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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 23 décembre 2007

Mihail Sebastian,le visionnaire (janvier 2007)



Dans mes chroniques mensuelles du mois de septembre, je suggérais la lecture du dernier roman de l´écrivain roumain Norman Manea intitulé Le retour du hooligan qui venait de paraître et qui fut récemment couronné du prix Médicis étranger. Ceux qui l´ont lu se rappellent certainement que ce livre aux contours autobiographiques rend en filigrane un hommage sincère et émouvant à une grande figure des lettres roumaines qui répondait au nom de Mihail Sebastian(pseudonyme de Iosif Hechter), né en 1907, donc, il y a justement cent ans. Norman Manea, pour le titre de son roman, a d´ailleurs puisé son inspiration dans un essai de Sebastian publié en 1936,Comment je suis devenu un hooligan et non pas, comme certains l´ont prétendu, dans le livre de Mircea Eliade Les hooligans. Dans une interview accordée en septembre dernier à Manuel Carcassonne pour La Revue des deux mondes, Manea a affirmé qu´il opposait le hooligan antibourgeois, fasciné par la mort, dont Eliade faisait l´éloge, au hooligan qu´il préfère, celui de Sebastian, qui, en outsider, refusait de se couler dans le collectif, c´est-à-dire, le marginal, le clown, l´exilé, le type d´intellectuel juif chassé pendant la guerre.
Comment je suis devenu un hooligan est en quelque sorte la réponse aux philippiques dont Sebastian fut l´objet après la parution en 1934 de son roman Depuis deux mille ans. Ce roman dépeint la vie d´un jeune juif roumain entre 1923 et 1933, sous les traits duquel on peut retrouver Sebastian lui-même, en proie à l´antisémitisme récurrent qui rongeait la société roumaine. Le narrateur s´interroge sur les causes qui le nourrissent depuis deux mille ans. Mais ce n´est pas à proprement parler à cause du sujet de son roman que Mihail Sebastian s´est vu attirer les foudres de tout le monde : des chrétiens et des juifs, des libéraux et des extrémistes. La polémique a été déclenchée par le texte de Nae Ionescu( d´une rare pauvreté intellectuelle selon Alain Paruit le traducteur de Depuis deux mille ans, en postface à la traduction française de 1998 aux éditions Stock), l´ami que Sebastian avait invité à préfacer son roman, devenu entre-temps un des idéologues de la Garde de Fer, le mouvement fasciste et antisémite roumain. Sebastian connaissait les idées plutôt conservatrices de Nae Ionescu, mais lorsqu´il lui a demandé de poindre une préface pour son roman, avant qu´il ne l´eût achevé, on n´avait pas encore saisi combien était extrémiste l´argumentaire de ce professeur universitaire dont le discours éloquent et enflammé avait enchanté nombre d´étudiants et de jeunes intellectuels de l´époque comme Emil Cioran(« L´ homme avait un charme extraordinaire…il nous a entraînés dans son aventure personnelle» in Continents de l´insomnie) et Mircea Eliade. Eugène Ionesco fut une des rares figures à n´avoir pas succombé au charme de ce professeur de philosophie et directeur de journal qui a largement inspiré Ghita Blidaru, un des personnages du roman Depuis deux mille ans. Pourquoi Sebastian aura-t-il donc décidé de garder et publier tout de même, dans son livre, le texte de ce préfacier devenu encombrant ? Parce que, comme nous le rappelle Alain Paruit, il n´avait contre cette préface de Nae Ionescu qu´une seule vengeance possible : c´était justement la publier.
Entre-temps Mihail Sebastian avait entamé la rédaction de son Journal (1935-1944) qui, bloqué par la censure, ne verrait le jour qu´en 1996, devenant un des plus grands best-sellers de la Roumanie postcommuniste. Ce livre, d´après les paroles d´André Clavel*,« constitue un document majeur sur le naufrage politique et la débâcle morale d´un pays qui flirte avec le fascisme et persécute les juifs en les chassant de leurs emplois». À Sebastian, devant une telle avalanche de haine, de violence et d´antisémitisme, il ne lui restait qu´ à se claquemurer dans son exil intérieur, pétri de littérature et faisant fi de tous les slogans patriotiques et soi-disant purificateurs qui ont envoûté tant d´intellectuels brillants comme Mircea Eliade ou Emil Cioran. Malheureusement, ce Journal (1935-1944), toujours traduit par Alain Paruit (éditions Stock 1998), se trouve en ce moment épuisé.**
Écrivain à l´esprit visionnaire et prémonitoire, il avait fait paraître en 1939, le roman L´accident, le dernier publié sous son nom, en raison des lois antisémites qui lui ont interdit de l´utiliser ensuite. L ´intrigue se déroule à Bucarest en 1938 et gravite autour des amours de Paul, Anna et Nora. Le roman débute par un banal accident de circulation et c´est pourquoi il est en quelque sorte prémonitoire. C´est qu´en mai 1945, Mihail Sebastian- qui n´avait que trente-huit ans- était renversé par un camion soviétique sur un boulevard de Bucarest…
L´ironie du sort a voulu que le centième anniversaire de la naissance de Mihail Sebastian coïncide avec l´entrée de la Roumanie dans l´Union Européenne. Écrivain francophile et à l´esprit cosmopolite, il occupe indiscutablement une place de choix dans le patrimoine culturel roumain et européen.


*In magazine Lire, numéro 340, novembre 2005.


**Ce livre a été entre-temps réédité le 31 octobre 2007.



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