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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 29 janvier 2022

Chronique de février 2022.

 



La voix intérieure de  Gertrud Kolmar.

 « Dans les brumes rôde aux fenêtres sans regard une faible lueur rouge sombre, un corbeau creuse de croassantes prophéties, le harfang des neiges nage sans bruit, floconnant dans le chant cristallin du silence nocturne.- Quelque part au loin, un bateau se lamente dans les glaces…Quelque part.» Ces vers du poème «Phares» inclus dans le  livre Mondes (Welten en allemand) que les éditions Seghers ont publié en 2001 ont été écrits entre août et septembre 1937 et ils sont- peut-être involontairement- prémonitoires quant à l´avenir et à la souffrance de l´ auteur qui n´a pas trouvé son phare pour dissiper les brumes où sa vie était tombée depuis.

  La dame qui a écrit ces vers- qui ne verraient le jour qu´après la guerre, en 1947- s´appelait Gertrud Kolmar, elle était cousine de Walter Benjamin, et, comme tant d´autres juives allemandes, elle est morte à Auschwitz en 1943. Les vers que vous avez lus ont été écrits à un moment où l´Allemagne était déjà livrée depuis quatre ans à la barbarie nazie et Gertrud Kolmar  pressentait d´ailleurs que sa vie ne serait pas des plus tranquilles. Elle n´a pas néanmoins voulu – contrairement à ses sœurs et ses frères- quitter l´Allemagne puisqu´elle refusait d´abandonner son père (veuf depuis la mort de sa femme en 1930), un juriste, au régime nazi, une préoccupation qui ne contredit nullement d´ailleurs la tradition juive de veiller toujours au bien-être de ses parents, quoique la famille fît partie de la bourgeoisie plutôt assimilée. Dans les derniers temps avant la déportation, ils étaient tous les deux déjà soumis aux diktats nazis, étant donné que dès 1938 ils ont été délogés de leur maison à Finkenkrug et  ont été assignés à résidence dans un appartement collectif pour juifs. Gertrud fut astreinte au travail obligatoire et elle fut finalement arrêtée à Charlottenbourg en 1943, étant assassinée plus tard à Auschwitz. Son père avait déjà été déporté en 1942 à Theresienstadt où il est mort en février 1943.

Dans un siècle qui a engendré une foule de poétesses juives de langue allemande comme Nelly Sachs, Rose Ausländer, Elsa Lasker-Schüler ou Ingeborg Bachmann, Gertrud Kolmar est, parmi elles, la plus secrète et la plus méconnue tant et si bien que, hors d´Allemagne, son œuvre, contrairement à celles de ses consœurs, est quasiment inconnue, malgré les efforts qu´une poignée d´amants de ses écrits ont déployés, surtout en France, pour que lumière se fasse sur son œuvre. Après la seconde guerre mondiale, autour de 450 poèmes, miraculeusement sauvés par sa sœur Hilde, témoignent de la profondeur et de l´originalité de ses vers. Comme on peut lire dans le très beau dossier qui lui est consacré sur le site «Esprits nomades»* : «Cette fille renfermée, si peu bavarde nous laisse juste une empreinte. Presque pas de photos d’elle, pas de vie remarquable, pas d’amitiés littéraires, des peines enfouies, la douleur jamais refermée d’avoir dû avorter sous la pression familiale, et ce choc de découvrir chez un autre être aimé toute la littérature de mort et d’antisémitisme nazi. Gertrud Kolmar glisse entre les doigts comme le sable du malheur. Souvent on se demande, mais qui était donc Gertrud Kolmar ? En effet si peu de traces sont parvenues jusqu’à nous. Tant de violence cachée, d’images mélangeant la naïveté de la jeune fille enclose et la noirceur de la femme délaissée dans ses textes sinueux et complexes qui sont autant de journaux intimes. Gertrud est en fait un écrivain totalement posthume».

 Gertrud Kolmar était une femme déterminée et courageuse. Né en 1894 à Berlin, son nom de famille était effectivement Chodziesner, de la ville natale de son père en Poméranie, dont la traduction en allemand donne justement Kolmar. Elle a signé de ce nom, donc, dès ses premiers écrits. Passionnée de littérature et de culture française, elle a composé en 1935 Cécile Renault un drame sur la Révolution française et auparavant elle avait déjà écrit un recueil de poèmes sur Robespierre et la révolution française. Elle avait aussi suivi des cours à l´Université de Dijon. Dans une lettre à Walter Benjamin en 1934, elle a cité sa généalogie littéraire qui comprenait Rilke, Werfel, John Milton, mais aussi, inévitablement, des Français comme Valéry et Leconte de L´Isle. Pourtant, si ces écrivains ont véritablement influencé Gertrud Kolmar, il en reste très peu de traces dans son œuvre, ce qui est tout à son honneur. En effet, en lisant les œuvres de Gertrud Kolmar, soit la poésie, soit la prose, on reconnaît une voix intérieure, celle qui rend singuliers les grands écrivains.

 Les textes en prose de Gertrud Kolmar : Mère juive, Lettres et Susanna, entre autres -témoignent on ne peut mieux de son talent éclectique.

Le roman Mère juive fut écrit en 1930, peu après la mort de sa mère et l´action se passe à Berlin en 1920.Ursa, la fille de Martha Wolf, une jeune veuve juive, disparaît et n´est retrouvée que le lendemain, inanimée. On s´aperçoit, dès les premiers instants qu´elle a été violée. Quelques jours plus tard, incapable de supporter l´agonie interminable de sa fille, Marthe, elle –même l´empoisonne. Puis, pour survivre aux souvenirs, elle cherchera à venger son enfant. C´est le roman du désespoir et une fable préludant l´avènement de la barbarie nazie.

 Dans Lettres, on retrouve surtout la correspondance entre Gertrud Kolmar, et sa sœur Hilde, réfugiée en Suisse. Ces lettres, écrites depuis le Berlin nazi, constituent un témoignage considérable sur la résistance passive d´une femme solitaire, puisque, au bout du compte, il faut continuer de vivre et chercher dans les moindres détails des raisons pour tenir debout. Dans l´édition en français, publiée par Christian Bourgois en 2001, Hanns Zischler note, dans la préface, qu' «elle écrit et écarte d’elle, par l’écriture, la ville qui se fait de plus en plus oppressante, le quotidien toujours plus étriqué. Comme on esquive un obstacle, elle détourne par l’écriture ce Berlin qui s’emplit de bruit et de haine, qui se ferme à elle de plus en plus ». Dans une critique parue à l´époque dans Chronicart, Baptiste Liger rappelait que malgré le travail obligatoire qu’elle raconte avec un réel détachement, malgré l´étoile jaune qui ne l’abandonne jamais, les rares choses dont se plaint Gertrud Kolmar relèvent de la broutille.  Baptiste Liger commençait d´ailleurs son article en lançant une hypothèse plausible pour l´éloquence et l´autorité qui se dégagent de ces écrits : «La censure enseigne parfois la liberté. Ainsi, pendant la première guerre, Gertrud Kolmar dut travailler dans les casernes de Döberitz, au service de vérification du courrier. La jeune femme était chargée de lire les lettres de bagnards anglais, français ou allemands. Sans doute tirera-t-elle de cette expérience un exceptionnel savoir-faire dans la dissimulation, le camouflage et l’ellipse. C’est en tout cas une piste probable pour expliquer la force de ces Lettres. L’écriture de Gertrud Kolmar est avant tout celle de l’absence et de la disparition. A l’image de sa vie».

 Enfin, Susanna est le dernier texte de Gertrud Kolmar, rédigé au cours de l´hiver 1939. L´histoire tourne autour des souvenirs d´une rencontre entre une gouvernante et son élève, une jeune fille belle, mais troublée mentalement et obligée de renoncer à l´amour fou qu´elle nourrit pour un homme. Un magnifique récit d´un monde en perdition.

Le monde poétique de Gertrud Kolmar est unique. Comme nombre de critiques l´ont signalé, il ne faut pas espérer y trouver l’écho de l’horreur nazie, mais celle plus universelle de l’horreur du monde. Sa poésie est un flux et les images embarquées sur ce fleuve ne sont pas là comme passagers décoratifs, mais comme témoins de la course de la vie.

Dans un texte académique de 2007, intitulé «Les univers intérieurs de Gertrud Kolmar : à propos de Welten (1937)», Laurent Cassagnau, de l´École Normale Supérieure de Lyon, dissèque l´univers poétique de cette voix singulière de la littérature allemande. En guise de synthèse, l´académicien écrit ce qui suit : «Ces univers imaginaires dans lesquels on ne trouve pas de références explicites à la persécution nazie sont situés pour la plupart dans un «ailleurs» à la fois spatial et temporel, occidental et «oriental», intérieur et extérieur. Peut-on dire pour autant que Kolmar «se réfugie» dans un univers irréel de création littéraire ? Si le sujet aime se présenter comme entrant dans l´espace même qu´il a construit, cet espace est toutefois marqué par la mélancolie et l´angoisse, de sorte que s´ouvre souvent un deuxième espace, un «ailleurs de l´ailleurs» qui n´est pas moins ambigu. On est en quelque sorte en présence d´un «Autre» de l´utopie qui vient jeter son ombre sur le lieu premièrement construit. Les mondes imaginés, à la beauté de pierre mais désertés par les humains, peuvent certes faire signe vers l´Être pur mais sont également associés à la mort ou à la disparition du sujet. L´écriture apparaît non pas comme une simple conduite de fuite devant les événements contemporains, mais comme l´exploration d´un espace littéraire qui est aussi un «ailleurs» intérieur ou extérieur dans lequel le sujet affronte sa propre mort».

Elsa Lasker-Schüler disait: «Trois poèmes au moins de Gertrud ont éclairé ma vie : La ville, Nostalgie ardente, les jardins de l’été. Je les connais mot à mot et je me blottis dans eux. »

Quant à Nelly Sachs, elle lui a pour sa part dédié un poème: « Gertrud Kolmar tu voyais les pensées partir en cercles/comme des images sur une tête/là où se lèvent les étoiles/et tu n’as pas eu l’étoile aveugle du temps devenu vieux/Là où pour nous c’était encore le soir/toi tu voyais déjà l’éternité ».

Jacques Lajarrige, traducteur de Mondes, a intitulé sa postface : « Un cycle arraché aux ténèbres». Arrachons donc aux ténèbres, nous les lecteurs, l´œuvre de Gertrud Kolmar.

*www.espritnomades.net

P.S- Les livres de Gertrud Kolmar traduits en français sont disponibles chez plusieurs éditeurs comme Seghers, Christian Bourgois, Circé, L´Harmattan et Farrago.

 

 

 

 

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Son fils de Justine Lévy, publié aux éditions Stock:

 https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/son-fils-journal-imaginaire-justine-levy-330145

 


 

jeudi 13 janvier 2022

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Laissez-moi vous rejoindre d´Amina Damerdji, publié aux éditions Gallimard:

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/roman-laissez-moi-vous-rejoindre-amina-damerdji-329027