Vous pouvez lire ma dernière chronique pour Le Petit Journal Lisbonne. J´écris sur Veiller sur Elle de Jean-Baptiste Andréa, publié aux éditions L´Iconoclaste, après l´attribution du Choix Goncourt du Portugal.
La plume dissidente
«L´enfer, c´est un endroit sans livre»-Elie Wiesel.
Qui êtes-vous ?
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- Fernando Couto e Santos
- Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.
vendredi 19 juillet 2024
jeudi 18 juillet 2024
La mort de Benoît Duteurtre.
Né le 20 mars 1960 à Sainte-Adresse (Seine-Maritime) et mort le 16 juillet 2024 au Valtin (Vosges), Benoît Duteurtre était un écrivain, critique musical et animateur de radio français. On reproduit ici les lignes le concernant écrites sur le site des éditions Fayard : « Benoit Duteurtre était un écrivain au talent exceptionnel, dont les œuvres ont su toucher les cœurs et captiver l’imagination de nombreux lecteurs. Son écriture fluide et poétique a su créer des univers uniques et des personnages mémorables. Son dévouement à l’art de la littérature était incomparable, et il restera à jamais dans nos mémoires comme un auteur passionné et inspirant(…) Ses livres resteront des témoignages précieux de son génie créatif et de sa contribution exceptionnelle à la littérature contemporaine». Il fut l´auteur de plus d´une trentaine de titres dont Drôle de temps (1997, Prix du Roman de l´Académie Française) ou Le Voyage en France (2001, Prix Médicis).
mardi 2 juillet 2024
La mort d´Ismaïl Kadaré.
L'écrivain albanais Ismail Kadaré, 88 ans, auteur
d’une œuvre monumentale sous la tyrannie communiste d'Enver Hodja, est décédé
lundi matin, ont annoncé son éditeur et l’hôpital à l'AFP.
Ismaïl Kadaré est décédé d´une crise cardiaque, a precisé l´hôpital de Tirana. Il y est arrivé «sans signe de vie». Les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais «il est mort vers 6h40 GMT(8h40 locales)», a dit l´hôpital.
Il s´agit d´une perte énorme pour la littérature
universelle. Vous pouvez lire sur ce blog la chronique que je lui ai consacrée en
mai 2013.
samedi 29 juin 2024
Chronique de juillet 2024.
José Donoso,
l´admirable oiseau de la littérature chilienne.
Cette année, le 5 octobre prochain, on signalera le centenaire de la
naissance d´un grand écrivain latino-américain qui, en dépit de l´indiscutable
prestige dont son œuvre a toujours fait l´objet, n´a peut-être pas atteint à
l´échelle internationale la consécration qu´il aurait sans doute méritée.
L´écrivain chilien José Donoso –c´est bien de lui qu´il s´agit – est
néanmoins un des grands romanciers associé au mouvement qu´on a appelé le boom
latino-américain –il en a même écrit une histoire personnelle (1)- au même
titre que Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Carlos Fuentes, Julio
Cortázar, Juan Rulfo ou Jorge Luis Borges, entre autres. Décédé le 7 décembre 1996, à l´âge de 72 ans, à
Santiago du Chili – la même ville où il avait vu le jour -, on a l´impression
que son œuvre n´a pas suscité ces dernières années un grand intérêt soit auprès
des lecteurs soit chez les principaux éditeurs. Certes, il est un prix
littéraire qui porte son nom et cette année et il y a de nouvelles traductions
de ses œuvres en d´autres langues. Il y a également des événements culturels
qui commémorent le centenaire de la naissance de José Donoso, mais est-ce suffisant
pour un écrivain de sa stature ? José Donoso lui-même ne serait pas
surpris que la postérité lui eût réservé –du moins pour l´instant –un accueil
aussi mitigé, lui qui peu de temps avant sa mort avait confié à un autre
écrivain chilien, Carlos Franz : «Dans dix ans, nul ne me lira». Carlos
Franz, d´ailleurs, dix ans après la mort de José Donoso, mettait en relief
l´oubli dans lequel était plongée l´œuvre de José Donoso, dans un article
justement intitulé «El obsceno pájaro del olvido» («L´ obscène oiseau de
l´oubli»), allusion au roman le plus emblématique de l´auteur, El obsceno
pájaro de la noche (L´obscène oiseau de la nuit). Carlos Franz y écrivait qu´en
se promenant dans les librairies madrilènes –on vous rappelle que José Donoso a
vécu plus d´une dizaine d´années à Madrid -, les livres de son célèbre
compatriote étaient introuvables. Il
présente quelques arguments pour justifier cette désaffection à l´égard de
l´œuvre de Donoso : il était un écrivain qui changeait de stratégies, qui
fuyait les styles fixes et la voix et l´esthétique uniques qui pour lui
n´étaient que des déguisements, des formes momentanées, voire des modes de
l´intellect. De même que les goûts
esthétiques changent, deviennent caducs et refont surface, de même le
changement de styles, la métamorphose et le déguisement sont des
caractéristiques essentielles de l´œuvre donosienne.
Issu de la bourgeoisie chilienne –comme d´ailleurs l´autre grand écrivain
né dans l´entre deux-guerres, son ami Jorge Edwards (1931-2023) -, José Donoso
a suivi des études de philologie anglaise à l´Université de Princeton, aux
États-Unis, grâce à une bourse de la Doherty Foundation. Au début des années
cinquante, il a fait plusieurs voyages au Mexique et en Amérique Centrale. De
retour au Chili, il s´est inscrit en pédagogie à l´Université Pontificale
Catholique.
Naturellement influencé par la littérature anglophone contemporaine –il a
d´ailleurs écrit des contes directement en anglais-, ses premières œuvres sont
des nouvelles. Ses œuvres, d´ordinaire peuplées d´êtres monstrueux livrés à
leurs pulsions secrètes, montrent le déclin des classes privilégiées. En 1957,
il a écrit son premier roman Coronación (Couronnement, en français), un roman
qui dépeint la vie à Santiago et préfigure des thèmes qui marqueront son
œuvre : la décadence, l´identité, la transgression et la folie. C´est
l´histoire d´Andrés, un quinquagénaire solitaire qui est témoin de la démence
de sa grand-mère nonagénaire. Dans ce roman, le lecteur se trouve devant une
réalité grotesque où les personnages égrènent leurs souvenirs et plonge dans le
quotidien des familles bourgeoises de Santiago enfermées dans des manoirs où
elles nourrissent leurs obsessions les plus obscures.
Un autre roman important de José Donoso est El lugar sín limites (Ce lieu
sans limite) paru en 1966 et adapté au cinéma par le cinéaste mexicain Arturo
Ripstein. Il s´agit de l´histoire conflictuelle de Manuela, un homosexuel
travesti qui régente un bouge et qui au fur et à mesure dévoile les secrets qui
se cachent derrière les fausses apparences en même temps qu´il décrit une
société qui sombre dans la déchéance.
Néanmoins, son œuvre la plus aboutie et qui a assis sa réputation
d´écrivain majeur est sans l´ombre d´un doute El obsceno pájaro de la noche
(L´obscène oiseau de la nuit), publié en 1970 et couronné par de nombreux prix
littéraires. José Donoso s’inspire
d’un événement vécu (la vision fugitive d’un enfant difforme dans une voiture
de luxe) et d’une légende remontant au XVIIIe siècle concernant les Aizcoitia,
une grande famille de propriétaires. Inés, leur seule fille parmi dix enfants,
était une sorcière ; ils l’ont fait enfermer dans un couvent pour recluses où
elle finit sa vie en sainte. Dans le roman, cette institution, délabrée, existe
toujours et y vivent des vieilles femmes dont on ne sait si elles sont des
domestiques, des guérisseuses ou des sorcières. Le dernier descendant des
Azcoitia, Don Jerónimo, n’a pas d’enfant, et une sorcière intervient pour faire
naître un fils. Celui-ci est difforme. Pour le protéger, Jerónimo crée dans un
de ses vastes domaines une société de monstres où la difformité est vécue comme
étant la normalité. Un ami de
Donoso, l´écrivain mexicain Carlos Fuentes (1928-2012), met en exergue dans son
œuvre La gran novela Latinoamericana (non traduit en français), l´originalité
de l´œuvre du grand romancier chilien, surtout dans ce roman : «Ce n´est
nullement le fruit du hasard que Humberto Peñaloza, le personnage muet de
l´œuvre majeure de Donoso, L´obscène oiseau de la nuit ait simultanément perdu
le parler (ou fait semblant de l´avoir perdu ou converti le silence en
l´éloquence même de l´origine de l´être parlant). Tout se passe dans les romans
de Donoso comme si nous exigions tous un discours à la fois nouveau et fort
ancien pour pouvoir marcher entre un monde qui n´est autre que la forêt des
symboles dont parlait Baudelaire (…)En tant que lecteur des lettres anglaises,
Donoso nous invite à suivre les préceptes imaginaires de Coleridge. L´écrivain
doit être avant tout un médiateur entre la sensation et la perception, rien
qu´à seule fin de dissiper ensuite toute liaison raisonnable entre les choses
avant de tout recréer avec une nouvelle imagination dépouillée de rationalisme
qui, en tout réduisant à un seul sens, sacrifie la signification même de l´acte
poétique qui consiste à multiplier le sens des choses. Comme Wittgenstein le
demande, dans L´Obscène oiseau de la nuit il n´y a pas davantage à dire, hormis
l´indicible : la poésie et le mythe».
Après ce roman, il y a une autre œuvre majeure de José Donoso, Casa de
Campo (1978) qui a conservé le même titre dans la traduction française. Casa de
Campo, comme son nom l´indique, est une maison de campagne somptueuse et baroque, perdue au milieu d'une
plaine inhospitalière rongée par la menace des anthropophages, et, dans ce
cadre, d'un esthétisme exquis où rôde l'angoisse. Une trentaine d'enfants -
pour un jour, pour un an, nul ne le sait – sont privés de leurs parents, les
riches Ventura : tel est le monde, volontairement irréel, que crée José
Donoso dans « Casa de Campo» et qu'il va faire s'effondrer dans les
convulsions d'une société agonisante. Roman fabuleux où, des gouffres noirs qui
se creusent sous l'or et la fortune, surgit un ordre monstrueux, précipité par
le départ des adultes vers une incertaine et immatérielle partie de campagne.
Sans aucun doute, cela évoque le Chili de la dernière décennie : ces
maîtres qui fuient, au propre et au figuré, une réalité devenue insupportable,
ces serviteurs chargés de réprimer les révoltes par un implacable majordome,
frère jumeau de Pinochet, ce médecin fou et idéaliste, qui parle comme Salvador
Allende, ces enfants aux discours savants qui offrent toute la gamme des
intellectuels, et ces indigènes, férocement écrasés par les valets avec la
bénédiction des maîtres. Mais, s'il est légitime de faire de « Casa de
Campo » une telle interprétation historique, ce roman a une portée
universelle qui met en cause les mécanismes aveugles de toute révolution. A
travers lui, José Donoso nous invite à une réflexion sur la liberté humaine et
ses limites.
On retient aussi de son œuvre richissime, entre autres titres, son ouvrage, El jardín de al lado (1981,
en français, Le
Jardin d’à côté) qui
lui permet de discourir sur son exil en Espagne et la
souffrance qu’il éprouve à être éloigné de son pays à cause de la dictature
d´Augusto Pinochet. Pourtant, en 1981, il est rentré au Chili après une
décennie et demie d´expatriation et ce fut en quelque sorte une descente aux
enfers. Quelques mois après avoir été arrêté pour avoir participé à une «
réunion politique non autorisée », il a publié, en 1986, le roman La
desesperanza (La
désespérance) dans lequel il aborde la tragédie politique chilienne
du point de vue de l’homme qui est revenu dans son pays après de longues années
d’exil.
Dans une thèse de doctorat soutenue en 2017 à l´Université du Chili,
Fabiola Pena von Appen dresse une comparaison entre le thème de la décadence
dans l´œuvre de José Donoso et dans celle du cinéaste chilien Silvio Caiozzi.
Il s´agit d´un travail
de création intime entre ces deux artistes qui circonscrivent le leitmotiv de
la décadence sous différents aspects tels que : la dégradation sociale, la
descente aux enfers de la famille, le déshonneur économique de la bourgeoisie
chilienne, la discrimination entre les classes sociales, entre autres. Pour Fabiola
von Appen, on trouve dans l´œuvre de José Donoso une forme classique d’aborder
le récit et une autre plus métaphysique et surréaliste. Bien que plusieurs de
ses romans contiennent des histoires fantastiques qui passent pour s'inscrire
dans le réalisme magique, Donoso a toujours maintenu une essence réaliste. Son œuvre
met en évidence la décadence de la
société chilienne et sa critique s’étend au-delà des facteurs économiques.
C´est aussi un tableau de la condition humaine.
Dans son
Dictionnaire amoureux de l´Amérique Latine (2), Mario Vargas Llosa évoque son
ami José Donoso et son œuvre d´une façon chaleureuse et admirative en
affirmant qu´il était le plus littéraire de tous les écrivains, non seulement
parce qu´il avait beaucoup lu et savait tout ce que l´on pût savoir sur les
vies, les morts et les anecdotes de la gent littéraire, mais aussi parce qu´il
avait façonné sa vie comme l´on façonne les fictions, avec l´élégance, les
gestes, les impudences, les extravagances, l´humour et l´arbitraire dont se
prévalent surtout les personnages du roman anglais, celui qu´il préférait parmi
tous.
Un autre ami déjà
cité plus haut, Jorge Edwards (voir la chronique de ce blog de mai 2011),
écrivait dans le quotidien espagnol El País (3) en 1996 après la mort de
José Donoso ce qui suit: «Avec sa persévérance, avec sa passion littéraire qui
ne faisait pas de concessions, il a fini par enfanter tout un monde, un miroir
déformé du nôtre qui nous dit, à travers sa déformation, des choses que nous avons le devoir de savoir
et que souvent nous n´acceptons pas».
Enfin, on termine
cette chronique sur cet extraordinaire écrivain chilien en reproduisant encore
une fois les paroles de Carlos Fuentes : «Les méthodes littéraires de José
Donoso, sa méditation perpétuelle entre sensation et perception, lui permettent
de jouer un délicat et mélancolique quatuor à cordes et aussi de mettre en scène
un opéra éblouissant, sombre et douloureux. On continuera d´écouter la musique
de ses sphères».
(1)José Donoso,
Historia personal del boom, 1972, inédit en français.
(2)Mario Vargas
Llosa, Dictionnaire amoureux de l´Amérique Latine, traduit de l´espagnol par
Albert Bensoussan, éditions Plon, Paris, 2005.
(3) Texte repris
dans Diálogos en un tejado (Dialogues sur un toit), éditions Tusquets, Madrid,
2003. Inédit en français.
lundi 3 juin 2024
Centenaire de la mort de Kafka.
Aujourd´hui, on signale le centenaire de la mort de Franz Kafka, un des plus grands écrivains du vingtième siècle. Vous pouvez lire sur ce blog la chronique que je lui ai consacrée en mai dernier.
mercredi 29 mai 2024
Chronique de juin 2024.
Guy Goffette,
l´enfance est ma patrie.
Pour la plupart des écrivains, la patrie est la langue qu´ils utilisent
pour véhiculer leurs idées et leur talent. On pourrait cependant ajouter à la
langue une autre patrie que d´aucuns revendiquent aussi : l´enfance. C´était,
sans l´ombre d´un doute, le cas de l´écrivain belge Guy Goffette. Né le 18
avril 1947 à Jamoigne, en Lorraine belge, et décédé tout récemment, le 28 mars,
il a été à tour de rôle enseignant, critique littéraire, bibliothécaire,
éditeur et surtout un passeur. Avec quelques amis, il a créé, en 1980, une
revue de poésie Triangle qui n´a connu que douze numéros et trois ans plus tard
L´Apprentypographe, qu´il composait et imprimait lui-même à la main. Cette
expérience a fini en 1987 et depuis l´auteur a consacré le plus clair de son
temps aux voyages, avant de devenir, un temps, libraire d´occasion.
Comme auteur, mais aussi comme membre du comité de lecture des éditions
Gallimard, à partir de 2000, il fut, avec Jean Grosjean et Jacques Réda, l´un
des grands animateurs de la vie poétique.
Son œuvre fut saluée, entre autres
récompenses, par le prix Mallarmé reçu pour Éloge pour une
cuisine de province en 1989, le grand prix de poésie de la
SGDL en 1999, le Grand Prix de Poésie de l´Académie Française en 2001 ou
le Grand Prix Goncourt de la Poésie en 2010. Cci en France. En Belgique, Guy Goffette a reçu entre autres le prix Maurice Carême,
le prix Félix Denayer de l’Académie de langue et de littérature françaises de
Belgique et le prix Rossel pour Une enfance lingère.
Né au sein d´une famille ouvrière, Guy Goffette a étudié à l´Ecole Normale
d´Arlon où son maître Vital Lahaye, poète lui-même,
lui a inculqué le virus de la poésie. Quand il était jeune, il a passé
quelques années d´internat dans une institution religieuse ce qui n´a fait
qu´aviver son goût de liberté. Un goût qui perce dans tous ses écrits,
soient-ils des récits ou des poèmes. On pourrait dire aussi de Guy Goffette qu´il
est un écrivain de l´errance, toujours en partance (un sentiment qui a inspiré
le titre d´un livre Partance et autres lieux, prix Valery Larbaud 2000), l´écrivain de la
douce mélancolie. Il aimait faire partager ses découvertes et l´interprétation
qu´il faisait de la vie de certains artistes, qu´on pourrait dénommer de
petites biographies sentimentales consacrées à Verlaine (Verlaine d´ardoise et de
pluie), au peintre Abel Bonnard (Elle, par bonheur et
toujours nue) et au poète
anglais W.H.Auden (Auden ou l´œil de la
baleine). Mais, comme nous l´écrivions plus haut, l´enfance est au
cœur de son œuvre, à fortiori dans des romans comme Un été autour du cou (2002) et Une enfance lingère (2006)
qui a reçu le prix Marcel Pagnol outre le prix Rossel. L´enfance de Guy
Goffette est celle de l´école buissonnière, de la naïveté, des trains, des
arbres, de la mer. Mais aussi l´enfance des premiers ébats amoureux ou à tout
le moins des rêves d´amour, fussent-ils grâce au parfum de jeunes filles en
fleur ou à celui de femmes mûres et charnelles.
Quoiqu´il en soit, Guy Goffette était, avant tout, un poète et c´est la vie
qui l´a toujours inspiré, au détour d´un chemin, d´un coin perdu, en faisant,
on l´a vu, l´ Éloge
pour une cuisine de province (collection poésie de Gallimard), en
évoquant les poètes de sa prédilection (Verlaine et Auden, déjà cités, et
aussi, entre autres, Pessoa, Saba, Pavese, Emily Dickinson, Mandelstam,
Hölderlin, Larbaud, Borges, Cavafy ou Yannis Ritsos).
La vie n´est parfois «Rien qu´un souffle» comme il l´écrit dans ce poème da La Vie promise :
«Oui, tout homme debout n´est qu´un souffle / poussière, dans la gorge ses
cris, ses pleurs, / ses chants d´amour et de déréliction, sable / du désir qui
s´enlise : mourir, / ne pas mourir, qu´importe après tout, / si la mer
n´est rien d´autre qu´un soupir / dans le rêve du ciel qui s´abandonne…». Mais
la vie - comme on peut lire dans Un manteau de fortune (Grand prix de
poésie de l´Académie Française 2001) - est également un « vieux piano d´herbes
vendu aux neiges de l´Ardenne » ou une des multiples « variations sur une
montée en tramway » ou enfin « Un dimanche à Lisbonne » à l´ombre du chanteur
de fado Alfredo Marceneiro*, où l´on nous dit que « …au loin une guitare
insinue / que rien n´existe sur la terre / comme l´absence, et que l´amour /
est toujours nu / Heureux les amants amarrés / que l´ombre garde au fond de
l´eau: / ils sont l´âme du diamant, / l´or du fado ».
À la fin, il y a toujours un poème, pour inonder notre cœur de bonheur,
même si vous ignorez au juste ce qu´est un poème. Il est peut-être ce que Guy
Goffette a écrit un jour : « Et si le poème, c´était plus simplement / ce
qui reste en souffrance dans la déchirure / du ciel, comme une valise sans
couleur / un gant dans l´herbe - et le rayon de soleil / s´amuse avec les
serrures, l´agrafe en fer blanc / cependant que nous restons en retrait /
empêtrés dans nos ombres / comme un enfant grandi trop vite / et qui ne sait
plus rire ».
Sur le site de Gallimard, à sa mort, on a écrit des lignes qui témoignent
on ne peut mieux du parcours de vie et de l´originalité de l´œuvre de Guy
Goffette : «Attachée à porter un regard émerveillé sur le monde, sa poésie
est empreinte d´un lyrisme sans emphase, toujours juste et sincère, laissant
entendre des notes d´amertume, de nostalgie et d´humour. Elle est toujours un
acte de conviction». Et l´on a rappelé une phrase de Guy Goffette
lui-même : «La poésie est une manière différente, plus riche, plus libre
et plus intime d´habiter la langue. Ne raisonnant pas, la poésie raisonne».
En Belgique, le pays où il est né, sa mort a également plongé le monde
littéraire dans la consternation. Objectif Plumes, le portail des littératures
belges, n´a pas manqué de rappeler que ce qui séduisait et retenait Guy
Goffette l´exaltait et le mettait dans un énorme enthousiasme : les poèmes qu'il écrivait ou dont il rêvait
déjà, les poètes qu'il lisait, les anciens comme les modernes, sur lesquels il
écrivait, prose ou poésie, les textes qu'il choisissait jadis d'imprimer, les
voyages qu'il faisait, les êtres, hommes ou femmes, qu'i rencontrait : «C´est
assurément un passionné, un tourmenté aussi, qui vibre, crée, vit intensément
et se donne à chaque fois tout entier à ce qu'il fait. Sa poésie va des chemins
de la révolution à l'approfondissement des contradictions intérieures (rester
vs partir), des évasions rêvées à l'enracinement regretté (une fois qu'il est
parti ou bien quand il revient). Elle est grave (obsession du temps qui fuit,
du néant), dynamique, ouverte aux vents de l'inspiration (diversité des thèmes)
et n'est certes pas arrivée au terme de son évolution».
Néanmoins, une des meilleures épitaphes sur Guy
Goffette, on l´a lue le 5 avril dans les colonnes du quotidien Libération sous
la plume de Jean-Marie Laclavetine ; « ll
faut être natif d’Hollywood pour croire que les poètes forment des cercles et
disparaissent. Les poètes ne disparaissent pas, ils brisent les cercles, filent
en zigzag, furètent, passent par ici, repassent par là. On ne les voit qu’à la
nuit tombée, comme la plupart des animaux sauvages. Il faut pour cela avoir
l’œil exercé, et accepter de délaisser un moment la mangeoire cathodique. Guy
Goffette n’a pas disparu. Il reste à jamais un poète en maraude, un grand
chapardeur de regards et de corps, un arrière-cousin de Villon et Rimbaud. Il
vole des fleurs d’absinthe au bistrot de Verlaine, il en fait des bouquets pour
les offrir aux femmes qui passent (et restent parfois). S’il vagabonde, ce
n’est pas pour s’éloigner à tout prix de ses Ardennes d’élection, son pays de
loups gris, de sapins bleus et de tabac, mais plutôt pour en éprouver la
nostalgie toujours fraîche. Il n’aspire à rien d’autre qu’à planter de la fumée
sur le bord des fossés».
*Un des plus grands noms du fado, né à Lisbonne en 1891 et mort dans la
même ville en 1982.
vendredi 24 mai 2024
Article pour Le Petit Journal Lisbonne.
Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Guerre et Pluie de l´écrivain Velibor Colic, disponible chez Gallimard.
https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/guerre-et-pluie-un-roman-de-velibor-colic-385886