Qui êtes-vous ?

Ma photo
Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 28 octobre 2017

Chronique de novembre 2017.



 
Yorgos Séféris et le souffle poétique de la Grèce.


Pourquoi, tant de siècles plus tard, l´Antiquité classique grecque nous fascine-t-elle autant ? Les raisons en sont multiples. Une des plus intéressantes parmi celles que j´aie lues ces derniers temps-qui porte aussi sur les dettes réciproques entre notre époque et la Grèce classique- je l´ai trouvée il n´y a pas longtemps dans un beau livre de l´helléniste espagnol Pedro Olalla intitulé Historia Menor de Grecia(Historia Mineure de Grèce), publié en 2012 par les éditions Acantilado et qui malheureusement n´a pas encore été traduit en français : «La Grèce en tant qu´idéal est une patrie spirituelle éternellement jeune, une création in fieri, un défi ouvert qui traverse l´histoire comme une révolution permanente, ou, encore davantage, comme une séduction permanente vers ce qu´il y a de mieux. Cette Grèce-là est, sans doute, celle qui a toujours attiré les esprits les plus valeureux qui l´ont perpétuée dans le temps. Néanmoins, en quel lieu de l´histoire habite cet idéal ? Son histoire -comme celle de tous les peuples-n´a pas toujours été lumineuse et rayonnante : elle est pleine de gestes hautains, irrationnels, voire barbares. D´où donc, a-t-il pu naître cet esprit capable de séduire aux plus généreux et aux plus soucieux de l´humain ? Je crois qu´il est né de gestes esseulés, même pas d´êtres exemplaires, rien que des gestes esseulés, d´éclats de noblesse, qui ont laissé leur empreinte liée à la réussite aussi bien qu´à l´échec. Dans ces gestes –là a survécu cet esprit».                
  En écoutant, par exemple, la musique de la compositrice Eleni Karaindrou qui accompagnait beaucoup les films de Théo Angelopoulos, on ne peut s´empêcher de penser au souffle poétique dont semble imprégnée toute la culture grecque. De la nuit des temps nous reconnaissons la voix éternelle des grands auteurs de l´Antiquité Classique. C´est le berceau de la civilisation européenne. Pourtant, la littérature grecque contemporaine est moins connue, quoiqu´elle puisse se prévaloir d´avoir à son actif deux auteurs couronnés du Nobel : Odysseus Elytis en 1979 et Yorgos(Georges) ou Giorgos Séféris en 1963. De ce dernier –que je vous propose de connaître aujourd´hui- le grand poète français Yves Bonnefoy, décédé l´année dernière, a écrit dans le texte La lumière d´octobre que «jamais comme auprès de Séféris, je n´avais éprouvé le désir de seulement être là, pour vérifier (…) qu´il ne faut qu´un exemple de loyauté (…) pour que l´écueil, l´écume et l´étoile ne soient plus le décor absurde de notre mort. Jamais non plus, comme par la grâce de ce poète, je ne m´étais senti si hautement favorisé du droit simple d´être moi-même, si décidément libéré des précautions et des protocoles qui foisonnent dans le destin.»
  Tous ceux qui ont, à un moment de leur vie, fréquenté Yorgos Séféris témoignent de la gentillesse et la grandeur de ce voyageur qui a proféré, un jour, une phrase qui est restée célèbre : «où que je voyage, la Grèce est ma blessure».
  Né en 1900 à Smyrne, Yorgos(ou Georges) Séféris-de son vrai nom, Yorgos Stylianou Seferiades doit rejoindre Athènes, avec sa famille, en 1914, au début des hostilités entre la Grèce et la Turquie. Séféris y fait les études secondaires et son goût pour l´écriture se manifeste dès sa prime jeunesse. En 1927, son professeur de grec D.N. Goudis publiera un recueil de «compositions exemplaires» d´anciens élèves où figurent quatre devoirs du jeune Séféris. Entre-temps, le futur Nobel, devenu adulte, étudie le droit à la Sorbonne, à Paris, vit à Londres pour perfectionner son anglais, et entre au corps diplomatique. Son métier de diplomate le mène en Crète, en Égypte, au Liban, en Italie, en Angleterre, nourrissant ainsi son œuvre d´une poétique de l´exil. La Grèce que l´on retrouve dans ses poèmes est une Grèce de la nostalgie, des mythes, des odeurs de myrrhe et de citronnier, des barques et de beaux rivages. Il y a aussi les pierres et la citerne qui était pour Séféris le signe par excellence. Comme l´a écrit Yves Bonnefoy, toujours dans le texte cité plus haut, «Séféris a passé une grande part de sa vie à être grec -à servir la Grèce- dans les pays étrangers, et il a bien été ce voyageur empêché de rentrer au port qu´il évoque dans ses poèmes.». Dans la même veine, s´exprimait l´écrivain Gil Pressnitzer qui a écrit sur Séféris: «La terre grecque lui tend ses deux mains pour lui dire ses chimères, lui en exil au cœur de la lumière. Il apparaît dans la poésie grecque comme un solstice d´été et dans son souffle passe la douleur et la grandeur de la résurrection de l´histoire de la Grèce, antique et contemporaine.».
Il se lie d´amitié avec d´autres grands poètes comme T.S.Eliot, Constantin Cavafy, Yves Bonnefoy, on l´a vu, et des romanciers comme Henry Millet ou Lawrence Durrell. Grâce à lui, le poète Lorand Gaspar a appris le grec et s´est imprégné de culture grecque, habitant les paysages, réels ou mythiques, qui ont inspiré Séféris, afin de traduire sa poésie. Quant à Gaëtan Picon, il n´a jamais caché son admiration pour un poète qu´il a fréquenté et qu´il a décrit de la manière éloquente qui suit : «Doré comme les pierres de son pays, comme ces rocs depuis toujours brûlés, imprégnés par les sucs, les sels, le rayonnement de l´espace, raviné comme la sécheresse de la terre ocre, craquelée, le visage est celui d´un homme qui s´expose au soleil» Et plus loin : «Mais ce soleil, cette vie à laquelle il s´expose, il attend que de leur brûlure et de leur saturation vienne l´exsudation du poème. Voici qu´il les ramène dans ses filets, dans l´ombre de sa bibliothèque d´Athènes, entourée par les flammes du jour-au fond de ce silence, de cette réserve, de cette absence, que l´on devine en lui comme le vide par lequel la plénitude de sa présence est invisiblement tenue. Du soleil à l´ombre, e la communication à la solitude, de l´exil au retour, de l´errance aux racines natales : c´est le rythme d´une vie et d´une poésie». Dans la poésie de Séféris, comme l´a si bien  écrit-encore une fois-Gil Pressnitzer, «les dieux marchent à pas de colombes et parlent à mi-voix pour ne point effrayer les hommes. Car ils sont au milieu d´eux. Il en est le messager. De ses mots monte la lumière. Simple comme une lumière d´octobre sur la mer».       

  Parmi les ouvrages essentiels de Séféris, je me permets de relever les essais Cavafy et Eliot et Hellénisme et création, le roman Six nuits sur l´Acropole, les Journaux et, bien sûr, nombre de livres de poésie. À ce sujet, il y a en français, une excellente anthologie dans la collection Poésie chez Gallimard intitulée Poèmes 1933-1955 suivis de Trois Poèmes Secrets. Les vers de Poèmes sont traduits par Jacques Lacarrière et Egérie Mavraki et ceux de Trois Poèmes Secrets par Yves Bonnefoy et Lorand Gaspar. L´anthologie comprend encore une préface signée Yves Bonnefoy (en fait le texte La lumière d´octobre de 1963) et une postface par Gaëtan Picon. Je vous reproduis ici deux petits poèmes illustrant le talent de Yorgos Séféris :

 Calligramme (Journal de bord II) :

«Voiles sur le Nil,
Oiseaux sans cris, privés d´une aile
/cherchant sans bruit celle qui manque,
parcourant dans le ciel absent
Le corps d´un adolescent sans marbre ?
Traçant sur l´azur d´une encre invisible
 Un cri désespéré.»
(traduction Jacques Lacarrière et Égérie Mavraki)



G (extrait de Trois Poèmes secrets) :

Guérison de la flamme, la flamme seule :
Non par goutte-à-goutte de l´instant
Mais par l´éclair, soudain,
Du désir qui rejoint l´autre désir
-Et chevillés ils restent
L´un à l´autre, et le rythme
D´une musique, au centre,
A jamais la statue

Que rien ne bougera.

Dérive, non, de la durée, ce souffle :
Mais foudre, qui tient la barre.

(traduction d´Yves Bonnefoy).


  En 1967, à la suite du coup d´état militaire des colonels, Séféris, refusant l´invitation de l´Université de Harvard pour y enseigner pendant un an, a déclaré : « J´ai, hélas, le sentiment que si la liberté d´expression manque dans un seul pays, elle manque alors partout ailleurs. La condition de l´émigré ne me séduit pas : je veux  rester auprès de mon peuple et partager ses vicissitudes.» Deux ans plus tard, il a fait une déclaration publique contre la junte militaire. Le 20 septembre 1971, Séféris est décédé à l´hôpital Evangélismos à Athènes. Le lendemain, trente mille personnes ont suivi le cortège funèbre, faisant de son enterrement une manifestation spontanée contre la dictature des colonels. Comme quelqu´un l´a écrit, on disait au revoir à un émissaire de la paix. 



jeudi 5 octobre 2017

La mort d´Anne Wiazemsky.



 

Née le 14 mai 1947 à Berlin, l´actrice et romancière française Anne Wiazemsky est décédée aujourd´hui, à l´âge de 70 ans, des suites d´une longue maladie. Fille de Claude Mauriac et petite-fille de François Mauriac (Prix Nobel de Littérature en 1952), Anne Wiazemsky était l´ancienne compagne du cinéaste Jean-Luc Godard.
Surnommée «l´éternelle jeune fille», elle a publié une douzaine de romans dont Les Canines, prix Goncourt des Lycéens en 1993, L´hymne à l´amour (1996, Prix RTL-Lire), Une poignée de gens (1998, Grand Prix du roman de l´Académie Française et Prix Renaudot des Lycéens), Jeune Fille (2007, Prix Jean Freustié et Prix Lilas), Mon enfant de Berlin(2009), Un an après(2015) et Un Saint Homme(2017).
Une femme remarquable.

Le Nobel attribué à Kazuo Ishiguro.



Le Prix Nobel de Littérature 2017 vient d´être attribué à l´écrivain britannique d´origine japonaise Kazuo Ishiguro.L´Académie suédoise a mis en exergue «ses romans d´une grande force émotionnelle révélant l´abîme sous l´illusion que nous avons de notre relation au monde».
Né à Nagasaki le 8 novembre 1954, il vit en Angleterre dès l´âge de 6 ans. Il a a son actif un recueil de nouvelles et sept romans  dont The remains of the day(Les vestiges du jour), lauréat du Booker Prize en 1989, et Never Let Me Go(Auprès de moi toujours), paru en 2005. Ces deux romans ont fait l´objet d´adaptations cinématographiques. 
Il a été décoré de l´ordre de l´Empire Britannique en 1995 et fait Chevalier des Arts et des Lettres en 1998. 
Son dernier roman The Buried Giant fut publié en 2015 et traduit en français sous le titre Le Géant Enfoui.
La plupart de ses livres sont disponibles en français dans la collection de poche Folio aux éditions Gallimard.