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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 29 août 2010

Chronique de septembre 2010


Ernest Hemingway

The Home Museum Ernest Hemingway, Key West



Les lieux d´Ernest Hemingway.



Le 1er août, dans la dernière page du quotidien espagnol El País, l´écrivain Manuel Vicent dans sa rubrique d´été «Los cafés litérarios»(Les cafés littéraires) évoquait les cafés qui avaient acquis leur réputation grâce à l´image d´un de leurs clients les plus célèbres, l´écrivain américain Ernest Hemingway. Je ne puis que remercier Manuel Vicent de m´avoir donné l´idée pour cette chronique. Je ne vais pas jusqu´à dire que j´étais à proprement parler en panne d´imagination, mais j´hésitais encore sur le sujet de mon prochain rendez-vous mensuel avec les lecteurs de mon blog. C´est que je peux modestement me prévaloir d´avoir visité la plupart de ces endroits où semble planer encore l´ombre de cet écrivain majeur du vingtième siècle.
La légende de Hemingway, on le sait, tient à son côté excessif mais à la fois populaire, un homme inconstant qui savait jouir des plaisirs de la vie au risque de ruiner sa santé, notamment en raison de son goût immodéré pour les boissons alcoolisées. Homme à femmes, il s´est marié à quatre reprises. Avec Hadley Richardson, sa première épouse, sa liaison a duré de 1921 jusqu´en 1927 ; avec la deuxième, Pauline Pfeiffer, il a vécu de 1927 jusqu´en 1940 ; Martha Gellhorn a partagé sa vie entre 1940 et 1945 et finalement Mary Welsh est restée auprès de lui jusqu´à son suicide en 1961. De sa liaison avec Hadley Richardson, il a eu un enfant et avec Pauline Pfeiffer deux enfants. Mais Hemingway se plaisait aussi dans la chasse et la pêche. Né le 21 juillet 1899 à Oak Park, près de Chicago dans l´Illinois, Hemingway a passé de larges périodes de son enfance dans la résidence d´été de sa famille sur les rives du lac Walloon, près de Detroit dans le Michigan, une région habitée par les Indiens Ojibways et c´est là que son père lui a offert son premier fusil de chasse à l´âge de dix ans. Malheureusement, la chasse est aussi indirectement à l´origine d´une des plus grandes tragédies de sa vie. En 1952, alors qu´il participait à un safari en Afrique, il a failli se tuer dans un accident d´avion, un accident qui lui a laissé des séquelles pour le restant de ses jours.
La pêche a toujours été, elle aussi, une de ses passions, surtout la pêche à la truite, une passion dont on déniche force empreintes dans son œuvre. Olivier Rolin, dans son livre de 1999 Paysages originels(1), nous rappelle que la pêche à la truite est omniprésente dans la plupart des livres de Hemingway. Ainsi dans Le soleil se lève aussi (The Sun also rises, connu aussi sous le nom de Fiesta), Bill et Jake vont-ils pêcher la truite, de même pour le héros d´ Adieu aux armes ( A farewell to arms) quand il arrive sur le Lac Majeur. Ou encore dans Pour qui sonne le glas (For whom the bell tolls) où Robert Jordan aperçoit une truite dans le torrent à la poursuite de quelque insecte.
Hemingway a beaucoup vécu en Europe, surtout après la première guerre mondiale, à laquelle il a participé après l´entrée en lice des États-Unis dans le conflit. Il a fait partie de la Croix Rouge italienne, il a été blessé et s´est épris, pendant sa convalescence dans un hôpital milanais, d´une jeune infirmière américaine, Agnès von Kurowsky qui lui aurait inspiré le personnage de Catherine Berkley de son futur roman A farewell to arms(Adieu aux armes).
Une fois terminé ce conflit ravageur qui a provoqué des milliers de morts, recomposé les frontières européennes et assis définitivement la suprématie des États-Unis en tant que première puissance mondiale, Hemingway a décidé de rester en Europe où il a entamé une carrière de grand reporter et d´écrivain vivant tout d´abord à Paris. Il y a fait partie de ce que l´on a dénommé la génération perdue (the lost generation), celle d´une foule d´américains qui ont raconté dans leurs écrits les désarrois d´une génération bouleversée par les transformations sociales et morales de leur pays. Outre Hemingway, ce groupe incluait des noms tels Gertrude Stein (la fondatrice du groupe, qui a dit un jour, comme boutade, il est vrai, que les États-Unis étaient le plus vieux pays au monde), Ezra Pound, Scott Fitzgerald, T.S.Eliot, Sherwood Anderson, John dos Passos(2) ou Silvia Beach, entre autres.
Le café de Flore, la Closerie des Lilas, Les deux Magots ou La Coupole sont des endroits où l´on peut encore flairer l´ombre de ces écrivains de la génération perdue, cette génération où Hemingway occupait cela va sans dire une place de choix. Moi qui ne suis pas à vrai dire un client particulièrement assidu des cafés de Lisbonne qui, à quelques exceptions près, sont des endroits sans attrait et sans charme, je me régale dans les cafés parisiens. La décoration, les photos des écrivains, les canapés capitonnés ou la splendeur des terrasses m´enivrent à chaque déplacement que je fais dans la ville lumière.
C´est à Paris que Hemingway a écrit en 1926 The sun also rises (Le soleil se lève aussi), un roman qui raconte l´histoire d´un journaliste Américain, Jake Barnes, qui travaille à Paris, discret et émouvant, et toute une pléiade de figures désemparées, déboussolées, sombrant parfois dans l´alcoolisme ou le désespoir. C´est un portrait réaliste des figures qui se cherchaient une voie ou voulaient se refaire une virginité dans le Paris d´après-guerre avec également des incursions à Pampelune en Espagne pour les fêtes populaires de Saint-Fermin. De ce roman il y a eu deux adaptations cinématographiques : un film de Henry King en 1957 avec Tyrone Power et Ava Gardner et un téléfilm de James Goldstone en 1984.
Dans ce roman, on peut se faire déjà une idée du style de Hemingway. Un style direct, fait d´économie verbale et de cohésion lexicale, et conférant aux personnages une authenticité qui est sans doute à l´origine du succès de ses livres auprès d´un large public. Comme quelqu´un l´a écrit un jour, pour Hemingway, l´esthétique implique, avant tout, une éthique et non une métaphysique (c´étaient curieusement les paroles de Sartre à propos de Faulkner). Son style économique fut aussi visible en 1954, quand, lors de la cérémonie d´attribution du prix Nobel de Littérature à Stockholm, Hemingway a prononcé le discours le plus succinct jamais produit à ce jour.
Mais si Paris est toujours une fête comme l´indique le titre d´un des romans d´Ernest Hemingway (A moveable feast, en anglais), l´Espagne a également joué un rôle primordial dans la vie et l´œuvre de l´écrivain. Il s´y est déplacé assez souvent, y a vécu aussi et a toujours été un aficionado des corridas. Lui, un homme au tempérament violent, excessif et chaleureux, ne pouvait s´empêcher de se prendre d´amour pour ce pays gorgé de soleil et de feu. Il s´est lié d´amitié avec des toreros et des intellectuels espagnols et en 1936 il a participé à la guerre civile d´Espagne, en tant que journaliste.
Pourtant, si Ernest Hemingway n´a jamais à vrai dire délaissé ses amours européennes, il est des endroits que l´on ne saurait oublier en évoquant l´homme et l´écrivain: Cuba et Key West.
Quand en août 2002, j´ai entrepris avec ma mère un voyage à Fort Lauderdale, près de Miami, en Floride, pour rendre visite à une branche de la famille – mes cousins du côté paternel, installés depuis des décennies aux États-Unis et devenus citoyens américains-, je ne pouvais nullement m´imaginer que ma cousine Christina et son mari Jorge nous réservaient la surprise de nous emmener à Key West (quatre heures de voiture de Fort Lauderdale), où l´ on est restés deux jours et l´on a pu visiter la maison de Hemingway, The Home Museum Ernest Hemingway.
À Key West, Hemingway a vécu surtout à partir des années trente. La maison était tout près d´un phare ce qui permettait au guide du musée d´insinuer que Hemingway avait choisi cette maison pour mieux s´orienter quand il rentrait chez lui passablement éméché.
La maison a des allures de manoir, entourée d´un très beau jardin. Les chambres, à leur tour, se trouvent dans un état impeccable, tout est soigneusement conservé, comme il est de rigueur en Amérique, la patrie où rien n´est laissé au hasard surtout quand ça flaire le négoce et la bonne affaire. Il ne pouvait manquer un magasin de souvenirs où j´ai acheté entre autres choses un beau livre, un recueil d´articles(By-Line :Ernest Hemingway), écrits au long de trois décennies, livrés au Toronto Star, à l´Esquire entre autres titres plus ou moins prestigieux. Hemingway fut, on l´a écrit plus haut, un remarquable journaliste. Sa réputation de grand reporter, à la plume acérée, directe, concise, sans fioritures, a fait école. En écrivant ces lignes, il me vient à l´esprit une interview du grand poète portugais Ruy Belo(1933-1978)où il affirmait notamment que le grand journaliste sportif Aurélio Márcio était un reporter à la manière de Hemingway (3).
Dans un autre endroit- une petite librairie, toujours à Key West- j´ai acquis un autre livre de Hemingway- The Garden of Eden(Le jardin d´Eden)-un livre posthume et inachevé où certains experts s´accordent à considérer que la version qui a vu le jour est une pâle copie du véritable roman de l´auteur. Quoiqu´il en soit, on y retrouve les caractéristiques qui ont fait la réputation de Hemingway. C´est l´histoire d´un jeune écrivain américain David Bourne et de son épouse Catherine et les jeux dangereux et érotiques qu´ils jouent lorsqu´ils tombent tous les deux amoureux de la même femme.
Mais à Key West, il y d´autres empreintes de l´écrivain comme le bar Sloppy Joe qui n´est pas à proprement parler le même que Hemingway fréquentait. Celui-là se trouvait sur un autre endroit quelques mètres plus bas à l´ouest quand il fut fondé en 1933 et à un moment donné il a été reconstruit ailleurs. Le nom a été inspiré par un bar homologue existant à La Havane où l´on fabriquait le célèbre sandwich qui a pris le nom du bar. Ce sont ces aspects pittoresques qui font l´histoire d´un lieu, d´une ville, d´une région. Key West est d´ailleurs un lieu assez exotique se trouvant à quelques miles-90(140 kilomètres environ)- de Cuba.
Cuba a joué, on le sait, un rôle important dans la vie de Hemingway (4). Il y a séjourné la première fois en 1932 et malgré des déplacements et d´autres séjours plus ou moins prolongés en Europe et aux États-Unis, l´île fut l´endroit où il a passé le plus clair de son temps jusqu´en 1960. Il y a écrit For whom the bell tolls(Pour qui sonne le glas), dans la chambre 525 de l´hôtel Ambos Mundos, à La Havane. Ce livre est en quelque sorte un hommage au peuple espagnol et il a été inspiré par son expérience de journaliste à la guerre d´Espagne. L´intrigue tourne autour de la mission d´un professeur universitaire américain Robert Jordan, engagé dans les Brigades Internationales, qui est envoyé par le Général Golz en Castille pour y faire sauter un pont. Il s´agit d´un des romans les plus emblématiques de Ernest Hemingway et un des meilleurs livres sur la guerre civile espagnole,avec L´Espoir de André Malraux,Homage to Catalonia(Hommage à la Catalogne)de George Orwell et un autre livre qui est véritablement un petit chef-d´œuvre inconnu, intitulé A Sangre y Fuego(À Sang et à Feu) de l´écrivain et journaliste espagnol Manuel Chaves Nogales. De Pour qui sonne le glas, il a été tiré un film, tourné en 1943(trois ans après la parution du roman) par Sam Wood avec Ingrid Bergman et Gary Cooper. On dit de ce roman, pour la petite histoire, qu´il est un des livres de chevet du président Barack Obama.
Après qu´il eut achevé ce livre, Hemingway a déménagé à La Finca Vigía, une maison de style colonial espagnol et c´est vraisemblablement à la même époque qu´il aura découvert Le Floridita, le café par excellence de Hemingway à La Havane. Je l´ai visité lors de mon voyage à Cuba en 2007. Il avait fait l´objet de travaux de rénovation, tout comme tout le vieux quartier de La Havane (y compris le café La columnata egipciana fréquenté par l´écrivain portugais Eça de Queiroz, consul dans la ville entre 1872 et 1874), retrouvant ainsi sa splendeur d´antan avec à la clé un buste en bronze de Hemingway lui-même, trônant au beau milieu de la salle.
De Cuba, Hemingway nous laisse aussi un de ses romans les plus connus : The old man and the sea(Le vieil homme et la mer), l´histoire d´un vieux pêcheur cubain, Santiago, -en lutte avec un énorme espadon dans le Gulf Stream- et son ami, le jeune garçon Manolin. Encore de nouvelles adaptations cinématographiques d´un roman de Hemingway : la seule avec l´auteur en vie (concernant ce roman spécifique, bien entendu) est celle de John Sturges en 1958 avec Spencer Tracy. Deux autres adaptations devraient voir le jour beaucoup plus tard, dans les années quatre-vingt-dix : un téléfilm avec Anthony Queen(1990) et un film d´animation d´Alexandre Petrov(1999).
En juillet 1960, il a quitté Cuba définitivement et s´est fixé à Ketchum,Idaho où il a mis fin à ses jours le 2 juillet 1961.
Ses lieux, ses femmes, les plaisirs, les joies et les tristesses de sa vie ont fait d´Ernest Hemingway une figure mythique de la littérature mondiale. Pourtant, cinquante ans après sa mort, ses livres n´ont pas pris une ride et c´est cela qui fait la gloire d´un écrivain…


(1)Olivier Rolin, Paysages originels, éditions du Seuil, 1999.

(2) John Dos Passos a rompu l´amitié avec Hemingway après le meurtre en 1937 du républicain et académicien espagnol José Robles par les services secrets soviétiques. Sur cette affaire, je vous conseille le beau livre de Ignacio Martínez de Pisón, Enterrar a los muertos(éditions Seix Barral) ou, en traduction française, si vous préférez, L´encre et le sang: histoire d´une trahison(éditions Markus Haller, traduction d´Amélie Fourcade).

(3) Obra poética de Ruy Belo, volume 3,éditions Presença, Lisbonne, 1984. Organisation de Joaquim Manuel Magalhães et Maria Jorge Vilar de Figueiredo(Post-scriptum, le 20 décembre 2010: Aurélio Márcio est décédé aujourd´hui, à l´âge de 91 ans).


(4)À lire absolument concernant la vie de Hemingway à Cuba, le livre de Gérard de Cortanze, Hemingway à Cuba, éditions du Chêne, 1997 (réédition en poche dans la collection Folio, Gallimard, 2002)

jeudi 26 août 2010

Fogwill (1941-2010)



L´écrivain argentin Rodolfo Enrique Fogwill-qui signait ses livres de son seul nom de famille Fogwill, tout court-- est mort dimanche dernier d´un enphysème pulmonaire.Tenu pour un des des noms les plus emblématiques de la génération argentine d´écrivains nés dans les années quarante du vingtième siècle, à côté de Ricardo Piglia et de César Aira, Fogwill a écrit essentiellement des romans, des récits et des contes teintés le plus souvent d´indécrottables notes d´humour.Parmi ses titres les plus représentatifs, on dénombre Help a él, Los Pichiciegos, un des tout premiers romans à traiter de la guerre des Malouines et Muchacha Punk, son seul livre traduit en français(aux éditions Passage du Nord- Ouest).
Ses livres, publiés pour la plupart chez des éditeurs argentins, étaient depuis trois ans en cours de publication en Espagne par Editorial Periférica, un éditeur de Cáceres au catalogue fort intéressant.