Jan Karski ou le devoir de mémoire selon Yannick Haenel.
L´Histoire,la grande Histoire,on la nourrit de témoignages. Des témoignages de ceux qui l´ont vécue, soient-ils des protagonistes, soient-ils des personnalités secondaires. C´est que, contrairement à ce que l´on croit d´ordinaire,l´Histoire,la grande Histoire,est également tissée de petites histoires de citoyens anonymes qui ont mené un combat-parfois en sourdine-pour infléchir le cours des événements.
En Europe,lors de la seconde guerre mondiale,nombre de résistants ont lutté inlassablement, poussés par le seul désir de sauver leur vie ou celle des autres, ou par une volonté indomptable d´arracher le visage monstrueux de la barbarie tel que les imaginations les plus fertiles n´avaient jamais pu le concevoir.
L ´écrivain français Yannick Haenel dans son dernier roman(pour certains plutôt un essai) Jan Karski, publié en septembre aux éditions Gallimard,trace le parcours d´un de ces personnages qui ont refusé de se taire. Jan Karski, on l´avait découvert dans le magnifique film de Claude Lanzmann sur la Shoah.Ce témoignage-là était très éloquent. Jan Karski n´a pas beaucoup parlé, mais dans ce genre de témoignage,à côté des bribes de phrases,le silence et le regard sont tout aussi éloquents.
Yannick Haenel a divisé le roman en trois parties.Au premier chapitre, l´auteur s´en tient aux paroles tenues par Jan Karski dans son entretien avec Claude Lanzmann. Au deuxième chapitre, il résume en quelque sorte le livre que Jan Karski lui-même a écrit et publié aux Etats-Unis en 1944, intitulé Story of a Secret State. Enfin, au troisième chapitre,il s´appuie sur certains aspects de la vie de Jan Karski et en fait une fiction.
L´histoire du livre est ainsi resumée dans la quatrième de couverture: «Varsovie 1942. La Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Jan Karski est un messager de la Résistance polonaise auprès du gouvernement en exil à Londres. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto, afin qu´il dise aux Alliés ce qu´il a vu, et qu´il les prévienne que les Juifs d´Europe sont en train d´être exterminés. Jan Karski traverse l´Europe en guerre,alerte les Anglais, et rencontre le président Roosevelt en Amérique...»
Yannick Haenel a su mener le récit de main de maître, nous tenant en haleine tout le long de l´histoire. Certains lui reprochent son procédé,mais le grand mérite de Yannick Haenel est celui d´accorder tous les honneurs du livre à la figure du témoin et le témoin ici n´est autre que Jan Karski. En épigraphe du roman, il y a d´ailleurs la magnifique phrase d´un rescapé d´Auschwitz, le grand poète Paul Celan: «Qui témoigne pour le témoin? » Yannick Haenel évoque d´ailleurs l´importance de la figure du témoin dans un entretien au numéro de septembre du magazine Transfuge:«Le témoin est un porteur de phrases, en cela il ressemble à la figure de l´écrivain. Mais il porte surtout avec lui du temps-le temps qu´il aura fallu pour que l´on accepte son témoignage. L´histoire des témoins au vingtième siècle reste à faire. Leur deuil, leur détresse, leur énergie. Quuelque chose du très ancien courage de la parole prophétique est passé en eux. À travers l´expérience de Jan Karski, on peut mesurer la résistance qu´une telle parole peut susciter.»
Un des reproches que l´on adresse à Yannick Haenel c´est l´insistance, à travers les paroles de Jan Karski, dans la dénonciation de l´indifférence des Alliés devant le génocide des Juifs. Ne risque-t-on pas, pourrait-on se demander,de réduire de la sorte la culpabilité des nazis dans le déclenchement de la barbarie?Yannick Haenel y répond dans le même entretien:«Je ne pense pas être spécialement sévère avec les Alliés. Leur passivité est connue, elle a été établie par les historiens(...)Il ne s´agit en aucune façon pour moi de réduire la culpabilité des nazis. Je montre juste, à travers l´expérience dont est victime Jan Karski,que les Alliés ne sont pas innocents,et que si on cherche aujourd´hui encore à le faire croire c´est par intérêt.Les Anglais et les Américains ont fait plus que se taire, comme vous dites:ils ont décidé de ne pas accueillir de réfugiés juifs,ce verrouillage condamnait à mort les juifs d´Europe.Qu´on le veuille ou non,Jan Karski est un témoin de ce verrouillage.»
Cette indifférence des Alliés s´est d´ailleurs prolongée après la fin de la guerre. On n´ignore pas que les témoignages des rescapés des camps de concentration et d´extermination n´étaient pas vus d´un bon oeil, comme si l´on se sentait mal à l´aise devant ces témoignages, comme si l´on voulait oublier au plus vite cette période noire de l´histoire de l´humanité.On connaît par ailleurs les difficultés que nombre d´auteurs ont eues pour publier leurs témoignages.On vous rappelle que Si c´est un homme de Primo Levi a été publié par De Silva un petit imprimeur de Florence avant d´être récupéré par Einaudi beaucoup plus tard. Ces témoinages dérangeaient puisqu´ils plaçaient en quelque sorte les Européens devant leur indifférence. À un moment donné, alors que les témoignages et les livres sur l´expérience concentrationnaire abondaient, on a crié «Plus jamais ça».Pourtant, ce cri de révolte n´a pas empêché que à la la fin du vingtième siècle l´Europe fût à nouveau tombée dans la barbarie et la fureur génocidaire, cette fois-ci dans l´ex-Yougoslavie, et encore une fois devant l´indifférence du vieux continent.
Yannick Haenel nous rappelle avec ce livre et l´évocation de la figure de Jan Karski que le devoir de mémoire doit faire partie du patrimoine culturel européen. Yannick Haenel d´ailleurs suit un parcours singulier au sein de la nouvelle génération d´écrivains français nés à la fin des années soixante du siècle précédent(en l´occurrence 1967). Professeur de français jusqu´en 2005, Yannick Haenel est à présent un des animateurs de la revue Ligne de risque chez Gallimard. En 2007, il a publié un roman fort remarqué- Cercle- qui racontait l´errance d´un homme dans Paris et son odyssée qui l´a conduit ensuite en Europe de l´Est(Berlin, Varsovie, Prague),un livre qui s´est vu attribuer le prix Décembre 2007 et le prix Roger Nimier 2008. Jan Karski a déjá été couronné du prix Fnac 2009 et se trouve encore en lice pour les prix littéraires de cet automne.
Yannick Haenel, un nom sur lequel il faudra désormais compter quand on évoquera la nouvelle littérature française.
En Europe,lors de la seconde guerre mondiale,nombre de résistants ont lutté inlassablement, poussés par le seul désir de sauver leur vie ou celle des autres, ou par une volonté indomptable d´arracher le visage monstrueux de la barbarie tel que les imaginations les plus fertiles n´avaient jamais pu le concevoir.
L ´écrivain français Yannick Haenel dans son dernier roman(pour certains plutôt un essai) Jan Karski, publié en septembre aux éditions Gallimard,trace le parcours d´un de ces personnages qui ont refusé de se taire. Jan Karski, on l´avait découvert dans le magnifique film de Claude Lanzmann sur la Shoah.Ce témoignage-là était très éloquent. Jan Karski n´a pas beaucoup parlé, mais dans ce genre de témoignage,à côté des bribes de phrases,le silence et le regard sont tout aussi éloquents.
Yannick Haenel a divisé le roman en trois parties.Au premier chapitre, l´auteur s´en tient aux paroles tenues par Jan Karski dans son entretien avec Claude Lanzmann. Au deuxième chapitre, il résume en quelque sorte le livre que Jan Karski lui-même a écrit et publié aux Etats-Unis en 1944, intitulé Story of a Secret State. Enfin, au troisième chapitre,il s´appuie sur certains aspects de la vie de Jan Karski et en fait une fiction.
L´histoire du livre est ainsi resumée dans la quatrième de couverture: «Varsovie 1942. La Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Jan Karski est un messager de la Résistance polonaise auprès du gouvernement en exil à Londres. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto, afin qu´il dise aux Alliés ce qu´il a vu, et qu´il les prévienne que les Juifs d´Europe sont en train d´être exterminés. Jan Karski traverse l´Europe en guerre,alerte les Anglais, et rencontre le président Roosevelt en Amérique...»
Yannick Haenel a su mener le récit de main de maître, nous tenant en haleine tout le long de l´histoire. Certains lui reprochent son procédé,mais le grand mérite de Yannick Haenel est celui d´accorder tous les honneurs du livre à la figure du témoin et le témoin ici n´est autre que Jan Karski. En épigraphe du roman, il y a d´ailleurs la magnifique phrase d´un rescapé d´Auschwitz, le grand poète Paul Celan: «Qui témoigne pour le témoin? » Yannick Haenel évoque d´ailleurs l´importance de la figure du témoin dans un entretien au numéro de septembre du magazine Transfuge:«Le témoin est un porteur de phrases, en cela il ressemble à la figure de l´écrivain. Mais il porte surtout avec lui du temps-le temps qu´il aura fallu pour que l´on accepte son témoignage. L´histoire des témoins au vingtième siècle reste à faire. Leur deuil, leur détresse, leur énergie. Quuelque chose du très ancien courage de la parole prophétique est passé en eux. À travers l´expérience de Jan Karski, on peut mesurer la résistance qu´une telle parole peut susciter.»
Un des reproches que l´on adresse à Yannick Haenel c´est l´insistance, à travers les paroles de Jan Karski, dans la dénonciation de l´indifférence des Alliés devant le génocide des Juifs. Ne risque-t-on pas, pourrait-on se demander,de réduire de la sorte la culpabilité des nazis dans le déclenchement de la barbarie?Yannick Haenel y répond dans le même entretien:«Je ne pense pas être spécialement sévère avec les Alliés. Leur passivité est connue, elle a été établie par les historiens(...)Il ne s´agit en aucune façon pour moi de réduire la culpabilité des nazis. Je montre juste, à travers l´expérience dont est victime Jan Karski,que les Alliés ne sont pas innocents,et que si on cherche aujourd´hui encore à le faire croire c´est par intérêt.Les Anglais et les Américains ont fait plus que se taire, comme vous dites:ils ont décidé de ne pas accueillir de réfugiés juifs,ce verrouillage condamnait à mort les juifs d´Europe.Qu´on le veuille ou non,Jan Karski est un témoin de ce verrouillage.»
Cette indifférence des Alliés s´est d´ailleurs prolongée après la fin de la guerre. On n´ignore pas que les témoignages des rescapés des camps de concentration et d´extermination n´étaient pas vus d´un bon oeil, comme si l´on se sentait mal à l´aise devant ces témoignages, comme si l´on voulait oublier au plus vite cette période noire de l´histoire de l´humanité.On connaît par ailleurs les difficultés que nombre d´auteurs ont eues pour publier leurs témoignages.On vous rappelle que Si c´est un homme de Primo Levi a été publié par De Silva un petit imprimeur de Florence avant d´être récupéré par Einaudi beaucoup plus tard. Ces témoinages dérangeaient puisqu´ils plaçaient en quelque sorte les Européens devant leur indifférence. À un moment donné, alors que les témoignages et les livres sur l´expérience concentrationnaire abondaient, on a crié «Plus jamais ça».Pourtant, ce cri de révolte n´a pas empêché que à la la fin du vingtième siècle l´Europe fût à nouveau tombée dans la barbarie et la fureur génocidaire, cette fois-ci dans l´ex-Yougoslavie, et encore une fois devant l´indifférence du vieux continent.
Yannick Haenel nous rappelle avec ce livre et l´évocation de la figure de Jan Karski que le devoir de mémoire doit faire partie du patrimoine culturel européen. Yannick Haenel d´ailleurs suit un parcours singulier au sein de la nouvelle génération d´écrivains français nés à la fin des années soixante du siècle précédent(en l´occurrence 1967). Professeur de français jusqu´en 2005, Yannick Haenel est à présent un des animateurs de la revue Ligne de risque chez Gallimard. En 2007, il a publié un roman fort remarqué- Cercle- qui racontait l´errance d´un homme dans Paris et son odyssée qui l´a conduit ensuite en Europe de l´Est(Berlin, Varsovie, Prague),un livre qui s´est vu attribuer le prix Décembre 2007 et le prix Roger Nimier 2008. Jan Karski a déjá été couronné du prix Fnac 2009 et se trouve encore en lice pour les prix littéraires de cet automne.
Yannick Haenel, un nom sur lequel il faudra désormais compter quand on évoquera la nouvelle littérature française.