Qui êtes-vous ?

Ma photo
Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 29 novembre 2014

Chronique de décembre 2014



 
Svetlana Alexievitch
   
Ma patrie est-elle la nostalgie ? 


Alors que l´on vient de commémorer le vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin, de la fin du communisme en Europe de l´Est et du début de l´effritement de l´Urss, la nostalgie, surtout en Russie et en Biélorussie, de l´ancien empire soviétique-ou du moins d´un régime autoritaire tout court-ne s´est jamais mieux portée. Vladimir Poutine ne l´a d´ailleurs jamais caché, pour lui l´effondrement de l´Union Soviétique fut une catastrophe. La fierté nationale est au zénith en Russie et les incursions des milices séparatistes pro-russes dans le conflit ukrainien font rêver ceux qui ne se sont jamais remis de l´écroulement du communisme. Nous sommes en train de vivre des temps fort saugrenus où les nostalgiques du pouvoir soviétique sont sous la même longueur d´onde que l´extrême-droite française de Marine Le Pen ou le nationalisme cocardier et fascisant du premier ministre ultra -conservateur hongrois Viktor Orban !
En Russie, il manque indiscutablement un travail de mémoire, l´exorcisation des vieux démons et la réflexion sur des sujets tabous. Ceux qui s´y sont employés ont toujours été vus non pas à proprement parler comme des traîtres, mais au moins comme des gens manquant de respect pour le patrimoine historique du pays. Néanmoins, les plaies sont bien là et elles ne sont pas près de se refermer. Un des apports les plus décisifs à ce travail d´introspection sur le passé russe et soviétique fut jusqu´ici mené par la grande écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch.
Née en 1948 en Ukraine, elle a tôt quitté le pays de sa naissance pour la Biélorussie où elle  a vécu dans la campagne. Son père y était directeur d´école et sa mère institutrice et bibliothécaire. Pourtant, pendant les vacances d´été, elle revenait en Ukraine chez sa grand-mère, un temps dont elle se souvient toujours avec un énorme plaisir, comme elle l´a rappelé dans une interview toute récente accordée à Michel Eltchaninoff parue dans le numéro de novembre de Philosophie Magazine : «La Biélorussie est un pays de marais. Il y fait gris. L´atmosphère est plutôt maussade. Alors qu´en Ukraine, il y a des fleurs partout. La pauvreté règne, mais les maisons sont si belles et la nature embaume. Les poêles sont chauffés à la paille et dégagent un parfum extraordinaire. On cuit son pain soi-même…». Cette grand-mère, de l´aveu même de l´écrivaine, lui a ouvert tout un monde. Entre autres choses, elle fut la première à lui parler du Holodomor, la famine ordonnée par Staline en 1933 qui a décimé des millions de personnes. Un jour, en passant dans une maison du voisinage d´où elles ont vu sortir une femme, la grand-mère s´est mise à chuchoter : c´était une femme qui avait mangé ses enfants durant la famine.
Mais d´autres souvenirs racontés par la grand –mère nourrissaient sa mémoire d´enfant : la seconde guerre mondiale, l´occupation nazie et le sort des juifs, nombreux en Biélorussie, et surtout le patriotisme et l´héroïsme des Soviétiques. Les récits littéraires n´abordaient la guerre que sous cet angle-là, faisant l´impasse sur la souffrance endurée par les soldats, les femmes et les citoyens, en général.  Mais le plus dur c´était le portrait idyllique que le régime brossait du communisme, un portrait relayé et ressassé par la littérature autorisée et les manuels scolaires. Svetlana Alexievitch n´est pas naturellement née dissidente, elle a même appartenu aux Jeunesses Communistes, mais petit à petit elle a commencé à questionner auprès de ses enseignants nombre d´informations véhiculées par la propagande officielle tant et si bien qu´à un moment donné elle a même fini par être punie et empêchée de bénéficier d´ un prix  qu´on lui avait octroyé et qui lui aurait permis de visiter tous les «lieux de Lénine» en Europe !
Dès 1972, elle a suivi des études de journalisme qui lui ont donné la possibilité, malgré le verrou imposé par le régime soviétique, de dessiller les yeux sur la glorification du communisme, quoique d´une façon fort ténue. Ce n´est que beaucoup plus tard, en voyageant à l´étranger, qu´elle a pu connaître avec un considérable retard, bien entendu, la littérature sur les camps staliniens.
C´est néanmoins dans les années quatre-vingt que sa vie a basculé. Alors qu´elle travaillait pour un petit journal rural, elle est tombée sur les ouvrages de l´écrivain biélorusse Ales Adamovitch qui enregistrait avec des amis les propos des survivants des villages brûlés par les nazis pendant la guerre. S´inspirant de ce travail et s´avisant que les femmes étaient absentes de ces récits, elle s´est donné une vocation d´écrivain en convoquant des voix de femmes. C´est ainsi qu´a vu le jour son premier livre : La guerre n´a pas un visage de femme qui est d´abord paru dans la revue Octobre en 1983. À l´époque, on en était encore au temps de la censure-et souvent de l´autocensure- et donc le récit fut amputé de quelques parties importantes. Il a pourtant connu un énorme retentissement dans tout le territoire soviétique.
 Quand on évoque les livres de Svetlana Alexievitch-ce tout premier et les suivants- on pense d´ordinaire à un genre hybride entre littérature et journalisme. Néanmoins, ils ne puisent pas à proprement parler dans la même source du Nouveau Journalisme (New Journalism, en anglais) comme In cold blod(De sang-froid),de Truman Capote,  ni de  ceux qui s´en rapprochent comme les livres de Ryszard Kapuscinski, ni des précurseurs du genre tels Operación Masacre(Opération Massacre) et Quién mató a Rosendo ?(Qui a tué Rosendo ?) de Rodolfo Walsh, The Road to Wigan Pier(Quai de Wigan) de George Orwell ou certains livres d´Albert Londres. Svetlana Alexievitch, quant à elle, donne libre cours à la parole des gens, de ceux qui ont vécu- et subi-les événements.
Dans La guerre n´a pas un visage de femme, on peut lire les témoignages de milliers de femmes russes envoyées au front pour combattre l´ennemi nazi, parfois à peine sorties de l´enfance.  Retenons-en deux qui illustrent on ne peut mieux le vécu de ces femmes à la guerre :
Maria Silvestrovna Bojok (infirmière) : «Le plus insupportable pour moi, c´étaient les amputations…Souvent, on amputait si haut que lorsque la jambe était coupée, j´étais à peine capable de la soulever pour la déposer dans le bac. Je me souviens  combien c´était lourd. Je prenais la jambe discrètement pour que le blessé n´entende rien, et je l´emportais dans mes bras comme un bébé…Surtout si c´était une amputation haute, loin au-dessus du genou. Je n´arrivais pas à m´y habituer. Dans mes rêves, je trimballais des jambes…Je n´écrivais rien de tout cela à maman. Je disais que tout allait bien, que j´étais chaudement vêtue et bien chaussée. Elle avait trois enfants au front, c´était dur pour elle…»
Elena Nikiforovna Ievskaïa(simple soldat, ravitailleuse) : «Le quatre années qu´a duré la guerre, je les ai passées sur les routes… Je voyageais selon les panneaux indicateurs(…) Au centre de ravitaillement, on se voyait remettre du tabac, des cigarettes, des pierres à briquet(…) et puis, en route ! Tantôt en voiture, tantôt en chariot, mais le plus souvent à pied, accompagnée d´un ou deux soldats. On se coltinait tout sur l´échine. On ne pouvait pousser les chevaux jusqu´aux tranchées, les Allemands auraient entendu les grincements. On trimballait tout sur soi. Sur son dos.»
Malgré la révélation de quelques vérités que l´on eût préféré mettre sous le boisseau, ce livre n´a pas suscité le tollé d´un livre ultérieur publié en 1990, Les cercueils de zinc. Dans ce livre, Svetlana Alexievitch s´est attaquée à un des derniers tabous de l´Urss : le mythe de la guerre d´Afghanistan où les soldats soviétiques étaient présentés par la propagande officielle comme des guerriers libérateurs alors qu´ils lançaient des grenades dans les maisons d´argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher refuge. Un lieutenant, entre autres témoins, évoque ces temps durs, ce guêpier où on les avait fourrés : «La vérité, seul un désespéré vous la racontera tout entière(…) Qui racontera la drogue qu´on transportait dans les cercueils ? Les pelisses…À la place des morts…Qui vous montrera les chapelets d´oreilles humaines séchées ?Des trophées de guerre…On les gardait dans des boîtes d´allumettes vides…Elles s´enroulaient comme de petites feuilles…Impossible ? Ça choque d´apprendre ça au sujet de braves gars soviétiques ? Si, c´est possible puisque c´est vrai(…) Je n´y suis pas allé pour tuer, j´étais un homme normal. On nous a expliqué qu´il y avait des bandits et que nous serions des héros, qu´on nous dirait merci(…) Je ne saurais pas dire ce qui avait changé, mais j´étais un autre homme, même physiquement.»
Ce livre, Les cercueils de zinc, et le spectacle qui en fut tiré ont causé bien des soucis à l´écrivaine. Des mères de combattants morts en Afghanistan et des anciens soldats lui ont intenté un procès sous prétexte qu´elle aurait travesti et dénaturé les propos recueillis. L´affaire s´est par la suite estompée, mais certains secteurs de la société ne l´ont pas ménagée en la couvrant de toutes sortes d´injures comme entre autres «agent de la CIA» et «valet de l´impérialisme capable de dénigrer la patrie et ses héroïques enfants pour deux Mercedes et une poignée de dollars…». Ce livre est paru en 1990, la fin de l´Urss était proche…
Svetlana Alexievitch n´était pourtant pas consciente au début d´écrire une vaste fresque du siècle soviétique, comme elle l´a affirmé en répondant à une question de Michel Etchaninoff dans l´entretien cité plus haut. C´est la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 qui lui a permis de s´aviser que l´Union Soviétique était en train de montrer des signes -peut-être encore imperceptibles pour la plupart des gens-d´effritement. Le livre- document qu´elle a consacré à cette tragédie, La supplication-Tchernobyl, chronique du monde après l´apocalypse a vu le jour en 1997.  Là,  on plonge dans une tragédie d´un genre nouveau où l´on se rend compte que le progrès technique, tant vanté par les régimes de tout bord, peut déboucher sur une voie suicidaire qui touche les êtres humains, mais aussi les plantes et les animaux, bref la vie sur terre. La catastrophe a eu lieu le 26 avril 1986 à 1h23 à cause de la fusion d´un réacteur. La ville de Tchernobyl se situe à 96 kilomètres au nord de Kiev, en Ukraine, mais tout près de la frontière biélorusse. Aussi est-il naturel que la Biélorussie en ait été particulièrement touchée. Pour donner l´exacte mesure du désastre que cet événement a provoqué dans ce petit pays de dix millions d´habitants, il faut rappeler que pendant la seconde guerre mondiale, les nazis y ont détruit 619 villages et exterminé leur population. À la suite de Tchernobyl, en 1996, dix ans après la catastrophe, 485 villages étaient perdues. En plus, la seconde guerre avait tué un Biélorusse sur quatre alors qu´en 1996, un citoyen sur cinq vivait dans une région contaminée. Cette année-là, dans une encyclopédie du pays on pouvait lire ce qui suit: «À la suite de l´influence permanente de petites doses d´irradiation, le nombre de personnes atteintes, en Biélorussie, de cancers, d´arriération mentale, de maladies nerveuses et psychiques ainsi que de mutations génétiques s´accroît chaque année…». Ces informations historiques sont fournies au début du livre –document de Svetlana Alexievitch où l´on trouve aussi des témoignages poignants comme celui intitulé «Monologue sur une vie entière écrite sur une porte» livré par Nikolaï Fomitch Kalouguine, un père : «À l´époque, tout le monde disait que nous allions tous mourir. Que vers l´an 2000, il n´y aurait plus de Biélorusses. Ma fille avait six ans. Je la borde et elle me murmure à l´oreille : «Papa, je veux vivre, je suis encore petite». Et moi qui pensais qu´elle ne comprenait pas…Pouvez-vous imaginer sept filles totalement chauves en même temps ? Elles étaient sept dans la chambre(…) Ma femme ne pouvait plus supporter de la voir à l´hôpital(…) Nous l´avons allongée sur la porte…Sur la porte qui avait supporté mon père, jadis. Elle est restée là jusqu´à l´arrivée du petit cercueil…Il était à peine plus grand que la boîte d´une poupée. Je veux témoigner que ma fille est morte à cause de Tchernobyl. Et qu´on veut nous faire oublier cela».
En 2013, est paru aux éditions Actes-Sud, le dernier livre de Svetlana Alexievitch, qui fut couronné des prix Médicis Essai et Meilleur Livre Étranger du magazine Lire : La fin de l´homme rouge-ou le temps du désenchantement où l´on revisite l´Urss, l´histoire et la mémoire de cette grande utopie.
Ce livre nous guide à travers les méandres de la nostalgie du communisme, deux décennies après l´écroulement de l´Union Soviétique. Malgré les purges staliniennes, le Goulag, la censure, l´immobilisme, la pénurie souvent dans les étagères des magasins et les denrées de deuxième catégorie, beaucoup de gens étaient attachées au communisme par son côté utopique, l´espoir dans l´avènement de l´Homme nouveau, l´héroïsme pendant la guerre, le culte du sacrifice, l´assurance d´avoir toujours du travail, bref toute une philosophie qui sous-tendait un projet de société.
Un des nombreux témoignages dans ce sens nous est livré par Margarita Pogrebitskaïa, médecin de 57 ans : «Mon père, lui, avait participé à la révolution…il avait été victime des répressions en 1937. Mais il avait été libéré très vite, parce qu´bolchevik en vue, qui le connaissait personnellement, était intervenu en sa faveur. Il s´était porté garant pour lui. Mais papa n´avait pas été réintégré dans le Parti. C´est un coup dont il ne s´est jamais remis. En prison, on lui avait cassé les dents, on lui avait fendu le crâne. Mais il n´avait pas changé, il était resté communiste. Vous pouvez m´expliquer ça ? Vous croyez qu´ils étaient tous des imbéciles ? Des naïfs ? Non, c´étaient des gens intelligents et cultivés. Maman lisait Shakespeare et Goethe dans le texte, et papa était diplômé de l´Académie Timiriazev. Et Blok ? Et Maïakovski ? Et Inès Armand ? C´étaient mes idoles…Mes modèles…J´ai grandi avec eux».Margarita Pogrebitskaïa elle-même ne cache pas la nostalgie de sa jeunesse et de ce passé glorieux…»
En écrivant ces lignes, je ne puis m´empêcher de citer une de mes dernières lectures, le récit Le météorologue d´Olivier Rolin (éditions du Seuil)*, un des livres les plus intéressants de cette dernière rentrée, où ce grand écrivain français nous fait connaître l´histoire d´Alexeï Féodossiévitch Vangengheim(le météorologue, justement) qui, dénoncé, tombé en disgrâce et déporté aux îles Solovki aurait cru jusqu´au bout à une erreur, voire une cabale, ignorées des hautes instances du pouvoir et donc de Staline. Il aurait toujours gardé la foi en la patrie du socialisme.
«Comment le désir de faire le bien peut-il déboucher sur le mal absolu ? » s´interroge aujourd´hui Svetlana Alexievitch, pressentie depuis deux ans pour le prix Nobel de littérature. Elle est de retour à Minsk, capitale de la Biélorussie (ce pays, tenu d´une main de fer par Loukachenko, n´a jamais cessé, à vrai dire, d´être communiste) et poursuit son intervention civique- en mars, elle a pris position dans le conflit entre la Russie et l´Ukraine, s´étant ainsi attiré les foudres des pro-russes - après des années en exil, notamment en Allemagne, soutenue par le Pen Club et la fondation Soros.
Quant aux lecteurs qui admirent son œuvre, ils suivront –sûrement avec enthousiasme- le travail remarquable qu´elle mène depuis bientôt trois décennies, un travail qu´elle a su expliquer on ne peut mieux lors de l´entretien cité plus haut : «Je ne suis pas journaliste. Je ne reste pas au niveau de l´information, mais j´explore la vie des gens, ce qu´ils ont compris de l´existence. Je ne fais pas non plus un travail d´historien, car tout commence pour moi à l´endroit même où se termine la tâche de l´historien : que se passe-t-il dans la tête des gens après la bataille de Stalingrad ou après l´explosion de Tchernobyl ? Je n´écris pas l´histoire des faits mais celle des âmes».

Livres cités de Svetlana Alexievitch (éditions françaises les plus récentes) :

La guerre n´a pas un visage de femme (éditions J´ai lu, février 2005;traduit du russe par Galia Ackerman et Paul Lequesne) 
Les cercueils de zinc (Collection Titres, Christian Bourgois,2006;préface de Dmitri Savitski, traduit du russe par Wladimir Berelowitch et Bernadette du Crest)
La supplication-Tchernobyl, chronique du monde après l´apocalypse (éditions J´ai lu, juin 2011;traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain)
La fin de l´homme rouge-ou le temps du désenchantement( Actes Sud, septembre 2013; traduit du russe par Sophie Benech).

* J´ai écrit un article sur ce livre pour l´édition Lisbonne du Petit Journal qui fut publié le 27 novembre. L´article s´intitule:Comment expliquer une foi immense?


mercredi 26 novembre 2014

Le prix de l´Art et de la Culture pour Lídia Jorge



Lídia Jorge, un des noms les plus représentatifs de la littérature portugaise contemporaine, vient d´être couronnée du Prix Portugais et Espagnol de l´Art  et de la Culture attribué tous les deux ans par les gouvernements du Portugal et de l´Espagne à un intellectuel des deux pays. Le lauréat est élu par un jury composé d´universitaires portugais et espagnols.
Lídia Jorge est l´auteur d´une oeuvre abondamment traduite,déjà récompensée par de nombreux prix internationaux dont-dernier en date- celui de l´Union Latine en 2011.
Admirateur depuis longtemps de l´oeuvre de Lídia Jorge, je ne puis que me réjouir de cette distinction. 

lundi 24 novembre 2014

Le prix Cervantès 2014 pour Juan Goytisolo.


Le prix Cervantès- le plus important des lettres hispaniques-version 2014 vient d´être attribué à l´écrivain espagnol Juan Goytisolo. Le moins que l´on puisse dire c´est qu´il était temps!Vous pourrez retrouver le portrait que j´ai brossé de ce grand écrivain dans les archives de l´année 2007 de ce blog. Bonne lecture!

samedi 22 novembre 2014

Souvenir de Michel Lafon

Michel Lafon est décédé il y a un mois(le 22 octobre)à Grenoble. Né à Montpellier en 1954, ce spécialiste de littérature argentine et amant de la bande dessinée a écrit en 2008 le roman Une vie de Pierre Ménard, couronné l´année suivante du Prix Valery Larbaud. Je reproduis ici, en guise d´hommage, un article que j´ai écrit à l´époque et qui a été publié dans le bulletin Literalia de l´Institut Français du Portugal.

  



L´énigme Pierre Ménard.


 Dans l´une de ses fictions les plus extraordinaires*, Jorge Luis Borges a inventé un personnage- Pierre Ménard, un érudit nîmois- qui s´était promis d´accomplir une tâche des plus saugrenues : produire des pages qui seraient identiques, mot à mot, au Don Quichotte de Miguel de Cervantès. La gageure, aussi excentrique fût-elle, a pourtant inspiré à Borges des commentaires comme seul un esprit génial pourrait en enfanter. En effet, Pierre Ménard eût-il réussi son pari, il fallait, selon Borges, interpréter son texte à la lumière de l´époque où il a été conçu. Or, les idées ou la  définition de l´histoire des deux époques-le dix-septième siècle de Cervantès et le vingtième de Pierre Ménard- creusent une indiscutable inégalité entre les deux textes, fussent-ils identiques. En outre, la langue de Cervantès correspondait aux canons propres du siècle où il a vécu alors que le même style au siècle de Pierre Ménard serait tout à fait archaïsant. Ces considérations renvoient aussi à l´importance du lecteur qui est naturellement différent selon les époques. Mais tout lecteur est-il en droit d´interpréter un texte comme bon lui semble ? Aussi certains observateurs ont-ils vu dans ce récit de Borges un pied de nez à une certaine critique littéraire et universitaire.
  Quoi qu´il en soit, les fictions de Borges, de par leur richesse et leur originalité, suscitent toujours elles aussi plusieurs interprétations. Pierre Ménard est-il d´ailleurs vraiment un personnage de fiction ? Non, je ne parle pas de Pierre Ménard, premier lieutenant -gouverneur de l´Illinois, né en 1767 et mort en 1844, dont il n´y a aucun doute qu´il a bel et bien existé. Je parle bien du Pierre Ménard de Borges. C´est qu´en octobre 2008, les éditions Gallimard ont fait paraître un roman intitulé Une vie de Pierre Ménard où l´auteur Michel Lafon, auteur de plusieurs essais sur la littérature latino-américaine, nous propose une fiction sur Pierre Ménard, qui ne serait donc plus un personnage de Borges, mais aurait même été un  proche de Paul Valéry et d´André Gide et aurait exercé –quoique quasiment en catimini- une influence non négligeable sur plusieurs de ses contemporains.
 Cette vie de Pierre Ménard nous est racontée par un de ses disciples, Maurice Legrand qui a organisé tout un dossier constitué il y a cinquante ans. Le livre contient un avant-propos de Maurice Legrand écrit le 24 août 1957 à Montpellier et un avertissement de l´éditeur daté du 24 décembre 2008, des lettres censément écrites par Borges,Paul Valéry ou André Gide et par Pierre Ménard lui-même. On évoque également des rencontres entre Paul Valéry et André Gide et l´on reproduit les propos que celui-ci aurait confiés à Ménard (lettre de mars 1896) : «Nos premières entrevues de Montpellier, grâce à vous et comme à votre ombre bienveillante, ont un charme de souvenir que je ne retrouve à rien d´autre, un charme tout particulier, presque indépendant de nous deux tant y aidaient la saison, les avenues du Peyrou et les allées du jardin des Plantes, la tombe de Narcissa, votre enseignement et votre amitié si sensibles- si présents- dans ce paysage, et notre âge.» (page 23)
  Le jardin des Plantes à Montpellier auquel on vient de faire allusion par Gide interposé aurait inspiré des fragments et des notes préparatoires à Pierre Ménard. Ce seraient des pages perdues ou abandonnées par Ménard dans la maison de Castelnau –le -Nez et retrouvées l´été 1947, dix ans après sa mort, par Maurice Legrand qui a donc décidé de les inclure dans son récit. L´histoire est aussi émaillée de plusieurs notes de Maurice Legrand et l´on retrouve également un texte de souvenirs d´avril 1919 que Jorge Luis Borges aurait directement rédigé en français et envoyé à Maurice Legrand en 1950. Dans ce texte, Borges faisait état de la seule visite qu´il eût effectuée au Jardin des Plantes et où il aurait justement rencontré Pierre Ménard.
 Engagé volontaire de la Grande Guerre à l´âge de cinquante ans, Pierre Ménard aurait été non seulement un remarquable érudit, lecteur avide, mais aussi un fin épistolier, un collectionneur de monnaies antiques et un traducteur. Dans ce registre, il n´aurait jamais souscrit à la vieille maxime du traduttore, traditore. Bien au contraire il aurait toujours opté pour une fidélité absolue au texte original. Une méthode qu´un ami, professeur à la Sorbonne aurait appelée la ménardisation. Interrogé sur le risque de défiguration du français, il aurait répondu : «Je  crains surtout qu´une langue- que ma langue- se fige, je crains qu´un roman traduit en français soit lu comme un roman français de plus, je crains que tout ce qui fait l´autre langue, l´autre culture, l´autre monde soit aplati, gommé, anéanti (…) Un bon lecteur est celui qui accepte d´être dérangé dans ses habitudes. Je tiens encore qu´il sait gré au traducteur de l´inconfort, du dérangement qu´il lui impose.» (page 63)
  En mêlant réalité et fiction, Michel Lafon a réussi avec ce premier roman un sacré coup de maître, tant et si bien qu´en en achevant la lecture vous vous poserez sûrement la question qui s´impose :«Est-il vraiment un personnage de fiction, ce Pierre Ménard ?»Qu´en pensez-vous ?

*«Pierre Ménard, auteur du Quichotte»in Fictions, Gallimard, collection Folio nº 614( version originale espagnole- Ficciones- disponible dans la collection Biblioteca Borges chez Alianza Editorial).

Une vie de Pierre Ménard, Michel Lafon, éditions Gallimard,Paris, 2008.





















mercredi 5 novembre 2014

Le prix Goncourt 2014 pour Lydie Salvayre





  Le prix Goncourt version 2014 a été attribué à Lydie Salvayre pour son roman Pas pleurer(éditions du Seuil), au cinquième tour pour cinq voix contre quatre revenues au roman Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud(éditions Actes Sud;voir notre chronique d´octobre).

Ce très beau roman de Lydie Salvayre dont le sujet est la guerre civile d´Espagne (1936-1939) nous présente deux voix entrelacées : celle de l´intellectuel français Georges Bernanos, témoin direct du drame espagnol(voir son oeuvre Les Grands Cimetières sous la lune), et celle de Montsé, la mère de la narratrice, une villageoise de haute Catalogne qui se souvient, soixante-quinze ans après les événements, des jours heureux de l´insurrection libertaire. 
Bonne lecture.
(P-S-Le 8 novembre-J´ai écrit un article sur ce livre. Il a été publié dans l´édition Lisbonne du quotidien «Le petit journal»
http://www.lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/culture/199018-litterature-le-prix-goncourt-2014-a-ete-attribue-a-lydie-salvayre)