On signale ce samedi 5 octobre le centenaire de la naissance de José Donoso, un des plus grands écrivains chiliens du vingtième siècle, décédé en 1996. Vous pouvez chercher dans les archives de ce blog la chronique que je lui ai consacrée il y a quelques mois(chronique de juillet 2024).
La plume dissidente
«L´enfer, c´est un endroit sans livre»-Elie Wiesel.
Qui êtes-vous ?
- Fernando Couto e Santos
- Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.
vendredi 4 octobre 2024
lundi 30 septembre 2024
La mort de Jacques Réda.
On vient d´apprendre la mort aujourd´hui même , le 30 septembre, du poète français Jacques Réda, né le 24 janvier 1924.
On reproduit ici la notice nécrologique que les éditions Gallimard ont publiée sur son site internet:
«(...)Poète et
critique à l’œuvre abondante et variée, nourrie de son amour pour la science,
le jazz et la toponymie urbaine (et pour mille autres choses encore), il fut
lecteur puis éditeur chez Gallimard à partir de 1975 et membre du comité de
lecture à partir de 1983, ainsi que rédacteur en chef de La Nouvelle Revue
française de septembre 1987 à décembre 1995.
Par ses œuvres
comme par l’attention qu’il ne cessa de porter aux autres écrivains de son
temps, cet homme de revues, grand admirateur de Charles-Albert Cingria,
témoigna de son attachement à une littérature de création qui sache tenir
toutes ses promesses d’expression et de vérité humaine, sans jamais se défaire
du lien avec le lecteur, la nature et le monde comme il va.
Salué par le
Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1997, il a publié la plus
grande part de son œuvre aux Éditions Gallimard après qu’il y a été accueilli
dans la collection "Le Chemin" de Georges Lambrichs en 1968
("Amen").
Cette œuvre
s’est poursuivie jusqu’à la publication récente du cinquième tome de sa
"Physique amusante" et des "Leçons de l’arbre et du vent",
où il écrivait :
« Il est une
forêt sans borne où je voudrais / M’enfoncer, en mourant, loin de la médecine
// […] J’y prendrai tout doucement racine / Quitte de mes devoirs et de mes
intérêts / Dans l’absence de temps où l’Arbre se dessine. »
Le départ de Jacques Réda laisse
un grand vide pour tous ses amis qui aimaient tant sa compagnie, la finesse de
son esprit, son humour et les attentions touchantes de sa très belle
personnalité».
dimanche 29 septembre 2024
Chronique d´octobre 2024.
Le réalisme spirituel chrétien de Raymonde Vincent.
En 1937, le roman d´une jeune berrichonne a défrayé la chronique en
remportant à la surprise générale le Prix Femina devant des concurrents de
poids comme Henri Bosco et Robert Brasillach qui s´étaient déjà fait remarquer
par des romans précédents. La jeune berrichonne répondait au nom de Raymonde
Vincent et Campagne était à vrai dire
son tout premier roman. L´ouvrage a paru aux éditions Stock avec un
avertissement un tant soit peu atypique que l´on reproduit ici :
«L´authenticité de ce livre est inscrite à chacune de ses pages. Il nous paraît
cependant intéressant de préciser que Campagne est dû à une jeune femme née
dans une famille paysanne du Berry, qu´elle ne quitta qu´à l´âge de dix-sept
ans, sans avoir reçu d´autre instruction que le catéchisme. Ajoutons qu´il ne
s´agit nullement ici d´une autobiographie».
En évoquant cet ouvrage et cette autrice que les éditions Le Passeur dans
sa collection «Les pages oubliées» ont permis aux lecteurs les plus jeunes de
découvrir, on met d´ordinaire l´accent sur les origines paysannes de Raymonde
Vincent et sur son apprentissage d´autodidacte. En effet, Raymonde Vincent est
née le 23 septembre 1908 à Villours, hameau de la commune d´Argy (Indre), près
de Châteauroux dans la vieille région historique du Berry, au sein d´une
famille de cultivateurs. La mort prématurée de sa mère, Cécile Eugénie
Guilpain, en 1912, a fait en sorte que Raymonde fût appelée à assumer des
responsabilités attribuées d´habitude à des filles un peu plus âgées, même dans
une époque où l´éducation des femmes était plus négligée. Confiée à sa
grand-mère, Raymonde tenait déjà très jeune la maison de son père Auguste
Aimable Vincent, métayer exploitant une ferme dépendant du château de la Lienne,
à Saint-Maur. Elle participait aux travaux de la ferme où elle habitait comme
gardienne de chèvres et ne fut pas scolarisée. Elle a appris seule à lire en
déchiffrant le journal et en ânonnant le catéchisme. À l´âge de 13 ans, elle
fut engagée, comme de nombreuses filles de la campagne à l´époque, dans les
ateliers de confection près de
Châteauroux, l´usine aux Cent mille chemises, mais elle ne s´y plaisait
guère.
En 1925, à l´âge de 17 ans, elle est partie à Paris pour y mener une vie
meilleure. Les premiers temps ont été fort difficiles. Elle n´a trouvé que de
menus emplois qui lui permettaient à peine de joindre les deux bouts.
Néanmoins, petit à petit, elle est parvenue à gagner de l´argent en tant que
modèle pour des peintres de Montparnasse dont Christian Caillard, Georges Klein
et Alberto Giacometti qui lui ont ouvert les portes du monde de la culture et
des arts. C´est dans un café alors à la mode, le Dôme, situé dans le quartier
de Montparnasse, lieu de rassemblement des artistes de la rive gauche et de la
colonie littéraire américaine, qu´elle a rencontré Albert Béguin, critique
littéraire, traducteur et essayiste né en Suisse qui deviendra plus tard un des
intellectuels les plus respectés en France, directeur dès 1946 de la
prestigieuse revue Esprit. Raymonde Vincent l´a épousé en 1929 et grâce à lui
elle a fréquenté Louis Aragon, Georges Bernanos, André Lhote, Pierre Emmanuel
et Jean Giraudoux. Avec Albert Béguin, elle a beaucoup voyagé et découvert la
littérature. Pourtant, l´amour entre Raymonde et Albert s´est effiloché au fil
du temps si tant est qu´il eût jamais vraiment existé de la part d´Albert.
Après l´avoir enivrée de lectures et de voyages, il a laissé sa femme à son
sort en 1932 dans la grisaille du Berlin de l´entre -deux-guerres où ils
vivaient à l´époque. Il lui a brutalement écrit qu´il ne l´aimait plus, qu´à
vrai dire il ne l´avait jamais aimée. Après une première séparation, ils ont
divorcé après la Seconde Guerre Mondiale. Raymonde n´a jamais rien reproché à
Albert, ayant même délaissé la littérature pour demeurer aux côtés de son
ancien mari et l´accompagner jusqu´à sa mort dans sa résidence romaine en 1957.
C´est néanmoins Albert Béguin qui a encouragé celle qui était encore sa femme à
cultiver son talent littéraire et artistique et à publier son premier roman.
C´est la nostalgie de son passé de paysanne qui a inspiré à Raymonde
Vincent son roman Campagne, un roman qui s´est développé dans son esprit au fil
des années au fur et à mesure que son écriture et ses connaissances littéraires
mûrissaient. Dans son autobiographie Le temps d´apprendre à vivre, rédigée en 1982 au crépuscule de sa vie –trois années
avant sa mort, survenue le 5 janvier 1985 -, Raymonde Vincent écrit que
Campagne est venue en elle comme une vision. Elle est assise à sa table
d´écriture, quand subitement la tante Victoire de ses jeunes années, qui sera
celle de son roman, lui apparaît telle une idole sacrée : «Tu es d´une
autre race, souviens-t´en» semble-t-elle lui dire. C´est ce que nous rappelle
le comédien et scénariste Renan Prévot dans sa belle préface de la réédition de
2023 aux éditions Le Passeur.
Campagne, un roman d´une écriture épurée et d´une grande finesse
d´émotion, raconte l´histoire de Marie, une jeune paysanne orpheline, élevée en
marge du monde et bientôt «exilé» avec sa grand-mère dans les communs d´un
château. La Première Guerre Mondiale se profile en arrière-plan, tandis que
l´adolescente mûrit dans un environnement aussi rude qu´idyllique qui l´ouvrira
à la maternité. Un roman où le temps s´écoule à la vitesse de la nature, un
manifeste pour le rêve et l´aspiration au sacré dans le quotidien.
Lors de sa sortie, le livre a fait l´objet des commentaires les plus
élogieux. Phénomène populaire –qui ne va pas sans rappeler celui de Marguerite
Audoux avec Marie-Claire en 1910 -, il fut plébiscité par toutes les classes et
salué par Paul Claudel, Léon Daudet et Charles-Ferdinand Ramuz. On l´a lu dans
les couvents. On dit qu´un curé de Châteauroux l´a cité pendant un prêche et que même Hollywood s´y
est intéressé !
Le livre fut accompagné d´une prière d´insérer d´Albert Béguin où il
témoignait comment il avait suivi l´éclosion de Campagne dans la vie de son
épouse : «Le projet de Campagne ne prit corps qu´après de longues années,
qui furent celles à la fois d´un tenace effort vers la culture, et celles du
dépaysement douloureux dans le monde des villes. Au terme de cette période,
Raymonde Vincent éprouva le besoin impérieux de saisir par l´écriture la beauté
qu´elle avait entrevue dans son enfance et qui se révélait à elle, maintenant
comme liée au sens même de l´existence». Plus loin, il écrit : «Seule la
transfiguration esthétique pouvait faire revivre l´enfance lointaine, non pas
dans sa simple vérité de fait, mais dans la signification qu´elle prenait
désormais pour Raymonde Vincent. L´œuvre entreprise serait ainsi la confession
de celle qui –ayant eu ce rare destin d´une existence à peu près abandonnée à
elle-même, puis de pénétrer brusquement dans le monde de la culture –tente
d´unir ces deux expériences, pour en faire un unique témoignage».
Une des meilleures définitions de Campagne, on la trouve sous la plume de
Renan Prévot dans la préface citée plus haut : «L´anonyme roman de la
tragédie du monde».
Le succès de Campagne a permis à Raymonde Vincent de louer le château de
Laleuf, près de Saint-Maur, dans l´Indre, où elle avait grandi, mais si le
succès de Campagne ouvrait la voie à une carrière littéraire sous les meilleurs
auspices, les livres suivants malgré des critiques souvent favorables, n´ont
pourtant pas suscité le même enthousiasme.
Avec Blanche, son deuxième roman, Raymonde Vincent poursuit ce qu´elle a nommé
son réalisme spirituel chrétien. Encore une fois, Renan Prévot, nous aide à
déchiffrer l´univers de Raymond Vincent : «C´est avec le second fragment
d´une œuvre encore à l´état natif que Raymonde Vincent trace le sillon d´un genre
poétique autonome, dédaigneux de tout semblant de naturalisme. En seulement
deux années, l´écrivain a posé les bases de son style, adoptant une forme
purement romanesque, sans les charmes factices de beaucoup d´écrivains de
terroir. Plus encore, elle y infuse peu à peu un climat vicié, légèrement
transgressif, où le corps féminin accuse une quotidienneté de l´oppression
patriarcale». Cette citation, on la retrouve dans une autre préface, celle qui
accompagne Elisabeth, chronologiquement le troisième roman de Raymonde Vincent.
De ce roman, Paul Claudel a dit qu´il appréciait la délicatesse ravissante et
la spiritualité exquise. Nombre de critiques s´accordent à reconnaître qu´il
s´agit de l´œuvre la plus pure et la plus spirituelle de Raymonde Vincent.
On retrouve dans ce roman- débuté à l´été 1939, mais publié en 1943 -le
désenchantement d´une génération, celle des jeunes écrivains partisans d´un
réalisme chrétien à l´aube de la Seconde Guerre Mondiale. L´héroïne est éprise
de légèreté, elle cherche le paradis sous le poids de la conscience de son
incarnation pour répondre à son «envie de pleurer et de parler à l´invisible
avec les mots que l´on trouve toujours pour un être unique, des mots d´amour».
À l´heure d´aborder son récit, Raymonde Vincent a appris la mort subite de son
père, ce qui lui a inspiré le texte Le Père.
Jusqu´à la fin de sa vie, Raymonde Vincent a encore écrit une demi-douzaine
de romans dont Les noces du matin (1950), La couronne des innocents (1962) ou
son autobiographie Le temps d´apprendre à vivre (1982), citée plus haut. En
1991, les éditions Christine Pirot ont publié à titre posthume Hélène.
Néanmoins, avant sa mort, elle était déjà tombée dans l´oubli. À la fin des
années cinquante, son étoile avait considérablement pâli tant et si bien que,
dans la revue L´Œuvre, l´écrivain André Billy, craignant qu´à Raymonde Vincent
ne soit réservé le sort de Marguerite Audoux,
écrivait en janvier 1958 ce qui suit : «Les phénomènes ne font plus
recette ; nous n´en sommes plus à nous étonner de voir une jeune
analphabète écrire un chef-d´œuvre. Nous savons que le génie souffle où il
veut, qu´il est capricieux et pervers, et qu´il lui arrive d´abandonner à
eux-mêmes des écrivains qu´il a inspirés à leurs débuts, comme des suborneurs
abandonnant leurs maîtresses après leur avoir fait un enfant. Ce fut la triste
aventure de Marguerite Audoux, sur qui pesa jusqu´à la fin le souvenir de son
premier roman ; les suivants furent loin de le valoir. Je souhaite très
sincèrement à Raymonde Vincent une destinée moins mélancolique».
Heureusement, les éditions Le Passeur sont en train de retirer du limbe les
œuvres de Raymonde Vincent, une décision que l´on ne peut que saluer. Aussi
nombre de lecteurs ont-ils beau jeu de plonger dans l´univers idyllique et spirituel
d´une romancière dont la mémoire mérite d´être préservée et cultivée.
Œuvres de Raymonde Vincent récemment rééditées par les éditions Le
Passeur :
Campagne, suivi de Se souvenir de ma mère (inédit), préface de Renan
Prévot, mai 2023.
Élisabeth, suivi de Le Père (inédit), préface de Renan Prévot, mai 2024.
Le roman Campagne vient d´être édité aussi en poche chez J´ai Lu (août
2024).
A lire également sur Raymonde Vincent l´essai de Rolland Hénault, Raymonde
Vincent, Chrétienne et libertaire, préface de François Gerbaud, éditions La
Bouinotte, 2006.
jeudi 26 septembre 2024
Article pour Le Petit Journal Lisbonne.
Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Houris de Kamel Daoud, publié aux éditions Gallimard.
https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/livre-houris-un-roman-de-kamel-daoud-393406
jeudi 29 août 2024
Chronique de septembre 2024.
L´Amérique de Sinclair Lewis.
A deux mois des élections présidentielles
américaines, peut-être aura-t-on envie de lire, comme ce fut déjà le cas en
2016, le roman It can´t happen here (en français, Impossible ici). Ce roman,
publié aux États-Unis en 1935 et paru en français en 1937 chez Gallimard, était
inspiré en quelque sorte par la poussée de l´extrême-droite en Europe et par la
croisade menée contre le président Roosevelt par le gouverneur de l´État de la Louisiane
Huey Long, soutenue par le prêtre ultra- conservateur d´origine canadienne
Charles Coughlin. L´auteur de ce roman –écrit en l´espace de deux mois à peine
- a donc pondu une intrigue où un homme politique, Buzz Windrip, gagne la
présidentielle américaine en 1936 avec un programme populiste promettant du
bonheur pour tout le monde. Néanmoins, après l´investiture, il élimine petit à
petit les garanties civiles, annonce que l´Union Soviétique et le Mexique
constituent de sérieuses menaces, décide de blinder la frontière, proclame la
loi martiale, fait assassiner les dissidents et promeut l´effritement du
système. Le personnage principal du roman est Doremos Jessup, un journaliste
libéral de l´État du Vermont (curieusement, l´État de l´actuel sénateur Bernie
Sanders du Parti Démocrate) qui a du mal à accepter que le peuple soit subjugué
par un clown néo-fasciste, mais se rend compte que beaucoup se complaisent dans
ce délire. Doremos Jessup se radicalise, est arrêté, parvient à s´échapper et
passe à la clandestinité. Ce roman est devenu un best-seller et son adaptation
théâtrale fut jouée pendant cinq ans.
Quelques
décennies plus tard, l´écrivain Philip Roth dans son uchronie The Plot against
America (La conspiration contre l´Amérique) imagine que l´aviateur conservateur
et isolationniste Charles Lindbergh aurait battu Roosevelt aux élections. Tant
Lindbergh que Buzz Windrip avaient avant la lettre une phraséologie proche de
celle de Donald Trump.
L´auteur du roman It can´t happen here (Impossible
ici) est aujourd´hui plutôt oublié, mais il fut autrefois un romancier et un
dramaturge assez populaire et considéré un écrivain majeur dans les années
vingt et trente du vingtième siècle: Sinclair Lewis, le premier écrivain
américain à avoir obtenu, en 1930, le Prix Nobel de Littérature.
Sinclair Lewis est né le 7 février 1885 à Sauk
Centre, un petit village du Minnesota, fondé en 1857 et qui a inspiré Main
Street, le roman que le futur écrivain publiera au tout début des années vingt.
Son père, Edwin J. Lewis, était un honnête et sévère médecin de campagne dont
la discipline et la ponctualité étaient assez proverbiales. Il a pris une part
active à la vie de la communauté en tant que membre des conseils scolaires et
de la Bibliothèque. Sa mère, Emma Kermott, souffrait de tuberculose et est
morte en 1891.
En raison de la mort prématurée de sa femme, Edwin
J. Lewis a dû s´occuper seul de trois enfants (Sinclair et ses deux frères
aînés Fred et Claude). Pressé par ses amis de leur trouver une mère, Edwin J.
Lewis s´est remarié en 1892 à Isabel Werner, une femme que la chronique décrit
comme réservée et maternelle.
Enfant solitaire, Sinclair rêvait d´aventures et de
voyages pour échapper à la monotonie de la vie dans son petit village. Ses
lectures n´ont fait qu´accentuer son goût de l´aventure. Charles Dickens,
Walter Scott, George Grote et Henry Longfellow comptaient parmi ses écrivains
préférés. Son goût de l´aventure et son désir de socialisation l´ont poussé à
s´enrôler, à l´âge de 13 ans, comme tambour (musicien militaire) dans l´armée,
une expérience qui n´a pas longtemps duré.
Après des études secondaires à Oberlin College, un
collège protestant dans l´Ohio, il s´est inscrit à l´Université de Yale d´où il n´est sorti diplômé qu´en 1908
puisqu´il avait -quoique brièvement- interrompu ses études universitaires,
d´abord pour intégrer Helicon Hall, la colonie coopérative fondé par l´écrivain
socialiste Upton Sinclair dans le New Jersey, puis pour se rendre au Panama.
Avant de devenir dans les années vingt un illustre écrivain, il a travaillé
pour des maisons d´édition et a fréquenté plusieurs écrivains de gauche dont,
on l´a vu, Upton Sinclair, Jack London et John Reed.
Ses premiers romans étaient plutôt médiocres. Il a
vécu ses premières années d´écriture grâce à des nouvelles au ton optimiste publiées
-parfois sous pseudonyme - dans des revues à grand tirage comme Collier´s et le
Saturday Evening Post.
C´est enfin au début des années vingt que Sinclair
Lewis a vraiment entamé une carrière d´écrivain prestigieux. Ses romans sont
des chroniques naturalistes de la société américaine moderne, de ses petites
villes, de sa classe moyenne aisée. Ils sont également un portrait au vitriol
de la bigoterie et de l´hypocrisie de la société américaine. Dans ses romans,
Sinclair Lewis s´attaque aussi à la vulgarité affairiste et consumériste ainsi
qu´à la monotonie des villes américaines.
Le déclic s´est produit avec la parution de Main
Street (Grand -Rue) en 1920. Ce
roman est une critique acerbe de la vie de province du midwest américain,
inspiré de la jeunesse de l´auteur à Sauk Center (déguisée sous le nom de
« Gopher Prairie »). Il est devenu un véritable phénomène d'édition, ayant
vendu plus de 100 000 exemplaires en à peine quatre mois. Le roman fut le
plus grand livre à succès du premier quart de siècle aux États-Unis et a également connu un succès critique. Le comité d'attribution
du Prix Pulitzer lui a néanmoins préféré The Age of Innocence (L'Âge de l'innocence) d'Edith
Wharton que Lewis admirait et à qui il a dédicacé son roman suivant. Main Street
tourne autour du personnage de Carol Milford, originaire de la (relativement)
grande ville de Saint-Paul, Minnesota, qui s'installe à Gopher Prairie après son mariage avec le médecin
local, le Dr. Kennicott. Romantique et idéaliste, Carol pense pouvoir embellir
et moderniser la petite bourgade conservatrice, mais sera plutôt étouffée par
son milieu.
Le succès
retentissant de Main Street a fait de Sinclair Lewis le chef de file de
l'école réaliste américaine. Son roman suivant, Babbitt publié
en 1922, est lui aussi devenu un classique. Il met en scène George F.
Babbitt, agent immobilier prospère, pilier de la chambre de commerce de la
ville de Zenith, obsédé par les valeurs matérielles, et pourtant frustré par
son existence centrée sur l'argent et la consommation. L'action se situe dans
l'État américain imaginaire du Winnemac. Le roman, satirique, présente le
premier portrait de l'Amérique des années vingt, obsédée par la
spéculation foncière et l'acquisition d'objets de consommation, devenus
abordables, comme les automobiles ou les réfrigérateurs. Cette classe moyenne
en voie d'embourgeoisement ignore complètement l'art et la littérature.
Le livre suivant,
Arrowsmith, paru en 1925, est un roman mettant en scène un jeune médecin
idéaliste confronté à une profession aussi avide d'argent et de prestige que le
milieu des affaires de Babbitt. Arrowsmith s´est vu décerner le Prix Pulitzer,
mas Lewis le refuse, affirmant qu'il devrait être accordé à un texte mettant en
valeur les qualités positives de l'Amérique, et non à un roman critique comme
le sien.
Dans les années
vingt, Sinclair Lewis a encore publié d´autres romans qui ont assis sa
réputation de grand écrivain dont Elmer Gantry (1927) et Sam
Dodsworth(1929). Elmer Gantry est l´histoire
d'un ancien joueur de football américain devenu
prêcheur itinérant. Elmer Gantry, charlatan cynique, malhonnête et alcoolique,
s'élève dans la société grâce à la religion. L écrivain s'inspire ici de la
figure de Billy Sunday ex-joueur
vedette de baseball, devenu le prêcheur protestant le plus célèbre de son
époque au tournant du XXe siècle. Sam Dodsworth est souvent considéré comme le dernier roman
classique de Sinclair Lewis. Il raconte l'histoire d'un couple d'Américains
dont le mariage s'effondre lors d'un voyage en Europe.
À cette époque, Sinclair Lewis était l´écrivain américain le plus connu au
monde et quasiment toutes ses œuvres vont être adaptées au cinéma. En 1930, son
œuvre fut couronnée du Prix Nobel de Littérature. Il fut le premier écrivain
américain à être honoré de cette distinction. Dans son discours de remerciement
intitulé La peur américaine de la Littérature, il a rappelé les appels au
lynchage dont il avait été victime. Il a également dénoncé l'intolérance de
son pays à l'égard des écrivains ne glorifiant pas la « simplicité
bucolique et puritaine de l'Oncle Sam » et l'individu américain,
« grand, beau, riche, honnête et bon golfeur ».
Toujours d´après
Sinclair Lewis, le réalisme social littéraire décrivant ces changements est vertement
critiqué, au nom d'un idéal de vie américain vertueux défendu par les
institutions universitaires et les académies des arts. Pourtant, il a rappelé
que la nouvelle génération d'écrivains américains (Faulkner, Wolfe, Willa
Cather, Theodore Dreiser et Hemingway, par exemple) s'était déjà
émancipée de ce que Lewis nommait un provincialisme ennuyeux, pour décrire
l'Amérique telle qu'elle était. Aussi espérait- il voir son pays abandonner sa
peur puérile de la littérature réaliste et satirique, pour parvenir à se doter
de ce qui lui manquait, en dépit de ses richesses et de sa puissance, à savoir
une civilisation assez bonne pour satisfaire les désirs profonds de l'être
humain».
Cependant, la
consécration suprême coïncide en quelque sorte avec une nette baisse de qualité
de ses œuvres. Seul It can´t happen here (Impossible Ici) publié, on l´a vu, en
1935 a atteint les sommets de ses livres précédents. Les livres parus dans les
années trente et quarante - hormis It can´t happen here- se vendent très peu.
Sa vie familiale était elle aussi plutôt instable. Il s´est marié et divorcé
deux fois au cours de sa vie (sa première épouse fut Grace Livingstone Hegger, éditrice
du magazine Vogue et la deuxième, la journaliste Dorothy Thomson) et il a eu
deux enfants : de sa première femme est né Wells (prénom choisi en hommage
à l´auteur de la Guerre des Mondes), qui s´est tué en France lors de la Seconde
Guerre Mondiale, et de la deuxième, Michael. Au tout début les années quarante,
il a vu une lueur d´espoir dans l´enseignement. Il a commencé à donner avec un
énorme enthousiasme, d´après les chroniques, un cours d´écriture créative
(creative writing, en anglais) à l´Université du Wisconsin-Madison, Soudain,
après cinq leçons données à un groupe de vingt-quatre étudiants triés sur le
volet, il a annoncé qu´il leur avait déjà enseigné tout ce qu´il savait et a
abandonné Madison le lendemain.
Les dernières
années de sa vie, il les a vécues en voyageant de chambre d´hôtel en chambre
d´hôtel et en sombrant dans ce que l´écrivain argentin Alan Pauls a dénommé
comme le service militaire obligatoire de l´écrivain nord-américain, c´est-à-dire,
l´alcoolisme.
Sinclair Lewis
est mort le 10 janvier 1951, à l´âge de 65 ans, à Rome lors d´un de ses
nombreux voyages. Il est enterré au cimetière Sauk Centre, le village où il est
né.
William Shirer,
un ami de Sinclair Lewis s´est prononcé un jour sur son importance dans
l´histoire de la littérature américaine. Il a affirmé ce qui suit : «Ils
sont assez nombreux les critiques littéraires qui ne tiennent pas Sinclair
Lewis pour un grand romancier. Peut-être n´ont-ils pas tort, si on le compare à
Hemingway, Dos Passos, Scott Fitzgerald
ou Faulkner. Lewis manquait de style. Pourtant, la répercussion de ses
romans sur la vie américaine moderne fut supérieure à celle des quatre autres
écrivains réunis».
Peut-être le
succès récent du roman It can´t happen here (Impossible ici) sera-t-il le début
de la redécouverte de l´œuvre importante de Sinclair Lewis.
vendredi 2 août 2024
James Baldwin aurait eu 100 ans aujourd´hui.
L´écrivain
américain James Baldwin aurait eu 100 ans aujourd´hui. Né le dans le quartier de Harlem, à New York, et mort
le à Saint-Paul-de-Vence, en France, il fut l´auteur de romans,
de poésies, de nouvelles, de pièces de théâtre et d’essais.
Son œuvre la plus connue est peut-être son premier roman, semi-autobiographique, intitulé La
Conversion (Go Tell It on the Mountain), paru en 1953, et sa
nouvelle Blues pour Sonny (Sonny's Blues) incluse dans
le recueil de nouvelles Face à l´homme libre (Going to Meet the
Man), paru en 1965.
Ses
essais, rassemblés notamment dans Chronique d'un pays natal (Notes
of a Native Son, 1955) et La Prochaine Fois, le feu (The
Fire Next Time, 1963), explorent les non-dits et les tensions sous-jacentes
autour des distinctions raciales, sexuelles et de classe sociale au
sein des sociétés occidentales, en particulier dans l'Amérique du milieu du XXe siècle.
Ses romans et pièces de théâtre transposent quant à eux vers la fiction des
dilemmes personnels, questionnant les pressions sociales et psychologiques
complexes qui entravent non seulement l'intégration des personnes noires, mais
aussi des homosexuels. ll dépeint également les
obstacles intériorisés qui empêchent de telles quêtes d'acceptation, par
exemple dans son roman La Chambre de Giovanni (Giovanni's Room), écrit en 1956.
La mort d´Annie Le Brun.
Poète surréaliste, essayiste et critique littéraire,
Annie Le Brun, née à Rennes le 15 août 1942, est morte le 29 juillet en
Croatie. La nouvelle fut annoncée hier. Je me permets de reproduire les lignes
qui lui ont été consacrées sur le site des éditions Gallimard: «Les Éditions Gallimard ont appris avec émotion et tristesse
la disparition d’Annie Le Brun le 29 juillet 2024.Figure marquante de la littérature et de la pensée philosophique, Annie Le
Brun se consacra très tôt à la poésie et resta toujours fidèle à l'insurrection
radicale du surréalisme. Critique littéraire, spécialiste de Sade à qui elle
consacrera une grande exposition au Musée d’Orsay en 2014, passionnée par
Victor Hugo, elle a écrit aussi de nombreux textes sur l’art et les artistes et
fut commissaire de l’exposition « Toyen » au Musée d’art moderne de Paris en
2022. Elle formait un couple fusionnel avec son mari, le poète croate Radovan
Ivšić (1921-2009), dont l’œuvre est publiée chez Gallimard.Les analyses au scalpel d’Annie Le Brun, esprit libre, ont marqué de
nombreux sujets de société, du féminisme et de la culture.Parmi ses nombreux titres chez Gallimard, "Soudain un bloc d’abîme,
Sade" (Folio Essais), "Si rien avait une forme, ce serait cela"
(collection Blanche), "Un espace inobjectif" (collection Art et
Artistes), et son célèbre recueil de poèmes "Ombre pour Ombre",
repris dans Poésie Gallimard en 2024».