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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 28 juin 2015

Chronique de juillet 2015



  

  

 Le temps et le silence de Pascal Quignard.

«On ne pourra pas accroître la distance entre la main qui écrit et les yeux qui lisent : elle est toujours infinie».Cette phrase de Pascal Quignard, nous l´avons lue sur un marque-page de l´ancienne librairie française de Lisbonne, dirigée par Béatrice Montamat, et elle nous donne, dans son apparente simplicité, la mesure du talent d´un écrivain que d´aucuns considèrent comme une des voix les plus novatrices de la littérature française contemporaine. Quand on a, entre les mains, un livre de Pascal Quignard, on se trouve devant un sentiment paradoxal : d´une part on a envie de le lire en silence, mais d´autre part, on veut partager le plaisir de la lecture avec tous ceux que nous aimons, tant il serait égoïste de ne pas donner à connaître à autrui des fragments d´une beauté inouïe.
Cet écrivain singulier est né en 1948 en Normandie, à Verneuil-sur-Avre. Il est l´auteur de quelques romans, de facture plutôt classique, tels Le salon du Wurtemberg, Tous les matins du monde*, Terrasse à Rome ou La Frontière qui nous raconte un épisode de l´Histoire du Portugal, avec de belles photos du Palais Fronteira à Lisbonne. Ces dernières années, néanmoins, l´œuvre de Quignard a pris définitivement un tournant que l´auteur avait déjà ébauché, à maintes reprises, dans des livres précédents (comme Les Petits Traités, par exemple). Ses derniers titres sont plutôt des essais où la fiction est mêlée à la réflexion, où la philosophie côtoie l´Histoire et où la tradition classique grecque et romaine épouse la sagesse orientale.
En 2002, Pascal Quignard a entrepris une œuvre en plusieurs volumes intitulée «Dernier royaume» qui en est à son neuvième tome et dont le premier, Les ombres errantes, fut couronné du prix Goncourt (Les autres tomes sont, à savoir, Sur le jadis, Abîmes, Les paradisiaques, Les sordidissimes, La barque silencieuse, Les désarçonnés, Vie Secrète et Mourir de penser)
Pascal Quignard a travaillé, pendant des années, dans le monde de l´édition et il est aussi un spécialiste de la musique baroque.
Ces derniers mois tant chez Galilée que chez Arléa –deux des éditeurs auxquels il reste fidèle et qui ont publié nombre de ses livres ces dernières années-deux nouveaux titres de Pascal Quignard ont vu le jour pour le grand bonheur de ses lecteurs inconditionnels : Critique du jugement(Galilée) et Sur l´idée d´une communauté de solitaires(Arléa). 
Dans Critique du jugement-divisé en quatre parties: Krisis, Phthonos, Creatio et Publicatio-on retrouve des réflexions, des corrélations, des fragments qui sont autant de textes-tantôt brefs, tantôt un peu plus longs- où le passé fait irruption et côtoie le présent pour nous rappeler que la mémoire tisse les fils de notre vie. Pourquoi le titre est-il  Critique du jugement ? Puisque ceux qui veulent interdire tout jugement ne peuvent que se livrer de façon totalitaire à une entreprise sordide d´effacement de la mémoire. Une entreprise qui fasse litière de tout ce qui nourrit la mémoire collective, comme si l´on devrait subvertir les mécanismes de déclenchement du temps. Ce dont il n´y a pas de trace, dont il n´y a aucun registre écrit n´aura donc pas existé. Mais, cet essai met également en question le milieu littéraire et toutes les instances critiques, du journalisme à l´Université, plongés d´ordinaire en des querelles intestines, personnelles, voire byzantines.
D´autre part, la courte préface du livre illustre on ne peut mieux un des dilemmes qui se posent à la justice depuis la nuit des temps : comment établir la culpabilité et l´innocence de quelqu´un et Pascal Quignard a choisi pour nous le rappeler le procès de Lutèce en 357. Delphidius, l´accusateur public, se tourna vers l´empereur Julien et s´écria : «Grand César, peut-il jamais y avoir de coupable s´il suffit de nier l´accusation ?», une interpellation à laquelle l´empereur Julien répondit : «Delphidius, peut-il jamais y avoir d´innocent s´il suffit d´accuser ?».
Puisqu´il est aussi question d´innocence, on sait bien qu´au début du XVème, on n´en avait cure. C´est de cette époque que datent les statuts de «limpieza de sangre». À ce propos, Pascal Quignard écrit dans Critique du jugement : «Le premier auto da fé eut lieu à Séville en 1481. Il y a une logique des procès totalitaires du XXème siècle qui remonte aux tribunaux des inquisitions ibériques. Ce qui avait été institué en 1481 en Espagne fut introduit en 1536 au Portugal, s´étendit lentement sur à peu près tout le territoire de l´Europe avant de traverser le Bosphore. L´action inquisitoriale s´était donnée pour but l´extirpation des «hérésies judaïsantes». Elle imposait le salut à l´âme des inculpés, elle soumettait à la torture leurs corps, elle ajoutait à l´ancien testament le nouveau, elle offrait gracieusement le spectacle lumineux des bûchers aux yeux de tous. C´était la Renaissance des anciens Jeux de Rome. Cette contemplation garantissait la paix civile aux populations aussi ébahies que terrorisées, qui ôtaient leur chapeau ou leurs toques, qui serraient leurs foulards ou leurs coiffes, qui s´assemblaient pétrifiées et silencieuses. Les masses nettement accrues de nouveaux fidèles, chacun ayant personnellement fait l´aveu de l´authenticité de sa foi réunissante, devenues obéissantes, dénonçaient, à voix basse, en confession, les coreligionnaires qui trichaient. C´était le Mitsein retrouvé. Ces dénonciations étaient suivies d´enquêtes ; les rapports des mouchards s´ajoutaient aux insinuations ou aux diffamations dans les dossiers ; une bureaucratie autonome naissait, organisant et réglant convocations, interrogatoires, transcriptions des interrogatoires, traductions des interrogatoires, emprisonnements, surveillances par des «juges de mur», «questions», chevalets, «tourments», aveux, repentance publique, abjuration solennelle, feu  purificateur.» (pages 80-81)
L´ inquisition a, on le sait, semé la terreur un peu partout, voué aux gémonies ceux qui étaient tombés en disgrâce et ceci au nom d´une pureté religieuse et dogmatique sans concessions. Le pire c´est que l´abolition de l´inquisition n´a pas, loin s´en faut, éradiqué la violence religieuse et politique. Les méthodes inquisitoriales ont pris de nouvelles moutures, se sont raffinées, et persistent encore de nos jours sous des formes diverses. Comme si l´espèce humaine n´était pas en mesure de se dessaisir  des pulsions violentes qui troublent son jugement et nourrissent le besoin morbide d´effusion de sang.
Pour en revenir à Critique du jugement, à peine lit-on les titres des chapitres que –si l´on me permet de verser dans un registre un tant soit peu colloquial-ceux-ci nous font aussitôt venir l´eau à la bouche : Sur le poème de Nietzsche intitulé Le jugement du soir ; Sur Lenz et Chopin ; Sur Lully, Vermeer, Spinoza ;Le tombeau de Kant ; Le jugement de Phryné et le comptoir d´édition d´André Gide ; Sur la merveilleuse ignorance divine ; La liste d´Hippocrate ; La mort de l´abbé Prévost ; Un argument de l´empereur Marc Aurèle ou Le dernier trio de Schubert. Les chapitres nous réservent pourtant des surprises que les titres ne laissent nullement insinuer. C´est qu´en nous rappelant des idées, des personnages et des faits historiques, Pascal Quignard nous fait découvrir de nouvelles idées, de différents personnages et d´autres faits historiques. Le chapitre intitulé «Les exercices de Philémon»,  par exemple, se termine par des lignes sur Goya : «Goya, après 1820, est devenu un homme totalement imprévisible. Il cesse de vouloir plaire. Il plonge dans un silence qui n´est pas volontaire et y fonde sa nuit. Il fait ce qu´il doit. Il couvre ses morts comme il veut. Sa chose est noire et elle est silencieuse. Il bâtit sa chambre noire, sa grotte de pénombre, son salon sourd, sa salle à manger entièrement silencieuse avec Cronos sur le mur déchirant un enfant vivant. Une maison édifiée pour son silence dans sa mort.  Les pinturas negras de la Quinta del Sordo ne sont pour personne.»(page 145)
Quelques semaines avant la parution de Critique du jugement, les éditions Arléa publiaient un autre inédit de Pascal Quignard intitulé Sur l´idée d´une communauté de solitaires. Ce petit bijou de pas plus de quatre-vingt pages est composé de textes plutôt courts –près d´une dizaine-dans le registre habituel de l´auteur où l´on côtoie des figures de l´univers quignardien comme Georges de la Tour ou Monsieur de Sainte-Colombe. L´Orient n´y est pas absent avec l´évocation d´un empereur et il est souvent question de musique et de ruines, réelles ou fictives, le premier chapitre s´appelant d´ailleurs Les ruines de Port-Royal et  c´est le texte d´une conférence donnée à deux reprises: à l´hôtel de Massa, le jeudi 4 octobre 2012, en compagnie d´Elisabeth Joyé, au clavecin, et de Laurence Plazenet, et dans la cathédrale de Coutances, le jeudi 10 juillet 2014, en compagnie de Jean-François Détrée à l´orgue puis au clavecin.
Dans le chapitre «Sur l´idée si difficile à penser d´une communauté composée uniquement de solitaires», Pascal Quignard écrit : «Le solitaire est une des plus belles incarnations qu´ait revêtue l´humanité, qui n´est elle-même rien par rapport aux paysages des cimes, des lacs, des neiges et des nuages qui surmontent les montagnes.»Et plus loin : «Le référent chez les hommes n´est pas le groupe. Dans la nuit où l´on s´apprête à sombrer on est seul quand on rêve. C´est de là que vient la solitude référente dans l´espèce humaine. Car le rêve étalonne le fonctionnement de l´esprit».
Les livres de Pascal Quignard sont d´admirables leçons de sagesse, d´érudition où l´on retrouve à chaque page le besoin et le plaisir de l´auteur à faire partager le savoir, comme si le silence n´était que le point de départ pour une pleine jouissance des mots, de la musique, bref de la vie.
En refermant chaque livre de Pascal Quignard, il me vient souvent l´esprit une phrase prononcée un jour par Élie Wiesel, un auteur à l´univers pourtant si différent de celui de Pascal Quignard, mais à laquelle celui-ci, ne serait-ce que pour une fois, aurait souscrit, une phrase que vous trouvez en épigraphe de ce blog : «L´enfer, c´est un endroit sans livre».

Pascal Quignard. Critique du jugement, éditions Galilée, Paris, 2015.
Pascal Quignard, Sur l´idée d´une communauté de solitaires, éditions Arléa, Paris, 2015.

   

samedi 20 juin 2015

La mort de James Salter

 James Salter, un des plus grands écrivains américains, est décédé ce vendredi à Sag Harbor, dans l´État de New-York, à l´âge de 90 ans. Né James Arnold Horowitz, le 10 juin 1925 dans le comté de  Passaic, dans le New Jersey, pas loin de New York, Salter était souvent considéré comme un des plus grands stylistes de la prose américaine quoique ses écrits n´aient pas toujours fait l´unanimité, nombre de critiques qualifiant son écriture de trop succinte ou comprimée. D´ordinaire rapproché de Henry Miller et d´Ernest Hemingway, James Salter a néanmoins affirmé dans des entretiens à son biographe William Dowie que Tom Wolfe et André Gide avaient été ses principales influences littéraires.  Le fait d´avoir parfois écrit sur l´adultère et privilégié un certain érotisme a rendu méfiants à son égard quelques milieux littéraires américains.
The Hunters(traduction française Pour la gloire);Solo Faces(L´homme des hautes solitudes); Dusk and other stories(American express); A sport and a pastime(Un sport et un passe-temps) ou All that is(Et rien d´autre) comptent parmi ses principaux titres traduits en français, la plupart aux éditions de l´Olivier(et en poche dans la collection Points-Seuil).
Son oeuvre fut couronnée de nombreux prix littéraires et en 2000 il fut élu à l´Académie américaine des Arts et des Lettres.

mercredi 17 juin 2015

Jean Vautrin n´est plus




Écrivain, mais aussi scénariste, dialoguiste et cinéaste français, Jean Vautrin, pseudonyme de Jean Herman, est mort hier  à Gradignan, près de Bordeaux, à l´âge de 82 ans(il était né le 17 mai 1933 à Pagny-sur-Moselle).
Il  a reçu le Prix Goncourt pour son roman Un grand pas vers le bon Dieu, en 1989, mais d´autres romans ont été aussi fort remarqués comme La Vie Ripolin, Symphonie Grabuge, Le roi des orduresLe cri du peuple et la série en huit tomes Les aventures de Boro, reporter photographe, en collaboration avec Dan Franck.
Jean Vautrin était ce qu´on appelle un chic type et un véritable romancier populaire. Comme s´interrogeait Bibliobs, l´édition littéraire en ligne de l´hebdomadaire L´Obs, sous la plume de Clara Tran, peut-être fera-t-il, à l´image du titre de son célèbre roman, un grand pas vers le bon Dieu...

mercredi 10 juin 2015

Centenaire de la naissance de Saul Bellow

Aujourd´hui, on signale le centenaire de la naissance d´un grand écrivain du vingtième siècle: Saul Bellow.
Né le 10 juin 1915 à Montréal (Canada), Saul Bellow était issu d´une famille d´origine judéo-russe. Après la mort de son père(qui faisait le bootlegger, la distillation et le trafic d´alcool clandestin), il a déménagé avec sa famille à Chicago aux États-Unis(il est devenu plus tard citoyen américain) où sa mère est morte en 1932.  Professeur universitaire et écrivain, Saul Bellow s´est vu décerner à trois reprises le National Book Award: en 1953 pour The adventures of Augie March(Les aventures  d´Augie March),  en 1964 pour Herzog et en 1969 pour Mr. Sammler´s planet(La planète de M.Sammler Pourtant, la consécration suprême est survenue en 1976 avec l´attribution du Prix Nobel de Littérature. En 2000, le roman Ravelstein, inspiré par la vie d´Allan Bloom, un ami de l´auteur,connaît un grand succès.
Saul Bellow est mort le 5 avril 2005, à l´âge de 89 ans à Brookline dans l´État du Massachusetts.