Quand on consulte le catalogue de José Corti, on peut constater que les auteurs publiés par cette librairie et maison d´ édition, sise dans la rue Médicis à Paris, ont quelque chose qui les singularisent vis-à-vis des autres grands écrivains.
Soient-ils français ou étrangers, les écrivains que José Corti a choisis ont fait, pour la plupart, leur bonhomme de chemin en marge de toute école littéraire. Quelques-uns, indépendamment de leurs caractéristiques, ont même cultivé le silence, loin des milieux cosmopolites qu´ils ont un temps côtoyés. Parfois, ce n´était qu´un exil intérieur. Pourtant, il s´agissait souvent d´un retour à leurs racines rurales. Julien Gracq est, on le sait, un auteur auquel vous avez sûrement pensé, en lisant les premières lignes de cet article. Il y en a néanmoins d´autres, comme le Portugais Miguel Torga, dont on célèbre cette année le centième anniversaire de sa naissance.
Né le 12 août 1907 à São Martinho de Anta, Sabrosa dans la région de Trás-os-Montes, dans le nord-est du Portugal, Adolfo Correia da Rocha, qui devait prendre plus tard le pseudonyme de Miguel Torga (Miguel en hommage à Unamuno et à Cervantès et Torga, du nom d´une espèce de bruyère de sa contrée) a connu une enfance assez dure. Issu d´un milieu pauvre et rural, Torga a fréquenté le séminaire à Lamego et, à l´âge de treize ans, il est parti au Brésil, où il a travaillé pendant cinq ans dans une ferme à Minas Gerais dont le propriétaire était un de ses oncles. En 1925, il est rentré au Portugal, où il a conclu les études secondaires avant de s´inscrire à l´Université de Coïmbra deux ans plus tard. En 1933, en quittant l´Université, il devenait médecin. En 1941, après avoir exercé son métier au village où il était né, Torga s´est définitivement établi à Coïmbra, ouvrant un cabinet d´oto-rhino- laryngologie. Mais ce n´est pas, bien entendu, à partir de son cabinet médical à Coïmbra qu´il est devenu célèbre dans tout le pays. Sa notoriété fut, bien sûr, acquise grâce aux innombrables écrits qu´il a produits. C´est que l´écriture était une passion qui avait germé chez cet homme coriace dès sa jeunesse. Il a certes fait partie de quelques cercles littéraires, notamment autour des revues Presença(avec José Régio et Vitorino Nemésio, entre autres), Sinal- qu´il a fondée lui-même avec Branquinho da Fonseca et dont il n´est paru qu´un seul numéro- et Manifesto qui a connu une existence tout aussi éphémère. Pourtant, l´intransigeance et l´intrépidité ont façonné le caractère d´un homme qui se voulait, avant tout, un esprit libre et sans attaches. L´affirmation de sa conscience individuelle est allée de pair avec un amour profond pour la nature et le refus de toute sorte d´oppression. La voix de Torga est devenue dès les premiers temps, cela va sans dire, trop dérangeante pour être tolérée par un régime salazariste qui muselait ceux qui osaient dire non à l´ignominie et à la répression. Il a connu des mois d´emprisonnement et certaines de ses œuvres ont été censurées, mais la verve tellurique d´un homme à la personnalité trempée par les coups de boutoir de la dure réalité quotidienne, a toujours eu raison des contingences de la vie et des malheurs conjoncturels. Sa popularité ne cessait de croître au fil des années.
Son œuvre est l´une des plus riches et variées de la littérature portugaise du siècle précédent, une œuvre que le Nobel n´a jamais couronnée, alors que son nom a été pressenti à maintes reprises pour cette consécration suprême. Contrairement à ce que l´on a d´ordinaire insinué, Torga n´en a eu cure. Il était un homme qui se méfiait un peu des honneurs et des foules.
Quand on évoque l´œuvre de Torga, c´est souvent à sa poésie que l´on pense : une poésie vive, miroir et chant du monde rural, de la lutte de l´homme contre les lois qui l´enchaînent. Néanmoins, je lui préfère les contes et son magnifique Journal. Dans les contes et les nouveaux contes de la montagne, on assiste au quotidien empreint de tristesse, d´abandon, de désespoir et de noirceur de gens frustrés, d´amoureux infidèles, de lépreux, de montagnards miséreux. Dans Bichos (Bêtes en portugais), étrangement traduit en français par Arche, parmi des histoires d´animaux, nous trouvons un conte où l´on découvre le malheur d´ une femme prénommée Madeleine qui doit accoucher d´un enfant dont personne ne veut. Elle est ainsi livrée à son sort, comme un pauvre animal, mais elle fait montre d´un courage assez rare. C´est un des contes qui m´ont le plus impressionné quand, dans mon adolescence, j´ai dû l´étudier au lycée Passos Manuel, à Lisbonne, où j´ai fait mes études secondaires.
Quant aux Journaux de Torga, dont les quatre derniers tomes sont rassemblés, en français, dans le volume En chair vive, ils sont l´œuvre d´un homme sensible à tout ce qui l´entourait, qui se faisait fort de défendre l´authenticité, le pluralisme, qui s´interrogeait sur les imperfections du monde et sur les tourments de l´existence. Torga,- qui écrivait en épigraphe de ses Journaux une phrase célèbre de l´écrivain suisse Amiel : «chaque jour, nous laissons une partie de nous-mêmes en chemin.»-fut, sans conteste, un des plus brillants diaristes, toutes langues confondues, du vingtième siècle.
En janvier 1995, lors de sa mort, tout le Portugal a rendu hommage à un des écrivains qui se sont le plus identifiés à sa langue maternelle et à l´universalité de la culture portugaise.
Soient-ils français ou étrangers, les écrivains que José Corti a choisis ont fait, pour la plupart, leur bonhomme de chemin en marge de toute école littéraire. Quelques-uns, indépendamment de leurs caractéristiques, ont même cultivé le silence, loin des milieux cosmopolites qu´ils ont un temps côtoyés. Parfois, ce n´était qu´un exil intérieur. Pourtant, il s´agissait souvent d´un retour à leurs racines rurales. Julien Gracq est, on le sait, un auteur auquel vous avez sûrement pensé, en lisant les premières lignes de cet article. Il y en a néanmoins d´autres, comme le Portugais Miguel Torga, dont on célèbre cette année le centième anniversaire de sa naissance.
Né le 12 août 1907 à São Martinho de Anta, Sabrosa dans la région de Trás-os-Montes, dans le nord-est du Portugal, Adolfo Correia da Rocha, qui devait prendre plus tard le pseudonyme de Miguel Torga (Miguel en hommage à Unamuno et à Cervantès et Torga, du nom d´une espèce de bruyère de sa contrée) a connu une enfance assez dure. Issu d´un milieu pauvre et rural, Torga a fréquenté le séminaire à Lamego et, à l´âge de treize ans, il est parti au Brésil, où il a travaillé pendant cinq ans dans une ferme à Minas Gerais dont le propriétaire était un de ses oncles. En 1925, il est rentré au Portugal, où il a conclu les études secondaires avant de s´inscrire à l´Université de Coïmbra deux ans plus tard. En 1933, en quittant l´Université, il devenait médecin. En 1941, après avoir exercé son métier au village où il était né, Torga s´est définitivement établi à Coïmbra, ouvrant un cabinet d´oto-rhino- laryngologie. Mais ce n´est pas, bien entendu, à partir de son cabinet médical à Coïmbra qu´il est devenu célèbre dans tout le pays. Sa notoriété fut, bien sûr, acquise grâce aux innombrables écrits qu´il a produits. C´est que l´écriture était une passion qui avait germé chez cet homme coriace dès sa jeunesse. Il a certes fait partie de quelques cercles littéraires, notamment autour des revues Presença(avec José Régio et Vitorino Nemésio, entre autres), Sinal- qu´il a fondée lui-même avec Branquinho da Fonseca et dont il n´est paru qu´un seul numéro- et Manifesto qui a connu une existence tout aussi éphémère. Pourtant, l´intransigeance et l´intrépidité ont façonné le caractère d´un homme qui se voulait, avant tout, un esprit libre et sans attaches. L´affirmation de sa conscience individuelle est allée de pair avec un amour profond pour la nature et le refus de toute sorte d´oppression. La voix de Torga est devenue dès les premiers temps, cela va sans dire, trop dérangeante pour être tolérée par un régime salazariste qui muselait ceux qui osaient dire non à l´ignominie et à la répression. Il a connu des mois d´emprisonnement et certaines de ses œuvres ont été censurées, mais la verve tellurique d´un homme à la personnalité trempée par les coups de boutoir de la dure réalité quotidienne, a toujours eu raison des contingences de la vie et des malheurs conjoncturels. Sa popularité ne cessait de croître au fil des années.
Son œuvre est l´une des plus riches et variées de la littérature portugaise du siècle précédent, une œuvre que le Nobel n´a jamais couronnée, alors que son nom a été pressenti à maintes reprises pour cette consécration suprême. Contrairement à ce que l´on a d´ordinaire insinué, Torga n´en a eu cure. Il était un homme qui se méfiait un peu des honneurs et des foules.
Quand on évoque l´œuvre de Torga, c´est souvent à sa poésie que l´on pense : une poésie vive, miroir et chant du monde rural, de la lutte de l´homme contre les lois qui l´enchaînent. Néanmoins, je lui préfère les contes et son magnifique Journal. Dans les contes et les nouveaux contes de la montagne, on assiste au quotidien empreint de tristesse, d´abandon, de désespoir et de noirceur de gens frustrés, d´amoureux infidèles, de lépreux, de montagnards miséreux. Dans Bichos (Bêtes en portugais), étrangement traduit en français par Arche, parmi des histoires d´animaux, nous trouvons un conte où l´on découvre le malheur d´ une femme prénommée Madeleine qui doit accoucher d´un enfant dont personne ne veut. Elle est ainsi livrée à son sort, comme un pauvre animal, mais elle fait montre d´un courage assez rare. C´est un des contes qui m´ont le plus impressionné quand, dans mon adolescence, j´ai dû l´étudier au lycée Passos Manuel, à Lisbonne, où j´ai fait mes études secondaires.
Quant aux Journaux de Torga, dont les quatre derniers tomes sont rassemblés, en français, dans le volume En chair vive, ils sont l´œuvre d´un homme sensible à tout ce qui l´entourait, qui se faisait fort de défendre l´authenticité, le pluralisme, qui s´interrogeait sur les imperfections du monde et sur les tourments de l´existence. Torga,- qui écrivait en épigraphe de ses Journaux une phrase célèbre de l´écrivain suisse Amiel : «chaque jour, nous laissons une partie de nous-mêmes en chemin.»-fut, sans conteste, un des plus brillants diaristes, toutes langues confondues, du vingtième siècle.
En janvier 1995, lors de sa mort, tout le Portugal a rendu hommage à un des écrivains qui se sont le plus identifiés à sa langue maternelle et à l´universalité de la culture portugaise.
P.S- Les livres de Miguel Torga en français (admirablement traduits, pour la plupart, par Claire Cayron, brutalement décédée en 2002) sont surtout disponibles chez José Corti. On en trouve toutefois quelques titres chez d´autres éditeurs comme, par exemple, En franchise intérieure (pages du journal) chez Aubier -Montagne ou le magnifique La création du monde chez Garnier - Flammarion.
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