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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 29 octobre 2016

Chronique de novembre 2016.



  
Le tango selon Jorge Luis Borges.

Dans son livre Comme la trace de l´oiseau dans l´air, paru en 1999 (1), le cinquième écrit en français, l´écrivain franco-argentin Hector Bianciotti(1930-2012) évoquait dans sa prose somptueuse, entre autres sujets, les dernières semaines de vie de Jorge Luis Borges à Genève dans la paisible Suisse, pays où il avait jadis étudié et où il s´était de nouveau installé, cette fois-ci avec sa femme Maria Kodama. Un homme qui était capable de saupoudrer sa mélancolie d´une pointe d´ironie, un de ces écrivains où l´on reconnaît, oserait –on dire, la quintessence de la littérature. Devenu aveugle, il savait mieux que quiconque, comme l´a écrit Hector Bianciotti, «que l´imagination peut remplir une fonction prophétique et que la littérature est faite de déformations et de mutilations de la pensée ; que seule la forme permet l´avènement de la poésie-mais il lui arrivait d´avouer que la réalité l´avait moins ému qu´elle n´aurait dû l´émouvoir».
Borges, né le 24 août 1899-une cuvée formidable, une année qui a vu naître également, entre autres, Hemingway, Michaux, Nabokov ou Kawabata(2)- à Buenos Aires, était de son temps une véritable encyclopédie vivante. Toute la littérature l´intéressait mais aussi ce qui ne l´était pas-apparemment, du moins- y compris la tristesse dont il aura fait, selon un de ses vers, une musique («haré de mi tristeza una música). Il s´est éteint le 14 juin 1986, à Genève, on l´a vu. Dans un essai publié en 2010 intitulé J.L.Borges : la vie commence(3), Jean-Pierre Bernés, ancien attaché culturel de l´ambassade de France à Buenos Aires et éditeur des Œuvres Complètes de Jorge Luis Borges dans La Pléiade, rappelle des moments qu´il a partagés avec le génie argentin et reproduit son ultime autoportrait : «Le vieil anarchiste paisible qui s´éteignait doucement dans la chuchotante Genève me donna même un jour un léger coup sur le bras, pour s´assurer que j´avais bien entendu ses propos et avec une voix d´outre-tombe presque enfantine, il ajouta :«Mon silence vous dira le reste.»Un rire enjoué semblable à des trilles musicaux ponctua volontairement son discours inachevé, mais impératif, comme un point d´orgue à la fin d´une partition».Jean-Pierre Bernès rappelle en épigraphe de cet essai une autre citation de Borges : «Tout écrivain laisse deux œuvres : l´une est la somme de ses écrits, l´autre est l´image qu´on se fait de lui.»
S´il est toujours beaucoup question de Borges c´est non seulement à cause du prestige de son œuvre, mais aussi parce que trente ans après sa mort il ne cesse de nous surprendre. C´est que les éditions Lumen viennent de publier en Espagne un Borges inédit, à savoir El tango-cuatro conferencias. En effet, il s´agit de quatre conférences sur les origines du tango données en des après-midis d´octobre 1965 quelque part à Buenos Aires. Un immigré espagnol  a assisté à cette série de conférences et les a enregistrées avec un magnétophone. Néanmoins, elles sont restées introuvables jusqu´à ce qu´elles tombent entre les mains de l´écrivain basque Bernardo Atxaga, en ce début du vingt et unième siècle et elles sont donc en ce moment accessibles aux lecteurs et admirateurs de l´œuvre de Borges. 
Que l´on aime ou pas le tango-et moi, je l´aime bien-je pense que l´on ne peut rester indifférent à la faconde de Borges, à l´enthousiasme contagieux que l´on ressent à le lire (ou à l´entendre). En lisant ces conférences, on suit le tour d´horizon («un recorrido», comme on dirait en espagnol) à travers la ville de Buenos Aires de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle, une ville qui n´était pas encore la métropole qu´elle est devenue au fil des ans, mais dont la vocation à se muer en la capitale la plus européenne d´Amérique Latine se faisait déjà sentir. Paris était probablement la grande référence, mais Buenos Aires se construisait déjà une identité très propre où la culture gaucha-de  gaucho, le gardien de troupeaux de la pampa sud- américaine-était irriguée et enrichie par l´apport de la foule d´immigrés venue du vieux continent (surtout de l´Italie, de l´Espagne, de l´Europe Centrale et Orientale et un peu  de la France aussi).
Dans l´essai cité plus haut, Jean-Pierre Bernés évoque la préférence de Borges pour une certaine filiation de tangos qui n´était pas celle qui est devenue par la suite plus populaire et internationale, surtout à partir des succès de Carlos Gardel : «Dès mon arrivée, Borges fit le trait d´union avec la soirée  tango où nous nous étions rencontrés en me posant d´emblée une question qui me dérouta : «Vous aimez ces lamentations de cocus ?»Il évoquait bien sûr le tango sentimental qu´il n´appréciait guère. Il était fasciné, en revanche, par les vieux tangos rudes et virils que dansaient entre eux les truands dans les bas quartiers de la périphérie de Buenos Aires». Borges réitère ses propos dans ces conférences. Il n´était pas admirateur des tangos chantés par Carlos Gardel, le grand chanteur populaire qui a ponctué sa carrière d´une foule de succès dont Caminito, Adiós Muchachos,  Melodia de Arrabal, Cuesta Abajo, El dia que me quieras entre autres y compris des chansons en français comme Je te dirai. On sait qu´il est mort dans un tragique accident d´avion à Medellin en 1935, mais le mystère autour de sa naissance continue. La version la plus courante-et celle qu´accrédite Borges également- est qu´il serait né en 1890 à Toulouse (de son vrai nom Charles Gardès), mais les Uruguayens défendent qu´il était un des leurs, né entre 1883 et 1887 à Tucuarembó. Mais pour en revenir aux conférences de Borges, il affirme concernant Gardel : «Gardel prend le tango et le rend dramatique(…) des tangos où l´homme fait semblant de se réjouir d´avoir été abandonné par la femme, mais à la fin la voix s´étrangle en un hoquet. Et tout est fait dans la perspective du chanteur». Borges ne peut donc souscrire à l´assertion d´Ernesto Sabato qui avait écrit dans un livre «le tango est une pensée triste que l´on danse». Borges est là-dessus en désaccord avec Sabato : «Je voudrais signaler deux phrases. Deux mots discutables. D´abord «pensée». Je dirais que le tango ne correspond pas à une pensée, mais à quelque chose de plus profond, à une émotion. Et puis aussi l´adjectif «triste», que l´on ne pourrait nullement appliquer aux premiers tangos.». Dans les vieux tangos, selon Borges héritiers des milongas que l´on dansait dans les faubourgs de Buenos Aires et de Montevideo, il y avait un contraste entre des paroles ensanglantées et l´indifférence du chanteur. C´étaient des histoires de truands et de compadritos, un compadrito étant un jeune de basse extraction sociale qui habitait dans les faubourgs. Les préjugés sociaux ont rendu le mot dépréciatif, désignant le plus souvent un homme provocateur et flambard.
Quartier de Palermo, à Buenos Aires.
Il y a aussi un lien puissant entre le vieux tango et le lunfardo, l´argot de Buenos Aires découlant de l´apport au castillan de mots étrangers par les nouveaux immigrés, comme «taita», mot pouvant désigner «le patron»,«le bagarreur», «le sicaïre». Ceci explique que le tango ne fut pas au départ particulièrement populaire. Voyons ce que dit Borges là-dessus : «Le peuple au début repousse le tango et ce parce qu´ il connaissait son origine infâme. Et cela est confirmé par ce que j´ai vu à maintes reprises, ce que j´ai vu quand j´étais gosse à Palermo et beaucoup plus tard aux alentours de la rue Boedo avant la deuxième dictature(4). C´est –à-dire, j´ai vu des couples d´hommes dansant le tango, disons le boucher et le charron, l´un d´eux avec peut-être un œillet à l´oreille dansant au rythme du petit orgue. Parce que les femmes du peuple connaissaient l´origine abjecte du tango et ne voulaient pas le danser (…) Par-dessus le marché, on le dansait en des endroits qui n´étant pas exactement des maisons de mauvaise réputation, en étaient comme le vestibule de ces mêmes maisons».
Toute l´érudition de Borges concernant le tango défile dans ces quatre conférences, tous les personnages, les livres, les événements et l´historiographie qui ébauchent la cartographie d´une danse symbole de l´Argentine qui a fait le tour du monde, depuis la France qui a énormément contribué à son internationalisation jusqu´au Japon. On croise dans ce livre des musiciens tels Eduardo Vicente Bianco, Enrique Saborido, Juan Bautista Deambroggio, Roberto Firpo, Juan Ignacio «Pacho» Maglio, Francisco Canaro ou Julio de Caro ; des écrivains comme Adolfo Bioy Casares, Miguel A. Camino, Ricardo Güiraldes,  Macedonio Fernandez (que Borges admirait), Domingo Faustino Sarmiento(qui fut également président de la République et connu en pays littéraire pour son livre Facundo-civilización y barbarie sur le caudillo Facundo Quiroga),José Hernández(grand poète, auteur du célèbre Martín Fierro, nom qui fut «emprunté» pour le titre d´une revue littéraire parue entre 1924 et 1927), Leopoldo Lugones ou Evaristo Carriego(poète qui a inspiré un récit à Borges «Une vie d´Evaristo Carriego» inclus dans le recueil Evaristo Carriego où l´on peut lire aussi le texte «Une histoire du tango») ; enfin, des poètes populaires du tango comme Celedonio Flores ou des «guapos» (des truands particulièrement courageux dans le jargon de l´époque) comme Juan Moreira ou Juan Murana.
Seul un écrivain exceptionnel pourrait pérorer sur le tango de manière aussi intéressante et joyeuse sans verser dans l´ennui et sans s´embarrasser de poncifs.
Je termine cette chronique comme je l´ai commencée en citant Hector Bianciotti, cette fois-ci un article qu´il a publié dans Le Monde  en 1993 et repris en 2001 dans le recueil Une passion en toutes lettres(5) : «Lorsque, en 1982, on annonça à Borges que son œuvre complète serait publiée dans la «Pléiade», il dit, sur le ton interrogatif dont la politesse et souvent la malice nuançaient ses affirmations ou dissimulaient son sentiment : «C´est mieux que le prix Nobel, non ?»-distinction à propos de laquelle, si quelqu´un l´interrogeait sur l´obstination de l´illustre jury à ne pas la lui décerner, il se limitait à répondre : Il s´agit d´une ancienne tradition scandinave»».
Ironie mise à part, le génie argentin n´avait pas tort. Étant donné la liste des lauréats du prix Nobel des deux ou trois dernières décennies, nous sommes en droit de nous interroger : La distinction majeure de l´Académie Suédoise a-t-elle vraiment manqué à Jorge Luis Borges ?  
  

Jorge Luis Borges, El tango-cuatro conferencias, éditions Lumen, Barcelone, septembre 2016.        

(1)Hector Bianciotti, Comme la trace de l´oiseau dans l´air, éditions Grasset, Paris, 1999.
(2)Voir à ce sujet le livre d´Olivier Rolin, Paysages originels, paru en 1999 aux éditions du Seuil.
(3)Jean-Pierre Bernés, J.L.Borges : la vie commence…, éditions Le Cherche-Midi, Paris 2010.
(4)Allusion au gouvernement de Perón.
(5)Hector Bianciotti, Une passion en toutes lettres, éditions Gallimard, Paris, 2001.

P.S- On peut entendre les conférences de Borges en direct sur l´adresse qui suit :
www.bit.ly/borgestango
  Je vous conseille aussi la lecture de deux livres très intéressants sur Borges : Chez Borges d´Alberto Manguel(aux éditions Actes Sud, traduction par Christine Le Bœuf de l´original anglais With Borges, éditions Telegram) et Borges d´Adolfo Bioy Casares(éditions Destino, édition originale en espagnol).

Article pour Le Petit Journal.




Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du «Petit Journal» un article que j´ai écrit sur l´essai Un fauteuil sur la Seine d´Amin Maalouf (éditions Grasset). 


 http://www.lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/culture/261406-litterature-un-fauteuil-sur-la-seine-d-amin-maalouf




jeudi 13 octobre 2016

Le prix Nobel de Littérature 2016 récompense Bob Dylan.


Même si son nom figurait sur la liste, c´est à la surprise générale que l´on a appris que le Prix Nobel de Littérature 2016 fut attribué à Bob Dylan «pour, selon l´Académie Nobel, avoir crée de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine». 
De son vrai nom Robert Allan Zimmerman, Bob Dylan est né le 24 mai 1941 à Duluth, Minnesota, États-Unis.
Toujours très engagé politiquement, cet auteur -compositeur-interprète, musicien, peintre, poète américain est une des figures majeures de la musique populaire. Des chansons comme Like a Rolling Stone, Ballad of a Thin Man, All along the Watchtower, Masters of War ou Gates of Eden ont été de grands succès et sont encore aujourd´hui connues et appréciées par les jeunes générations. Des chansons comme Blowin´in the Wind et The times They Are a Changin´sont devenues des hymnes anti-guerre, surtout anti-guerre du Vietnam. 
En décernant le prix à Bob Dylan, l´Académie Nobel a pris un sacré coup de jeune!     

La mort de Dario Fo









 L´ironie du sort a voulu que le jour où le Prix Nobel de Littérature a été attribué l´Académie Nobel a vu disparaître un des ses anciens lauréats: l´Italien Dario Fo qui a reçu le prix en 1997 s´est éteint aujourd´hui à l´âge de 90 ans. Né le 24 mars 1926 à Sangiano, près de Varèse en Lombardie, Dario Fo fut écrivain, dramaturge, metteur en scène et acteur. Il était considéré un «homme de théâtre complet».
Iconoclaste et engagé politiquement, Dario Fo faisait toujours beaucoup parler de lui et en 2006 il s´est présenté aux élections municipales à Milan où il a recueilli 23 % des voix.  Deux ans auparavant, il avait incarné Silvio Berlusconi dans le dyptique Ubu roi, Ubu bas et L´anomalo bicefalo.Ses pièces étaient jouées dans le monde entier. En France, sa pièce Mystère Bouffe(Mistero Buffo) a fait son entrée au répertoire de la Comédie Française en 2010(mise en scène par Muriel Mayette).
Dario Fo est mort  à l´hôpital Sacco de Milan.