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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

lundi 21 octobre 2024

Centenaire de la naissance d´António Ramos Rosa.

 


Jeudi dernier, 17 octobre, on a signalé le centenaire de la naissance à Faro d´Antonio Ramos Rosa, immense poète portugais, décédé à Lisbonne le 23 septembre 2013.

Sa région natale, l´Algarve, constitue l'essence de son inspiration. Ses textes expriment son rejet de l'oppression sociale et l´attachement à la condition humaine.

En 1951, il fonde la revue Arvore, qui devient un moyen d'expression pour de grandes plumes de la poésie française comme René Char et Paul Éluard. Il est emprisonné sous le régime de Salazar, l'Estado Novo, qu'il désapprouve.

Au cours d'une carrière longue de trente-cinq ans, il signe pas moins d'une centaine d'œuvres, dont Le livre de l'ignorance et le Dieu nu qui lui valent d'obtenir d´importants prix littéraires.

jeudi 10 octobre 2024

Han Kang couronnée du Prix Nobel de Littérature 2024.

 


Le comité Nobel a récompensé la romancière sud-coréenne Han Kang, jeudi 10 octobre. Han Kang, qui écrit des  poèmes, des  nouvelles et des romans en coréen, a été récompensée « pour sa prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine », a expliqué le jury dans un communiqué. Parallèlement à l’écriture, elle s’est également consacrée à l’art et à la musique, ce qui se reflète dans l’ensemble de sa production littéraire. « L’œuvre de Han Kang se caractérise par cette double exposition de la douleur, une correspondance entre le tourment mental et le tourment physique, en lien étroit avec la pensée orientale », a précisé l´Académie suédoise.

L’autrice est née le 27 novembre 1970 à Gwangju, en Corée du Sud, et elle est la première sud-coréenne à remporter le Prix Nobel de Littérature. 

Fille de l’écrivain Han Sung-won, l’autrice a reçu le prix Emile-Guimet de littérature asiatique en 2024.


vendredi 4 octobre 2024

Centenaire de la naissance de José Donoso.


 On signale ce samedi 5 octobre le centenaire de la naissance de José Donoso, un des plus grands écrivains chiliens du vingtième siècle, décédé en 1996. Vous pouvez chercher dans les archives de ce blog la chronique que je lui ai consacrée il y a quelques mois(chronique de juillet 2024).

lundi 30 septembre 2024

La mort de Jacques Réda.

 


On vient d´apprendre la mort aujourd´hui même , le 30 septembre, du poète français Jacques Réda, né le 24 janvier 1924.

On reproduit ici la notice nécrologique que les éditions Gallimard ont publiée sur son site internet:

«(...)Poète et critique à l’œuvre abondante et variée, nourrie de son amour pour la science, le jazz et la toponymie urbaine (et pour mille autres choses encore), il fut lecteur puis éditeur chez Gallimard à partir de 1975 et membre du comité de lecture à partir de 1983, ainsi que rédacteur en chef de La Nouvelle Revue française de septembre 1987 à décembre 1995.

Par ses œuvres comme par l’attention qu’il ne cessa de porter aux autres écrivains de son temps, cet homme de revues, grand admirateur de Charles-Albert Cingria, témoigna de son attachement à une littérature de création qui sache tenir toutes ses promesses d’expression et de vérité humaine, sans jamais se défaire du lien avec le lecteur, la nature et le monde comme il va.

Salué par le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1997, il a publié la plus grande part de son œuvre aux Éditions Gallimard après qu’il y a été accueilli dans la collection "Le Chemin" de Georges Lambrichs en 1968 ("Amen").

Cette œuvre s’est poursuivie jusqu’à la publication récente du cinquième tome de sa "Physique amusante" et des "Leçons de l’arbre et du vent", où il écrivait :

« Il est une forêt sans borne où je voudrais / M’enfoncer, en mourant, loin de la médecine // […] J’y prendrai tout doucement racine / Quitte de mes devoirs et de mes intérêts / Dans l’absence de temps où l’Arbre se dessine. »

Le départ de Jacques Réda laisse un grand vide pour tous ses amis qui aimaient tant sa compagnie, la finesse de son esprit, son humour et les attentions touchantes de sa très belle personnalité».


dimanche 29 septembre 2024

Chronique d´octobre 2024.

 


Le réalisme spirituel chrétien de Raymonde Vincent.

 

En 1937, le roman d´une jeune berrichonne a défrayé la chronique en remportant à la surprise générale le Prix Femina devant des concurrents de poids comme Henri Bosco et Robert Brasillach qui s´étaient déjà fait remarquer par des romans précédents. La jeune berrichonne répondait au nom de Raymonde Vincent et  Campagne était à vrai dire son tout premier roman. L´ouvrage a paru aux éditions Stock avec un avertissement un tant soit peu atypique que l´on reproduit ici : «L´authenticité de ce livre est inscrite à chacune de ses pages. Il nous paraît cependant intéressant de préciser que Campagne est dû à une jeune femme née dans une famille paysanne du Berry, qu´elle ne quitta qu´à l´âge de dix-sept ans, sans avoir reçu d´autre instruction que le catéchisme. Ajoutons qu´il ne s´agit nullement ici d´une autobiographie».

En évoquant cet ouvrage et cette autrice que les éditions Le Passeur dans sa collection «Les pages oubliées» ont permis aux lecteurs les plus jeunes de découvrir, on met d´ordinaire l´accent sur les origines paysannes de Raymonde Vincent et sur son apprentissage d´autodidacte. En effet, Raymonde Vincent est née le 23 septembre 1908 à Villours, hameau de la commune d´Argy (Indre), près de Châteauroux dans la vieille région historique du Berry, au sein d´une famille de cultivateurs. La mort prématurée de sa mère, Cécile Eugénie Guilpain, en 1912, a fait en sorte que Raymonde fût appelée à assumer des responsabilités attribuées d´habitude à des filles un peu plus âgées, même dans une époque où l´éducation des femmes était plus négligée. Confiée à sa grand-mère, Raymonde tenait déjà très jeune la maison de son père Auguste Aimable Vincent, métayer exploitant une ferme dépendant du château de la Lienne, à Saint-Maur. Elle participait aux travaux de la ferme où elle habitait comme gardienne de chèvres et ne fut pas scolarisée. Elle a appris seule à lire en déchiffrant le journal et en ânonnant le catéchisme. À l´âge de 13 ans, elle fut engagée, comme de nombreuses filles de la campagne à l´époque, dans les ateliers de confection près de  Châteauroux, l´usine aux Cent mille chemises, mais elle ne s´y plaisait guère.

En 1925, à l´âge de 17 ans, elle est partie à Paris pour y mener une vie meilleure. Les premiers temps ont été fort difficiles. Elle n´a trouvé que de menus emplois qui lui permettaient à peine de joindre les deux bouts. Néanmoins, petit à petit, elle est parvenue à gagner de l´argent en tant que modèle pour des peintres de Montparnasse dont Christian Caillard, Georges Klein et Alberto Giacometti qui lui ont ouvert les portes du monde de la culture et des arts. C´est dans un café alors à la mode, le Dôme, situé dans le quartier de Montparnasse, lieu de rassemblement des artistes de la rive gauche et de la colonie littéraire américaine, qu´elle a rencontré Albert Béguin, critique littéraire, traducteur et essayiste né en Suisse qui deviendra plus tard un des intellectuels les plus respectés en France, directeur dès 1946 de la prestigieuse revue Esprit. Raymonde Vincent l´a épousé en 1929 et grâce à lui elle a fréquenté Louis Aragon, Georges Bernanos, André Lhote, Pierre Emmanuel et Jean Giraudoux. Avec Albert Béguin, elle a beaucoup voyagé et découvert la littérature. Pourtant, l´amour entre Raymonde et Albert s´est effiloché au fil du temps si tant est qu´il eût jamais vraiment existé de la part d´Albert. Après l´avoir enivrée de lectures et de voyages, il a laissé sa femme à son sort en 1932 dans la grisaille du Berlin de l´entre -deux-guerres où ils vivaient à l´époque. Il lui a brutalement écrit qu´il ne l´aimait plus, qu´à vrai dire il ne l´avait jamais aimée. Après une première séparation, ils ont divorcé après la Seconde Guerre Mondiale. Raymonde n´a jamais rien reproché à Albert, ayant même délaissé la littérature pour demeurer aux côtés de son ancien mari et l´accompagner jusqu´à sa mort dans sa résidence romaine en 1957. C´est néanmoins Albert Béguin qui a encouragé celle qui était encore sa femme à cultiver son talent littéraire et artistique et à publier son premier roman.

C´est la nostalgie de son passé de paysanne qui a inspiré à Raymonde Vincent son roman Campagne, un roman qui s´est développé dans son esprit au fil des années au fur et à mesure que son écriture et ses connaissances littéraires mûrissaient. Dans son autobiographie Le temps d´apprendre à vivre, rédigée  en 1982 au crépuscule de sa vie –trois années avant sa mort, survenue le 5 janvier 1985 -, Raymonde Vincent écrit que Campagne est venue en elle comme une vision. Elle est assise à sa table d´écriture, quand subitement la tante Victoire de ses jeunes années, qui sera celle de son roman, lui apparaît telle une idole sacrée : «Tu es d´une autre race, souviens-t´en» semble-t-elle lui dire. C´est ce que nous rappelle le comédien et scénariste Renan Prévot dans sa belle préface de la réédition de 2023 aux éditions Le Passeur.

Campagne, un roman d´une écriture épurée et d´une grande finesse d´émotion, raconte l´histoire de Marie, une jeune paysanne orpheline, élevée en marge du monde et bientôt «exilé» avec sa grand-mère dans les communs d´un château. La Première Guerre Mondiale se profile en arrière-plan, tandis que l´adolescente mûrit dans un environnement aussi rude qu´idyllique qui l´ouvrira à la maternité. Un roman où le temps s´écoule à la vitesse de la nature, un manifeste pour le rêve et l´aspiration au sacré dans le quotidien.

Lors de sa sortie, le livre a fait l´objet des commentaires les plus élogieux. Phénomène populaire –qui ne va pas sans rappeler celui de Marguerite Audoux avec Marie-Claire en 1910 -, il fut plébiscité par toutes les classes et salué par Paul Claudel, Léon Daudet et Charles-Ferdinand Ramuz. On l´a lu dans les couvents. On dit qu´un curé de Châteauroux l´a cité  pendant un prêche et que même Hollywood s´y est intéressé !

Le livre fut accompagné d´une prière d´insérer d´Albert Béguin où il témoignait comment il avait suivi l´éclosion de Campagne dans la vie de son épouse : «Le projet de Campagne ne prit corps qu´après de longues années, qui furent celles à la fois d´un tenace effort vers la culture, et celles du dépaysement douloureux dans le monde des villes. Au terme de cette période, Raymonde Vincent éprouva le besoin impérieux de saisir par l´écriture la beauté qu´elle avait entrevue dans son enfance et qui se révélait à elle, maintenant comme liée au sens même de l´existence». Plus loin, il écrit : «Seule la transfiguration esthétique pouvait faire revivre l´enfance lointaine, non pas dans sa simple vérité de fait, mais dans la signification qu´elle prenait désormais pour Raymonde Vincent. L´œuvre entreprise serait ainsi la confession de celle qui –ayant eu ce rare destin d´une existence à peu près abandonnée à elle-même, puis de pénétrer brusquement dans le monde de la culture –tente d´unir ces deux expériences, pour en faire un unique témoignage».

Une des meilleures définitions de Campagne, on la trouve sous la plume de Renan Prévot dans la préface citée plus haut : «L´anonyme roman de la tragédie du monde».

Le succès de Campagne a permis à Raymonde Vincent de louer le château de Laleuf, près de Saint-Maur, dans l´Indre, où elle avait grandi, mais si le succès de Campagne ouvrait la voie à une carrière littéraire sous les meilleurs auspices, les livres suivants malgré des critiques souvent favorables, n´ont pourtant pas suscité le même enthousiasme.
Avec Blanche, son deuxième roman, Raymonde Vincent poursuit ce qu´elle a nommé son réalisme spirituel chrétien. Encore une fois, Renan Prévot, nous aide à déchiffrer l´univers de Raymond Vincent : «C´est avec le second fragment d´une œuvre encore à l´état natif que Raymonde Vincent trace le sillon d´un genre poétique autonome, dédaigneux de tout semblant de naturalisme. En seulement deux années, l´écrivain a posé les bases de son style, adoptant une forme purement romanesque, sans les charmes factices de beaucoup d´écrivains de terroir. Plus encore, elle y infuse peu à peu un climat vicié, légèrement transgressif, où le corps féminin accuse une quotidienneté de l´oppression patriarcale». Cette citation, on la retrouve dans une autre préface, celle qui accompagne Elisabeth, chronologiquement le troisième roman de Raymonde Vincent. De ce roman, Paul Claudel a dit qu´il appréciait la délicatesse ravissante et la spiritualité exquise. Nombre de critiques s´accordent à reconnaître qu´il s´agit de l´œuvre la plus pure et la plus spirituelle de Raymonde Vincent.

On retrouve dans ce roman- débuté à l´été 1939, mais publié en 1943 -le désenchantement d´une génération, celle des jeunes écrivains partisans d´un réalisme chrétien à l´aube de la Seconde Guerre Mondiale. L´héroïne est éprise de légèreté, elle cherche le paradis sous le poids de la conscience de son incarnation pour répondre à son «envie de pleurer et de parler à l´invisible avec les mots que l´on trouve toujours pour un être unique, des mots d´amour». À l´heure d´aborder son récit, Raymonde Vincent a appris la mort subite de son père, ce qui lui a inspiré le texte Le Père.

Jusqu´à la fin de sa vie, Raymonde Vincent a encore écrit une demi-douzaine de romans dont Les noces du matin (1950), La couronne des innocents (1962) ou son autobiographie Le temps d´apprendre à vivre (1982), citée plus haut. En 1991, les éditions Christine Pirot ont publié à titre posthume Hélène. Néanmoins, avant sa mort, elle était déjà tombée dans l´oubli. À la fin des années cinquante, son étoile avait considérablement pâli tant et si bien que, dans la revue L´Œuvre, l´écrivain André Billy, craignant qu´à Raymonde Vincent ne soit réservé le sort de Marguerite Audoux,  écrivait en janvier 1958 ce qui suit : «Les phénomènes ne font plus recette ; nous n´en sommes plus à nous étonner de voir une jeune analphabète écrire un chef-d´œuvre. Nous savons que le génie souffle où il veut, qu´il est capricieux et pervers, et qu´il lui arrive d´abandonner à eux-mêmes des écrivains qu´il a inspirés à leurs débuts, comme des suborneurs abandonnant leurs maîtresses après leur avoir fait un enfant. Ce fut la triste aventure de Marguerite Audoux, sur qui pesa jusqu´à la fin le souvenir de son premier roman ; les suivants furent loin de le valoir. Je souhaite très sincèrement à Raymonde Vincent une destinée moins mélancolique».

Heureusement, les éditions Le Passeur sont en train de retirer du limbe les œuvres de Raymonde Vincent, une décision que l´on ne peut que saluer. Aussi nombre de lecteurs ont-ils beau jeu de plonger dans l´univers idyllique et spirituel d´une romancière dont la mémoire mérite d´être préservée et cultivée.      

 

Œuvres de Raymonde Vincent récemment rééditées par les éditions Le Passeur :

Campagne, suivi de Se souvenir de ma mère (inédit), préface de Renan Prévot, mai 2023.

Élisabeth, suivi de Le Père (inédit), préface de Renan Prévot, mai 2024.     

Le roman Campagne vient d´être édité aussi en poche chez J´ai Lu (août 2024).

A lire également sur Raymonde Vincent l´essai de Rolland Hénault, Raymonde Vincent, Chrétienne et libertaire, préface de François Gerbaud, éditions La Bouinotte, 2006.

 

jeudi 26 septembre 2024

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

 Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Houris de Kamel Daoud, publié aux éditions Gallimard.

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/livre-houris-un-roman-de-kamel-daoud-393406




jeudi 29 août 2024

Chronique de septembre 2024.

 


L´Amérique de Sinclair Lewis.

                           

A deux mois des élections présidentielles américaines, peut-être aura-t-on envie de lire, comme ce fut déjà le cas en 2016, le roman It can´t happen here (en français, Impossible ici). Ce roman, publié aux États-Unis en 1935 et paru en français en 1937 chez Gallimard, était inspiré en quelque sorte par la poussée de l´extrême-droite en Europe et par la croisade menée contre le président Roosevelt par le gouverneur de l´État de la Louisiane Huey Long, soutenue par le prêtre ultra- conservateur d´origine canadienne Charles Coughlin. L´auteur de ce roman –écrit en l´espace de deux mois à peine - a donc pondu une intrigue où un homme politique, Buzz Windrip, gagne la présidentielle américaine en 1936 avec un programme populiste promettant du bonheur pour tout le monde. Néanmoins, après l´investiture, il élimine petit à petit les garanties civiles, annonce que l´Union Soviétique et le Mexique constituent de sérieuses menaces, décide de blinder la frontière, proclame la loi martiale, fait assassiner les dissidents et promeut l´effritement du système. Le personnage principal du roman est Doremos Jessup, un journaliste libéral de l´État du Vermont (curieusement, l´État de l´actuel sénateur Bernie Sanders du Parti Démocrate) qui a du mal à accepter que le peuple soit subjugué par un clown néo-fasciste, mais se rend compte que beaucoup se complaisent dans ce délire. Doremos Jessup se radicalise, est arrêté, parvient à s´échapper et passe à la clandestinité. Ce roman est devenu un best-seller et son adaptation théâtrale fut jouée pendant cinq ans.

 Quelques décennies plus tard, l´écrivain Philip Roth dans son uchronie The Plot against America (La conspiration contre l´Amérique) imagine que l´aviateur conservateur et isolationniste Charles Lindbergh aurait battu Roosevelt aux élections. Tant Lindbergh que Buzz Windrip avaient avant la lettre une phraséologie proche de celle de Donald Trump.

L´auteur du roman It can´t happen here (Impossible ici) est aujourd´hui plutôt oublié, mais il fut autrefois un romancier et un dramaturge assez populaire et considéré un écrivain majeur dans les années vingt et trente du vingtième siècle: Sinclair Lewis, le premier écrivain américain à avoir obtenu, en 1930, le Prix Nobel de Littérature.

Sinclair Lewis est né le 7 février 1885 à Sauk Centre, un petit village du Minnesota, fondé en 1857 et qui a inspiré Main Street, le roman que le futur écrivain publiera au tout début des années vingt. Son père, Edwin J. Lewis, était un honnête et sévère médecin de campagne dont la discipline et la ponctualité étaient assez proverbiales. Il a pris une part active à la vie de la communauté en tant que membre des conseils scolaires et de la Bibliothèque. Sa mère, Emma Kermott, souffrait de tuberculose et est morte en 1891.

En raison de la mort prématurée de sa femme, Edwin J. Lewis a dû s´occuper seul de trois enfants (Sinclair et ses deux frères aînés Fred et Claude). Pressé par ses amis de leur trouver une mère, Edwin J. Lewis s´est remarié en 1892 à Isabel Werner, une femme que la chronique décrit comme réservée et maternelle.

Enfant solitaire, Sinclair rêvait d´aventures et de voyages pour échapper à la monotonie de la vie dans son petit village. Ses lectures n´ont fait qu´accentuer son goût de l´aventure. Charles Dickens, Walter Scott, George Grote et Henry Longfellow comptaient parmi ses écrivains préférés. Son goût de l´aventure et son désir de socialisation l´ont poussé à s´enrôler, à l´âge de 13 ans, comme tambour (musicien militaire) dans l´armée, une expérience qui n´a pas longtemps duré.   

Après des études secondaires à Oberlin College, un collège protestant dans l´Ohio, il s´est inscrit à l´Université  de Yale d´où il n´est sorti diplômé qu´en 1908 puisqu´il avait -quoique brièvement- interrompu ses études universitaires, d´abord pour intégrer Helicon Hall, la colonie coopérative fondé par l´écrivain socialiste Upton Sinclair dans le New Jersey, puis pour se rendre au Panama. Avant de devenir dans les années vingt un illustre écrivain, il a travaillé pour des maisons d´édition et a fréquenté plusieurs écrivains de gauche dont, on l´a vu, Upton Sinclair, Jack London et John Reed.

Ses premiers romans étaient plutôt médiocres. Il a vécu ses premières années d´écriture grâce à des nouvelles au ton optimiste publiées -parfois sous pseudonyme - dans des revues à grand tirage comme Collier´s et le Saturday Evening Post.

C´est enfin au début des années vingt que Sinclair Lewis a vraiment entamé une carrière d´écrivain prestigieux. Ses romans sont des chroniques naturalistes de la société américaine moderne, de ses petites villes, de sa classe moyenne aisée. Ils sont également un portrait au vitriol de la bigoterie et de l´hypocrisie de la société américaine. Dans ses romans, Sinclair Lewis s´attaque aussi à la vulgarité affairiste et consumériste ainsi qu´à la monotonie des villes américaines.

Le déclic s´est produit avec la parution de Main Street (Grand -Rue) en 1920. Ce roman est une critique acerbe de la vie de province du midwest américain, inspiré de la jeunesse de l´auteur à Sauk Center (déguisée sous le nom de « Gopher Prairie »). Il est devenu un véritable phénomène d'édition, ayant vendu plus de 100 000 exemplaires en à peine quatre mois. Le roman fut le plus grand livre à succès du premier quart de siècle aux États-Unis et a également connu un succès critique. Le comité d'attribution du Prix Pulitzer lui a néanmoins préféré The Age of Innocence (L'Âge de l'innocence) d'Edith Wharton que Lewis admirait et à qui il a dédicacé son roman suivant. Main Street tourne autour du personnage de Carol Milford, originaire de la (relativement) grande ville de Saint-Paul, Minnesota, qui s'installe à Gopher Prairie après son mariage avec le médecin local, le Dr. Kennicott. Romantique et idéaliste, Carol pense pouvoir embellir et moderniser la petite bourgade conservatrice, mais sera plutôt étouffée par son milieu.

Le succès retentissant de Main Street a fait de Sinclair Lewis le chef de file de l'école réaliste  américaine. Son roman suivant, Babbitt publié en 1922, est lui aussi devenu un classique. Il met en scène George F. Babbitt, agent immobilier prospère, pilier de la chambre de commerce de la ville de Zenith, obsédé par les valeurs matérielles, et pourtant frustré par son existence centrée sur l'argent et la consommation. L'action se situe dans l'État américain imaginaire du Winnemac. Le roman, satirique, présente le premier portrait de l'Amérique des années vingt, obsédée par la spéculation foncière et l'acquisition d'objets de consommation, devenus abordables, comme les automobiles ou les réfrigérateurs. Cette classe moyenne en voie d'embourgeoisement ignore complètement l'art et la littérature.

Le livre suivant, Arrowsmith, paru en 1925, est un roman mettant en scène un jeune médecin idéaliste confronté à une profession aussi avide d'argent et de prestige que le milieu des affaires de Babbitt. Arrowsmith s´est vu décerner le Prix Pulitzer, mas Lewis le refuse, affirmant qu'il devrait être accordé à un texte mettant en valeur les qualités positives de l'Amérique, et non à un roman critique comme le sien.

Dans les années vingt, Sinclair Lewis a encore publié d´autres romans qui ont assis sa réputation de grand écrivain dont Elmer Gantry (1927) et Sam Dodsworth(1929). Elmer Gantry est l´histoire d'un ancien joueur de football américain devenu prêcheur itinérant. Elmer Gantry, charlatan cynique, malhonnête et alcoolique, s'élève dans la société grâce à la religion. L écrivain s'inspire ici de la figure de Billy Sunday  ex-joueur vedette de baseball, devenu le prêcheur protestant le plus célèbre de son époque au tournant du XXe siècle. Sam Dodsworth est souvent considéré comme le dernier roman classique de Sinclair Lewis. Il raconte l'histoire d'un couple d'Américains dont le mariage s'effondre lors d'un voyage en Europe.

À cette époque, Sinclair Lewis était l´écrivain américain le plus connu au monde et quasiment toutes ses œuvres vont être adaptées au cinéma. En 1930, son œuvre fut couronnée du Prix Nobel de Littérature. Il fut le premier écrivain américain à être honoré de cette distinction. Dans son discours de remerciement intitulé La peur américaine de la Littérature, il a rappelé les appels au lynchage dont il avait été victime. Il a également dénoncé l'intolérance de son pays à l'égard des écrivains ne glorifiant pas la « simplicité bucolique et puritaine de l'Oncle Sam » et l'individu américain, « grand, beau, riche, honnête et bon golfeur ».

Toujours d´après Sinclair Lewis, le réalisme social littéraire décrivant ces changements est vertement critiqué, au nom d'un idéal de vie américain vertueux défendu par les institutions universitaires et les académies des arts. Pourtant, il a rappelé que la nouvelle génération d'écrivains américains (Faulkner, Wolfe, Willa Cather, Theodore  Dreiser et Hemingway, par exemple) s'était déjà émancipée de ce que Lewis nommait un provincialisme ennuyeux, pour décrire l'Amérique telle qu'elle était. Aussi espérait- il voir son pays abandonner sa peur puérile de la littérature réaliste et satirique, pour parvenir à se doter de ce qui lui manquait, en dépit de ses richesses et de sa puissance, à savoir une civilisation assez bonne pour satisfaire les désirs profonds de l'être humain».

Cependant, la consécration suprême coïncide en quelque sorte avec une nette baisse de qualité de ses œuvres. Seul It can´t happen here (Impossible Ici) publié, on l´a vu, en 1935 a atteint les sommets de ses livres précédents. Les livres parus dans les années trente et quarante - hormis It can´t happen here- se vendent très peu. Sa vie familiale était elle aussi plutôt instable. Il s´est marié et divorcé deux fois au cours de sa vie (sa première épouse fut Grace Livingstone Hegger, éditrice du magazine Vogue et la deuxième, la journaliste Dorothy Thomson) et il a eu deux enfants : de sa première femme est né Wells (prénom choisi en hommage à l´auteur de la Guerre des Mondes), qui s´est tué en France lors de la Seconde Guerre Mondiale, et de la deuxième, Michael. Au tout début les années quarante, il a vu une lueur d´espoir dans l´enseignement. Il a commencé à donner avec un énorme enthousiasme, d´après les chroniques, un cours d´écriture créative (creative writing, en anglais) à l´Université du Wisconsin-Madison, Soudain, après cinq leçons données à un groupe de vingt-quatre étudiants triés sur le volet, il a annoncé qu´il leur avait déjà enseigné tout ce qu´il savait et a abandonné Madison le lendemain. 

Les dernières années de sa vie, il les a vécues en voyageant de chambre d´hôtel en chambre d´hôtel et en sombrant dans ce que l´écrivain argentin Alan Pauls a dénommé comme le service militaire obligatoire de l´écrivain nord-américain, c´est-à-dire, l´alcoolisme.

Sinclair Lewis est mort le 10 janvier 1951, à l´âge de 65 ans, à Rome lors d´un de ses nombreux voyages. Il est enterré au cimetière Sauk Centre, le village où il est né.

William Shirer, un ami de Sinclair Lewis s´est prononcé un jour sur son importance dans l´histoire de la littérature américaine. Il a affirmé ce qui suit : «Ils sont assez nombreux les critiques littéraires qui ne tiennent pas Sinclair Lewis pour un grand romancier. Peut-être n´ont-ils pas tort, si on le compare à Hemingway, Dos Passos, Scott Fitzgerald  ou Faulkner. Lewis manquait de style. Pourtant, la répercussion de ses romans sur la vie américaine moderne fut supérieure à celle des quatre autres écrivains réunis».

Peut-être le succès récent du roman It can´t happen here (Impossible ici) sera-t-il le début de la redécouverte de l´œuvre importante de Sinclair Lewis.