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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 28 mars 2021

Chronique d´avril 2021.

 



Le monde disparu de Joseph Roth.

Né près de Brody, en Ukraine, le 2 septembre 1894 –la même année que Céline ou Aldous Huxley, deux autres grands écrivains européens-, Joseph Roth, issu d´une famille juive, fut un des symboles de cette culture cosmopolite de langue allemande qui fleurissait dans ce qu´on appelait autrefois la «Mitteleuropa».

Lieutenant de l´armée impériale et royale austro-hongroise lors de la première guerre mondiale, Roth (qui avait interrompu ses études de germanistique à l´université de Vienne) a toujours gardé le long de sa vie une certaine nostalgie de la fascinante mosaïque que représentait, à son avis, l´empire des Habsbourg, démembré à la fin de la guerre. Néanmoins, si Roth n´était pas près de faire l´exaltation du progrès et de la modernité tellement visible chez certains de ses contemporains, il n´idéalisait pas non plus l´univers disparu et a toujours fait preuve d´une énorme lucidité critique. Sa clairvoyance l´a rendu méfiant devant la révolution survenue en Russie à laquelle  nombre d´intellectuels avaient adhéré avec enthousiasme. Son indépendance d´esprit l´en empêchait en quelque sorte. Joseph Roth, contrairement à d´autres écrivains autrichiens de l´époque- quoique ses aînés- comme Stefan Zweig, Arthur Schnitzler ou Karl Kraus, n´était pas à proprement parler tributaire de cette culture viennoise qui a fait l´éclat de la littérature autrichienne. Son monde était la marge de l´Empire, sa Galicie natale. Dans son roman le plus connu, La Marche Radetzky(1932), il écrivait : «Un cruel dessein de l´Histoire a détruit mon ancienne patrie, la monarchie austro-hongroise. Je l´ai aimée, cette patrie qui me permettait d´être tout à la fois un patriote et un citoyen du monde, un Autrichien et un Allemand au milieu de tous les peuples autrichiens. J´ai aimé les vertus et les qualités de cette patrie, et aujourd´hui encore, alors qu´elle est morte et disparue, je continue d´aimer ses défauts et ses faiblesses. Elle en avait beaucoup. Elle les a expiés par sa mort».

 Devenu donc, avec le temps, le célèbre romancier de, on l´a vu, La Marche Radetzky, et aussi de La crypte des Capucins ou de La fuite sans fin-ce roman de la solitude où un officier autrichien fait prisonnier par les Russes en 1916, retrouve des années plus tard, à Paris, sa fiancée qui ne le reconnaît plus-, Joseph Roth fut aussi un brillant journaliste. On peut trouver en français la plupart de ses écrits journalistiques, des écrits où l´on peut admirer ses indiscutables qualités dans ce domaine : le souci du détail, l´objectivité, la lucidité, la verve et l´art du portrait. Dans nombre de ces recueils, comme À Berlin, Roth tient la chronique des premières années, tristes et sombres, de la très fragile République de Weimar, avec la cohorte d´infirmes de guerre, immigrants juifs et criminels qui meublaient la misère de la capitale allemande. Dans d´autres comme  Une heure avant la fin du monde (2003), regroupant des textes écrits dans les années trente, il analyse de façon percutante la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne en 1933 ou l´occupation de l´Autriche en 1938.

   Réfugié à Paris dès 1933, sombrant dans l´alcoolisme et le désespoir, il y est mort dans le plus pur dénuement le 27 mai 1939, trois mois avant le début de la seconde guerre mondiale.

Si nombre de lecteurs français, admirateurs de cet écrivain autrichien francophile, croyaient avoir tout lu de Joseph Roth, les éditions Robert Laffont les ont récemment gâtés en ayant publié un inédit paru en Allemagne il y a quelques années et qui rassemble des nouvelles et un roman inachevé qui donne le titre au recueil, intitulé Perlefter, histoire d´un bourgeois.

Comme nous l´apprend le traducteur Pierre Deshusses dans son avant-propos, ce fragment de roman a été retrouvé dans l´un des deux gros cartons remplis de manuscrits que Joseph Roth avait laissés à son éditeur et ami Gustav Kiepenheuer en janvier 1933, juste avant de partir en exil à Paris. Par chance, les documents ont échappé à la rafle que la Gestapo a faite dans les locaux de l´éditeur, deux mois après. Ils ont été retrouvés à Berlin (alors encore Berlin-Est) par Friedmann Berger (1940-2009), lecteur en chef aux éditions Kiepenheuer à Leipzig et Weimar. Perlefter a vraisemblablement été écrit entre février 1929 et mars 1930 et serait destiné à une publication en feuilleton dans le journal Münchner Neueste Nachrichten, comme l´écrivain l´a d´ailleurs mentionné dans une lettre à Stefan Zweig datée du 1er avril 1930. Le probable désintérêt du journal l´en a détourné, le poussant à se plonger dans l´écriture de Job, roman d´un homme simple.

Perlefter, histoire d´un bourgeois - dont le narrateur est Naphtali Kroj, un parent d´Alexandre Perlefter - est le récit d´un homme conformiste : tiède, hypocrite, incapable d´aimer ou de haïr, égoïste, pingre et pétri de peur. Néanmoins, il  réussit dans les affaires et est prêt à toutes les compromissions tant que cela ne lui coûte pas d´argent, bref, comme l´affirme Pierre Deshusses dans son avant-propos, Perleiter est le prototype de ces individus avides d´ordre qui, quelques années plus tard, soutiendront sans scrupule Hitler et son régime. Il ne s´intéresse nullement à tout ce qui est spectacle. Tout ce qu´il voit au théâtre l´agace parce que ça ne le concerne en rien. Il déteste le cinéma parce que ça se passe dans le noir. Il veut le calme autour de lui. Aussi n´aime-t-il pas non plus la musique parce qu´elle trouble sa pensée et affaiblit ses désirs, ne supportant pas que sa fille joue du piano alors que le professeur de celle-ci lui a assuré qu´elle avait du talent.

Père tatillon, Perlefter cache aux siens des informations et des affaires le concernant : «J´ai déjà dit que Perlefter régnait en maître sur sa maison. Il n´aurait pu être le maître de rien d´autre. Ni de sa personne, ni de ses amis, ni de ses employés. Il n´était capable d´être le maître que des siens, car ils étaient encore plus faibles, plus peureux, plus abouliques que Perlefter lui-même. Ils vivaient dans une riche demeure. Perlefter gagnait et possédait beaucoup d´argent, et pourtant c´était une maison pauvre, pleine de soupirs, de soucis, de calculs à n´en plus finir. La famille était persuadée que Perlefter travaillait dur, qu´il ne dormait pas, qu´il ne cessait de se battre pour le pain quotidien, que toute dépense était synonyme de nouveaux soucis. De ce fait la famille ne faisait jamais la moindre dépense sans se faire en même temps du souci. Aucune joie dans cette maison qui ne fût accompagnée de tourment ; pas de fête sans souffrance ; pas d´anniversaire sans maladie; pas de vin sans vermouth».

L´homme qui est si avare ne rechigne pourtant pas à dépenser de l´argent pour ses maîtresses quand il est en voyage : il connaît des adresses de plein de dames vivant seules, masseuses, sages-femmes ou propriétaires de salons de beauté.

Perlefter, histoire d´un bourgeois, roman politique et social, est aussi une belle galerie de personnages, soit anodins soit atypiques, et un roman où la satire n´est pas absente, surtout quand il s´agit de brosser le portrait des quatre enfants Perlefter- Alfred, Karoline, Julie et Margarete-quand ils sont en âge de se marier. Le roman s´arrête, au grand regret des lecteurs, au moment où Perleiter va rencontrer Léo Bidak, un parent lointain revenant de San Francisco.

Ce livre, outre donc ce roman inachevé, regroupe huit nouvelles probablement toutes écrites dans les années vingt bien que quelques-unes ne soient pas datées.  Trois d´entre elles avaient été publiées du vivant de l´auteur dans Der Neue Tag (Carrière, 1920), Das Leben(Le Cartel, 1923) et dans le Frankfurter Zeitung (La riche demeure d´en face, 1928).

Dans La Carrière, nous sommes témoins de la servilité d´un comptable, Gabriel Stieglecker, qui s´applique à bien dessiner les chiffres à l´encre violette, comme s´il s´agissait d´un travail d´orfèvre. Malgré son dévouement, on semble l´ignorer. Au bout de vingt ans, un nouveau poste s´ouvre à lui dans une autre firme qui paraît reconnaître son talent et lui promet de lui payer un salaire à un tarif plus décent. Il prépare sa lettre de démission alors que son patron demande à le voir et lui offre un manteau. Un casse-tête pour Gabriel Stieglecker : comment quitter un patron qui vient de vous offrir un manteau ?    

Dans Le Cartel, par exemple, le sujet est la mystérieuse disparition de la sufragette américaine Sylvia Punkerfield. Le dénouement de l´histoire est à tous titres surprenant.

Dans La riche demeure d´en face, un homme loue une chambre dans un petit hôtel «qui ne se distinguait des autres(…) que par le fait qu´il était situé dans un beau quartier».  En face, il y avait une maison dont les fenêtres étaient occultées par des jalousies impénétrables pendant toute la journée. Un jour, les fenêtres se sont ouvertes et un vieux monsieur est apparu et a gentiment répondu au salut adressé par l´homme habitant l´hôtel. Celui-ci a appris par sa logeuse quelques jours plus tard que le vieux monsieur venait de mourir. L´homme logeant à l´hôtel a fini par recevoir, à travers un notaire, une lettre que le vieux monsieur lui avait écrite avant de mourir où il se montrait reconnaissant pour le salut que l´homme lui adressait de la fenêtre de l´hôtel.

Toutes les autres nouvelles étalent au grand jour ce qui a fait la force des récits de Joseph Roth, comme nous le rappelle encore Pierre Deshusses : ce style si particulier et si bien rythmé où alternent évocations sensorielles et pointes philosophiques, satire et paradoxes.

Le grand romancier et essayiste italien Claudio Magris a écrit un jour que Joseph Roth  était un funambule qui, à la fin, tombe de la corde sur laquelle il se trouvait en équilibre, mais tombe avec la manière.

 

Joseph Roth, Perlefter, histoire d´un bourgeois (roman et nouvelles), traduit de l´allemand par Pierre Deshusses, éditions Robert Laffont, Paris, septembre 2020.

         

 

 

 

 

vendredi 26 mars 2021

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Le métier de mourir de Jean-René Van der Plaetsen, aux éditions Grasset, un roman qui a reçu le Prix Renaudot des Lycéens 2020:

 



 https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/litterature-le-metier-de-mourir-de-jean-rene-van-der-plaetsen-301547

 

dimanche 21 mars 2021

La mort d´Adam Zagajewski.

 


Le poète, romancier, essayiste et traducteur polonais Adam Zagajewski est mort ce 21 mars, à Cracovie, à l´âge de 75 ans. Né le 21 juin 1945 à Lviv, en Ukraine, íl´est installé en 1946 avec sa famille à Gliwice, en Silésie, où il a fait des études secondaires. Après des études supérieures à Cracovie, il a enseigné la philosophie et s´est lié plus tard au mouvement poétique de la Nouvelle Vague littéraire polonaise ayant également appartenu au groupe littéraire Teraz(Maintenant). Dans les années soixante-dix, il fut interdit de publication par les autorités communistes. Il a alors enseigné aux États-Unis avant de s´établir à Paris. Au début du siècle, il est rentré en Pologne. 

Son oeuvre est traduite dans le monde entier et fut couronnée de nombreux prix dont le Prix Adenauer, celui du Pen Club français et le Prix Princesse des Asturies en 2017 pour l´ensemble de son oeuvre. Son nom fut régulièrement évoqué parmi les possibles lauréats du Prix Nobel de Littérature.