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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 25 septembre 2008

Chronique d´octobre 2008



Olivier Rolin, le vieux bourlingueur (à propos de la parution de son dernier roman Un chasseur de lions).


Cette année où l´on signale ou l´on commémore (selon l´état d´esprit ou la fidélité aux vieilles utopies libertaires) le quarantième anniversaire des événements de mai 68, ceux qui ont vécu cette période effervescente n´ont pas manqué d´évoquer sous des airs nostalgiques ces moments de rêve qui ont secoué le paysage politique, social et culturel français. D´aucuns ont, par la suite, complètement renié les idées qui les avaient envoûtés, d´autres, par contre, sont restés fidèles à leurs idéaux tout en reconnaissant qu´ils s´étaient trompés de recette et que les mesures de transformation sociale proposées auraient pu mener à un régime totalitaire plus insupportable que la morosité de la démocratie soi-disant bourgeoise. La révolution des jeunes universitaires français a d´ailleurs laissé perplexes ceux qui en Europe de l´Est (en août de la même année, les chars du pacte de Varsovie mettaient un terme au printemps de Prague) luttaient pour la liberté d´expression et de création, comme me le rappelait en février dernier à Lisbonne le poète roumain Dinu Flamand, lors de la présentation de la traduction en portugais d´une anthologie de ses poèmes à la Fnac Chiado. Ceci dit, il est vrai que le courant soviétique était minoritaire, c´était le courant maoïste qui l´emportait de loin au sein des universitaires français. Après mai 68, la mouvance maoïste a eu des ramifications diverses et c´est là que nous introduisons notre figure de ce mois, Olivier Rolin, qui a intégré la branche armée de la Gauche Prolétarienne dont le but primordial était celui d´entraîner la classe ouvrière vers la révolution par le biais d´une violence symbolique.

Né en 1947, Olivier Rolin n´a fait irruption sur le paysage littéraire français qu´en 1977, une fois évanouies les vieilles ardeurs révolutionnaires. D´abord éditeur, Rolin n´a publié son premier livre- Phénomène futur- qu´en 1983, un roman ambitieux et intéressant et où l´auteur se cherchait encore une voie. En 1987, paraissait Le bar des flots noirs, c´est le premier livre que j´ai lu d´Olivier Rolin et celui pour lequel je garde une tendresse particulière. C´est l´histoire d´un diplomate-le narrateur (dans les traits duquel, nous reconnaissons un peu Olivier Rolin soi-même)- qui nous livre ses souvenirs où l´on voit défiler, à tour de rôle, les femmes qui l´ont fasciné, les villes de son cœur et les écrivains qui ont peuplé ces villes et les ont marquées de leur empreinte. On y croise l´ombre de Fernando Pessoa à Lisbonne, de Borges et de Gombrowicz à Buenos Aires, de Joyce et de Svevo à Trieste, de Kafka à Prague.

Dans les années quatre-vingt-dix, les livres se sont succédé et ont assis la réputation d´Olivier Rolin comme un des écrivains français les plus importants de sa génération : L´invention du monde (1993), Port-Soudan (1994 ; prix Femina), Mon galurin gris (1997), Méroé (1998) et Paysages originels (1999), un recueil de textes parus auparavant au journal Le Monde sur sept écrivains nés en 1899.

Au vingt et unième siècle, Olivier Rolin a déjà écrit Tigre en Papier (2002) où le narrateur évoque devant la fille de son meilleur ami les années révolutionnaires (un clin d´œil à la nostalgie de l´auteur) et Suite à l´Hôtel Crystal (2004) où chaque chapitre raconte les péripéties d´un personnage dans une chambre d´hôtel.

Le 21 août, lors de la dernière rentrée littéraire, Olivier Rolin est réapparu, toujours chez Le Seuil, l´éditeur auquel il reste fidèle, avec un nouveau roman Un chasseur de lions. Cette fois-ci, Olivier Rolin, cultivant ses airs de vieux bourlingueur à l´image de Blaise Cendrars, un brin «arrabalero» (ce mot dérivant de«arrabal» et évoquant les milieux populaires de Buenos Aires, une des villes de prédilection de l´auteur), nous raconte l´histoire croisée du peintre Manet et d´un sien ami, un pittoresque aventurier français du dix-neuvième siècle. C´est d´ailleurs ce personnage, Eugène Pertuiset, qui fut le modèle de Manet pour sa toile«Le chasseur de lions».L´idée de brosser le portrait un peu fictif de ce Pertuiset lui est venue, à Olivier Rolin, de deux découvertes qu´il aurait faites : un livre acheté en Patagonie il y a plus de deux décennies où l´on évoquait l´existence de cet aventurier français et la toile de Manet qu´il a vue au Musée d´art de São Paulo, au Brésil. En suivant avec force détails, souvent cocasses, les péripéties de Pertuiset à travers le monde, on se laisse emporter par ce langage inventif, bariolé, un tant soit peu baroque dont Rolin a le secret. Pertuiset est à tour de rôle- ou parfois tout à la fois- trafiquant d´armes, magnétiseur, explorateur ou chercheur de trésors. On retrouve notre personnage à Punta Arenas, à Lima où il suit de près les révolutions ou les combats politiques que s´y livrent Pardistes et Echeniquistes (plus tard remplacés par les Arenistes) et en voyage à bord du Valparaiso. On croise des figures comme Mallarmé, Berthe Morisot ou Baudelaire et l´on plonge dans des événements comme la Commune de Paris. On dirait que, pour ne pas déroger à sa mythologie personnelle, Olivier Rolin ne pourrait pas se priver d´y introduire des personnages interlopes ou loufoques tels cette fois-ci une femme sauvage et de supposés cannibales.

L´humour et l´autodérision sont des caractéristiques essentielles de ce dernier roman, comme elles l´étaient déjà, en quelque sorte, du roman précédent Suite à l´Hôtel Crystal. Mais, malgré la nature plutôt drôle de Un chasseur de lions, la mélancolie n´y est pas absente, la mélancolie qui est indiscutablement un des traits fondamentaux de l´œuvre d´Olivier Rolin.

Quand Un chasseur de lions sera traduit en portugais –il le sera forcément un jour, comme pratiquement tous les livres de l´auteur-on aura sûrement le bonheur de le revoir, avec son regard tantôt mélancolique, tantôt pensif, parfois ironique. Peut-être brossera-t-il un nouveau portrait de cette ville de Lisbonne qu´il adore, comme celui qu´il a admirablement fait pour le livre Sept villes, avec cette description magnifique du trajet du tramway 28. Ou alors inventera-t-il un nouveau personnage farfelu, comme le réactionnaire Fernando das Dores Pereira de la chambre de Coïmbra dans Suite à l´hôtel Crystal.

À Lisbonne, les sujets ne manquent pas, à coup sûr, pour inspirer la plume d´Olivier Rolin...