, la télé, le cinéma, la littérature et même l'exercice du pouvoir, Philippe Labro a montré tout au long de sa vie une insatiable curiosité. "Éclectique", disait-il en décembre 2023 au micro de Léa Salamé sur France Inter. Il fut le parolier des chansons de Johnny Hallyday et son œuvre littéraire est composée d´une vingtaine de titres dont L´étudiant étranger (Prix Interallié) et Un été dans l´Ouest (Prix Gutenberg).

 

vendredi 30 mai 2025

Chronique de juin 2025.

 




Les Barbelés : entre la collaboration et la résistance.

 

La Grande Guerre –qui après l´entre-deux-guerres a plutôt pris le nom, tout naturellement,  de Première Guerre Mondiale – a laissé grandes ouvertes des plaies qui n´étaient pas près de se refermer. L ´utilisation d´armes chimiques et la vie dans les tranchées ont traumatisé ceux qui ont combattu. Si beaucoup de soldats ont survécu à la guerre– quoique le nombre de morts fût naturellement élevé (plus de dix millions outre les disparus) –ils y sont parvenus dans la douleur voire au prix d´une souffrance inouïe. Nombre d´entre eux en sont revenus estropiés et inaptes au travail.  Des empires se sont écroulés et de nouvelles nations ont vu le jour. Néanmoins, les traités de paix n´ont pu effacer des esprits la haine, le ressentiment, la colère entre les peuples.

Le fascisme, l´antisémitisme et le nationalisme outrancier –le nationalisme ou la haine des autres, contrairement au patriotisme qui serait l´amour des siens, selon la célèbre formule de notre cher Romain Gary –ont gangrené les esprits et ont fait monter l´acrimonie un peu partout.

Après les années vingt, surnommées souvent les années folles, marquées par une forte croissance économique -mais déjà aussi par la poussée des fascismes -, les années trente se sont singularisées par la dépression et une ambiance délétère qui préfigurait déjà l´éclosion d´un nouveau grand conflit mondial.

La France n´échappait nullement à la crise. La Troisième République avait du mal à renouveler un projet politique déjà ancien bien que la France fût un des rares pays démocratiques du continent européen. L´expérience du  Front Populaire entre juin 1936 et avril 1938 a instauré d´importantes réformes sociales – comme la réduction du temps du travail à 40 heures par semaine ou la création de deux semaines de congés payés -, mais a attisé la haine d´une certaine bourgeoisie.

C´est justement l´année où a débuté l´expérience du Front Populaire que s´amorce l´intrigue du roman Les Barbelés, assurément un des meilleurs romans français que l´on ait pu lire ces derniers temps. C´est néanmoins un premier roman. L´auteur, Antoine Flandrin, âgé de 42 ans, fut dix ans durant journaliste au quotidien Le Monde en charge des commémorations des deux guerres mondiales et des questions mémorielles. 

Le roman  -divisé en quatre parties selon les années : 1936, 1940, 1944, 1948 - s´inspire du passé collaborationniste du grand-oncle d´Antoine Flandrin décrit dans le prologue du roman. L´auteur nous fait ainsi revivre l´une des périodes les plus troubles de l´histoire de France. Une période, il faut bien le rappeler, où des amitiés se sont déchirées, ou nombre de gens –y compris des gens bien –ont sombré dans l´abjection en collaborant avec l´occupant nazi, soit en soutenant le régime de Vichy, soit en dénonçant des résistants ou des juifs, soit en intégrant des milices qui semaient la terreur.

Tout juste installée à Saturnac, un petit village de Dordogne, la famille Marsac, qui habitait à Bordeaux, espère mener une vie paisible et familière. La famille est composée par le père, Maurice, professeur de lycée, la mère, Ernestine, et les enfants Jules et Claire.  

En roulant vers Saturnac, Maurice et Jules Marsac sursautent après une forte détonation.  Un coup de fusil avait retenti : «Jules tourna l´épaule et aperçut un homme armé à l´autre bout du chemin. Il était prêt à prendre la poudre d´escampette mais le père ouvrit la portière avant qu´il ait pu tenter quoi que ce soit. Jules n´en revenait pas : le père allait d´un pas lent, mais sûr, à la rencontre de cet homme qui pointait un fusil dans sa direction. Son visage était effrayant ; la moitié de son crâne avait été trépanée. C´était une gueule cassée. Il y avait de quoi avoir les foies, mais le père aussi avait fait la guerre de 14. N´osant pas descendre de la voiture, le fils suivit fébrilement l´explication du texte de loin». 

L´homme au visage déformé répond au nom de Gaston Ravidol, un paysan qui avait été à Verdun pendant la Grande Guerre avec le maire Fortané, un socialiste, que Maurice Marsac venait de connaître. Il reproche à son nouveau voisin de rouler trop vite - ««on fonce pas comme ça dans un village !» - mais la conversation  détend l´ambiance et l´altercation s´estompe. Tout en conservant la distance imposée par les différences d´extraction sociale, on pourrait dire qu´une certaine cordialité se noue entre les deux familles. Cette cordialité évolue même dans le sens de l´amitié entre Jules et René - le fils de Gaston et de Paulette Ravidol - qui fait découvrir à son nouvel ami la campagne périgourdine.

Cependant, le temps, la politique, les rumeurs d´un nouveau conflit entre la France et l´Allemagne et puis la guerre finissent par éloigner petit à petit jusqu´à la fracture définitive les deux familles et surtout Jules et René.

Jules est sous l´emprise de son parrain, le franco –américain Roger Blancarède –dont il épousera plus tard la fille Luce –, un riche propriétaire habitant Paris, vieil ami de son père –ils s´étaient connus sur le front d´Orient en 1915 alors qu´ils étaient brancardiers -,toujours déchaîné contre les mous, abreuvant d´imprécations «le juif Blum», et enthousiaste de l´Action Française de Charles Maurras. Il a un projet  pour contrecarrer le «péril juif». Il compte investir dans un titre de presse pour en faire «un authentique journal nationaliste et anti- sémite».   Son ami Maurice, le père de Jules, lui emboîte le pas : «Maurras avait su le convaincre que seul le nationalisme intégral pourrait régénérer la France. Pour lui, notre pays façonné par l´absolutisme et le cléricalisme avait accouché d´une société fondamentalement hiérarchisée, incompatible avec tout projet égalitaire. Pour qu´il retrouve sa grandeur d´âme, il fallait restaurer la monarchie et se débarrasser des Juifs, des protestants, des francs-maçons et des étrangers».  

Jules, quant à lui, se sent, au fil de ses lectures, de plus en plus attiré par les idées professées par son père et par son parrain. Dans un voyage en métro à Paris, plongé dans ses pensées, loin des yeux inquisiteurs de Saturnac,  il cherche à comprendre ce qui lui tient vraiment à cœur : «Il replongea dans Céline, la mobilisation générale et l´excitation qu´avait dû connaître son père. Son désir de défendre la patrie lui semblait moins ardent maintenant qu´il était au pays de l´anonymat et de l´indifférence. Il avait beau chercher ce qui le rapprochait des gens présents dans cette voiture, il ne voyait pas. Devant lui, des ouvriers maghrébins étaient assis à côté d´une famille qui parlait le russe, le polonais et l´arménien, qu´en savait-il. Il regarda par la fenêtre et aperçut son reflet juvénile qui s´en était sorti sans bosse. Ce miroir avait cela d´étrange qu´il cachait derrière lui la nuit du tunnel. Il s´approcha un peu plus de la vitre et, les yeux plongés dans l´obscurité, se perdit dans des pensées morbides, à imaginer un monde souterrain où les soldats de 14-18 continuaient à s´entretuer au milieu des rats».  

La guerre éclate et la France tombe sous la coupe de l´Allemagne nazie. Les Français se divisent entre résistants, collabos et ceux qui à vrai dire ne prennent pas position, menant leur vie quotidienne sans trop s´inquiéter du lendemain.

Jules, on le devine,  sombre dans la collaboration, il s´y jette à corps perdu en signant des articles pour L´omniprésent, un journal pétainiste, antisémite qui soutient les collabos et les milices fascistes qui sévissent dans le pays. Il se salit ses mains en intégrant une milice à Saturnac. L´abjection est à son comble.

Si la collaboration est toujours un sujet qui interpelle et interroge les Français sur leur passé, ce roman, Les Barbelés, s´inspirant d´une histoire familiale de l´auteur, remet sur le tapis les raisons qui poussent des gens à collaborer avec l´occupant, notamment en dénonçant ceux qui, sans être criminels, sont néanmoins honteusement persécutés par le nouveau régime en place. Ces indics, ces mouchards, ces collabos n´étaient pas forcément des salauds, c´étaient souvent des gens plutôt bien qui menaient une vie familiale irréprochable, pépère, sans soucis. D´ordinaire, la nature humaine sombre, on le sait, dans l´ignominie…

La littérature sert  aussi à combler les trous que l´Histoire ne saurait expliquer et à poser des questions plutôt qu´à chercher des réponses. C´est ce qu´a fait Antoine Flandrin dans  ce premier roman, Les Barbelés. Une véritable réussite.

 

Antoine Flandrin, Les Barbelés, éditions Plon, Paris, mars 2025.

 

 

 


jeudi 22 mai 2025

Roger Chartier à Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition d´aujourd´hui du Petit Journal Lisbonne un portrait que j´ai brossé de l´historien Roger Chartier qui sera la semaine prochaine à Lisbonne :

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/roger-chartier-lisbonne-du-26-au-30-mai-pour-un-cycle-de-conferences-413477



mercredi 7 mai 2025

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Dans le cadre de la venue à Lisbonne pour des rendez-vous littéraires de l´écrivaine Lola Lafon dont le roman  La Petite communiste qui ne souriait jamais vient d´être traduit en portugais,  Le Petit Journal Lisbonne a récupéré un article que j´ai écrit en 2014 lors de la parution du roman en France chez Actes Sud:

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/8-mai-lola-lafon-presente-lisbonne-la-petite-communiste-qui-ne-souriait-jamais-412083  




La mort d´Angelo Rinaldi.

 



L´écrivain et critique littéraire français Angelo Rinaldi nous a quittés aujourd´hui à l´âge de 84 ans. Né le 17 juin 1940 à Bastia, en Corse, il était un écrivain, un homme de presse et un critique redouté. Comme le Ministère de la Culture nous le rappelle dans son communiqué, «il incarnait une certaine idée de la littérature: exigeante, libre et sans complaisance. Avec lui, s´éteint un grand écrivain et un esprit farouchement indépendant». 

Il a collaboré à Nice-Matin, à Paris-Jour, à L´Express, au Point, au Nouvel Observateur et au Figaro Littéraire dont il fut le directeur. Il a publié près d´une vingtaine d´ouvrages dont La loge du gouverneur,(1969) prix Fénéon, La Maison des Atlantes(1971), prix Femina ou Les Roses du Pline(1987), prix Jean-Freustié. Il a reçu le Prix Prince Pierre de Monaco pour l´ensemble de son oeuvre et il siégeait à L´Académie Française depuis 2001. 

mardi 29 avril 2025

Chronique de mai 2025.

 


Flannery O´Connor: la foi catholique dans l´Amérique profonde.

 

«Aussi direct et brutal que l´ordre donné à un peloton d´exécution». C´est ainsi que l´écrivain américain William Goyen (1915-1983) a caractérisé un jour le style de sa consoeur Flannery O´Connor, un météore qui a traversé et bouleversé la littérature américaine et qui s´est éclipsé, à l´âge de 39 ans, le 3 août 1964. En dépit de la relative brièveté de son œuvre –deux romans, trente nouvelles (ce que les anglo-saxons dénomment «short stories») et de nombreux textes courts –son importance dans l´histoire de la littérature américaine est cruciale et indiscutable. Son style, qui a inspiré à William Goyen les commentaires que j´ai cités au tout début de cette chronique, est souvent défini comme le Southern Gothic, intimement lié à sa région, le sud des États-Unis, et à ses personnages grotesques. Dans les écrits de Flannery O´Connor perce sa foi catholique qui contraste avec le protestantisme évangélique qui prévaut dans le Sud profond américain. Elle ne concevait l´univers que selon la perspective unique et absolue de la Rédemption. Sa foi était d´une exigence rarement vue. Elle disait d´ailleurs qu´il était plus difficile de croire que de ne pas croire. En vain chercherait-on pourtant dans l´œuvre de cette croyante fervente – qui a lu les catholiques français comme Léon Bloy, Paul Claudel ou Georges Bernanos- les perplexités théologiques ou l´angoisse de l´au-delà, les semonces ou les moralités qui alourdissent d´ordinaire les livres de nombre d´écrivains d´inspiration chrétienne. Son but quand elle prenait la plume, dans la lignée de Joseph Conrad –une de ses références littéraires au même titre que Henry James et surtout William Faulkner -, était de rendre à l´univers visible la plus haute justice. Comme l´a écrit l´écrivain franco-argentin Hector Bianciotti (1930-2012) dans une chronique publiée au Monde en 1975 lors de la parution en français, chez Gallimard, de Le Mystère et les Mœurs, Pourquoi ces nations en tumulte : «Son devoir de catholique est d´être une bonne romancière, de se conformer aux règles de l´art. Quant à ces romans truffés de bons sentiments et de louables intentions, comme ceux commis par le cardinal Spellman, ils lui semblent tout juste bons à caler une chaise boiteuse. Et va jusqu´à s´insurger contre le prestige dont jouit la pitié en littérature, méfiante qu´elle est à l´égard des écrivains qui «travaillent dans la pitié comme d´autres dans l´adultère». Car la pitié et la compassion amènent trop souvent à tout excuser, «pour l´excellente raison que la faiblesse humaine est humaine»».

Cette année, on signale le centenaire de la naissance de cette écrivaine qui suscite encore aujourd´hui l´admiration d´un nombre croissant de lecteurs. En effet, Mary Flannery O´Connor est née le 25 mars 1925 à Savannah, en Géorgie. Enfant unique d´Edward F. O´Connor  et de Regina Cline, elle s´est souvent décrite comme une enfant aux pieds tournés en-dedans avec un menton fuyant et un complexe du type «fiche-moi la paix ou je te mords».

Enfant au talent précoce, ses proches ont flairé assez tôt la vocation de Flannery O´Connor soit pour les  arts soit pour  les lettres. Néanmoins, alors qu´elle n´avait que 15 ans, une triste nouvelle a bouleversé sa vie, la laissant complètement anéantie : la mort du père qui avait été diagnostiqué quatre ans plus tôt d´un lupus érythémateux disséminé, une maladie systémique auto-immune chronique, de la famille des connectives, touchant les organes du tissu conjonctif.  Malheureusement, en 1951, un médecin allait diagnostiquer chez Flannery O´Connor la même maladie qui avait emporté son père et qui devait l´emporter également en 1964.

Ses années de formation  -les années quarante -ont été particulièrement fécondes. Elle a décroché une licence en sciences sociales et a participé intensément à la création de planches de bande-dessinée pour le journal de l´université, dépeignant avec humour et d´un ton sarcastique la vie sur le campus. Elle était d´abord destinée à une carrière de caricaturiste. Elle a d´ailleurs essayé de publier ses dessins dans The New Yorker afin de financer l´écriture de ses premiers récits, mais le prestigieux magazine a refusé leur publication. D´après certains observateurs, cette première vocation a imprégné le ton satirique de son œuvre.

Son œuvre- composée essentiellement, comme je l´ai déjà mentionné plus haut, de deux romans et une trentaine de nouvelles- met l´accent sur le grotesque, la plus riche source que la nature puisse offrir à l´art, d´après Victor Hugo. Dans un article publié le 24 juillet 2018 dans le magazine En attendant Nadeau, Claude Grimal a écrit que chez Flannery O´Connor les créatures grotesques qui pullulent ses fictions sont laides, bêtes, méchantes et parfois hallucinées. Enrôlées au service d´une charge impitoyable contre le Sud arriéré et raciste des années cinquante et soixante dans laquelle l´écrivaine vivait, elles sont également actrices de la plus féroce des eschatologies chrétiennes. Cependant, ces personnages grotesques sont avant tout stupides parce que «pauvres ou riches, jeunes ou vieux, habitants de la campagne ou de la ville (cas plus rare dans ses textes), ils ne cessent de prétendre à une supériorité intellectuelle, morale, sociale ou raciale qu´ils tentent en permanence d´exercer. Chaque nouvelle, chaque épisode romanesque est l´histoire d´une volonté de pouvoir. Celles des Blancs sur les Noirs, des fermiers sur leurs journaliers, des enfants instruits sur leurs parents ignorants, des géniteurs sur leur progéniture rétive, des esprits éclairés sur les cerveaux enténébrés, des athées sur les croyants, des progressistes sur les réactionnaires…Une libido dominandi qui se révèle à double sens puisque, et c´est là qu´O´ Connor dérange, les «victimes» se rebiffent et font alors souvent preuve d´une volonté aussi stupide qui ceux qui cherchent à leur faire plier l´échine».

À propos de l´importance du grotesque dans son œuvre, Flannery O´Connor a déclaré un jour : «Tout ce qui vient du Sud sera affublé de l´étiquette «grotesque» par le lecteur du Nord. A moins que le sujet ne soit réellement grotesque, auquel cas, il recevra l´étiquette réaliste». Dans toutes ses œuvres, elle emploie la technique de la «préfiguration narrative» donnant au lecteur une idée de ce qui va arriver longtemps avant l´événement proprement dit. La plupart de ses œuvres présentent des caractéristiques dérangeantes quoiqu´elle n´aime pas être qualifié de cynique. Elle réfutait les critiques qu´on lui adressait là-dessus : «Je suis fatiguée de lire des critiques qui qualifient A Good Man de brutal et sarcastique. Les histoires sont dures, mais elles le sont parce qu´il n´y a rien de plus dur ni de moins sentimental que le réalisme chrétien (…) Quand je vois ces histoires décrites comme des histoires d´horreur, je suis toujours amusée parce que la critique a toujours la mainmise sur la bonne ou la mauvaise horreur».

Si l´œuvre de Flannery O´Connor force l´admiration et le respect, elle n´échappe pas pour autant à la culture de l´annulation ou de l´effacement, ce que les anglo-saxons appellent la cancel culture. En 2020, une polémique a éclaté après la parution dans l´hebdomadaire The New Yorker sous la plume de Paul Elie d´un article où l´auteur tirait à boulets rouges sur Flannery O´Connor, dénonçant des traces de racisme dans son œuvre et pointant du doigt des moments de sa vie où elle aurait fait montre de ses préjugés à l´égard des Afro- Américains. On l´accuse entre autres choses d´employer souvent le mot «nigger» terme dépréciatif pour citer les Afro-Américains, non seulement dans ses récits mais également dans ses lettres. On lui reproche aussi un incident survenu en 1959 lors de la visite en Géorgie de l´écrivain afro-américain James Baldwin. Une amie de New York avait suggéré un rendez-vous entre les deux écrivains mais Flannery O´Connor a refusé de rencontrer son confrère sous prétexte que ce ne serait pas prudent dans une ville du Sud : «À New York, ce serait bien de faire sa connaissance, mais pas ici. Cela aurait provoqué de la désunion et des échauffourées». William Sessions, un ami de toute la vie, a affirmé que Flannery O´Connor lui avait exprimé l´angoisse qu´elle avait éprouvée de ne pas être en mesure de recevoir James Baldwin chez elle.

Pour Lorraine Murray, chroniqueuse de The Atlanta-Journal Constitution, de The Georgia Bulletin et autrice d´une biographie sur Flannery O´Connor, ces critiques sont on ne peut plus injustes puisqu´on ignore la réalité de l´époque et le contexte dans lequel certaines attitudes et affirmations se sont produites. D´autre part, Lorraine Murray rappelle que Flannery O´Connor avait prouvé à maintes reprises sa sensibilité à l´égard du problème du racisme et elle cite deux exemples. Le premier, c´est l´intervention de Flannery O´Connor dans un voyage en autobus où elle a défendu des citoyens noirs après des propos racistes du chauffeur. Le deuxième, c´est la nouvelle Revelation (Révélation) où elle met en scène une pauvre dame blanche raciste, Madame Turpin, propriétaire foncière qui, assise dans la salle d´attente d´un hôpital, profère à haute voix des imprécations contre les noirs qui, selon elle, devraient être tous renvoyés en Afrique. Cependant, à un moment donné, une universitaire lui lance un livre au visage en lui murmurant : «Retourne à l´enfer d´où tu es sortie, ordure !». C´est le moment de grâce pour Madame Turpin qui, plus tard, a une vision de gens allant au ciel où les noirs y entrent d´abord et les propriétaires fonciers blancs sont les derniers à y entrer.

En français, les lecteurs qui veulent découvrir ou redécouvrir l´œuvre de Flannery O´Connor peuvent lire les deux romans La sagesse dans le sang (Wise Blood, 1952) et Ce sont les violents qui l´emportent (The Violent Bear it Away, 1960) chez Gallimard, dans la collection L´Imaginaire, mais la quasi-totalité de ses fictions, surtout les nouvelles qui ont été traduites et publiées, sont aujourd´hui épuisées. Espérons que le centenaire de la naissance de celle que l´on peut considérer comme un des noms les plus emblématiques de la littérature américaine du vingtième siècle soit le prétexte pour la republication de ses œuvres. 

  

 

 

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lundi 14 avril 2025

La mort de Mario Vargas Llosa.

 


Ce dimanche 13 avril nous avons appris la triste nouvelle de la mort d´un des plus grands écrivains contemporains: Mario Vargas Llosa. Né le 28 mars 1936, à Arequipa, au Pérou, il fut l´une des figures les plus emblématiques du boom latino-américain. Membre de l´Académie Française depuis peu, il était un des plus grands écrivains de langue espagnole et il nous a laissé des romans mémorables comme  La cuidad y los perros(La ville et les chiens); La guerra del fin del mundo(La guerre de la fin du monde); La casa verde(La maison verte); Conversación en la catedral(Conversation à la cathédrale), La fiesta del chivo(La fête du bouc) ou Tiempos recios(Temps sauvages) parmi beaucoup d´autres.   

Vous pouvez lire dans les archives de ce blog(2010) l´article que j´ai écrit il y a deux décennies pour le site de la Nouvelle Librairie Française, à propos de son essai sur Flaubert, et que j´ai reproduit ici quand Mario Vargas Llosa fut couronné du Prix Nobel de Littérature.