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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 29 octobre 2021

Chronique de novembre 2021.

 

La voix humaniste de René Maran.

Le 14 décembre 1921, un mercredi,  il y a donc pratiquement cent ans, les jurés du prix Goncourt ont surpris tout le monde en annonçant chez Drouant, comme d´habitude, le lauréat de cette année-là. A une époque où nul n´osait douter du bien-fondé du colonialisme, porteur de civilisation et de paix, les jurés du Goncourt ont couronné le roman Batouala de l´écrivain antillais René Maran (qui a battu au finish Épithalame de Jacques Chardonne), paru en mai aux éditions Albin Michel grâce à l´aide de Henri de Régnier et de Jacques Boulenger, un roman qui dénonce les excès de l´administration coloniale dans l´Afrique –Équatoriale Française. Qui plus est, René Maran (né à Fort de France, en Martinique, le 5 novembre 1887) était noir, fonctionnaire au Ministère des Colonies et exerçait justement ses fonctions en Afrique où il a appris son couronnement le vendredi 16 décembre. Comme nous le rappelle Amin Maalouf dans la préface –intitulée «René Maran ou les dilemmes du précurseur» -  à la nouvelle édition de Batouala, publiée en septembre aux éditions Albin Michel, René Maran était –on le sait grâce à sa correspondance – à la fois ravi et accablé par ce qui lui arrivait : «Je suis surmené, impaludé, malade de fatigue. La joie est venue m´étreindre davantage…». C´était peut-être une coquetterie, comme le croit aussi Amin Maalouf lui-même, puisque dans les lettres adressées à ses amis dans les jours et les semaines qui suivent il semble savourer son succès et prédire la fin de ses ennuis. Or, les choses se sont passées tout autrement. Ceux qui avaient été indignés par ses attaques contre la politique coloniale se sont emportés davantage quand son livre fut couronné, tirant à boulets rouges sur celui qui pour certains avait mordu la main qui l´avait nourri (on a entendu ces propos à la Chambre des députés, notamment). D´autres estimaient que pareil prix littéraire ne devrait pas être donné à un ouvrage critiquant, dans sa préface ainsi que dans deux chapitres, la politique coloniale française en Afrique Subsaharienne. Henri Bidou comptait parmi ceux-là. Il estimait par –dessus le marché que Maran avait effectué des considérations fort discutables en imputant à tous les officiers français les comportements qui ne seraient imputables qu´à une minorité d´entre eux. De plus, il considérait que la civilisation avait un prix, compensé par les bénéfices de cette dernière. Selon lui, Maran n’évoquait pas ces avantages liés à la colonisation. Mais les critiques ne s´arrêtaient pas là. Littérairement, le roman serait de piètre qualité. Sous cet aspect, les paroles d´Henri Bidou rejoignaient celles d´Edmond Jaloux. Celui-ci reprochait à René Maran de prendre la place d’auteurs plus méritants, tels François Mauriac, André Gide ou Jean Giraudoux. ll considérait que Batouala était un roman profondément médiocre, pareil à tant d´autres romans banals paraissant chaque année, qui serait vite rangé dans le tiroir aux oubliettes par son manque de qualités littéraires. Il attaquait le style de René Maran, qualifié de « naturalisme puéril » et estimait que l’académie Goncourt l’avait choisi pour son sujet exotique plutôt que pour sa manière de l’aborder, loin d´avoir quoi que ce soit de novateur. Edmond Jaloux décrivait le roman comme « une série de peintures de mœurs que termine un accident ». À l´étranger, cette polémique fut analysée par le correspondant à Paris du quotidien canadien Toronto Star, un certain Ernest Hemingway, futur Prix Nobel de Littérature, qui faisait état du tollé que le livre avait suscité et apprenait à ses lecteurs que l´auteur de Batouala travaillait pour le gouvernement français en Afrique Centrale, à deux jours de marche du lac Tchad, et à soixante-dix jours de voyage de Paris. Contrairement aux voix critiques citées plus haut, Ernest Hemingway considérait Batouala un grand roman («a great novel»).

Néanmoins, une question se pose : qu´est-ce qui a vraiment choqué ceux qui ont invectivé Batouala ? Le roman est-il aussi critique que ça à l´égard de la France en tant que pays ? Quelle est l´étendue de sa diatribe contre le pouvoir colonial ? Plutôt que le roman, ce qui a le plus indigné ses détracteurs c´est la préface. L´auteur s´y est attaqué à la civilisation et à l´impérialisme européens : « Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leur charnier d’innocents, Rabindranath Tagore, le poète hindou a, un jour, à Tokio, dit ce que tu étais ! Tu bâtis ton royaume sur des cadavres. Quoi que tu veuilles, quoi que tu fasses, tu te meus dans le mensonge. A ta vue, les larmes de sourdre et la douleur de crier. Tu es la force qui prime le droit. Tu n’es pas un flambeau, mais un incendie. Tout ce à quoi tu touches, tu le consumes… ».

Les réactions déchaînées contre son roman et à fortiori contre sa préface ont étonné René Maran puisque comme l´écrit si bien Amin Maalouf dans le texte cité plus haut, «dans l´esprit de l´auteur son ouvrage était bâti sur deux équilibres fondateurs : dans le corps du roman un dosage subtil entre l´observation ethnographique d´un village africain et une histoire d´amour et de mort entre les protagonistes ; et dans la préface, un autre dosage, plus rugueux, entre une protestation de fidélité totale à la France- la nation, son histoire, sa langue, ses valeurs – et une condamnation sans appel de ce qui se pratiquait dans les colonies. Tous ces éléments se mélangeaient, s´opposaient et se répondaient, faisant de Batouala une œuvre dense, inventive et ample. L´auteur espérait sans doute que, grâce au prix Goncourt, un certain consensus se formerait autour d´elle ; sinon en approbation de ses thèses, du moins en appréciation de ses qualités littéraires et de son honnêteté intellectuelle. Mais ses adversaires ne se sont pas laissé désarmer. Ils ont choisi d´ignorer à la fois ses protestations de patriotisme et son projet romanesque, pour ne voir dans son livre qu´une charge «ingrate» contre la France».

Pour en revenir à la préface de René Maran, sa préface originale de 1921, l´auteur a ajouté quelques lignes, en guise de notes, à une nouvelle édition du roman parue en 1937. Il y a écrit qu´il ne regrettait nullement les injures qui lui avaient été adressées à cause de cette préface : «Je leur dois d´avoir appris qu´il faut avoir un singulier courage pour dire simplement ce qui est». Il rappelait également que Paris ne pouvait ignorer que Batouala n´avait fait qu´effleurer une vérité qu´on n´avait jamais tenu à connaître à fond. À ce propos, il ne manquait pas non plus de faire référence à une inspection au Tchad en 1922, après que la polémique concernant son roman eut éclaté, et qui n´était pas allée droit à l´essentiel, se contentant de questions superficielles, sa seule satisfaction morale étant que d´autres auteurs entre-temps s´étaient eux aussi penchés sur la situation des colonies, notamment André Gide (Voyage au Congo) et Denise Moran(Tchad).  René Maran terminait son texte de façon éloquente : «Il ne me reste, de tout ce passé si proche, que d´avoir fait mon devoir d´écrivain français et de n´avoir jamais voulu profiter de mon brusque renom pour devenir un patriote d´affaires».  

Premier roman de son auteur, Batouala est écrit dans un style naturaliste et expose les mœurs et traditions d'une tribu noire d'Oubangui -Chari, dirigée justement par Batouala, il est un puissant chef d´un village au cœur de la brousse africaine et leader moukoundji du pays banda. D’un bout à l’autre du pays, sa force légendaire, ses exploits amoureux et guerriers aussi bien que ses talents de chasseur suscitent de l´admiration. Le récit suit ses considérations ordinaires, comme celle de savoir si se lever vaut la peine, mais présente aussi son point de vue personnel sur la colonisation et la vie en général. Alors qu'il est responsable d'une importante cérémonie, il doit se méfier d'un concurrent amoureux en la personne du fougueux Bissibi'ngui qui cherche à séduire sa favorite, Yassigui'ndja. Au terme de tensions consécutives à la mort du père de Batouala lors de la fête des « Ga'nzas », Yassigui'ndja se voit attribuer la mort de celui-ci, hâtant ainsi le projet d'assassinat que Bissibi'ngui nourrit à l'encontre de son rival. C'est finalement au moment de la chasse que Batouala se voit porter le coup fatal par la griffe d'une panthère. À la suite de cette blessure, Batouala agonise longuement et est témoin de la dilapidation de ses biens ainsi que du départ de ses femmes, dont sa favorite fuyant avec Bissibi'ngui.

L´action du roman se déroule en l´actuelle République Centrafricaine, en pays Banda dans la subdivision de Grimari entre les hauteurs (Kagas) que sont le Kaga Kosségamba, le Kaga Gobo et le Kaga Biga. Le roman est nourri de références très détaillées sur les lieux précis de l'action. Les personnages évoluent dans des villages ainsi que dans la brousse omniprésente. Le paysage se compose de vallées, de grands fleuves ainsi que de différents monts. Le récit est émaillé d’expressions et de mots de la langue banda, de contes et de légendes, de sagesses et d’anecdotes populaires. René Maran nous restitue ce monde dans ses moindres détails y compris pour ce qui est des animaux, décrivant avec précision les tribulations de Djouma, le chien domestique, les termites, les cabris ou un singe à gueule de chien.

Comme l´a rappelé à juste titre Yann Solle dans son essai «Roman nègre, noir roman», publié en août 2013 dans la revue Zone Critique, c’est la première fois qu’un homme noir est au centre d’un roman, qui plus est dans une situation de puissance et de pouvoir. Néanmoins, le narrateur ne célèbre en aucun moment la supériorité – morale ou tout autre –des noirs sur les blancs. Il n´y a aucun manichéisme dans la description des choses, comme l´écrit Yann Solle : «Blancs, noirs, indigènes, colons, tous sont célébrés pour leurs grandeurs, et mis face à leurs bassesses : jalousie, lâcheté, alcoolisme, vénalité, indolence. Nulle complaisance, juste une peinture fidèle de la nature humaine et de ses faiblesses, qui sont finalement, qu’on soit noir, blanc, ou que sais-je encore, la chose au monde la mieux partagée.».

Aussi est-il fort discutable -quoi qu´on en dise- de considérer Batouala comme un roman précurseur voire fondateur de la négritude. Yann Solle affirme à juste titre qu´il s´agit là –dessus d´une facilité de réflexion que l´on ne peut attribuer qu´aux choix formels de René Maran. Son œuvre n´était comme il l´a d´ailleurs écrit dans sa préface qu´un «roman d´observation impersonnelle». Il a raconté des réalités qu´il avait vécues en tant que fonctionnaire colonial, mais s´il a critiqué la politique française en Afrique, il n´en était pas moins profondément attaché à la France, son pays, et à l´excellence de sa culture. S´il est vrai qu´il a un temps fréquenté les cercles de la négritude et fut tenu pour un précurseur du combat anticolonial par des écrivains comme Léopold Senghor ou Aimé Césaire, il le faisait en tant que Français, en humaniste et en homme s´insurgeant contre toutes les injustices*.  Il faut souligner d´ailleurs que certaines voix  de la négritude ont considéré comme plutôt timide sa dénonciation du colonialisme, malgré la préface de Batouala qui ne prête aucunement le flanc au doute.

René Maran a continué à publier des ouvrages –romans, contes, poèmes et biographies-  dans les années qui ont suivi la parution de son premier roman et ce jusqu´à sa mort survenue à Paris le 9 mai 1960 (à l´âge de 72 ans). Pourtant, la polémique autour de Batouala a offusqué ses livres ultérieurs. Ces dernières années, quelques ouvrages de l´auteur ont été réédités, dont bien sûr Batouala, mais de façon encore insuffisante pour lui accorder la place qu´il mérite dans l´histoire de la littérature française. Ce que l´on ne peut que regretter étant donné que cent ans plus tard Batouala demeure d´une indiscutable actualité, tant pour les préjugés tenaces qu´il continue de mettre à mal que pour le droit à la liberté qu´il revendique, comme on nous le rappelle dans la quatrième de couverture. René Maran rêvait d´un monde où le fait d´être noir ou blanc serait devenu sans objet, mais il n´est toujours pas dans l´esprit du temps à une époque où les appartenances ethniques, raciales et religieuses sont exacerbées. Un message d´espoir nous est néanmoins laissé par Amin Maalouf à la fin de sa préface à cette nouvelle édition de Batouala : «…il n´est pas interdit de penser que l´attitude qui prévaut de nos jours, selon laquelle chacun doit clamer à voix haute ses appartenances particulières, sera à son tour dépassée, et que la vision universaliste, œcuménique, réconciliatrice, qui paraît aujourd´hui si naïve, si pathétique, si anachronique, reprendra le dessus. C´est certainement ce qu´aurait espéré l´auteur de Batouala».



René Maran, Batouala, préface d´Amin Maalouf de l´Académie Française, Albin Michel, nouvelle édition, septembre 2021(première édition, mai 1921, Prix Goncourt attribué en décembre de la même année).   

*Lire à ce propos les études de Lilyan Kesteloot (1931-2018) chercheuse belge spécialiste des littératures négro-africaines francophones.

jeudi 7 octobre 2021

Abdulrazak Gurnah, Prix Nobel de Littérature 2021.

 

 Abdulrazak Gurnah, né le 20 décembre 1948 à Zanzibar, est un romancier tanzanien écrivant en anglais et vivant au Royaume Uni. Ses plus célèbres romans sont Paradise (1994), présélectionné pour le Booker et le Whitebread Prize, Désertion (2005) et By the Sea (2001), présélectionné pour le Booker et pour le Los Angeles Times Book Prize.

Le comité Nobel lui a attribué aujourd´hui le Prix Nobel de Littérature pour son œuvre mettant en lumière le colonialisme et pour « son récit empathique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents».

vendredi 1 octobre 2021

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur l´édition d´aujourd´hui du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman La femme et l´oiseau d´Isabelle Sorente aux éditions Jean-Claude Lattès:

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/femme-oiseau-roman-isabelle-sorente-321373