Qui êtes-vous ?

Ma photo
Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 21 août 2008

Chronique de septembre 2008


Les bêtes ont-elles une patrie ?
(À propos de la traduction en français du roman Beasts of no nation de Uzodinma Iweala).



Ces jours-ci les lecteurs français auront finalement accès à un roman qui, selon son traducteur, l´écrivain congolais Alain Mabanckou, a secoué les lettres américaines au moment de sa parution aux Etats-Unis en 2005. Le roman s´intitule Bêtes sans patrie (Beasts of no nation en anglais) et il s´agit du premier livre de Uzodinma Iweala, un jeune écrivain américain d´ascendance nigériane, né à Washington en 1982. L´accueil fut alors enthousiaste. Des journaux et des magazines comme Time, Los Angeles Times, New York Times, The New Yorker, relayés plus tard par TLS et tous les quotidiens anglais de référence,n´ont pas tari d´éloges sur le phénomène. Salman Rushdie a pour sa part pondu un des commentaires les plus dithyrambiques sur le roman : «C´est une des rares occasions où, lisant un premier roman, vous vous dites que l´auteur comptera dans les années à venir.»
Ce roman- qui a donc été salué à l´unisson par une presse tombée sous le charme et fut couronné de quelques prix littéraires-je l´ai acheté en 2006 lors de sa parution en édition de poche chez John Murray éditeurs et à mon avis le livre mérite bel et bien tous les éloges qu´on a bien voulu lui adresser.
Le sujet apparemment n´est pas nouveau, l´histoire de l´enfant -soldat ayant déjà inspiré d´autres beaux romans comme Soza Boy du Nigérian Ken Sarowiwa ou Allah n´est pas obligé de l´Ivoirien Ahmadou Kourouma. Pourtant ce roman de Uzodinma Iweala n´est pas une nouvelle mouture de la même histoire. Sa touche personnelle et les procédés novateurs du langage avec des emprunts à une espèce de sabir, un pidgin anglais africain (il a sûrement fallu au traducteur un remarquable travail de recherche pour rendre dans un français lisible la richesse de certains vocables ou expressions hors du commun), irriguent le roman d´une force et d´une originalité qui ne peuvent que séduire tout lecteur exigeant. La couleur est annoncée dès l´épigraphe choisie par l´auteur, des vers de Rimbaud extraits de Une saison en Enfer : «Je parvins à faire s´évanouir dans mon esprit toute l´espérance humaine. Sur toute joie, pour l´étrangler, j´ai fait le bond sourd de la bête féroce.». Le théâtre de guerre de l´enfant- soldat prénommé Agu est un pays imaginaire de l´Afrique de l´Ouest. Imaginaire mais pouvant ressembler, bien entendu, à tant de pays africains et tant de guerres dont les échos à force d´être réentendus et ressassés ne suscitent malheureusement que de l´indifférence, comme si les guerres africaines n´étaient que pure banalité, comme si pour le monde soi-disant «civilisé» les Africains n´étaient que de simples pantins et non pas des gens en chair et en os comme nous autres les Occidentaux. Agu, le héros du roman, voit mourir son père et devient soldat malgré lui. La terreur et les crimes perpétrés par ces bandes armées qui sévissent dans toutes les guerres africaines font partie du quotidien des gens qui, en fait, ne vivent pas, ils vivotent ou survivent plutôt. Dans ce registre, le titre que j´ai choisi sous forme d´interrogation pour cet article a bel et bien une réponse : les bêtes n´ont pas de patrie, ou alors si elles en ont une, c´est une triste patrie, celle de la violence, de la terreur, de la haine.
Dans un article publié en 2006 dans le quotidien portugais Público, lors de la parution de la traduction brésilienne de ce roman (Feras de Nenhum Lugar chez Nova Fronteira), l´écrivain angolais José Eduardo Agualusa nous rappelait que les pays les plus pacifiques d´Afrique, ceux qui n´avaient pas sombré dans la guerre après l´indépendance, étaient ceux qui n´avaient pas dû lutter pour conquérir leur indépendance comme le Botswana, l´île Maurice ou le Cap-Vert. C´est sans doute vrai. C´est souvent difficile, en effet, d´en finir avec une idée et une culture de guerre qui se sont développées au fil des ans et qui ont engendré certains vices dont il est n´est pas commode de se déprendre, même si dans le cas du Cap-Vert, on ne peut pas oublier qu´il s´agit d´un groupe d´îles assez petit (pas plus de cinq cent mille habitants) et où les problèmes tribaux sont inexistants.
À l´origine de ce brillant premier roman, il y a la thèse universitaire de littérature à Harvard de Uzodinma Iweala. Ce jeune auteur, issu d´un milieu aisé, a fréquenté les cours de l´écrivaine Jamaica Kincaid et c´est la lecture d´un article sur les enfants –soldats en Sierra Leone qui l´a poussé à écrire ce livre. Pour mener à bout sa tâche, il a lu des récits autobiographiques d´enfants –soldats (on estime à trois cent mille environ le nombre de ces malheureux enfants dans le monde entier), a même fait la connaissance d´un ancien enfant –soldat ougandais, a consulté les rapports d´Amnistie internationale et des Nations Unies et s´est déplacé au Nigeria afin d´y interviewer des rescapés de la guerre civile des années soixante.
Le titre du livre, Uzodinma Iweala l´a emprunté à un album de 1989 du musicien nigérian Fela Kuti(1938-1997), inventeur de l´afro-beat et activiste politique.
Son album Beasts of no Nation était composé de chansons dénonçant l´apartheid en Afrique du Sud et la complicité de l´Angleterre et des Etats-Unis vis-à-vis de la politique raciste du régime de Pieter Botha. Quant au roman homonyme, il a été l´objet, on l´a vu, d´un excellent accueil de la part de la critique littéraire américaine et anglaise à telle enseigne que l´excellente revue Granta a considéré Uzodinma Iweala un des meilleurs jeunes auteurs américains.
Cette consécration précoce ne risque-t-elle pas d´entamer l´avenir littéraire d´Uzodinma Iweala ? On sait qu´après un premier roman fort remarqué, le deuxième livre d´un écrivain est toujours une épreuve assez dure. Iweala n´éprouve aucune pression pour la publication de son deuxième roman qui est néanmoins déjà en préparation. Il portera sur les ravages du sida en Afrique, un sujet auquel ne serait pas étranger son choix récent de suivre un cours de médecine au Colombia Medical Scholl à New York.
Uzodinma Iweala a aussi régulièrement affirmé dans des interviews tout récemment accordées que l´écriture pour lui ne se ramène pas à la fiction, il serait aussi tenté par l´essai et la critique journalistique. Bref, nous sommes devant un jeune auteur qui ne s´est pas laissé enivrer par un premier succès époustouflant et qui veut faire son bonhomme de chemin à un rythme qu´il s´imposera à lui-même sans trop se soucier des éventuelles pressions des milieux éditoriaux. La recette d´Uzodinma Iweala est peut-être celle qui peut le mieux assurer un bel avenir littéraire…



P.S- La traduction française de Beasts of no nation (Bêtes sans patrie) devrait paraître le 21 août aux éditions de l´Olivier.

Quelques remarques sur la mort d´Alexandre Soljenitsyne




Je le dis ici tout crûment : dans le registre des soi-disant «écrivains du Goulag», je lui préfère de loin, d´un point de vue purement littéraire, Varlam Chalamov. Quoiqu´il en soit, l´importance de son œuvre est telle que je ne pouvais pas passer sous silence la mort, le 3 août, à l´âge de 89 ans, du grand écrivain russe Alexander Soljenitsyne. C´est, en grande partie, grâce à lui que nous avons pu découvrir l´immensité des crimes commis sous la férule de Josef Staline. L´Archipel du Goulag, Le premier cercle, Le pavillon des cancéreux et Une journée d´Ivan Denissovitch sont non seulement des livres remarquables mais aussi des documents exceptionnels sur le quotidien des prisonniers politiques et les terribles conditions de vie dans les prisons soviétiques et à plus forte raison dans le Goulag sibérien. Soljenitsyne, qui avait été lui-même emprisonné, savait bien de quoi il parlait…
Déchu de sa citoyenneté et expulsé de son pays en 1974, il s´est d´abord réfugié en Suisse, puis dans le Vermont, aux Etats-Unis jusqu´à son retour chez soi après la chute de l´Urss et au moment où sa citoyenneté lui était restituée (ou la citoyenneté russe lui était attribuée, puisque l´ancienne citoyenneté soviétique n´existait plus).
Soljenitsyne était, on le sait, un homme fort polémique. Si l´on ne peut qu´applaudir son courage dans la dénonciation du Goulag, on éprouve une énorme frustration quand on se rappelle que dans le même temps il vouait une admiration sans bornes à l´égard de la Russie tsariste qui méprisait son propre peuple, il a soutenu la politique criminelle de Pinochet, il vénérait la mémoire d´un caudillo comme le généralissime Franco et il tenait Vladimir Poutine pour l´artisan de la renaissance de la Russie éternelle. Sans oublier ses insupportables imprécations contre la décadence morale de l´Occident.
Quoiqu´il en soit, ses opinions réactionnaires n´effacent pas l´importance de son oeuvre. Ses livres sont le témoignage éloquent de son immense talent d´écrivain.



P.S(le 23 août)-Ce matin j´ai lu une des meilleures définitions sur la personnalité et l´oeuvre de Soljenitsyne. C´était sous la plume de l´écrivain chilien Jorge Edwards dans un article du quotidien espagnol El Pais. Selon Edwards, Soljenitsyne était «un écrivain du dix-neuvième siècle égaré parmi les meilleurs du vingtième siècle».