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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 29 novembre 2024

Chronique de décembre 2024.

 




O.V.de Lubicz-Milosz, l´initiation d´un aristocrate amoureux.



  

  Marchant tous les deux dans une rue parisienne où des ouvriers réparaient des conduits de gaz, le plus âgé a dit au plus jeune : « Chaque fois que tu porteras un jugement sur la France, rappelle-toi que dans chaque ouvrier français comme ceux-ci se trouvent deux mille ans de civilisation.» ceci avant de déclencher une de ces vibrantes colères dont il était coutumier : « Vous les Slaves, vous êtes des fainéants ! Fainéants !».

  Ce dialogue, témoignant de l´amour du plus âgé pour sa patrie d´adoption, a eu lieu au début des années trente entre deux arrière- cousins : le plus jeune, né en 1911 et qui voulait devenir écrivain, s´appelait Czeslaw Milosz et le plus âgé était  un diplomate et aristocrate qui répondait au nom de Oscar Vladislas de Lubicz- Milosz. Le plus jeune, de nationalité polonaise, mort en 2004, s´est vu attribuer en 1981 le prix Nobel de Littérature. Quant au plus âgé, mort en 1939, si ses œuvres ne sont pas tombées dans l´oubli, on le doit, en grande partie, à la passion du libraire et éditeur André Silvaire qui, découvrant en 1938 les poèmes de Milosz, en fut si ébloui qu´il a aussitôt demandé à l´auteur sa collaboration pour la revue Messages. Milosz qui cette année-là, dans une lettre à un ami, écrivait que la plupart des éditeurs ignoraient jusqu´à son nom, en fut reconnaissant, mais il a refusé de rédiger les articles que Silvaire voulait tant, proposant toutefois au libraire de passer le voir. La rencontre ne s´est pourtant jamais produite, mais André Silvaire a consacré le labeur de toute une vie à la promotion de l´œuvre de Milosz. C´est que, à quelques exceptions près (Gallimard et Éditions du Rocher), les livres de ce poète de langue française, n´ont été longtemps disponibles que chez les Éditions André Silvaire, une petite maison d´édition sise au numéro 20 de la Rue Domat au cinquième arrondissement à Paris. Or, tout récemment, en septembre dernier, un choix de ses œuvres vient d´être publié chez Gallimard dans la prestigieuse collection Quarto, une édition présentée et annotée par Christophe Langlois et Olivier Piveteau.  

  Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz est né le 28 mai (15 mai selon le calendrier julien) 1877 au domaine de Czereïa, en Biélorussie, à l´est de Minsk, sur un territoire qui avait autrefois appartenu au Grand –Duché de Lituanie. Sa mère était fille d´un professeur d´hébreu de Varsovie alors que le père était un ancien officier des Uhlans russes qui a tôt abandonné les armes. En 1889, la famille a déménagé en France, pays que Milosz a adopté comme sien et dont il s´est épris de la langue –qu´il a maîtrisée dès l´enfance sous l´influence d´une gouvernante alsacienne appelée Marie Wild  - comme un homme amoureux s´éprend d´une femme jusqu´à en faire, bien évidemment, sa langue littéraire. Milosz a suivi les cours de l´École de Langues Orientales et, épousant la carrière diplomatique, il est devenu délégué diplomatique de la Lituanie auprès du gouvernement de la République Française en 1919. En effet, son fol amour pour la France ne l´a quand même pas  fait oublier ses racines lituaniennes.

  Milosz, homme d´une vaste culture, était un écrivain doué et son inspiration s´est affirmée dans tous les genres : la poésie surtout, mais aussi le théâtre, le roman et l´essai. Son style parfois châtié semble venu d´une époque révolue et le contenu de ses œuvres quel qu´en soit le genre est d´ordinaire empreint d´une tonalité mystique. 

Dans tous les registres, l´œuvre de Milosz est imprégnée de lyrisme, soit dans son roman L´amoureuse initiation (les mémoires d´un chevalier dans la Venise cosmopolite du XVIIe siècle) soit dans sa trilogie dramatique (Miguel Mañara, Méphiboseth et Saül de Tarse) ou encore dans ses écrits philosophiques comme Ars Magna.

En lisant son œuvre lyrique, on peut constater que ses poèmes sont peuplés de fantômes, de femmes belles et un tant soit peu inaccessibles, de brumes et de solitude, le tout sur un fond nettement musical. Retenons, par exemple, un ou deux morceaux du poème« Un chant d´adieu devant la mer» et l´on pourrait entendre la mélodie d´un  temps révolu : «Les regrets du jour, les espoirs du lendemain/ mouraient en paroles étrangères sur nos lèvres ; /Nous pensions : quel sera son visage dans le matin ?/Des voix mortes chantaient dans les tavernes.» ou encore «Ses yeux d´ange malade épris de sa souffrance/Sont des lacs lourds où meurt la tendresse infinie/D´un soir qu´ensevelit déjà tout le silence/Mais qui frissonne encor d´un déclin d´harmonies.».

Parmi les critiques qui ont découvert Milosz dès la première heure, on trouve indiscutablement Joë Bousquet. Atteint à la colonne vertébrale par une balle allemande à quelques kilomètres du Chemin des Dames le 27 mai 1918, Joë Bousquet, à peine âgé de 21 ans, a perdu l´usage de toute la partie intérieure de son corps. Alité pour le reste de ses jours dans la maison familiale du 53, Rue de Verdun, à Carcassonne, il a consacré son temps à la lecture et à l´écriture. En rassemblant les textes critiques sur les livres qu´il a lus, il a constitué un remarquable journal de bord, récemment publié sous le titre Au seuil de l´indicible aux éditions Arfuyen (textes rassemblés et présentés par Claude Le Manchec).  Sur Milosz, on trouve trois textes. Le premier fut écrit en 1926 –publié dans Chantiers - et porte sur L´Amoureuse Initiation qui, pour Bousquet, n´a rien d´un roman, c´est plutôt le récit d´une aventure transparente, un carnaval vénitien dont l´égarement mesuré soulève  la vie comme un masque de dentelles sur un bel amour échappé. Plus loin, Bousquet ajoute : «Chef d´œuvre de la solitude et de l´ombre : un sentiment profond de l´éternité qui s´éveille et se caresse des yeux dans le filet des jours. Et sur ce texte enchanté, un invisible musicien fait le geste de rassembler les étoiles : l´évadé du Purgatoire et son follet d´ami s´évanouiront sous le même rayon dans la vérité de l´aurore. Car ce livre, comme le monde même où nous introduit notre apparence, nous emprunte les couleurs où s´épanouit sa réalité…c´est pour mieux nous répondre, au nom des silences extérieurs dont il se déclare instruit, de l´authenticité de notre rêve».

Dans un autre texte, publié en 1934 dans Les Cahiers du Sud sur l´œuvre Contes lituaniens de ma mère l´Oye,  Bousquet affirme que Milosz représente la plus haute incarnation de l´esprit méditerranéen avant de se pencher sur les différences de perspectives entre le poète et le conteur : «Les contes sont nés de la même angoisse qui a fait des poètes. Mais alors que ces derniers se bornent à chanter cette angoisse, ce qui revient à en trancher les liens dans l´illusion d´un perpétuel présent, l´entreprise des conteurs porte plus haut le soulèvement de l´homme contre sa condition. Au lieu d´absorber le temps dans un renouvellement perpétuel de l´acte lyrique, d´y enrichir continuellement l´univers entier de l´affirmation la plus mystérieuse : je suis, le conteur manifeste la prétention suprême incroyable de faire du temps une figure, une sorte de lieu mental où le moi se dissout dans une somme de représentations susceptibles de le créer, mais de le créer en dehors de l´expérience de la vie».   

Enfin, le dernier texte de Bousquet sur le grand écrivain franco-lituanien fut publié dans Les Cahiers blancs en 1939, lors de la mort de Milosz. Bousquet y écrit sur l´importance de Milosz dans sa vie et pond la belle phrase que voici : «Nous n´avons que la douleur pour achever de comprendre un homme plus grand que sa liberté, et ce n´est plus la douleur». Plus loin, il écrit : «Milosz a compris que ce n´était pas pour avoir poussé un cri de flamme que l´on était sauvé. L´homme est hélas ! celui qu´un mot n´engage pas ; et qui se connaît dans ce qui sépare sa parole de sa destinée. Il a écrit son œuvre pour se libérer de la raison. Et trouver, enfin, la vie aux sources de la parole, dans un Inconnaissable dont ne nous approche que le silence du cœur qui est la lumière blanche de nos aveux».

La pensée de Milosz, on l´a vu, est inséparable de son lyrisme. En outre, la dimension universelle est pénétrée par le sens de l´histoire,  un esprit religieux et surtout par une perspective spirituelle. Dans ses Notes exégétiques de son livre Les Arcanes, il s´exprime ainsi sur Le sacrifice libre : «Connaissons-nous une autre liberté que celle du sacrifice ? Le Père crée l´univers pour que la loi de nécessité qu´il est se transmue en amour, pour que la sainte bonté l´appelle du dehors. Le Fils donne son sang comme la Père a répandu sa lumière, afin que la postérité de l´homme criminel rentre dans la possession de ses droits, afin que l´Adam régénéré renonce à l´espace infini, son royaume de ténèbres, et, se pénétrant de l´identité du sang et de la lumière physique dans le premier mouvement de la clarté incorporelle, situe l´univers uniquement dans cette clarté. Toute destinée vraiment grande est, dès cette vie, un sacrifice. On parle sottement de l´égoïsme d´un Bonaparte, de la soif de domination d´un César, de la folie de conquêtes d´un Alexandre. Certes, l´ambition était un des aiguillons de leur activité. Mais la grandeur de leur sacrifice, accusée par la tragédie de leur fin, appelle l´amour plutôt que la réprobation, et, sans pour cela nous laisser aller à l´imitation des Carlyle et des Auguste Comte, nous agirions sagement en dédiant dans notre labyrinthe un autel discret aux héros et martyrs de l´unification des continents et du monde, unification qui a été si noblement, si magnifiquement, si saintement exaltée par Lamartine dans sa Marseillaise de la Paix». 

D´aucuns considèrent de nos jours le lyrisme de Milosz un brin désuet, vieillot, vieux jeu, en somme. D´autres néanmoins, puisque l´œuvre des vrais écrivains n´est jamais morte, restent fidèles, quoi qu´on en dise, aux écrits de ce grand écrivain de langue française. Un écrivain qui à travers ses personnages faisait preuve d´une lucidité hors pair comme celle qui se dégage de cet extrait que l´on reproduit de son roman L´Amoureuse Initiation : «La vie est une tragique comédie où je n´ai jamais su faire qu´un personnage secondaire et des plus effacés. Je mourrai sans doute sans en avoir connu le héros. Rien n´est aussi malaisé que d´apprendre à jouer le principal rôle dans les événements de sa propre existence».

 

 

 

O.V.de L. Milosz, Œuvres, collection Quarto, Gallimard, Paris, septembre 2024.

Ce volume contient :

Poésie : Le poème des Décadences ; Les Sept Solitudes ; Les Éléments ; Poèmes (Recueil Figuière) ; Andramandoni ; La Confession de Lemuel ; Poèmes (1895-1927(Anthologie Fourcade) ; Dix-sept poèmes de Milosz (Florilège Mirages).

Roman : L´Amoureuse Initiation.

Théâtre : Miguel Mañara ; Méphiboseth ; Saul de Tarse.

Métaphysique : Ars Magna ; Les Arcanes.

Contes : Contes et fabliaux de la vieille Lithuanie ; Contes lithuaniens de ma Mère l´Oye.

Correspondance.

Et encore :

«Milosz, roi solitaire», préface de Christophe Langlois ; «Vie et Œuvre» illustré par Olivier Piveteau ; Dossier : «Lithuanies».       

 

 


jeudi 14 novembre 2024

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Badjens de Delphine Minoui, publié aux éditions du Seuil.

https://lepetitjournal.com/lisbonne/livre-badjens-un-roman-de-delphine-minoui-396445





lundi 4 novembre 2024

Le Goncourt 2024 est attrbué à Kamel Daoud.



 Une nouvelle qui me réjouit énormément. Le Prix Goncourt 2024 fut attribué aujourd´hui au très beau roman Houris écrit par l´écrivain franco-algérien Kamel Daoud et publié aux éditions Gallimard. Je lui ai consacré une chronique parue dans le quotidien numérique Le Petit Journal Lisbonne le 26 septembre (vous pouvez en retrouver le lien sur ce blog).

Je signale aussi que le Prix Renaudot a récompensé un autre  beau roman, Jacaranda de Gaël Faye, publié aux éditions Grasset.