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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mercredi 29 janvier 2020

Chronique de février 2020.



L´esprit singulier de Catherine Colomb. 


 L´écrivain, journaliste et enseignant suisse vaudois Jeanlouis Cornuz(1922-2007), en évoquant en 1966, dans le numéro de printemps de la Revue neuchâteloise, sa compatriote Catherine Colomb, décédée le 13 novembre 1965,soulignait on ne peut mieux la modernité et l´originalité indiscutables de l´œuvre de cette écrivaine majeure des lettres suisses –et, il faut le dire, sans aucune hésitation, de la littérature de langue française- à laquelle la postérité semble vouloir accorder, ne serait-ce que timidement, la notoriété qu´elle n´a pas eue de son vivant. Certes, au crépuscule de sa vie, elle a atteint un certain succès, surtout après la parution de son roman Le temps des anges chez Gallimard, en 1962, grâce aux efforts incessants de Jean Paulhan qui lui vouait dès les premiers temps une admiration sans bornes. De toute façon, un succès encore insuffisant étant donné la vraie dimension de son œuvre romanesque, parmi les plus audacieuses et novatrices de sa génération. Pour en revenir aux paroles de Jeanlouis Cornuz, elles illustrent le rôle d´avant-garde que Catherine Colomb aurait eu d´une certaine manière devant le surgissement quelques années plus tard du Nouveau Roman : «Et c´est ainsi que dès 1942, Catherine Colomb a créé ce que nous goûtons sous «l´appellation contrôlée» de nouveau roman. Dix ans avant Simon, avant Butor ou avant Cayrol. Seule, à petit bruit, sans jamais écrire de «Voie pour le roman futur», ni condamner le roman traditionnel».
Ce rôle de précurseur d´un important courant littéraire français ne fait pas pour autant de Catherine Colomb à proprement parler une figure de proue de ce courant-là parce que comme nous le rappelle si bien Daniel Maggetti directeur de l´édition du volume Tout Catherine Colomb, les œuvres complètes de l´écrivaine vaudoise que les éditions Zoé ont publiées en novembre dernier, Catherine Colomb, puisant dans les lectures les plus diverses et coupée du monde universitaire après son mariage, a pu se forger une œuvre originale : «Sa position décalée vis-à-vis du monde littéraire et du contexte intellectuel(…)fait qu´elle n´est soumise à aucun conditionnement lourd, échappant aux modes comme à l´imitation. Avançant à l´écart des sentiers battus, elle allie les références classiques aux trouvailles inactuelles et fait s´alterner les textes consacrés et les potins de la chronique mondaine et du Gotha. N´ayant personne à qui elle devrait faire allégeance, elle peut se jouer des hiérarchies symboliques et des bienséances : ainsi, pour s´en tenir au seul aspect lexical, peu d´œuvres de son temps osent recourir comme la sienne au langage vaudois le plus terrien, et il n´y en a pas davantage qui se lancent sans crier gare dans le métissage des idiomes européens(…) Le même principe de circulation et de non-exclusivité des repères, parfois ludiques, s´observe dans le réseau des renvois intertextuels, où sont convoquées des gloires comme Goethe, Dickens, Lewis Carroll ou Anatole France, et des Vaudois oubliés tels Juste Olivier ou Frédéric Monneron».
Applaudie par Gustave Roud, Philippe Jaccottet-«la plus belle œuvre romanesque  depuis Ramuz» a-t-il affirmé un jour-, l´œuvre de Catherine Colomb, souvent comparée pour la recherche formelle à celles de Virginia Woolf ou de Marcel Proust (1),  est donc aujourd´hui reconnue en Suisse romande -et un peu moins en France- comme l´une des plus singulières du vingtième siècle, à la fois  par sa polyphonie, par son originalité stylistique, par son esthétique romanesque qui allie d´ordinaire ironie et lyrisme.
En France, le critique Jean Paulhan compte, on l´a vu, parmi ceux qui ont perçu dès ses premiers livres l´exceptionnel talent de l´écrivaine vaudoise. Il a essayé de convaincre Gaston Gallimard que l´on était devant «une romancière de génie». C´est par ces paroles qu´il s´exprime dans une lettre datée du 2 août 1951. Pourtant, le grand éditeur parisien, dans la meilleure tradition de la frilosité littéraire française devant tout ce qui est nouveau, ne voulait pas déroger aussi facilement aux canons qui faisaient la renommée de sa prestigieuse maison d´édition. Il a donc fallu, comme je l´ai écrit plus haut, attendre 1962 et le Temps des anges, son quatrième roman pour que Gallimard ouvre ses portes à l´œuvre de Catherine Colomb. Mais qui était au fait cette figure majeure des lettres suisses dont l´exigence, la hardiesse et, il est vrai, l´hermétisme, ont forcé l´admiration et, en même temps, déboussolé pas mal de lecteurs ?
Catherine Colomb est en effet le nom de plume de Marie-Louise Colomb, née le 18 août 1892 au château de Saint-Prex, troisième enfant de Victor –Arnold Colomb, qui avait interrompu des études de médecine après la mort de son père et se consacrait à la gestion du domaine viticole familial, et de Jeanne Champ –Renaud qui allait mourir  en couches avec sa fille Suzanne-Paulette à laquelle elle venait de donner naissance, cinq ans plus tard. Après le décès de sa mère, Catherine Colomb fut accueillie à Begnins dans sa famille maternelle. En 1910, après avoir obtenu son baccalauréat à l´Ecole supérieure de jeunes filles à Lausanne, elle est partie en Allemagne, ayant séjourné d´abord à Potsdam, puis à Weimar. Elle y a donné des leçons de français, a peaufiné ses connaissances de la langue et de la littérature allemandes, et a commencé à écrire des articles pour La Tribune de Lausanne, journal auquel elle n´a cessé de collaborer, quoiqu´irrégulièrement, jusqu´en 1920. En 1912, elle est rentrée en Suisse, mais l´année suivante nouveau séjour à l´étranger, certes plus court que le précédent, mais tout aussi enrichissant, surtout les mois passés en Angleterre où elle est descendue chez Philip et Ottoline Morrell. Avec Mme Morrell, Catherine Colomb a entretenu une correspondance régulière et amicale qui ne s´est achevée qu´avec la mort de la dame anglaise en 1938. De retour à Lausanne, elle s´est brièvement arrêtée à Paris-ville qui ne l´a pas vraiment impressionnée- pour revoir son cousin Paul Ancrenaz qui s´y était établi. Cette année-là -1913-, elle s´est inscrite comme étudiante régulière à la Faculté des Lettres de l´Université de Lausanne et la Tribune de Lausanne a publié une de ses fictions, un conte, le 25 décembre. En novembre 1916, elle a obtenu sa licence ès lettres modernes et jusqu´à son mariage avec l´avocat Jean Reymond en 1921, elle a fait des traductions, donné des leçons privées, fait des remplacements au collège et préparé une thèse de doctorat portant sur le parcours et  l´œuvre de Béat Louis de Muralt. Cette thèse, intitulée «Béat Louis de Muralt. Voyageur et fanatique», Catherine Colomb a fini par ne pas la soutenir, découragée par les observations de Henri Vuilleumier, un des membres les plus éminents de l´académie lausannoise, professeur d´exégèse de l´Ancien Testament et d´histoire ecclésiastique, à qui le directeur de thèse Paul Sirven avait soumis le texte.  Âgé de 70 ans, le professeur vaudois ne pouvait qu´être décontenancé par un texte très éloigné des normes qu´il prônait concernant la recherche en théologie et pourtant la thèse de Catherine Colomb –qui signait à l´époque Marie Colomb- que les éditions Zoé ont cru bon, à juste titre, de reproduire dans cette nouvelle édition de ses œuvres complètes (la précédente, publiée chez L´Âge d´Homme remontait à 1993), est d´une énorme limpidité et contient force détails sur la vie et l´œuvre de l´écrivain suisse Béat Louis de Muralt(1665-1749), un des noms les plus représentatifs du piétisme en Suisse. Le piétisme était un important mouvement religieux protestant fondé par Philipp Jacob Spener (1635-1705), un pasteur luthérien alsacien fixé à Francfort-sur-le-Main qui répondait à la demande d´une plus grande piété. Les piétistes étaient connus pour la sévérité de leur morale et leur aversion pour les plaisirs mondains, un peu à l´instar d´autres courants protestants comme les quakers et les méthodistes, et aussi, dans le cadre de la religion catholique, par exemple, les quiétistes.
Toujours est-il que cet essai de Catherine Colomb a une approche plus moderne, loin de l´académisme plutôt classique qui plaisait à Henri Vuilleumier. En plus, on y voit déjà en filigrane - dans ce que l´on peut considérer, sans aucune connotation péjorative, comme une œuvre de jeunesse - les caractéristiques qui feront la richesse de son œuvre future. Auguste Bertholet l´a justement affirmé dans sa présentation du texte : «Comme elle le fera plus tard dans ses romans, Marie Colomb intègre les curiosités glanées dans les sources aux propos qu´elle tient, en leur conférant le statut de micro-récits aussi éloquents que plaisants. La fascination pour les traces du passé, caractéristique de son esthétique, affleure déjà dans ces pages où les objets et les circonstances de la vie quotidienne, tout comme les anecdotes pittoresques retenues, ne sont pas les vecteurs d´un discours ou d´un bilan à prétention générale sur les événements, mais les moyens de dévoiler leur pouvoir et leur impact à l´échelle de l´individu. Publier «Béat Louis de Muralt. Voyageur et fanatique», c´est rendre justice à un travail qui a profondément contribué à façonner la posture intellectuelle et esthétique de Catherine Colomb, dont  le génie propre transparaît dans le portrait de Muralt qu´elle croque dans ce premier grand texte».
L´œuvre de Catherine Colomb n´est pas très vaste, mais elle traduit –comme on peut lire dès la quatrième de couverture de Tout Catherine Colomb- l´univers d´une romancière profondément originale dont la quête formelle est indissociable de ses préoccupations existentielles. Outre un ensemble d´articles publiés dans la presse et le texte sur sa thèse de doctorat, elle comprend six romans dont deux inédits qui n´avaient jamais vu le jour du vivant de l´écrivaine. Ces deux romans inédits sont Des noix sur un bâton (1935-1936), sorte de parodie des stéréotypes du roman sentimental, et Les Malfilâtre (1961-1965), roman inachevé, mêlant deux intrigues et divers lieux et époques.
Le premier roman Pile ou Face-que l´on peut qualifier encore de traditionnel dans la forme alors que le suivant, Châteaux en enfance, est résolument novateur là-dessus - fut publié en 1934, sous le nom de Catherine Tissot, et le début nous laisse déjà entrevoir l´étrangeté qui se cache derrière son univers romanesque : «Dix-huit heures. Les demi-dieux en vestons descendent dans les rues ; ils rentrent chez eux, s´assoient à table, et le geste de déplier leur serviette suffit pour faire apparaître  la pomme de terre paysanne, l´endive hollandaise, l´aubergine provençale, le café de Java». Les personnages de ses romans se cherchent une voie dans l´univers où ils se meuvent, mais ils semblent tous être reliés par un fil, une continuité temporelle ou peut-être ne serait-ce qu´un temps indéfini dans un monde lui-même indéfini et incohérent.  Châteaux en enfance (1945), Les esprits de la terre (1953) et Le temps des anges (1962) traduisent le déclin des propriétaires vignerons de la Côte et les blessures de l´enfance. La mémoire est naturellement au centre de son œuvre, mais comme l´écrit Daniel Maggetti dans sa présentation de Châteaux en enfance, peut-on faire confiance à ce qui émane de la mémoire lorsqu´on a l´ambition de transmettre des éléments du passé ? Le doute qui entoure toute reconstitution mémorielle est incarné dans le roman, ajoute Daniel Maggetti, par une jeune fille qui y surgit dès la première page, en train de broder,  prise de malaise et qui n´a pas la consistance d´un vrai personnage. Il y a même indécision concernant son nom : Jenny, Sophie, Eugénie, Louise ? Ainsi, le roman est-il en tension entre la volonté de saisir une figure pour la commémorer et la menace d´une dérive due à l´apparition simultanée et immaîtrisable de personnages, de situations et de propos autres. Et Daniel Maggetti poursuit un peu plus loin : «Dans Châteaux en enfance, les enjeux mémoriels sont l´objet constant d´une interrogation provoquée par l´échec programmé de toute évocation qui prétendrait à l´exactitude et à la fidélité objective. Bien qu´aisée, quoique foisonnante, celle que Jean-Luc Seylaz appelle «la mémoire romancière»(2), à savoir celle qui permet d´échafauder une intrigue, n´est pas un témoin fidèle ; quant à la «mémoire du cœur» qui vise à ressaisir des moments chargés d´affects mais impalpables, elle est par définition une source de frustrations répétées».   
 Malgré un certain regain d´intérêt ces dernières années, Catherine Colomb reste encore une inconnue pour nombre de lecteurs, y compris pour les plus attentifs et exigeants. Peut-être l´écrivaine vaudoise était-elle consciente que son œuvre dérogeait aux canons les plus à la mode. En 1964, un an avant sa mort, lors de l´Exposition nationale, elle a affirmé, se prêtant en quelque sorte au jeu de l´ironie, que lire ses ouvrages n´était pas à proprement parler une partie de plaisir : «Catherine Colomb? Elle est vraiment impossible à comprendre. Il y a un tel fouillis de personnages… À la quinzième page, on ferme le livre, on renonce. Mais bien sûr. Savez-vous pourquoi? Elle ne se comprend pas elle-même. Elle écrit au hasard, sans plan, sans but.».
On ne peut donc que saluer Zoé et tous ceux, Daniel Maggetti en tête, qui ont collaboré, de par leurs remarquables textes de présentation, à cette édition très fouillée de l´œuvre complète d´une exceptionnelle écrivaine suisse, une œuvre parmi les plus originales que la littérature de langue française ait connues au vingtième siècle.

(1)Catherine Colomb a fait part de l´engouement avec lequel elle avait découvert l´œuvre de Marcel Proust dans une lettre à Ottoline Morrell le 12 décembre 1925.

(2)Jean –Luc Seylaz in «Une seule blessure», revue Écritures 3, 1967, page 169, d´après la référence qu´en fait Daniel Maggetti lui-même.

Tout Catherine Colomb, textes établis, annotés et présentés par Auguste Bertholet, Valérie Cossy, Anne-Lise Delacrétaz, François Demont, Claudine Gaetzi, José- Flore Tappy et Daniel Maggetti, directeur de l´édition, 1680 pages, éditions Zoé, Genève, novembre 2019.
 

jeudi 9 janvier 2020

Article du Petit Journal Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal mon article sur le livre Le dernier hiver du Cid de Jérôme Garcin, aux éditions Gallimard:

 
 
 


 
 
 
 
 
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samedi 4 janvier 2020

Centenaire de la mort de Benito Pérez Galdós.


On signale aujourd´hui le centenaire de la mort d´un grand des lettres espagnoles :Benito Pérez Galdós. Il est né le 4 janvier 1920, à l´âge de 76 ans, à Madrid. Romancier, dramaturge et journaliste, il est sans doute le plus grand romancier réaliste espagnol et impressionne par l'ampleur de son œuvre. Il a passé la plus grande partie de sa vie à Madrid. Aujourd'hui, il est surtout connu en Espagne pour ses Episodios nacionales (46 volumes) et, à l'étranger, il est plus souvent cité pour ses Novelas españolas contemporáneas.