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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mercredi 29 mai 2024

Chronique de juin 2024.

 


Guy Goffette, l´enfance est ma patrie.

Pour la plupart des écrivains, la patrie est la langue qu´ils utilisent pour véhiculer leurs idées et leur talent. On pourrait cependant ajouter à la langue une autre patrie que d´aucuns revendiquent aussi : l´enfance. C´était, sans l´ombre d´un doute, le cas de l´écrivain belge Guy Goffette. Né le 18 avril 1947 à Jamoigne, en Lorraine belge, et décédé tout récemment, le 28 mars, il a été à tour de rôle enseignant, critique littéraire, bibliothécaire, éditeur et surtout un passeur. Avec quelques amis, il a créé, en 1980, une revue de poésie Triangle qui n´a connu que douze numéros et trois ans plus tard L´Apprentypographe, qu´il composait et imprimait lui-même à la main. Cette expérience a fini en 1987 et depuis l´auteur a consacré le plus clair de son temps aux voyages, avant de devenir, un temps, libraire d´occasion.

Comme auteur, mais aussi comme membre du comité de lecture des éditions Gallimard, à partir de 2000, il fut, avec Jean Grosjean et Jacques Réda, l´un des grands animateurs de la vie poétique.

Son œuvre fut saluée, entre autres récompenses, par le prix Mallarmé reçu pour Éloge pour une cuisine de province en 1989, le grand prix de poésie de la SGDL en 1999, le Grand Prix de Poésie de l´Académie Française en 2001 ou le Grand Prix Goncourt de la Poésie en 2010. Cci en France. En Belgique, Guy Goffette a reçu entre autres le prix Maurice Carême, le prix Félix Denayer de l’Académie de langue et de littérature françaises de Belgique et le prix Rossel pour Une enfance lingère.

Né au sein d´une famille ouvrière, Guy Goffette a étudié à l´Ecole Normale d´Arlon où son maître Vital Lahaye, poète lui-même, lui a inculqué le virus de la poésie. Quand il était jeune, il a passé quelques années d´internat dans une institution religieuse ce qui n´a fait qu´aviver son goût de liberté. Un goût qui perce dans tous ses écrits, soient-ils des récits ou des poèmes. On pourrait dire aussi de Guy Goffette qu´il est un écrivain de l´errance, toujours en partance (un sentiment qui a inspiré le titre d´un livre Partance et autres lieux,  prix Valery Larbaud 2000), l´écrivain de la douce mélancolie. Il aimait faire partager ses découvertes et l´interprétation qu´il faisait de la vie de certains artistes, qu´on pourrait dénommer de petites biographies sentimentales consacrées à Verlaine (Verlaine d´ardoise et de pluie), au peintre Abel Bonnard (Elle, par bonheur et toujours nue) et au poète anglais W.H.Auden (Auden ou l´œil de la baleine). Mais, comme nous l´écrivions plus haut, l´enfance est au cœur de son œuvre, à fortiori dans des romans comme Un été autour du cou (2002) et Une enfance lingère (2006) qui a reçu le prix Marcel Pagnol outre le prix Rossel. L´enfance de Guy Goffette est celle de l´école buissonnière, de la naïveté, des trains, des arbres, de la mer. Mais aussi l´enfance des premiers ébats amoureux ou à tout le moins des rêves d´amour, fussent-ils grâce au parfum de jeunes filles en fleur ou à celui de femmes mûres et charnelles.

Quoiqu´il en soit, Guy Goffette était, avant tout, un poète et c´est la vie qui l´a toujours inspiré, au détour d´un chemin, d´un coin perdu, en faisant, on l´a vu, l´ Éloge pour une cuisine de province (collection poésie de Gallimard), en évoquant les poètes de sa prédilection (Verlaine et Auden, déjà cités, et aussi, entre autres, Pessoa, Saba, Pavese, Emily Dickinson, Mandelstam, Hölderlin, Larbaud, Borges, Cavafy ou Yannis Ritsos).

La vie n´est parfois «Rien qu´un souffle» comme il l´écrit dans ce poème da La Vie promise : «Oui, tout homme debout n´est qu´un souffle / poussière, dans la gorge ses cris, ses pleurs, / ses chants d´amour et de déréliction, sable / du désir qui s´enlise : mourir, / ne pas mourir, qu´importe après tout, / si la mer n´est rien d´autre qu´un soupir / dans le rêve du ciel qui s´abandonne…». Mais la vie - comme on peut lire dans Un manteau de fortune (Grand prix de poésie de l´Académie Française 2001) - est également un « vieux piano d´herbes vendu aux neiges de l´Ardenne » ou une des multiples « variations sur une montée en tramway » ou enfin « Un dimanche à Lisbonne » à l´ombre du chanteur de fado Alfredo Marceneiro*, où l´on nous dit que « …au loin une guitare insinue / que rien n´existe sur la terre / comme l´absence, et que l´amour / est toujours nu / Heureux les amants amarrés / que l´ombre garde au fond de l´eau: / ils sont l´âme du diamant, / l´or du fado ».

À la fin, il y a toujours un poème, pour inonder notre cœur de bonheur, même si vous ignorez au juste ce qu´est un poème. Il est peut-être ce que Guy Goffette a écrit un jour : « Et si le poème, c´était plus simplement / ce qui reste en souffrance dans la déchirure / du ciel, comme une valise sans couleur / un gant dans l´herbe - et le rayon de soleil / s´amuse avec les serrures, l´agrafe en fer blanc / cependant que nous restons en retrait / empêtrés dans nos ombres / comme un enfant grandi trop vite / et qui ne sait plus rire ».

Sur le site de Gallimard, à sa mort, on a écrit des lignes qui témoignent on ne peut mieux du parcours de vie et de l´originalité de l´œuvre de Guy Goffette : «Attachée à porter un regard émerveillé sur le monde, sa poésie est empreinte d´un lyrisme sans emphase, toujours juste et sincère, laissant entendre des notes d´amertume, de nostalgie et d´humour. Elle est toujours un acte de conviction». Et l´on a rappelé une phrase de Guy Goffette lui-même : «La poésie est une manière différente, plus riche, plus libre et plus intime d´habiter la langue. Ne raisonnant pas, la poésie raisonne».

En Belgique, le pays où il est né, sa mort a également plongé le monde littéraire dans la consternation. Objectif Plumes, le portail des littératures belges, n´a pas manqué de rappeler que ce qui séduisait et retenait Guy Goffette l´exaltait et le mettait dans un énorme enthousiasme : les poèmes qu'il écrivait ou dont il rêvait déjà, les poètes qu'il lisait, les anciens comme les modernes, sur lesquels il écrivait, prose ou poésie, les textes qu'il choisissait jadis d'imprimer, les voyages qu'il faisait, les êtres, hommes ou femmes, qu'i rencontrait : «C´est assurément un passionné, un tourmenté aussi, qui vibre, crée, vit intensément et se donne à chaque fois tout entier à ce qu'il fait. Sa poésie va des chemins de la révolution à l'approfondissement des contradictions intérieures (rester vs partir), des évasions rêvées à l'enracinement regretté (une fois qu'il est parti ou bien quand il revient). Elle est grave (obsession du temps qui fuit, du néant), dynamique, ouverte aux vents de l'inspiration (diversité des thèmes) et n'est certes pas arrivée au terme de son évolution».  

 

*Un des plus grands noms du fado, né à Lisbonne en 1891 et mort dans la même ville en 1982.

  

 

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