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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 28 août 2022

Chronique de septembre 2022.

 


James Joyce: le centenaire d´un chef d´œuvre.

James Joyce aurait dit un jour que rien n´était plus irlandais que de s´enfuir dès que l´on pouvait. Il aurait ajouté que ceux qui se respectaient eux-mêmes ne pouvaient rester en Irlande. Nul ne peut savoir si Joyce ressentait vraiment ce qu´il disait ou si ce n´était qu´une boutade. Toujours est-il que le plus célèbre et génial des écrivains irlandais du vingtième siècle a vécu la plupart de sa vie hors d´Irlande et que sa vie à l´étranger traduit sans doute on ne peut mieux sa façon très particulière de vivre le cosmopolitisme et de rejeter une Irlande très conservatrice, aux mœurs fort puritaines sous l´emprise de l´Église catholique.

Son chef d´œuvre Ulysses (Ulysse, en français), paru justement il y a cent ans, en 1922, est considéré à juste titre par de nombreux critiques comme l´ouvrage anglophone le plus important du vingtième siècle et James Joyce est peut-être un des trois écrivains qui auront le plus marqué la littérature du siècle passé aux côtés de Marcel Proust (1) et de Franz Kafka. Ulysse fut pourtant une œuvre qui a bouleversé, dérangé, déboussolé le monde littéraire par sa densité, son côté inclassable, brisant genres et techniques de narration, évoquant aussi bien le nationalisme irlandais, le dogme religieux et les questions de sexualité, un roman qui représente à lui seul un univers très exclusif. Selon Colm Tóibin, grand écrivain irlandais contemporain, «Ulysse proprement dit avec toute sa générosité de style, sa plénitude, la sensualité ouverte de ses personnages, son impiété et son irrévérence à l´égard de l´autorité, l´insolence avec laquelle il place au centre du récit un juif cosmopolite et libre-penseur, peut se lire comme une contribution au débat irlandais et l´on peut voir dans le ton du livre un modèle de ce à quoi pouvait ressembler la vie en Irlande après l´indépendance». D´autre part, pour Darina Gallagher, directrice du James Joyce Centre à Dublin, Ulysse, publié l´année même où l´Irlande s´est émancipée de la couronne britannique soulève des questions que le pays se pose encore : «Nous n´avons pas vraiment été capables de parler de genre et de politique, d´identité et de nationalisme. Et nous sommes encore en train de grandir en tant que société pour faire face aux problèmes de l´Eglise catholique à propos desquels Joyce écrit».

 Ulysse a tellement choqué l´église catholique et les autorités politiques du pays que le gouvernement irlandais a refusé le rapatriement du corps de James Joyce après sa mort à Zurich le 13 janvier 1941, à l´âge de 58 ans. L´ouvrage fut condamné et également interdit de publication pendant des années dans l´univers anglo-saxon.  Ulysse est donc paru pour la première fois à Paris le 2 février 1922 - date où l´auteur a fêté ses 40 ans – grâce à Sylvia Beach, propriétaire de la librairie Shakespeare & Company (2). Il a fallu attendre 1933 pour que le juge John Woosley, lors d´un nouveau procès, eût déclaré qu´Ulysse n´était pas un ouvrage obscène. Après plus d´une décennie d´interdiction, le roman fut finalement publié aux États-Unis par Random House. En Angleterre, le livre a vu le jour en 1936.  

Né, on l´a vu,  le 2 février 1882  à Dublin, James Augustine Aloysius Joyce a été élevé au sein d´une famille catholique romaine. À l´âge de six ans, Il a commencé à étudier chez les jésuites au Clongowes Wood College, dans le comté de Kildare. D´après son biographe Herbert Gorman, Joyce, lorsqu´il est entré dans cet établissement catholique était mince, très nerveux et fort sensible. Il s´est singularisé dès les premières semaines comme un élève très doué y compris dans les sports. Néanmoins, il en est sorti à l´âge de dix ans, son père n´étant plus à même de payer les frais de scolarité. Il a alors commencé à fréquenter un autre établissement catholique, les Christian Brothers sur North Richmond Street, à Dublin, avant qu´on ne lui eût offert une place au collège jésuite de Dublin Belvedere College, une offre faite dans la perspective d´une éventuelle intégration de l´élève dans l´ordre des jésuites. Cependant, toute en se reconnaissant dans l´œuvre et la philosophie de Saint Thomas d´Aquin, Joyce a tôt rechigné – surtout a partir de l´âge de seize ans -devant les principes trop raides inculqués par la religion catholique, rejetant même en quelque sorte son magistère.

Après les études secondaires, James Joyce s´est inscrit en 1898 à l´University College de Dublin où il a suivi un enseignement de langues modernes (français et italien). Petit à petit, il s´est intégré à  la vie littéraire et a commencé à faire parler de lui à travers ses écrits, deux pièces de théâtre aujourd´hui perdues et surtout des essais dont une étude sur le dramaturge Henrik Ibsen, publié dans la  Fortnightly Review qui a valu à Joyce une lettre de remerciement de la part de l´auteur norvégien.

Après avoir achevé ses études, Joyce a amorcé ce que l´on pourrait dénommer comme une errance cosmopolite en quête d´une cartographie littéraire très particulière, comme si l´on pourrait dessiner le monde à travers un livre. Si Marcel Proust, décédé l´année où Ulysse a été publié, a écrit À la recherche du temps perdu, toute l´œuvre de Joyce pourrait s´intituler «À la recherche d´une langue nouvelle», une langue qui ne peut pas à proprement parler déchiffrer le monde puisque son objectif n´est pas du tout celui-là. Ce que la langue - et à fortiori la littérature –peut faire c´est de créer son propre monde qui peut parfois ressembler au monde que nous connaissons, ou du moins peut-il en créer l´illusion.

Bien que Joyce ait passé la majeure partie de sa vie loin de son pays -que ce soit à Trieste, à Paris ou à Zurich où il est mort le 13 janvier 1941-, l´expérience irlandaise  est essentielle dans ses écrits. Elle est à l´origine de la plupart de ses œuvres. Son univers fictionnel est ancré à Dublin et reflète sa vie de famille, les événements, les amis (et les ennemis), des jours d´école et de collège.

Son œuvre se caractérise par une langue originale et éblouissante qui est visible dans tous ses titres –Dubliners (Les Gens de Dublin), The portrait of the artist as a young man (Portrait de l´artiste en jeune homme), Finnegans Wake et à fortiori dans Ulysses (Ulysse) –et son empreinte dans la littérature universelle du vingtième siècle est indélébile.

Ulysse - dont on célèbre cette année le centenaire- est une œuvre pleine de symbolisme dans laquelle l´auteur, on l´a vu, joue avec la langue. Il s´agit en quelque sorte d´un roman expérimental dont chacun des épisodes est créé avec une technique littéraire propre. Ils se focalisent sur le monologue intérieur et le «stream of consciousness». Inspiré de L´Odyssée d´Homère, l´écrivain explore la vie de deux Dublinois de classe moyenne en une seule journée (le 16 juin 1904, aujourd´hui connue sous le nom de Bloomsday où l´on célèbre l´œuvre de Joyce) : le juif Leopold Bloom –dont la femme Molly lui est infidèle - et Stephen Dedalus, un alter ego de l´auteur.

Leopold Bloom est vendeur d´annonces publicitaires et Stephen Dedalus un écrivain dont l´écriture occupe assez peu. Le roman s´ouvre avec le personnage de Stephen, de retour de Paris pour l´enterrement de sa mère, errant sans but et étranger à la scène artistique de Dublin, qui préfère recréer le passé mythique de l´Irlande plutôt que de se tourner vers l´avenir. Parallèlement, Bloom flâne à travers la ville, affrontant des représentations prosaïques d´aventures épiques : le Cyclope devient un nationaliste acharné, incapable de percevoir l´humanité chez l´autre ; Eole, le dieu des vents, se retrouve dans les locaux d´un journal pendant la discussion sur le discours d´un homme politique tandis que le chapitre des Sirènes est empli de la beauté séductrice du chant.  

Daniel Shea, un des principaux spécialistes de l´œuvre de James Joyce, écrit à propos d´Ulysse (3) que l´itinéraire parallèle des deux personnages qui représentent d´après le roman «l´artistique» et «le scientifique» tracent l´expérience humaine dans toute sa complexité et il ajoute : «Joyce choisit de structurer son roman en se fondant sur L´Odyssée d´Homère car Ulysse est «l´homme complet». Au cours d´une même histoire, il est tour à tour père et fils, roi et mendiant ; il est aussi bien un marin qu´un fermier. Il parle aux dieux et  descend au royaume des morts. Plus important encore peut-être, il parvient à ses fins grâce à son intelligence et à sa persévérance, plutôt qu´en combattant des monstres et en vainquant des guerriers. De plus, il refuse de devenir immortel et préfère rentrer chez lui, auprès de sa famille. En d´autres termes, il représente l´entièreté de l´expérience humaine. Comme son pendant mythique, Bloom triomphe face à des monstres des temps modernes, comme le racisme et l´intolérance, grâce à la persévérance, la compréhension et l´amour. Le scandale émerge de ce décalage. Ulysse dérangeait dans son rejet d´idées préconçues de ce qu´un roman devait être, tout comme les Impressionnistes et les Cubistes le faisaient pour la peinture. Joyce choisit de dépeindre la conscience de ses personnages et  plongeait même plus profondément encore, décrivant, grâce à un mélange de styles et de symboles, leur subconscient dont bien des aspects semblaient inavouables en public et pouvaient donc être considérés obscènes. Pourtant, jamais aucun roman n´avait saisi de si près la complexité de la pensée des personnes les plus ordinaires».     

En guise de conclusion, Daniel Shea précise que les raisons pour lesquelles Ulysse reste si important vont bien au-delà de son inventivité langagière ou de son style. Il renchérit que la flexibilité narrative de Joyce, qui mêle les genres, les changements de narrateurs et de points de vue, transforme la lecture en un acte de résistance à la conformité et à l´autorité : «Ainsi Ulysse, incarnant à la fois l´éprouvante Dublin et l´audacieuse Paris, demeure une source d´inspiration pour les écrivains aussi bien que pour les lecteurs. Son héritage, en tant que monument de la liberté d´expression, est bien préservé».

La référence à Paris ne pouvait manquer concernant Joyce et à fortiori Ulysse puisque, comme je l´ai écrit plus haut, c´est dans la ville lumière que ce chef d´œuvre fut publié pour la première fois. Néanmoins, l´importance de Paris découle aussi de la place que la capitale française tenait en tant que cœur de l´avant-.garde littéraire et artistique, un foyer pour les artistes qui s´ingéniaient à chercher du sens dans un monde où il était difficile d´en trouver. Beaucoup partageaient avec Joyce l´expérience de l´exil.

D´aucuns s´insurgent encore aujourd´hui contre l´hermétisme d´Ulysse. Or, ces voix-là ignorent que tout analyser à la lumière d´une grille d´interprétation cartésienne c´est se priver de donner libre cours à son imagination. Or, la littérature se doit de défier l´intelligence du lecteur, elle n´est pas univoque, elle est plurielle et c´est cette pluralité-là qui fait sa richesse. Là-dessus, James Joyce a su nous donner une leçon magistrale, une leçon toujours actuelle cent ans plus tard. 

 

(1)   James Joyce et Marcel Proust se sont rencontrés une seule fois, en mai 1922, selon George D. Painter, un des biographes de l´écrivain français. Proust a parlé «de la truffe et des duchesses» et s´est plaint de l´estomac. Joyce, qui était déjà un peu ivre, s´est plaint, quant à lui, de sa vue. Un rendez-vous raté. Cette rencontre qui aurait eu lieu au Ritz, quelques mois avant la mort de Proust en novembre, a inspiré une fiction à l´écrivain belge Patrick Roegiers : La nuit du monde, publié en 2010 aux éditions du Seuil.   

(2)   Le roman Ulysse a paru en français pour la première fois en 1929, grâce aux bons soins d´Adrienne Monnier. La traduction fut d´Auguste Morel, revue par Stuart Gilbert, Valery Larbaud et  James Joyce lui-même. Une nouvelle traduction est parue en 2016, chez Gallimard, une traduction collective coordonné par Jacques Aubert.

(3)   Propos lus sur le site du Centre Culturel Irlandais à Paris.   

  





samedi 6 août 2022

Ana Luísa Amaral (1956-2022).

 

Poète, traductrice, professeur universitaire, Ana Luísa Amaral, née le 5 avril 1956 à Lisbonne, était un nom très important des lettres portugaises. Elle vient de s´éteindre à l´âge de 66 ans, à Porto, des suites d´une longue maladie.  

Son oeuvre fut couronnée de plusieurs prix littéraires au Portugal et à l´étranger(dont le Reine Sophie de poésie ibéro-américaine, en Espagne) et elle était composée surtout de poésie, mais aussi de livres pour enfants, de pièces de théâtre, d´un roman et d´un essai.

En France, elle avait trois livres traduits(toujours par Catherine Dumas): Images(Vallongues éditions, 2000); Comme toi(éditions Théâtrales, 2013) et L´art d´être tigre(Phare du Cousseixo, 2015). 


lundi 1 août 2022

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Le procès des rats de  Charles Daubaspublié chez Gallimard: 

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/roman-charles-daubas-proces-des-rats-343312