Dans mes chroniques mensuelles du mois de septembre, je suggérais la lecture du dernier roman de l´écrivain roumain Norman Manea intitulé Le retour du hooligan qui venait de paraître et qui fut récemment couronné du prix Médicis étranger. Ceux qui l´ont lu se rappellent certainement que ce livre aux contours autobiographiques rend en filigrane un hommage sincère et émouvant à une grande figure des lettres roumaines qui répondait au nom de Mihail Sebastian(pseudonyme de Iosif Hechter), né en 1907, donc, il y a justement cent ans. Norman Manea, pour le titre de son roman, a d´ailleurs puisé son inspiration dans un essai de Sebastian publié en 1936,Comment je suis devenu un hooligan et non pas, comme certains l´ont prétendu, dans le livre de Mircea Eliade Les hooligans. Dans une interview accordée en septembre dernier à Manuel Carcassonne pour La Revue des deux mondes, Manea a affirmé qu´il opposait le hooligan antibourgeois, fasciné par la mort, dont Eliade faisait l´éloge, au hooligan qu´il préfère, celui de Sebastian, qui, en outsider, refusait de se couler dans le collectif, c´est-à-dire, le marginal, le clown, l´exilé, le type d´intellectuel juif chassé pendant la guerre.
Comment je suis devenu un hooligan est en quelque sorte la réponse aux philippiques dont Sebastian fut l´objet après la parution en 1934 de son roman Depuis deux mille ans. Ce roman dépeint la vie d´un jeune juif roumain entre 1923 et 1933, sous les traits duquel on peut retrouver Sebastian lui-même, en proie à l´antisémitisme récurrent qui rongeait la société roumaine. Le narrateur s´interroge sur les causes qui le nourrissent depuis deux mille ans. Mais ce n´est pas à proprement parler à cause du sujet de son roman que Mihail Sebastian s´est vu attirer les foudres de tout le monde : des chrétiens et des juifs, des libéraux et des extrémistes. La polémique a été déclenchée par le texte de Nae Ionescu( d´une rare pauvreté intellectuelle selon Alain Paruit le traducteur de Depuis deux mille ans, en postface à la traduction française de 1998 aux éditions Stock), l´ami que Sebastian avait invité à préfacer son roman, devenu entre-temps un des idéologues de la Garde de Fer, le mouvement fasciste et antisémite roumain. Sebastian connaissait les idées plutôt conservatrices de Nae Ionescu, mais lorsqu´il lui a demandé de poindre une préface pour son roman, avant qu´il ne l´eût achevé, on n´avait pas encore saisi combien était extrémiste l´argumentaire de ce professeur universitaire dont le discours éloquent et enflammé avait enchanté nombre d´étudiants et de jeunes intellectuels de l´époque comme Emil Cioran(« L´ homme avait un charme extraordinaire…il nous a entraînés dans son aventure personnelle» in Continents de l´insomnie) et Mircea Eliade. Eugène Ionesco fut une des rares figures à n´avoir pas succombé au charme de ce professeur de philosophie et directeur de journal qui a largement inspiré Ghita Blidaru, un des personnages du roman Depuis deux mille ans. Pourquoi Sebastian aura-t-il donc décidé de garder et publier tout de même, dans son livre, le texte de ce préfacier devenu encombrant ? Parce que, comme nous le rappelle Alain Paruit, il n´avait contre cette préface de Nae Ionescu qu´une seule vengeance possible : c´était justement la publier.
Entre-temps Mihail Sebastian avait entamé la rédaction de son Journal (1935-1944) qui, bloqué par la censure, ne verrait le jour qu´en 1996, devenant un des plus grands best-sellers de la Roumanie postcommuniste. Ce livre, d´après les paroles d´André Clavel*,« constitue un document majeur sur le naufrage politique et la débâcle morale d´un pays qui flirte avec le fascisme et persécute les juifs en les chassant de leurs emplois». À Sebastian, devant une telle avalanche de haine, de violence et d´antisémitisme, il ne lui restait qu´ à se claquemurer dans son exil intérieur, pétri de littérature et faisant fi de tous les slogans patriotiques et soi-disant purificateurs qui ont envoûté tant d´intellectuels brillants comme Mircea Eliade ou Emil Cioran. Malheureusement, ce Journal (1935-1944), toujours traduit par Alain Paruit (éditions Stock 1998), se trouve en ce moment épuisé.**
Écrivain à l´esprit visionnaire et prémonitoire, il avait fait paraître en 1939, le roman L´accident, le dernier publié sous son nom, en raison des lois antisémites qui lui ont interdit de l´utiliser ensuite. L ´intrigue se déroule à Bucarest en 1938 et gravite autour des amours de Paul, Anna et Nora. Le roman débute par un banal accident de circulation et c´est pourquoi il est en quelque sorte prémonitoire. C´est qu´en mai 1945, Mihail Sebastian- qui n´avait que trente-huit ans- était renversé par un camion soviétique sur un boulevard de Bucarest…
L´ironie du sort a voulu que le centième anniversaire de la naissance de Mihail Sebastian coïncide avec l´entrée de la Roumanie dans l´Union Européenne. Écrivain francophile et à l´esprit cosmopolite, il occupe indiscutablement une place de choix dans le patrimoine culturel roumain et européen.
Comment je suis devenu un hooligan est en quelque sorte la réponse aux philippiques dont Sebastian fut l´objet après la parution en 1934 de son roman Depuis deux mille ans. Ce roman dépeint la vie d´un jeune juif roumain entre 1923 et 1933, sous les traits duquel on peut retrouver Sebastian lui-même, en proie à l´antisémitisme récurrent qui rongeait la société roumaine. Le narrateur s´interroge sur les causes qui le nourrissent depuis deux mille ans. Mais ce n´est pas à proprement parler à cause du sujet de son roman que Mihail Sebastian s´est vu attirer les foudres de tout le monde : des chrétiens et des juifs, des libéraux et des extrémistes. La polémique a été déclenchée par le texte de Nae Ionescu( d´une rare pauvreté intellectuelle selon Alain Paruit le traducteur de Depuis deux mille ans, en postface à la traduction française de 1998 aux éditions Stock), l´ami que Sebastian avait invité à préfacer son roman, devenu entre-temps un des idéologues de la Garde de Fer, le mouvement fasciste et antisémite roumain. Sebastian connaissait les idées plutôt conservatrices de Nae Ionescu, mais lorsqu´il lui a demandé de poindre une préface pour son roman, avant qu´il ne l´eût achevé, on n´avait pas encore saisi combien était extrémiste l´argumentaire de ce professeur universitaire dont le discours éloquent et enflammé avait enchanté nombre d´étudiants et de jeunes intellectuels de l´époque comme Emil Cioran(« L´ homme avait un charme extraordinaire…il nous a entraînés dans son aventure personnelle» in Continents de l´insomnie) et Mircea Eliade. Eugène Ionesco fut une des rares figures à n´avoir pas succombé au charme de ce professeur de philosophie et directeur de journal qui a largement inspiré Ghita Blidaru, un des personnages du roman Depuis deux mille ans. Pourquoi Sebastian aura-t-il donc décidé de garder et publier tout de même, dans son livre, le texte de ce préfacier devenu encombrant ? Parce que, comme nous le rappelle Alain Paruit, il n´avait contre cette préface de Nae Ionescu qu´une seule vengeance possible : c´était justement la publier.
Entre-temps Mihail Sebastian avait entamé la rédaction de son Journal (1935-1944) qui, bloqué par la censure, ne verrait le jour qu´en 1996, devenant un des plus grands best-sellers de la Roumanie postcommuniste. Ce livre, d´après les paroles d´André Clavel*,« constitue un document majeur sur le naufrage politique et la débâcle morale d´un pays qui flirte avec le fascisme et persécute les juifs en les chassant de leurs emplois». À Sebastian, devant une telle avalanche de haine, de violence et d´antisémitisme, il ne lui restait qu´ à se claquemurer dans son exil intérieur, pétri de littérature et faisant fi de tous les slogans patriotiques et soi-disant purificateurs qui ont envoûté tant d´intellectuels brillants comme Mircea Eliade ou Emil Cioran. Malheureusement, ce Journal (1935-1944), toujours traduit par Alain Paruit (éditions Stock 1998), se trouve en ce moment épuisé.**
Écrivain à l´esprit visionnaire et prémonitoire, il avait fait paraître en 1939, le roman L´accident, le dernier publié sous son nom, en raison des lois antisémites qui lui ont interdit de l´utiliser ensuite. L ´intrigue se déroule à Bucarest en 1938 et gravite autour des amours de Paul, Anna et Nora. Le roman débute par un banal accident de circulation et c´est pourquoi il est en quelque sorte prémonitoire. C´est qu´en mai 1945, Mihail Sebastian- qui n´avait que trente-huit ans- était renversé par un camion soviétique sur un boulevard de Bucarest…
L´ironie du sort a voulu que le centième anniversaire de la naissance de Mihail Sebastian coïncide avec l´entrée de la Roumanie dans l´Union Européenne. Écrivain francophile et à l´esprit cosmopolite, il occupe indiscutablement une place de choix dans le patrimoine culturel roumain et européen.
*In magazine Lire, numéro 340, novembre 2005.
**Ce livre a été entre-temps réédité le 31 octobre 2007.
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