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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 28 mars 2017

Chronique d´avril 2017.




 
Kurt Vonnegut, l´homme sans patrie.


  Une des qualités que j´ai toujours su apprécier chez un écrivain, c´est son habileté à démolir les mythes tout en ayant l´air de se moquer de tout le monde et de ne rien prendre au sérieux. Il y a chez ces écrivains un côté déconcertant, comme si soudain on devrait se demander si ce que l´on a à peine lu est une vérité travestie de plaisanterie ou une plaisanterie que l´on prend pour une vérité indiscutable.
  Le 11 avril 2007 disparaissait à New York un écrivain qui était maître dans l´art de disséquer les vérités du monde sous le signe de l´ humour noir, une espèce de Swift revisité par Buster Keaton ou Groucho Marx. Je parle bien évidemment de Kurt Vonnegut, un des écrivains américains les plus originaux et inclassables de la seconde moitié du vingtième siècle. À l´âge de quatre-vingt-quatre ans, s´éteignait, des suites d´une chute survenue chez lui quelques semaines auparavant, celui qui dans le dernier livre publié avant sa mort- aux Etats-Unis en 2005 et en France l´année suivante- se disait «un homme sans patrie».
  Né le 11 novembre 1922 à Indianapolis, Kurt Vonnegut Jr, comme son nom nous le laisse supposer, était issu d´une famille d´ascendance allemande. Il a fait des études à la Shortridge High School d´Indianapolis où il a écrit pour le quotidien scolaire The Shortridge Echo. Il a fréquenté plusieurs Universités jusqu´à son enrôlement dans l´armée en 1943 après l´attaque de Pearl Harbor.  Celui qui a vendu des Saab et vidé des flocons de vodka avec Truman Capote fut également une des idoles de la génération beatnik et un des mentors des pacifistes américains.
  Que ce soit à travers la science-fiction ou des romans de facture plus classique, les livres de Kurt Vonnegut ont toujours fait jaser et bousculé le conformisme traditionnel des milieux politiques américains. Cat´s Cradle(Le berceau du chat), Galapagos ou Bluebeard (Barbe bleue) sont quelques-uns des livres qui ont assis sa réputation, mais son plus grand succès aura été Slaughterhouse-5(Abattoir-5).
Dans ce roman, Kurt Vonnegut crée un double- Billy Pilgrim- dont la vie se confond avec la sienne y compris les moments de la seconde guerre mondiale où, soldat de l´armée américaine, il est fait prisonnier par les Allemands mais, réussissant à s´évader, assiste à Dresde aux bombardements des Alliés. Pourtant, Abattoir-5 va bien au-delà d´une simple histoire puisque Billy Pilgrim a le pouvoir de voyager dans le temps et de mener plusieurs existences à la fois. Il se retrouve, par exemple, dans une bulle de verre sur la planète Trafalmadore avec la belle Montana Patachon  mais en même temps en février 1945 au fond d´un abattoir de Dresde sous les terribles bombardements aériens de la seconde guerre mondiale. Il s´accouple avec Montana sous observation attentive des savants de Trafalmadore mais on le retrouve également dans son magasin d´optique d´une petite ville des États-Unis et encore parmi des prisonniers américains en Allemagne. Le passé et l´avenir s´imbriquaient, mais à Billy Piigrim il lui restait encore à vivre des événements dont il gardait déjà le souvenir.
Ce roman est considéré comme un chef -d´œuvre de la science-fiction. Dans L´ Histoire de la science-fiction moderne de Jacques Sadoul, on peut lire ce qui suit: « Kurt Vonnegut Jr a astucieusement mêlé la science -fiction et ses souvenirs de la seconde guerre mondiale pour écrire un roman très violemment antimilitariste et qui nous fait ressentir physiquement l´inutilité et l´horreur de la guerre».
  Pourtant, jugé anticonformiste, irrévérencieux, voire indécent et obscène, le livre a fait l´objet de force reproches de  la part des milieux plus conservateurs et n´a pas échappé à la censure promue par des autorités locales américaines. Ainsi dès 1972 fut-il sporadiquement frappé d´interdit par des bibliothèques scolaires et exclu de certains curricula littéraires dans les universités. Ce n´est qu´en 1982 que la Cour Suprême américaine s´est définitivement prononcé sur la mise au ban du livre statuant que le fait de retirer le livre des bibliothèques scolaires (surtout s´agissant d´écoles publiques) n´était pas conforme au Premier Amendement de la Constitution. Tout de même, on connaît encore au moins un cas d´interdiction ultérieurement. C´était en 2011 quand une école de l´État du Missouri l´a retiré de sa bibliothèque.    
Publié en 1969, il fut également le livre de chevet des opposants à la guerre du Vietnam.
   Miraculeusement rescapé de l´incendie de son appartement à New York en 1999, Vonnegut s´est abstenu de publier jusqu´en 2005, année où il est réapparu avec une sorte de testament qui a vendu plus de 250.000 exemplaires aux Etats-Unis : A man without a country (Un homme sans patrie).
  Ce livre mêle souvenirs intimes, références littéraires, saillies, imprécations et coups de gueule, le tout sur un ton rigolard et des notes d´humour noir. Les cibles de Kurt Vonnegut sont légion : les marchands de canon, les grandes entreprises, les médias, les institutions religieuses et l´establishment pourri qui officie à Washington. Dans ce cadre, Georges W. Bush est particulièrement  vitupéré, lui qui est coupable d´avidité et de corruption et de mener une guerre sans issue. Mais Vonnegut fait également référence à Georges et à Laura Bush quand, au cinquième chapitre, le sujet n´est autre que celui de la disparition des familles nombreuses. Il y en a encore quelques-unes comme les Kennedys  ou les Navahos et, bien entendu, les Bush, dont l´énorme famille, selon Vonnegut, est constituée par… des juges, des sénateurs, des éditeurs de journaux, des avocats ou des banquiers !
  Vonnegut nous raconte aussi de petites histoires comme celle de l´obstétricien austro-hongrois Ignaz Semmelweis, né en 1818, qui a eu raison avant l´heure. Semmelweis a été voué aux gémonies et a dû finir sa carrière dans un petit hôpital provincial hongrois, tout simplement parce qu´il a osé dire que le taux élevé de décès parmi les femmes en couches découlait du manque d´hygiène de certains médecins qui ne se lavaient pas les mains en passant directement de la morgue- où ils venaient de disséquer des cadavres- à la maternité. Curieusement, à l´époque, c´étaient surtout les femmes pauvres qui accouchaient à l´hôpital.
  Mais rien n´échappe au regard badin de cet écrivain supérieur, même les points -virgules, ces «hermaphrodites travestis qui ne servent qu´à une chose : prouver que vous êtes allé à l´Université» !
  Kurt Vonnegut, désenchanté de  l´évolution de la société américaine, avait peut-être des raisons de se sentir un homme sans patrie et l´Amérique a sans doute perdu le 11 avril 2007 avec sa mort une des voix les plus anticonformistes. Ce sont des voix comme celle de cet écrivain majeur qui ont toujours fait la richesse de la culture américaine, au bout du compte une des raisons de sa suprématie dans le monde.
S´il était encore vivant aujourd´hui, il aurait quatre-vingt quatorze ans. Si sa santé le lui permettait, il se servirait –j´en suis sûr- de son humour et de ses intarissables ressources langagières pour persifler Donald Trump et sa clique.  C´est que les États-Unis sont un pays atypique où le puritanisme le plus bigot et réactionnaire côtoie la modernité -ou la post –modernité- et où un vent de liberté plein de sarcasme et d´imagination y étouffe toujours les voix les plus odieuses et les plus ringardes…

 

samedi 18 mars 2017

La mort de Derek Walcott.

Le poète et dramaturge de langue anglaise Derek Walcott vient de s´éteindre dans son île natale de Sainte-Lucie à l´âge de 87 ans.
Né le 23 janvier 1930, il est principalement connu pour son poème Omeros, une adaptation de L´Iliade aux Caraïbes. Son oeuvre -qui compte des titres comme Epitaph for the Young: Xll Cantos,The Gulf and Other Poems,Midsummer,The Arkansas Testament et The Prodigal- est réputée pour avoir donné une peinture vivante de la culture et des coutumes antillaises.
Quoiqu´il ne soit pas particulièrement connu du grand public il s´est vu décerner le Prix Nobel de Littérature en 1992, devenant le second auteur noir à recevoir cette distinction après le Nigérian Wole Sowinka en 1986. En 2010, Derek Walcott a reçu aussi le Prix T.S.Eliot.