Guy Goffette,
l´enfance est ma patrie.
Pour la plupart des écrivains, la patrie est la langue qu´ils utilisent
pour véhiculer leurs idées et leur talent. On pourrait cependant ajouter à la
langue une autre patrie que d´aucuns revendiquent aussi : l´enfance. C´était,
sans l´ombre d´un doute, le cas de l´écrivain belge Guy Goffette. Né le 18
avril 1947 à Jamoigne, en Lorraine belge, et décédé tout récemment, le 28 mars,
il a été à tour de rôle enseignant, critique littéraire, bibliothécaire,
éditeur et surtout un passeur. Avec quelques amis, il a créé, en 1980, une
revue de poésie Triangle qui n´a connu que douze numéros et trois ans plus tard
L´Apprentypographe, qu´il composait et imprimait lui-même à la main. Cette
expérience a fini en 1987 et depuis l´auteur a consacré le plus clair de son
temps aux voyages, avant de devenir, un temps, libraire d´occasion.
Comme auteur, mais aussi comme membre du comité de lecture des éditions
Gallimard, à partir de 2000, il fut, avec Jean Grosjean et Jacques Réda, l´un
des grands animateurs de la vie poétique.
Son œuvre fut saluée, entre autres
récompenses, par le prix Mallarmé reçu pour Éloge pour une
cuisine de province en 1989, le grand prix de poésie de la
SGDL en 1999, le Grand Prix de Poésie de l´Académie Française en 2001 ou
le Grand Prix Goncourt de la Poésie en 2010. Cci en France. En Belgique, Guy Goffette a reçu entre autres le prix Maurice Carême,
le prix Félix Denayer de l’Académie de langue et de littérature françaises de
Belgique et le prix Rossel pour Une enfance lingère.
Né au sein d´une famille ouvrière, Guy Goffette a étudié à l´Ecole Normale
d´Arlon où son maître Vital Lahaye, poète lui-même,
lui a inculqué le virus de la poésie. Quand il était jeune, il a passé
quelques années d´internat dans une institution religieuse ce qui n´a fait
qu´aviver son goût de liberté. Un goût qui perce dans tous ses écrits,
soient-ils des récits ou des poèmes. On pourrait dire aussi de Guy Goffette qu´il
est un écrivain de l´errance, toujours en partance (un sentiment qui a inspiré
le titre d´un livre Partance et autres lieux, prix Valery Larbaud 2000), l´écrivain de la
douce mélancolie. Il aimait faire partager ses découvertes et l´interprétation
qu´il faisait de la vie de certains artistes, qu´on pourrait dénommer de
petites biographies sentimentales consacrées à Verlaine (Verlaine d´ardoise et de
pluie), au peintre Abel Bonnard (Elle, par bonheur et
toujours nue) et au poète
anglais W.H.Auden (Auden ou l´œil de la
baleine). Mais, comme nous l´écrivions plus haut, l´enfance est au
cœur de son œuvre, à fortiori dans des romans comme Un été autour du cou (2002) et Une enfance lingère (2006)
qui a reçu le prix Marcel Pagnol outre le prix Rossel. L´enfance de Guy
Goffette est celle de l´école buissonnière, de la naïveté, des trains, des
arbres, de la mer. Mais aussi l´enfance des premiers ébats amoureux ou à tout
le moins des rêves d´amour, fussent-ils grâce au parfum de jeunes filles en
fleur ou à celui de femmes mûres et charnelles.
Quoiqu´il en soit, Guy Goffette était, avant tout, un poète et c´est la vie
qui l´a toujours inspiré, au détour d´un chemin, d´un coin perdu, en faisant,
on l´a vu, l´ Éloge
pour une cuisine de province (collection poésie de Gallimard), en
évoquant les poètes de sa prédilection (Verlaine et Auden, déjà cités, et
aussi, entre autres, Pessoa, Saba, Pavese, Emily Dickinson, Mandelstam,
Hölderlin, Larbaud, Borges, Cavafy ou Yannis Ritsos).
La vie n´est parfois «Rien qu´un souffle» comme il l´écrit dans ce poème da La Vie promise :
«Oui, tout homme debout n´est qu´un souffle / poussière, dans la gorge ses
cris, ses pleurs, / ses chants d´amour et de déréliction, sable / du désir qui
s´enlise : mourir, / ne pas mourir, qu´importe après tout, / si la mer
n´est rien d´autre qu´un soupir / dans le rêve du ciel qui s´abandonne…». Mais
la vie - comme on peut lire dans Un manteau de fortune (Grand prix de
poésie de l´Académie Française 2001) - est également un « vieux piano d´herbes
vendu aux neiges de l´Ardenne » ou une des multiples « variations sur une
montée en tramway » ou enfin « Un dimanche à Lisbonne » à l´ombre du chanteur
de fado Alfredo Marceneiro*, où l´on nous dit que « …au loin une guitare
insinue / que rien n´existe sur la terre / comme l´absence, et que l´amour /
est toujours nu / Heureux les amants amarrés / que l´ombre garde au fond de
l´eau: / ils sont l´âme du diamant, / l´or du fado ».
À la fin, il y a toujours un poème, pour inonder notre cœur de bonheur,
même si vous ignorez au juste ce qu´est un poème. Il est peut-être ce que Guy
Goffette a écrit un jour : « Et si le poème, c´était plus simplement / ce
qui reste en souffrance dans la déchirure / du ciel, comme une valise sans
couleur / un gant dans l´herbe - et le rayon de soleil / s´amuse avec les
serrures, l´agrafe en fer blanc / cependant que nous restons en retrait /
empêtrés dans nos ombres / comme un enfant grandi trop vite / et qui ne sait
plus rire ».
Sur le site de Gallimard, à sa mort, on a écrit des lignes qui témoignent
on ne peut mieux du parcours de vie et de l´originalité de l´œuvre de Guy
Goffette : «Attachée à porter un regard émerveillé sur le monde, sa poésie
est empreinte d´un lyrisme sans emphase, toujours juste et sincère, laissant
entendre des notes d´amertume, de nostalgie et d´humour. Elle est toujours un
acte de conviction». Et l´on a rappelé une phrase de Guy Goffette
lui-même : «La poésie est une manière différente, plus riche, plus libre
et plus intime d´habiter la langue. Ne raisonnant pas, la poésie raisonne».
En Belgique, le pays où il est né, sa mort a également plongé le monde
littéraire dans la consternation. Objectif Plumes, le portail des littératures
belges, n´a pas manqué de rappeler que ce qui séduisait et retenait Guy
Goffette l´exaltait et le mettait dans un énorme enthousiasme : les poèmes qu'il écrivait ou dont il rêvait
déjà, les poètes qu'il lisait, les anciens comme les modernes, sur lesquels il
écrivait, prose ou poésie, les textes qu'il choisissait jadis d'imprimer, les
voyages qu'il faisait, les êtres, hommes ou femmes, qu'i rencontrait : «C´est
assurément un passionné, un tourmenté aussi, qui vibre, crée, vit intensément
et se donne à chaque fois tout entier à ce qu'il fait. Sa poésie va des chemins
de la révolution à l'approfondissement des contradictions intérieures (rester
vs partir), des évasions rêvées à l'enracinement regretté (une fois qu'il est
parti ou bien quand il revient). Elle est grave (obsession du temps qui fuit,
du néant), dynamique, ouverte aux vents de l'inspiration (diversité des thèmes)
et n'est certes pas arrivée au terme de son évolution».
Néanmoins, une des meilleures épitaphes sur Guy
Goffette, on l´a lue le 5 avril dans les colonnes du quotidien Libération sous
la plume de Jean-Marie Laclavetine ; « ll
faut être natif d’Hollywood pour croire que les poètes forment des cercles et
disparaissent. Les poètes ne disparaissent pas, ils brisent les cercles, filent
en zigzag, furètent, passent par ici, repassent par là. On ne les voit qu’à la
nuit tombée, comme la plupart des animaux sauvages. Il faut pour cela avoir
l’œil exercé, et accepter de délaisser un moment la mangeoire cathodique. Guy
Goffette n’a pas disparu. Il reste à jamais un poète en maraude, un grand
chapardeur de regards et de corps, un arrière-cousin de Villon et Rimbaud. Il
vole des fleurs d’absinthe au bistrot de Verlaine, il en fait des bouquets pour
les offrir aux femmes qui passent (et restent parfois). S’il vagabonde, ce
n’est pas pour s’éloigner à tout prix de ses Ardennes d’élection, son pays de
loups gris, de sapins bleus et de tabac, mais plutôt pour en éprouver la
nostalgie toujours fraîche. Il n’aspire à rien d’autre qu’à planter de la fumée
sur le bord des fossés».
*Un des plus grands noms du fado, né à Lisbonne en 1891 et mort dans la
même ville en 1982.
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