Vous pouvez lire ma dernière chronique pour Le Petit Journal Lisbonne. J´écris sur Veiller sur Elle de Jean-Baptiste Andréa, publié aux éditions L´Iconoclaste, après l´attribution du Choix Goncourt du Portugal.
Qui êtes-vous ?
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- Fernando Couto e Santos
- Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.
vendredi 19 juillet 2024
jeudi 18 juillet 2024
La mort de Benoît Duteurtre.
Né le 20 mars 1960 à Sainte-Adresse (Seine-Maritime) et mort le 16 juillet 2024 au Valtin (Vosges), Benoît Duteurtre était un écrivain, critique musical et animateur de radio français. On reproduit ici les lignes le concernant écrites sur le site des éditions Fayard : « Benoit Duteurtre était un écrivain au talent exceptionnel, dont les œuvres ont su toucher les cœurs et captiver l’imagination de nombreux lecteurs. Son écriture fluide et poétique a su créer des univers uniques et des personnages mémorables. Son dévouement à l’art de la littérature était incomparable, et il restera à jamais dans nos mémoires comme un auteur passionné et inspirant(…) Ses livres resteront des témoignages précieux de son génie créatif et de sa contribution exceptionnelle à la littérature contemporaine». Il fut l´auteur de plus d´une trentaine de titres dont Drôle de temps (1997, Prix du Roman de l´Académie Française) ou Le Voyage en France (2001, Prix Médicis).
mardi 2 juillet 2024
La mort d´Ismaïl Kadaré.
L'écrivain albanais Ismail Kadaré, 88 ans, auteur
d’une œuvre monumentale sous la tyrannie communiste d'Enver Hodja, est décédé
lundi matin, ont annoncé son éditeur et l’hôpital à l'AFP.
Ismaïl Kadaré est décédé d´une crise cardiaque, a precisé l´hôpital de Tirana. Il y est arrivé «sans signe de vie». Les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais «il est mort vers 6h40 GMT(8h40 locales)», a dit l´hôpital.
Il s´agit d´une perte énorme pour la littérature
universelle. Vous pouvez lire sur ce blog la chronique que je lui ai consacrée en
mai 2013.
samedi 29 juin 2024
Chronique de juillet 2024.
José Donoso,
l´admirable oiseau de la littérature chilienne.
Cette année, le 5 octobre prochain, on signalera le centenaire de la
naissance d´un grand écrivain latino-américain qui, en dépit de l´indiscutable
prestige dont son œuvre a toujours fait l´objet, n´a peut-être pas atteint à
l´échelle internationale la consécration qu´il aurait sans doute méritée.
L´écrivain chilien José Donoso –c´est bien de lui qu´il s´agit – est
néanmoins un des grands romanciers associé au mouvement qu´on a appelé le boom
latino-américain –il en a même écrit une histoire personnelle (1)- au même
titre que Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Carlos Fuentes, Julio
Cortázar, Juan Rulfo ou Jorge Luis Borges, entre autres. Décédé le 7 décembre 1996, à l´âge de 72 ans, à
Santiago du Chili – la même ville où il avait vu le jour -, on a l´impression
que son œuvre n´a pas suscité ces dernières années un grand intérêt soit auprès
des lecteurs soit chez les principaux éditeurs. Certes, il est un prix
littéraire qui porte son nom et cette année et il y a de nouvelles traductions
de ses œuvres en d´autres langues. Il y a également des événements culturels
qui commémorent le centenaire de la naissance de José Donoso, mais est-ce suffisant
pour un écrivain de sa stature ? José Donoso lui-même ne serait pas
surpris que la postérité lui eût réservé –du moins pour l´instant –un accueil
aussi mitigé, lui qui peu de temps avant sa mort avait confié à un autre
écrivain chilien, Carlos Franz : «Dans dix ans, nul ne me lira». Carlos
Franz, d´ailleurs, dix ans après la mort de José Donoso, mettait en relief
l´oubli dans lequel était plongée l´œuvre de José Donoso, dans un article
justement intitulé «El obsceno pájaro del olvido» («L´ obscène oiseau de
l´oubli»), allusion au roman le plus emblématique de l´auteur, El obsceno
pájaro de la noche (L´obscène oiseau de la nuit). Carlos Franz y écrivait qu´en
se promenant dans les librairies madrilènes –on vous rappelle que José Donoso a
vécu plus d´une dizaine d´années à Madrid -, les livres de son célèbre
compatriote étaient introuvables. Il
présente quelques arguments pour justifier cette désaffection à l´égard de
l´œuvre de Donoso : il était un écrivain qui changeait de stratégies, qui
fuyait les styles fixes et la voix et l´esthétique uniques qui pour lui
n´étaient que des déguisements, des formes momentanées, voire des modes de
l´intellect. De même que les goûts
esthétiques changent, deviennent caducs et refont surface, de même le
changement de styles, la métamorphose et le déguisement sont des
caractéristiques essentielles de l´œuvre donosienne.
Issu de la bourgeoisie chilienne –comme d´ailleurs l´autre grand écrivain
né dans l´entre deux-guerres, son ami Jorge Edwards (1931-2023) -, José Donoso
a suivi des études de philologie anglaise à l´Université de Princeton, aux
États-Unis, grâce à une bourse de la Doherty Foundation. Au début des années
cinquante, il a fait plusieurs voyages au Mexique et en Amérique Centrale. De
retour au Chili, il s´est inscrit en pédagogie à l´Université Pontificale
Catholique.
Naturellement influencé par la littérature anglophone contemporaine –il a
d´ailleurs écrit des contes directement en anglais-, ses premières œuvres sont
des nouvelles. Ses œuvres, d´ordinaire peuplées d´êtres monstrueux livrés à
leurs pulsions secrètes, montrent le déclin des classes privilégiées. En 1957,
il a écrit son premier roman Coronación (Couronnement, en français), un roman
qui dépeint la vie à Santiago et préfigure des thèmes qui marqueront son
œuvre : la décadence, l´identité, la transgression et la folie. C´est
l´histoire d´Andrés, un quinquagénaire solitaire qui est témoin de la démence
de sa grand-mère nonagénaire. Dans ce roman, le lecteur se trouve devant une
réalité grotesque où les personnages égrènent leurs souvenirs et plonge dans le
quotidien des familles bourgeoises de Santiago enfermées dans des manoirs où
elles nourrissent leurs obsessions les plus obscures.
Un autre roman important de José Donoso est El lugar sín limites (Ce lieu
sans limite) paru en 1966 et adapté au cinéma par le cinéaste mexicain Arturo
Ripstein. Il s´agit de l´histoire conflictuelle de Manuela, un homosexuel
travesti qui régente un bouge et qui au fur et à mesure dévoile les secrets qui
se cachent derrière les fausses apparences en même temps qu´il décrit une
société qui sombre dans la déchéance.
Néanmoins, son œuvre la plus aboutie et qui a assis sa réputation
d´écrivain majeur est sans l´ombre d´un doute El obsceno pájaro de la noche
(L´obscène oiseau de la nuit), publié en 1970 et couronné par de nombreux prix
littéraires. José Donoso s’inspire
d’un événement vécu (la vision fugitive d’un enfant difforme dans une voiture
de luxe) et d’une légende remontant au XVIIIe siècle concernant les Aizcoitia,
une grande famille de propriétaires. Inés, leur seule fille parmi dix enfants,
était une sorcière ; ils l’ont fait enfermer dans un couvent pour recluses où
elle finit sa vie en sainte. Dans le roman, cette institution, délabrée, existe
toujours et y vivent des vieilles femmes dont on ne sait si elles sont des
domestiques, des guérisseuses ou des sorcières. Le dernier descendant des
Azcoitia, Don Jerónimo, n’a pas d’enfant, et une sorcière intervient pour faire
naître un fils. Celui-ci est difforme. Pour le protéger, Jerónimo crée dans un
de ses vastes domaines une société de monstres où la difformité est vécue comme
étant la normalité. Un ami de
Donoso, l´écrivain mexicain Carlos Fuentes (1928-2012), met en exergue dans son
œuvre La gran novela Latinoamericana (non traduit en français), l´originalité
de l´œuvre du grand romancier chilien, surtout dans ce roman : «Ce n´est
nullement le fruit du hasard que Humberto Peñaloza, le personnage muet de
l´œuvre majeure de Donoso, L´obscène oiseau de la nuit ait simultanément perdu
le parler (ou fait semblant de l´avoir perdu ou converti le silence en
l´éloquence même de l´origine de l´être parlant). Tout se passe dans les romans
de Donoso comme si nous exigions tous un discours à la fois nouveau et fort
ancien pour pouvoir marcher entre un monde qui n´est autre que la forêt des
symboles dont parlait Baudelaire (…)En tant que lecteur des lettres anglaises,
Donoso nous invite à suivre les préceptes imaginaires de Coleridge. L´écrivain
doit être avant tout un médiateur entre la sensation et la perception, rien
qu´à seule fin de dissiper ensuite toute liaison raisonnable entre les choses
avant de tout recréer avec une nouvelle imagination dépouillée de rationalisme
qui, en tout réduisant à un seul sens, sacrifie la signification même de l´acte
poétique qui consiste à multiplier le sens des choses. Comme Wittgenstein le
demande, dans L´Obscène oiseau de la nuit il n´y a pas davantage à dire, hormis
l´indicible : la poésie et le mythe».
Après ce roman, il y a une autre œuvre majeure de José Donoso, Casa de
Campo (1978) qui a conservé le même titre dans la traduction française. Casa de
Campo, comme son nom l´indique, est une maison de campagne somptueuse et baroque, perdue au milieu d'une
plaine inhospitalière rongée par la menace des anthropophages, et, dans ce
cadre, d'un esthétisme exquis où rôde l'angoisse. Une trentaine d'enfants -
pour un jour, pour un an, nul ne le sait – sont privés de leurs parents, les
riches Ventura : tel est le monde, volontairement irréel, que crée José
Donoso dans « Casa de Campo» et qu'il va faire s'effondrer dans les
convulsions d'une société agonisante. Roman fabuleux où, des gouffres noirs qui
se creusent sous l'or et la fortune, surgit un ordre monstrueux, précipité par
le départ des adultes vers une incertaine et immatérielle partie de campagne.
Sans aucun doute, cela évoque le Chili de la dernière décennie : ces
maîtres qui fuient, au propre et au figuré, une réalité devenue insupportable,
ces serviteurs chargés de réprimer les révoltes par un implacable majordome,
frère jumeau de Pinochet, ce médecin fou et idéaliste, qui parle comme Salvador
Allende, ces enfants aux discours savants qui offrent toute la gamme des
intellectuels, et ces indigènes, férocement écrasés par les valets avec la
bénédiction des maîtres. Mais, s'il est légitime de faire de « Casa de
Campo » une telle interprétation historique, ce roman a une portée
universelle qui met en cause les mécanismes aveugles de toute révolution. A
travers lui, José Donoso nous invite à une réflexion sur la liberté humaine et
ses limites.
On retient aussi de son œuvre richissime, entre autres titres, son ouvrage, El jardín de al lado (1981,
en français, Le
Jardin d’à côté) qui
lui permet de discourir sur son exil en Espagne et la
souffrance qu’il éprouve à être éloigné de son pays à cause de la dictature
d´Augusto Pinochet. Pourtant, en 1981, il est rentré au Chili après une
décennie et demie d´expatriation et ce fut en quelque sorte une descente aux
enfers. Quelques mois après avoir été arrêté pour avoir participé à une «
réunion politique non autorisée », il a publié, en 1986, le roman La
desesperanza (La
désespérance) dans lequel il aborde la tragédie politique chilienne
du point de vue de l’homme qui est revenu dans son pays après de longues années
d’exil.
Dans une thèse de doctorat soutenue en 2017 à l´Université du Chili,
Fabiola Pena von Appen dresse une comparaison entre le thème de la décadence
dans l´œuvre de José Donoso et dans celle du cinéaste chilien Silvio Caiozzi.
Il s´agit d´un travail
de création intime entre ces deux artistes qui circonscrivent le leitmotiv de
la décadence sous différents aspects tels que : la dégradation sociale, la
descente aux enfers de la famille, le déshonneur économique de la bourgeoisie
chilienne, la discrimination entre les classes sociales, entre autres. Pour Fabiola
von Appen, on trouve dans l´œuvre de José Donoso une forme classique d’aborder
le récit et une autre plus métaphysique et surréaliste. Bien que plusieurs de
ses romans contiennent des histoires fantastiques qui passent pour s'inscrire
dans le réalisme magique, Donoso a toujours maintenu une essence réaliste. Son œuvre
met en évidence la décadence de la
société chilienne et sa critique s’étend au-delà des facteurs économiques.
C´est aussi un tableau de la condition humaine.
Dans son
Dictionnaire amoureux de l´Amérique Latine (2), Mario Vargas Llosa évoque son
ami José Donoso et son œuvre d´une façon chaleureuse et admirative en
affirmant qu´il était le plus littéraire de tous les écrivains, non seulement
parce qu´il avait beaucoup lu et savait tout ce que l´on pût savoir sur les
vies, les morts et les anecdotes de la gent littéraire, mais aussi parce qu´il
avait façonné sa vie comme l´on façonne les fictions, avec l´élégance, les
gestes, les impudences, les extravagances, l´humour et l´arbitraire dont se
prévalent surtout les personnages du roman anglais, celui qu´il préférait parmi
tous.
Un autre ami déjà
cité plus haut, Jorge Edwards (voir la chronique de ce blog de mai 2011),
écrivait dans le quotidien espagnol El País (3) en 1996 après la mort de
José Donoso ce qui suit: «Avec sa persévérance, avec sa passion littéraire qui
ne faisait pas de concessions, il a fini par enfanter tout un monde, un miroir
déformé du nôtre qui nous dit, à travers sa déformation, des choses que nous avons le devoir de savoir
et que souvent nous n´acceptons pas».
Enfin, on termine
cette chronique sur cet extraordinaire écrivain chilien en reproduisant encore
une fois les paroles de Carlos Fuentes : «Les méthodes littéraires de José
Donoso, sa méditation perpétuelle entre sensation et perception, lui permettent
de jouer un délicat et mélancolique quatuor à cordes et aussi de mettre en scène
un opéra éblouissant, sombre et douloureux. On continuera d´écouter la musique
de ses sphères».
(1)José Donoso,
Historia personal del boom, 1972, inédit en français.
(2)Mario Vargas
Llosa, Dictionnaire amoureux de l´Amérique Latine, traduit de l´espagnol par
Albert Bensoussan, éditions Plon, Paris, 2005.
(3) Texte repris
dans Diálogos en un tejado (Dialogues sur un toit), éditions Tusquets, Madrid,
2003. Inédit en français.
lundi 3 juin 2024
Centenaire de la mort de Kafka.
Aujourd´hui, on signale le centenaire de la mort de Franz Kafka, un des plus grands écrivains du vingtième siècle. Vous pouvez lire sur ce blog la chronique que je lui ai consacrée en mai dernier.
mercredi 29 mai 2024
Chronique de juin 2024.
Guy Goffette,
l´enfance est ma patrie.
Pour la plupart des écrivains, la patrie est la langue qu´ils utilisent
pour véhiculer leurs idées et leur talent. On pourrait cependant ajouter à la
langue une autre patrie que d´aucuns revendiquent aussi : l´enfance. C´était,
sans l´ombre d´un doute, le cas de l´écrivain belge Guy Goffette. Né le 18
avril 1947 à Jamoigne, en Lorraine belge, et décédé tout récemment, le 28 mars,
il a été à tour de rôle enseignant, critique littéraire, bibliothécaire,
éditeur et surtout un passeur. Avec quelques amis, il a créé, en 1980, une
revue de poésie Triangle qui n´a connu que douze numéros et trois ans plus tard
L´Apprentypographe, qu´il composait et imprimait lui-même à la main. Cette
expérience a fini en 1987 et depuis l´auteur a consacré le plus clair de son
temps aux voyages, avant de devenir, un temps, libraire d´occasion.
Comme auteur, mais aussi comme membre du comité de lecture des éditions
Gallimard, à partir de 2000, il fut, avec Jean Grosjean et Jacques Réda, l´un
des grands animateurs de la vie poétique.
Son œuvre fut saluée, entre autres
récompenses, par le prix Mallarmé reçu pour Éloge pour une
cuisine de province en 1989, le grand prix de poésie de la
SGDL en 1999, le Grand Prix de Poésie de l´Académie Française en 2001 ou
le Grand Prix Goncourt de la Poésie en 2010. Cci en France. En Belgique, Guy Goffette a reçu entre autres le prix Maurice Carême,
le prix Félix Denayer de l’Académie de langue et de littérature françaises de
Belgique et le prix Rossel pour Une enfance lingère.
Né au sein d´une famille ouvrière, Guy Goffette a étudié à l´Ecole Normale
d´Arlon où son maître Vital Lahaye, poète lui-même,
lui a inculqué le virus de la poésie. Quand il était jeune, il a passé
quelques années d´internat dans une institution religieuse ce qui n´a fait
qu´aviver son goût de liberté. Un goût qui perce dans tous ses écrits,
soient-ils des récits ou des poèmes. On pourrait dire aussi de Guy Goffette qu´il
est un écrivain de l´errance, toujours en partance (un sentiment qui a inspiré
le titre d´un livre Partance et autres lieux, prix Valery Larbaud 2000), l´écrivain de la
douce mélancolie. Il aimait faire partager ses découvertes et l´interprétation
qu´il faisait de la vie de certains artistes, qu´on pourrait dénommer de
petites biographies sentimentales consacrées à Verlaine (Verlaine d´ardoise et de
pluie), au peintre Abel Bonnard (Elle, par bonheur et
toujours nue) et au poète
anglais W.H.Auden (Auden ou l´œil de la
baleine). Mais, comme nous l´écrivions plus haut, l´enfance est au
cœur de son œuvre, à fortiori dans des romans comme Un été autour du cou (2002) et Une enfance lingère (2006)
qui a reçu le prix Marcel Pagnol outre le prix Rossel. L´enfance de Guy
Goffette est celle de l´école buissonnière, de la naïveté, des trains, des
arbres, de la mer. Mais aussi l´enfance des premiers ébats amoureux ou à tout
le moins des rêves d´amour, fussent-ils grâce au parfum de jeunes filles en
fleur ou à celui de femmes mûres et charnelles.
Quoiqu´il en soit, Guy Goffette était, avant tout, un poète et c´est la vie
qui l´a toujours inspiré, au détour d´un chemin, d´un coin perdu, en faisant,
on l´a vu, l´ Éloge
pour une cuisine de province (collection poésie de Gallimard), en
évoquant les poètes de sa prédilection (Verlaine et Auden, déjà cités, et
aussi, entre autres, Pessoa, Saba, Pavese, Emily Dickinson, Mandelstam,
Hölderlin, Larbaud, Borges, Cavafy ou Yannis Ritsos).
La vie n´est parfois «Rien qu´un souffle» comme il l´écrit dans ce poème da La Vie promise :
«Oui, tout homme debout n´est qu´un souffle / poussière, dans la gorge ses
cris, ses pleurs, / ses chants d´amour et de déréliction, sable / du désir qui
s´enlise : mourir, / ne pas mourir, qu´importe après tout, / si la mer
n´est rien d´autre qu´un soupir / dans le rêve du ciel qui s´abandonne…». Mais
la vie - comme on peut lire dans Un manteau de fortune (Grand prix de
poésie de l´Académie Française 2001) - est également un « vieux piano d´herbes
vendu aux neiges de l´Ardenne » ou une des multiples « variations sur une
montée en tramway » ou enfin « Un dimanche à Lisbonne » à l´ombre du chanteur
de fado Alfredo Marceneiro*, où l´on nous dit que « …au loin une guitare
insinue / que rien n´existe sur la terre / comme l´absence, et que l´amour /
est toujours nu / Heureux les amants amarrés / que l´ombre garde au fond de
l´eau: / ils sont l´âme du diamant, / l´or du fado ».
À la fin, il y a toujours un poème, pour inonder notre cœur de bonheur,
même si vous ignorez au juste ce qu´est un poème. Il est peut-être ce que Guy
Goffette a écrit un jour : « Et si le poème, c´était plus simplement / ce
qui reste en souffrance dans la déchirure / du ciel, comme une valise sans
couleur / un gant dans l´herbe - et le rayon de soleil / s´amuse avec les
serrures, l´agrafe en fer blanc / cependant que nous restons en retrait /
empêtrés dans nos ombres / comme un enfant grandi trop vite / et qui ne sait
plus rire ».
Sur le site de Gallimard, à sa mort, on a écrit des lignes qui témoignent
on ne peut mieux du parcours de vie et de l´originalité de l´œuvre de Guy
Goffette : «Attachée à porter un regard émerveillé sur le monde, sa poésie
est empreinte d´un lyrisme sans emphase, toujours juste et sincère, laissant
entendre des notes d´amertume, de nostalgie et d´humour. Elle est toujours un
acte de conviction». Et l´on a rappelé une phrase de Guy Goffette
lui-même : «La poésie est une manière différente, plus riche, plus libre
et plus intime d´habiter la langue. Ne raisonnant pas, la poésie raisonne».
En Belgique, le pays où il est né, sa mort a également plongé le monde
littéraire dans la consternation. Objectif Plumes, le portail des littératures
belges, n´a pas manqué de rappeler que ce qui séduisait et retenait Guy
Goffette l´exaltait et le mettait dans un énorme enthousiasme : les poèmes qu'il écrivait ou dont il rêvait
déjà, les poètes qu'il lisait, les anciens comme les modernes, sur lesquels il
écrivait, prose ou poésie, les textes qu'il choisissait jadis d'imprimer, les
voyages qu'il faisait, les êtres, hommes ou femmes, qu'i rencontrait : «C´est
assurément un passionné, un tourmenté aussi, qui vibre, crée, vit intensément
et se donne à chaque fois tout entier à ce qu'il fait. Sa poésie va des chemins
de la révolution à l'approfondissement des contradictions intérieures (rester
vs partir), des évasions rêvées à l'enracinement regretté (une fois qu'il est
parti ou bien quand il revient). Elle est grave (obsession du temps qui fuit,
du néant), dynamique, ouverte aux vents de l'inspiration (diversité des thèmes)
et n'est certes pas arrivée au terme de son évolution».
Néanmoins, une des meilleures épitaphes sur Guy
Goffette, on l´a lue le 5 avril dans les colonnes du quotidien Libération sous
la plume de Jean-Marie Laclavetine ; « ll
faut être natif d’Hollywood pour croire que les poètes forment des cercles et
disparaissent. Les poètes ne disparaissent pas, ils brisent les cercles, filent
en zigzag, furètent, passent par ici, repassent par là. On ne les voit qu’à la
nuit tombée, comme la plupart des animaux sauvages. Il faut pour cela avoir
l’œil exercé, et accepter de délaisser un moment la mangeoire cathodique. Guy
Goffette n’a pas disparu. Il reste à jamais un poète en maraude, un grand
chapardeur de regards et de corps, un arrière-cousin de Villon et Rimbaud. Il
vole des fleurs d’absinthe au bistrot de Verlaine, il en fait des bouquets pour
les offrir aux femmes qui passent (et restent parfois). S’il vagabonde, ce
n’est pas pour s’éloigner à tout prix de ses Ardennes d’élection, son pays de
loups gris, de sapins bleus et de tabac, mais plutôt pour en éprouver la
nostalgie toujours fraîche. Il n’aspire à rien d’autre qu’à planter de la fumée
sur le bord des fossés».
*Un des plus grands noms du fado, né à Lisbonne en 1891 et mort dans la
même ville en 1982.
vendredi 24 mai 2024
Article pour Le Petit Journal Lisbonne.
Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Guerre et Pluie de l´écrivain Velibor Colic, disponible chez Gallimard.
https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/guerre-et-pluie-un-roman-de-velibor-colic-385886
mardi 14 mai 2024
La mort d´Alice Munro.
Alice Munro, née Alice Ann Laidlaw le 10 juillet 1931 à Wingham, Ontario, et morte le 14 mai 2024 en Ontario était une écrivaine canadienne de langue anglaise.
Elle a principalement écrit des nouvelles,
parfois liées entre elles et centrées autour de personnages féminins. Elle a
reçu le Prix Nobel de Littérature en 2013 pour être « la souveraine de l’art de la nouvelle
contemporaine », comme l'a alors expliqué l'Académie Suédoise.
lundi 6 mai 2024
Bernard Pivot (1935-2024).
C´est avec
une énorme tristesse que nous venons d´apprendre la mort, à l´âge de 89 ans, de
Bernard Pivot, journaliste, écrivain, critique littéraire, animateur et
producteur d'émissions culturelles télévisées en France. Né le à Lyon, il est mort le , aujourd´hui donc, à Neuilly-sur-Seine.
D'abord journaliste au Figaro Littéraire,
qu'il a quitté en 1974 rédacteur en chef, il a fondé le magazine Lire et
a lancé à la télévision l'émission littéraire Apostrophes, qu'il a présentée de 1975 à 1990 et qui reste la référence en matière de culture à la télévision.
Il a animé aussi l'émission Bouillon de Culture (de 1991 à 2001), des
championnats d'orthographe et a créé des dictées qui ont remporté un
immense succès populaire.
Bernard
Pivot fut aussi président de l'Académie Goncourt de 2014 à 2019.
mercredi 1 mai 2024
La mort de Paul Auster.
Paul Auster, né le 3 février 1947 à Newark, est mort le 30 avril 2024 á Brooklyn des suites d´un cancer du poumon. Il était un romancier, scénariste et réalisateur américain de renommée mondiale.
Une partie de son œuvre évoque la
ville de New York, notamment le quartier de Brooklyn où il a vécu. D'abord
traducteur de poètes français, il a écrit des poèmes avant de se tourner vers
le roman et, à partir des années quatre-vingt-dix, de réaliser
aussi quelques films.
Leviathan, Mr Vertigo, Tombouctou,
The Book of Illusions, The Brooklyn Follies, The Invention of Solitude ou
Baumgartner comptent parmi ses œuvres les plus emblématiques.
Sa mort a plongé un peu partout les
milieux littéraires et une foule de lecteurs dans une énorme consternation.
lundi 29 avril 2024
Chronique de mai 2024.
Kafka: héritage,
modernité et originalité.
Dans l´entrée qu´il a consacrée à Kafka dans son Dictionnaire amoureux des
écrivains et de la littérature (1), Pierre Assouline regrette que la postérité
n´ait réservé à son ami Max Brod que le
rôle de celui qui, en tant qu´exécuteur testamentaire, a sauvé de l´oubli les
écrits du génie tchèque de langue allemande alors qu´il était lui aussi un
écrivain qui, mort en 1968 à l´âge de 84 ans, a publié plus d´une vingtaine de
livres. Sauver de l´oubli les écrits de Franz Kafka –bravant, à ce qu´il paraît,
les dernières volontés de celui-ci - n´est pas, bien entendu, la moindre des
choses. Peut-on imaginer le monde aujourd´hui sans que l´on eût connu des
œuvres aussi décisives dans l´histoire la littérature universelle que Le
Procès, Le Château, La Métamorphose, Amerika ou À la colonie pénitentiaire ?
Ceci dit, une question taraude l´esprit des amants de l´œuvre de Kafka –qui en
France fut divulguée en premier lieu par l´admirable Alexandre Vialatte- ces
dernières décennies et Assouline se la pose dans l´ouvrage cité plus
haut : Kafka voulait-il vraiment que son ami Max Brod brûle ses écrits
après sa mort, comme il le lui a demandé dans une première lettre fin 1921,
puis une deuxième datée du 29 novembre 1922 ? Pourquoi Kafka ne s´en
est-il pas occupé lui –même ? On pourrait dire en effet que l´histoire est
pleine de non-dits, de sous-entendus, d´insinuations comme nous le rappelle
Pierre Assouline pour qui la question de la trahison a toujours paru vaine.
Franz Kafka et Max Brod qui avaient pratiquement le même âge (un an de
différence à peine, Kafka étant né à Prague le 3 juillet 1883) s´étaient connus
un soir d´octobre 1902 à l´issue d´une conférence à Prague. Ils sont devenus
des amis inséparables. Selon encore Pierre Assouline, à travers tout ce que
Kafka dit de Brod, on perçoit l´aveu de ses propres faiblesses, notamment dans
l´admiration qu´il professe pour l´énergie et l´activisme que son ami déploie
dans son travail littéraire : «Il aimerait tant lui aussi élever les
murailles d´une citadelle afin d´y protéger sa solitude et de la mettre à
l´abri des miasmes du grand dehors. On (re) découvre un Kafka moins casanier
qu´on ne l´a dit, les échos de ses voyages en Europe en témoignent : son
goût des chambres d´hôtel « où (il se sent) tout de suite chez (lui), plus qu´à
la maison vraiment» ; ses lectures de Knut Hamsun et de Joseph Roth, de
Faim et de La Marche de Radetzsky ; le calvaire de son écriture».
C´est chez Max Brod que Kafka a fait connaissance de Felice qu´il a voulu
épouser. Felice Bauer (1887-1960) est une des quatre femmes avec Julie Wohryzek
(1891-1944), Milena Jesenska (1896-1944) et Dora Diamant (1898-1952), que Kafka
aurait aimées. Pour ce qui regarde Felice, une jeune femme issue de la petite
bourgeoisie juive, indépendante, qu´il a rencontrée pour la première fois en
1912, d´aucuns affirment que c´est grâce
à elle que Kafka est devenu écrivain et avancent comme argument la foisonnante
correspondance composée par plus de cinq mille lettres qu´il lui a envoyées
pendant cinq ans où ses tergiversations interminables –deux fiançailles
avortées –ont rendu quasiment folle la pauvre Felice. Kafka était néanmoins
partagé entre l´envie d´une vie familiale et la solitude dont a besoin
l´écrivain pour pouvoir écrire. Quant à Milena Jesenska, les choses commencent
également par une volumineuse correspondance, mais toujours est-il que Milena,
figure flamboyante et anticonformiste, était encore moins incline que
l´écrivain à un compromis durable. Concernant Julie Wohryzek, la liaison fut
brève en raison de la forte opposition du père de Kafka qui a toujours eu une
relation conflictuelle avec son fils. Enfin, Dora Diamant, Berlinoise
d´adoption, était l´incarnation d´un judaïsme authentique, celui des ostjuden
qui ont tellement fasciné Kafka, juif lui aussi. Elle représentait également la
possibilité de rompre avec Prague et le cercle familial et s´installer à Berlin,
mais la tuberculose l´a emporté le 3 juin 1924, raison pour laquelle on fête
cette année le centenaire de sa disparition. À ces quatre femmes importantes
dans la vie de Kafka, on pourrait ajouter dans un autre registre sa sœur Ottla
(1892-1943), la plus jeune de ses trois sœurs et celle qui lui ressemble le
plus, notamment dans sa tentative de s´émanciper de la tutelle du père Hermann
auquel Kafka a écrit une lettre fameuse qu´il n´a jamais envoyée. Curieusement,
ces femmes avaient presque toutes en commun le fait d´avoir été en rébellion
avec leur père et d´avoir réussi à le surmonter, comme nous le rappelait Ruth
Zylbelman dans l´excellente série documentaire –Felice, Milena, Dora et Ottla,
quatre femmes avec Kafka -qu´elle a réalisée pour France-Culture, retransmise
en 2022.
Kafka est un auteur qui a toujours suscité des essais, des études
académiques, des conférences. Il a même inspiré deux fictions uchroniques fort
intéressantes : la nouvelle «La fuite de Kafka» (1965) (2) de l´écrivain
de langue allemande Johannes Urzidil qui a été proche de Kafka, et qui met en
scène Kafka réfugié à Long Island à plus de quatre-vingts ans, et le roman de
Bernard Pingaud, Adieu Kafka ou l´imitation (1990) (3)où Kafka ne serait pas
mort en 1924, mais pendant la seconde guerre mondiale à Dachau. On dirait même qu´à chacun son Kafka. C´est
ce que disait déjà l´écrivain belge Pierre Mertens en 1996 dans sa communication
«Kafka écrivain «engagé» lors de la séance mensuelle du 9 mars de l´Académie
royale de langue et de littératures françaises de Belgique. Il y lançait une
interrogation qui est toujours d´actualité trois décennies plus tard : «Quel
mouvement philosophico-esthétique n´a, au vingtième siècle, revendiqué Franz
Kafka pour l´un des siens, sinon pour pionnier ou pour modèle ?». Ceci
dit, paradoxalement, la question «Faut-il brûler Kafka ?» fut parfois
posée. Et l´on ne parle pas de l´autodafé promu par les nazis en 1933. On
évoque la polémique suscitée par un groupe d´intellectuels communistes en 1946
dans la revue Action. Sous la plume de Daniel Biégel, ce groupe se demandait –un
an à peine après que l´on eut ouvert les portes du camp d´Auschwitz –quel sort
il convenait de réserver à une œuvre noire, moralement nocive, politiquement
réactionnaire, qui ne s´alimente qu´aux mamelles stériles d´un intimisme
petit-bourgeois et à l´absence de toute critique sociale (pour un communiste,
on le sait, tout se mesure à l´aune du social, tout doit être au service de la
révolution). Dans sa communication de
1996, Pierre Mertens rappelait encore que, jusque dans les années soixante, des
voix se sont élevées, en Tchécoslovaquie ou en Union Soviétique, pour mettre en
garde les lecteurs contre une œuvre «décadente», «cosmopolite» (un autre mot
abhorré par les communistes), et pernicieuse, et pour déplorer bien haut que
les intellectuels bourgeois d´Occident se soient détournés, au profit d´un
lamentable héros métamorphosé en insecte, du noble Faust de Goethe, «symbole de
la classe ouvrière» !
On sait que Kafka n´attendait pas de la Révolution d´Octobre l´instauration
d´un avenir radieux, mais comme le souligne encore une fois Pierre Mertens, on
connaît aujourd´hui combien et de quelle manière le progressisme de Kafka s´est
néanmoins formulé et illustré surtout grâce aux recherches de quelques
académiciens, notamment de Klaus Wagenbach, des recherches qui ont mis en
exergue l´intérêt qu´il a de tout temps manifesté pour les questions sociales.
Pourtant, il est on ne peut plus intéressant de constater combien Kafka était
clairvoyant et lucide pour ce qui est des promesses révolutionnaires que les
bolcheviques ont formulées lors de l´avènement du communisme en Union
Soviétique. Dans un entretien avec Gustav Janouch (5), il dit apercevoir déjà
«les sultans modernes» qui ne tarderaient pas à relayer les militants
révolutionnaires : «Je la vois cette puissance des masses, informe, en
apparence indomptable et qui aspire à être domptée et formée. À la fin de toute
évolution révolutionnaire apparaît un Napoléon Bonaparte (…) Plus une
inondation se répand, plus superficielle et plus trouble en devient son eau. La
révolution s´évapore, seule reste alors la vase d´une nouvelle bureaucratie. Les
chaînes de l´humanité torturée sont en papiers de ministères».
Concernant l´utilité –que, je pense, nul ne questionne de nos jours –de
l´œuvre de Kafka, un des essais les plus emblématiques a vu le jour en 1951
sous la plume de Günther Anders : Kafka, pour et contre (4) qui
curieusement ne fut publié en France qu´en 1990 et que Pierre Mertens-qui l´a
découvert comme la plupart du public francophone cette année-là- n´a pas à proprement parler
apprécié. Par contre, Léa Veinstein qui vient de publier aux éditions
Flammarion J´irai chercher Kafka-une enquête littéraire, s´est livrée avec
d´autres contributeurs à une analyse en profondeur de l´ouvrage dans le cadre
de son essai Les philosophes lisent Kafka (Benjamin, Arendt, Anders, Adorno), paru, en dernière édition en
date, en 2021 chez Les éditions de la Maison des Sciences et de l´Homme. Selon Léa
Veinstein, Gunther Anders met l´accent sur ce qu´il dénomme «l´ambiguïté
radicale de Kafka». Kafka pose la question du rapport entre l´homme et le monde
sous l´angle de l´alternative entre appartenance et exclusion. Günther Anders
et Hannah Arendt –son épouse à l´époque - abordent Kafka sous le même prisme
philosophique, mais Anders adopte une perspective différente comme nous le
rappelle Léa Veinstein : «Anders,
lui, semble toutefois poser cette question en inscrivant davantage sa réflexion
à l’intérieur de la tradition philosophique occidentale et dans un dialogue
plus marqué avec Heidegger. La problématique qu’il dégage de sa lecture de
Kafka concerne en effet plus précisément les liens entre deux grandes notions
philosophiques : le monde et l’Être (cette dernière étant absente des
textes d’Arendt). C’est ainsi qu’Anders prend soin de définir la « notion
kafkaïenne de monde » à partir de la non-appartenance (« c’est
l’ambiguïté de la non-appartenance qui contamine la notion kafkaïenne de monde
[…] [qu’il entend le plus souvent comme] la totalité de ce dont il est
exclu »), mais aussi, en un sens plus métaphysique que socio -politique, à
partir de la « notion kafkaïenne de l’être », sans la compréhension
de laquelle, selon lui, l’ensemble de l’œuvre ne peut que rester obscur». Léa
Veinstein reproduit donc un extrait de l´œuvre de Günther Anders pour étayer
ses arguments : «« Le
mot sein a, comme l’écrit Kafka, “une signification double
en allemand” : en tant que verbe, il signifie “être-là” [Da-sein],
et en tant que pronom, “son”, il a le sens de la possession, de l’appartenance
[ihm gehören] […] Ce que décrit Kafka n’est pas tellement l’Étant du
monde avec lequel est l’individu [das “Seiende”], mais bien le fait de
la non-appartenance, donc le non-être [das Nichtsein] ». Léa
Veinstein ajoute : «Si
le point de départ de l’interprétation est commun à Anders et Arendt (qui
posent la question du monde et de la non-appartenance), l’interprétation
d’Anders, elle, glisse vers une interrogation métaphysique sur le double renversement
kafkaïen du monde (dorénavant défini comme ce dont on est
originairement exclu) et de l’être, qui, à cause de cette
exclusion, se transforme en non-être. L’idée de Weltfremdheit,
qu’Arendt aura reprise dans un sens existentiel et politique, est ici investie
d’une forte connotation métaphysique». Plus loin, Léa Veinstein écrit au sujet
de l´«ambiguïté radicale» : «Anders veut donc mettre en avant l’ambiguïté
radicale de Kafka, quelque chose comme une tension indécidable et en elle-même
problématique qui surgit à la lecture de son œuvre. Son livre est à la fois une
prise de partie très forte, voire virulente par endroits, contre Kafka et un
éloge de son travail d’écrivain. Il y a du « pour » et du
« contre ». C’est cette ambiguïté que son livre cherche à dévoiler,
et, si difficile qu’en soit par conséquent la restitution, il convient de
prendre le temps d’en analyser les procédés et les arguments. Il nous faut pour
cela l’analyser dans son double mouvement – sans insister seulement
sur sa critique d’un soi-disant « écrasement » kafkaïen. Il convient
selon nous de ne pas aller trop vite en classant ce livre parmi les lectures
critiques d’extrême-gauche des années 1950, car il constitue, au-delà de
la grille de lecture politique, une véritable entrée dans l’œuvre de Kafka et
met en œuvre des analyses philosophiques et littéraires fines».
Quoi qu´il en soit, la réception
internationale de Kafka fut au fil des ans on ne peut plus enthousiaste via des
auteurs tels Bruno Schulz, Walter Benjamin, André Gide, André Breton, Alexandre Vialatte, Maurice Blanchot, Felix
Bertaux, Bernard Groethuysen, Elias Canetti, plus tard les italiens Claudio Magris, Roberto
Calasso, Pietro Citati et maintenant Giorgio Fontana (6). Sans oublier, bien
entendu, Milan Kundera -qui cite l´humour surréaliste de Kafka comme source
d´inspiration d´écrivains comme Gabriel García Márquez, Carlos Fuentes ou
Salman Rushdie- ou encore Jorge Luis
Borges. Ce dernier dans son essai Otras Inquisiciones (Enquêtes, en français)
nous réserve un chapitre sur Kafka et ses précurseurs parmi lesquels il place
étonnamment Léon Bloy, prenant surtout comme exemple un conte des Histoires
désobligeantes où l´on a affaire au cas de certaines personnes qui
collectionnent les globes, les atlas, les indicateurs de chemins de fer et les
malles et qui meurent sans être sorties de leur village natal. Curieusement –et
Philippe Muray l´a mentionné en note de bas de page de la «Statue du Quémandeur»,
texte sur Bloy dans son essai Exorcismes Spirituels I(7) -, Kafka lui-même parle
au moins une fois de Bloy. À Gustav Janouch, qui venait de trouver Le Sang du
pauvre chez le bouquiniste, il confie : «Je connais, de Léon Bloy, un
livre contre l´antisémitisme : Le Salut par les Juifs. Un chrétien y
défend les Juifs comme on défend des parents pauvres. C´est très intéressant.
Et puis…Bloy sait manier l´invective. Ce n´est pas banal. Bloy possède une
flamme qui rappelle l´ardeur des prophètes. Que dis-je, il invective beaucoup
mieux. Cela s´explique facilement, car sa flamme est alimentée par tout le
fumier de l´époque moderne»(7).
Que reste-t-il aujourd´hui de l´héritage
de Kafka ? Les écrits de Kafka reflètent les sentiments de la
société du début du XXème siècle. Ses personnages
évoluent dans un monde où les relations qui les régissent leur sont
incompréhensibles, où ils sont livrés, impuissants, à des forces inconnues,
comme dans un cauchemar. La vie est un mystère irrésolu, un labyrinthe dont on
ne connaît pas la sortie et ce qui nous y attend. Kafka étudie la psychologie
de ses personnages face à des situations extraordinaires. Kafka aborde les
thèmes de la solitude, des rêves, des peurs et des complexes. Le personnage est
perdu, déboussolé, il ne saisit pas tout ce qui l'entoure, le lecteur est le
plus souvent dans la même situation.
Le style et le symbolisme de Kafka (8) ont donc
influencé la littérature du vingtième siècle et l´on a même créé en allemand
l´adjectif «kafkaesh» qui donne en français «kafkaïen», un adjectif qui traduit
une situation ou atmosphère absurde et oppressante. Gabriel García Márquez n´a cessé de affirmer
qu´il se sentait redevable à Franz Kafka, qui a montré une nouvelle voie à sa
vie, surtout après qu´il eut lu La Métamorphose. Cette lecture lui a inspiré
son premier conte La Tercera Resignación (La Troisième Résignation).
Franz Kafka est, cent ans après sa mort,
l´auteur d´une œuvre résolument moderne.
(1)Pierre Assouline, Dictionnaire
amoureux des écrivains et de la littérature, éditions Plon, Paris, 2016.
(2) Johannes Urzidil, La fuite de Kafka
et autres nouvelles, traduit de l´allemand par Jacques Legrand, éditions
Desjonquères, Paris, 1992.
(3) Bernard Pingaud, Adieu Kafka ou
l´imitation, éditions Gallimard, Paris, 1990.
(4)Günther Anders, Kafka : pour et
contre, traduit de l´allemand par Henri Plard, éditions Circé, Belval, 1990.
(5) Gustav Janouch, Conversations avec
Kafka, traduit de l´allemand par Bernard Lortholary, éditions Maurice Nadeau,
Paris, 1998.
(6) Giorgio Fontana, Kafka. Un mondo di verità, Sellerio
editore Palermo, mars 2024.
(7) in Philippe Muray, Essais, éditions Les Belles Lettres, Paris, 2015.
mercredi 10 avril 2024
Article pour le Petit Journal Lisbonne.
Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman La maîtresse italienne de Jean -Marie Rouart, publié aux éditions Gallimard.
https://lepetitjournal.com/lisbonne/la-maitresse-italienne-un-roman-de-jean-marie-rouart-382819
jeudi 4 avril 2024
La mort de John Barth.
John Barth, né le 27 mai 1930 à Cambridge dans le Maryland et mort le 2 avril 2024 à Bonita Springs(Floride), était un romancier et nouvelliste américain réputé pour les caractéristiques postmodernes et métafictionnelles de ses oeuvres.
Son travail fictionnel est parfois rapproché des univers de Vladimir Nabokov ou John Fowles, par exemple.
En 1952, il a soutenu une thèse
intitulée La Tunique de Nessos (The Shirt of Nessus),
dont une des particularités fut d'être rédigée sous la forme d'un court roman (novella ou
une longue nouvelle), forme que Barth a affectionné par la suite.
Il fut
professeur dans diverses universités américaines, jusqu'à sa retraite en 1995.
mardi 2 avril 2024
La mort de Maryse Condé.
Maryse
Condé, née
Marise Liliane Appoline Boucolon le à Pointe-à-Pitre (Gaudeloupe), est décédée aujourd´hui, à l´âge de 90 ans, à Apt (Vaucluse), était une journaliste, professeure de littérature et
écrivaine française d´origine guadeloupéenne se réclamant de
l´indépendantisme guadeloupéen.
Elle
était l'autrice d'une œuvre importante de renommée mondiale. Elle était surtout
connue pour Ségou, roman en deux tomes qui, à
travers le destin de trois frères, retrace la chute du royaume bambara de
Ségou. Elle était également connue pour son roman Moi Tituba sorcière…
En 2018, elle a remporté le Prix de la Nouvelle Académie de Littérature, une sorte de Nobel alternatif.
vendredi 29 mars 2024
Chronique d´avril 2024.
Ahmadou Kourouma, portrait d´un «ogre
malinké»
Ahmadou
Kourouma était un écrivain ivoirien d´origine malinké. Son nom signifie
«guerrier» en langue malinké. Né officiellement près de Boundiali en Côte
d´Ivoire, le 24 novembre 1927, il aurait effectivement vu le jour à Togobala,
en Guinée. Son père était un marchand de noix de kola, mais c´est
un oncle habitant Boundiali qui l´a recueilli alors que Ahmadou Kourouma
n´avait que 7 ans, ce après que son père eut violenté puis répudié sa mère. Ce
fut dans doute une expérience décisive pour le jeune garçon et qui l´a placé
dès son enfance sous le sceau d´une rupture, d´une séparation et d´un
déracinement comme l´a écrit à juste titre Jean-Michel Djian dans la biographie
qu´il lui a consacrée, publiée en 2010 aux éditions du Seuil.
Après avoir donc passé les premières années de sa
vie auprès des siens au nord de la Côte d´Ivoire, il a poursuivi ses études à
l´Ecole technique supérieure de Bamako, la capitale du Mali. Pourtant, à Bamako,
il n´a pas hésité à manifester ses désaccords sur nombre de règles auxquelles
lui et ses pairs devaient se plier. Ainsi, comme il a
vigoureusement dénoncé la nourriture infecte et les conditions sanitaires
déplorables de la grande école (il a même organisé une grève pour cela), il fut
renvoyé quelques semaines avant de passer ses examens et n’a donc pas obtenu
son diplôme. De ce fait, il fut enrôlé dans l’armée coloniale mais comme il a
refusé l’idée d’avoir un jour à tirer sur les siens, il en fut rapidement
exclu, ce qui l´a conduit à passer trois ans à Saigon, comme tirailleur en
Indochine française,
de 1951 à 1954. Ensuite, il a regagné la France métropolitaine où
il est devenu étudiant en statistiques dans le domaine des assurances à Lyon
–où il a connu une Française, Christiane, qui allait devenir sa femme -, ne
retrouvant la Côte d´Ivoire qu´en 1960 au moment de l´indépendance. Pourtant,
son séjour y fut de courte durée. En homme intelligent et insoumis, il s´est
tôt aperçu que, pour réussir chez soi, il fallait flagorner ceux qui tenaient
le haut du pavé, en particulier le grand chef, le manitou, Monsieur Félix
Houphouët-Boigny. Poussé hors de ses frontières, il a successivement vécu en
Algérie, au Cameroun et au Togo.
Jean –Michel Djian a plus ou moins insinué, à
travers les photos qu´il a insérées dans la biographie citée plus haut,
qu´Amadou Kourouma était une force de la nature : un
homme grand, aux larges épaules, initié très jeune à la chasse aux grands
fauves. Sous l´influence de son oncle Foldio qui l´a
élevé, il aura gardé toute sa vie une certaine
confiance dans le fétichisme de sa jeunesse. C’est par ailleurs la croyance aux
esprits qui a fait que Kourouma, à la fin de sa vie, alors qu’il était soigné à
Paris pour le diabète, ait recouru à des guérisseurs impuissants à le guérir ;
croyance qui, d´après Jean –Michel Debré ou encore Agnès Cousin de Ravel (dans
un article publié en 2010 sur le site nonfiction)semble avoir davantage compté
pour lui que la religion musulmane à laquelle il appartenait, qu’il a pratiquée
moins par conviction que pour ne pas être exclu de sa communauté et dont il a
dénoncé régulièrement la vanité des rites.
Amadou Kourouma a hérité de ses ancêtres le goût
pour ces histoires colorées et traditionnelles, à la fois relayées et
renouvelées d´une génération à l´autre. Des histoires du vécu africain où la
réalité est enrichie et transfigurée par la fantaisie des conteurs, comme un
des oncles de l´auteur qui était infirmier, chasseur, musulman et féticheur. De
cette sève, Ahmadou Kourouma a développé un style vif, chatoyant et primesautier,
où la langue française était d´ordinaire enjolivée par des termes de malinké,
sa langue natale.
En 1968,
sort son premier roman, Les soleils des indépendances, mais devant
l´indifférence des éditeurs français, Ahmadou Kourouma doit recourir aux
Presses de l´Université de Montréal pour le faire publier. Méfiance du milieu
littéraire français à l´égard d´une littérature africaine qui n´avait pas
encore acquis ses lettres de noblesse ? On ne saurait le dire. Toujours
est-il que, deux ans plus tard, il est repris par les éditions du Seuil et il
connaît alors un immense succès se vendant à plus de 100.000 exemplaires. La
réputation d´Ahmadou Kourouma repose d´ailleurs sur cinq ou six livres,
l´auteur n´en ayant publié qu´une dizaine, y compris une pièce de théâtre et
des livres pour enfants.
Son
premier roman que nous venons de citer, Les soleils des indépendances, retrace
le parcours de Fama, prince malinké aux temps de l´indépendance et du parti
unique, un livre où la réalité africaine avec son cortège de joies et de
souffrances s´étale au grand jour. Une réalité africaine qui se retrouve aussi
au cœur du livre suivant Monné, outrages et défis, mais ici sous une
perspective différente : le roi déchu de Soba, Djigui Keïta, désobéissant
à l´empereur de tout le pays mandingue et contre toute logique, s´enlise dans
la collaboration avec les troupes d´occupation coloniales. Tous les livres de
Kourouma d´ailleurs n´évoquent autre chose que les démons des sociétés
africaines. Dans un roman paru en 1999 et couronné du prix du Livre Inter, En
attendant le vote des bêtes sauvages, Ahmadou Kourouma propose une lecture personnelle et nuancée des
événements et des dynamiques en vigueur dans les États africains qui, après la
dissolution de l’Empire colonial français, ont progressivement accédé à l’indépendance, toute relative
néanmoins à cause du néocolonialisme. L’auteur aborde de façon critique et
ironique certaines traditions africaines, la colonisation, la tyrannie et
la démesure des chefs d’États africains, ainsi que l’hypocrisie des Occidentaux.
Comme l´écrivait Sélom K. Gbanou en 2006, dans un article publié dans la revue
québécoise Études Françaises : « Sa démarche créatrice consiste à
mettre les atouts de la fiction au service de la vérité historique, d’en faire
une voie d’accès à la mémoire du présent, de traquer dans le merveilleux
romanesque et l’invraisemblable du récit fictionnel la réalité du monde et des
êtres ». En attendant le vote des bêtes sauvages est assurément un
des meilleurs livres que l´on ait jamais écrits sur les dictatures et la
corruption africaines. L´auteur nous raconte l´histoire du général Koyaga,
«président» de la République du Golfe, dans une fable à l´humour ravageur où
l´on mêle hommes et bêtes sauvages et où l´on n´a aucun mal à reconnaître sous
les traits de Koyaga et d´autres personnages l´ombre des grands dictateurs
africains comme Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Bokassa ou Mobutu.
L´année
suivante paraissait Allah n´est pas obligé qui a obtenu le prix Renaudot et où
le héros est un gosse que, comme tant d´autres en Afrique, le malheur a fait
devenir jeune soldat. Birahima, le
héros, est un enfant des rues comme il le dit lui-même, « un enfant de la
rue sans peur ni reproche ». Après la mort de sa mère, infirme, on lui
conseille d’aller retrouver sa tante au Libéria. Personne n´est disponible
pour accompagner le garnement, mis à part Yacouba « le bandit boiteux, le
multiplicateur des billets de banque, le féticheur musulman ». Les voilà
donc sur la route du Liberia. Très vite, ils se font enrôler dans différentes
factions, où Birahima devient enfant soldat avec tout ce que cela
entraîne : drogue, meurtres, viols… Yacouba arrive facilement à se faire
une place de féticheur auprès des bandits, très croyants. D'aventures en
aventures, Birahima et Yacouba vont traverser la Guinée, la Sierra
Leone, le Liberia et enfin la Côte d'Ivoire.
Selon la chercheuse
Christiane Ndiaye, « Ahmadou Kourouma a écrit Allah n’est pas obligé à la
demande d’enfants des écoles de Djibouti. Ahmadou Kourouma leur a délivré
un message hautement politique : «Quand on dit qu’il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que des
bandits de grand chemin se sont partagé le pays. Ils se sont partagé la
richesse ; ils se sont partagé le territoire ; ils se sont partagé
les hommes. Ils se sont partagé tout et tout et tout le monde entier les laisse
faire. Tout le monde les laisse tuer librement les innocents, les enfants et
les femmes».
Dans un entretien
accordé au quotidien français L´Humanité en 2000, Ahmadou Kourouma a encore expliqué
là-dessus: « En fait, c'est quelque chose qui m'a été imposé par des
enfants. Quand je suis parti en Éthiopie, j'ai participé à une conférence sur
les enfants soldats de la Corne de l'Afrique. J'en ai rencontré qui étaient
originaires de la Somalie. Certains avaient perdu leurs parents et ils m'ont
demandé d'écrire quelque chose sur ce qu'ils avaient vécu, sur la guerre
tribale. Ils en ont fait tout un problème ! Comme je ne pouvais pas écrire
sur les guerres tribales d'Afrique de l'Est que je connais mal, et que j'en
avais juste à côté de chez moi, j'ai travaillé sur le Liberia et la Sierra
Leone ».
On retrouve Birahima dans le dernier roman de
Kourouma, Quand on refuse, on dit nom, auquel l´auteur travaillait au moment de
sa mort. Maintenant démobilisé, il se débrouille à Daloa, une ville du sud de
la Côte d´Ivoire où il exerce la fonction d´aboyeur pour une compagnie de
gbagas, les taxi-brousse locaux. Cependant, il rêve toujours de richesse et de
gloire. Surtout il n´a d´yeux que pour Fanta, belle comme un masque gouro.
Lorsque la fille décide de fuir vers le nord, Birahima se propose comme garde
du corps. Fanta entreprend alors de faire l´éducation de son jeune compagnon.
Elle lui raconte l´histoire de leur pays, des origines à nos jours, que le
garnement interprète à sa façon naïve et malicieuse.
Roman inachevé certes, mais où les qualités qui
ont fait la réputation de Kourouma sont intactes. Le roman, dont le texte a été
établi par Gilles Carpentier, est paru en septembre 2004.
Dans un article publié dans le quotidien Le Monde
en septembre 2000, le critique Pierre Lepape considérait qu´Ahmadou Kourouma
avait repris le schéma du roman picaresque adapté à un autre
univers : « Le roman européen des xvie et xviie siècles, de Lazarillo de
Tormès aux Aventures de Simplex Simplicissimus, a inventé une manière de décrire
le monde des humbles et des méprisés. Des enfants ou de très jeunes gens, jetés
sur les routes par l’abandon, la misère et les horreurs de la guerre,
découvraient, d’aventures en rencontres de hasard et de mauvaises fortunes en
opérations de survie, le visage réel de la société, l’envers des apparences, de
l’ordre, des hiérarchies, des raisons. Kourouma reprend le schéma picaresque de
l’errance. »
Ahmadou Kourouma –que Jean –Michel Djian a dénommé
dans sa biographie «l´ogre malinké» -s´est éteint il y a plus de vingt ans,
mais ses livres sont là pour témoigner, sous le charme de la fiction et dans
une veine satirique, des heurs et malheurs de la réalité africaine.
Le décès de Guy Goffette.
On vient d´apprendre la triste nouvelle du décès du poète et éditeur Guy Goffette, le 28 mars 2024. On reproduit la notice nécrologique du site des éditions Gallimard :
«Né en 1947 à
Jamoigne, en Lorraine belge, « dans un milieu où l’on devait se cacher pour
lire », Guy Goffette a consacré sa vie au livre et à l’écriture, tout en
développant son goût pour les voyages. Poète et auteur de prose, il fut
également animateur de revues (Triangle, L’Apprentypographe),
compositeur-imprimeur à son compte, enseignant, bibliothécaire, libraire,
critique, lecteur et éditeur. Après avoir publié un Éloge pour une cuisine de
province en 1988 remarqué par La NRF, il fit paraître La Vie promise chez
Gallimard en 1991, qui fut suivi par d’autres recueils poétiques (jusqu’à Paris
à ma porte l’an passé), ainsi que par des romans et récits littéraires sur
Verlaine, Bonnard, Auden ou Claudel.
Comme auteur, mais
aussi comme membre du comité de lecture des Editions Gallimard à partir de
2000, il fut, avec Jean Grosjean et Jacques Réda, l’un des grands animateurs de
la vie poétique.
Son œuvre fut
saluée par le Grand Prix de Poésie de l’Académie française en 2001 et le Prix
Goncourt de la Poésie en 2010.
Attachée à porter un regard émerveillé sur le monde, sa
poésie est empreinte d’un lyrisme sans emphase, toujours juste et sincère,
laissant entendre des notes d’amertume, de nostalgie et d’humour. Elle est
toujours un acte de conviction : « La poésie est une manière différente, plus
riche, plus libre et plus intime est d’habiter la langue. Ne raisonnant pas, la poésie résonne. »