Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Badjens de Delphine Minoui, publié aux éditions du Seuil.
https://lepetitjournal.com/lisbonne/livre-badjens-un-roman-de-delphine-minoui-396445
«L´enfer, c´est un endroit sans livre»-Elie Wiesel.
Vous pouvez lire sur le site du Petit Journal Lisbonne ma chronique sur le roman Badjens de Delphine Minoui, publié aux éditions du Seuil.
https://lepetitjournal.com/lisbonne/livre-badjens-un-roman-de-delphine-minoui-396445
Une nouvelle qui me réjouit énormément. Le Prix Goncourt 2024 fut attribué aujourd´hui au très beau roman Houris écrit par l´écrivain franco-algérien Kamel Daoud et publié aux éditions Gallimard. Je lui ai consacré une chronique parue dans le quotidien numérique Le Petit Journal Lisbonne le 26 septembre (vous pouvez en retrouver le lien sur ce blog).
Je signale aussi que le Prix Renaudot a récompensé un autre beau roman, Jacaranda de Gaël Faye, publié aux éditions Grasset.
Sacha Filipenko, l´honneur de la dissidence.
«Un livre plein de bruit et de fureur, mais aussi de grandeur et de
douceur». Ces lignes ont été publiées le 15 mars 2018 au Figaro Littéraire
jaillissant de la plume d´Astrid de Larminat et elles définissaient le roman
Croix Rouges, le premier livre de l´écrivain Sacha Filipenko paru en français
et traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton pour le compte des Éditions
des Syrtes. Cette définition pourrait tout autant s´appliquer à d´autres livres
de ce jeune et brillant écrivain biélorusse, né à Minsk le 12 juillet 1984, qui
ne mâche pas ses mots et qui au fil des ans s´est affirmé comme une des voix
incontournables de la littérature contemporaine en langue russe. Ce premier
roman traduit en français, Croix Rouges, est une interrogation sur la mémoire
individuelle qui s´efface peu à peu tout autant que sur la mémoire collective
qui disparaît avec les derniers survivants d´une histoire tragique. La croix
rouge rappelle les prisonniers soviétiques abandonnés pendant la seconde guerre
mondiale. C´est aussi le signe que dessine Tatiana Alexeïevna, une vieille dame
malade, sur les portes pour retrouver celle de son appartement et la croix que
portaient les citoyens soviétiques soumis à la terreur. Tatiana établit un
dialogue avec Sasha, un jeune frais débarqué dans son immeuble. La vie de
Tatiana est obsédée par la recherche de la vérité tandis que Sasha essaie de
tourner une page douloureuse afin de continuer de vivre. La croix est également
l´objet des dernières volontés de l´héroïne.
Paru en janvier 2020, La traque est le deuxième roman de Sacha Filipenko
traduit en français (cette fois-ci par Raphaëlle Pache). Il s´agit d´une
histoire de chasse à l´homme et de persécution psychologique. En enquêtant sur
un homme politique douteux qui incarne la corruption et le vice, le journaliste
Anton Piaty devient la cible des hommes de main de l´oligarque. Ils ne reculent
devant rien et ne laissent rien au hasard. La vie du journaliste est tellement
insupportable qu´il est forcé à s´expatrier. Le romancier démonte avec brio
tous les rouages de cette traque et son personnage est le parangon du lanceur
d´alerte obstiné. La traque tient de la fable politique et du roman noir.
En 2022, sur un autre éditeur, Noir sur Blanc, paraissait Le fils perdu,
traduit par Philie Arnoux et Paul Lequesne. Encore une fois, Sacha Filipenko
interroge, à travers la fiction, la violence des régimes soviétique et post-
soviétique, aussi bien que les rouages de la terreur et leurs conséquences sur
les êtres qui y sont confrontés. Sa compatriote Svetlana Alexievitch, Prix
Nobel de Littérature 2015 (voir notre chronique de décembre 2014) a affirmé un
jour que si l´on veut entrer dans la tête de la Russie jeune, de la Russie moderne,
il faut lire Filipenko.
Dans cette fiction, on découvre Francysk, jeune homme de seize ans qui
étudie la musique dans une ville de Biélorussie et qui tombe dans le coma à la
suite d´une violente bousculade lors d´un mouvement de foule. Il est abandonné
par la plupart de ses proches. Seule sa grand-mère Elvira lui rend visite
chaque jour et s´inquiète de son sort. Après dix ans de coma, Francsysk se
réveille et on lui annonce que sa grand-mère est décédée. C´est le moment où il
se rend compte que ses proches ont changé de vie. Par contre, dans le pays, le
temps semble s´être arrêté : le même président autoritaire, le départ des
jeunes devant un avenir sans perspectives et la répression de toute
contestation.
Le quatrième livre publié en langue française est disponible depuis janvier
dernier, toujours aux éditions Noir sur Blanc, traduit du russe par Marina
Skalova. Il s´intitule Kremulator et plonge dans l´Union Soviétique du temps
des grandes purges staliniennes. En 1941, le directeur du crématorium de Moscou,
Piotr Nesterenko, est arrêté. Il n´ignore nullement ce qui arrive aux victimes
puisqu´il les a lui-même incinérées : opposants, espions présumés, anciens
héros de la révolution et autres ennemis du peuple. Au fil des interrogatoires,
il doit répondre de sa vie tumultueuse : officier de l´Armée blanche ayant
fui les bolcheviks jusqu´en Ukraine, survivant d´un étrange accident d´avion,
émigré à Istanbul puis à Paris, amoureux fidèle à la passion de sa jeunesse,
bref tout un parcours qui n´est pas de nature à plaire aux autorités
soviétiques. À un moment donné, se noue un jeu du chat et de la souris entre le
prisonnier et son commissaire-enquêteur, brouillant les cartes entre le
bourreau et la victime, la justice et le mensonge, le bien et le mal.
L´auteur ici entrelace avec un énorme doigté la fiction et les documents
historiques. Il dépeint sous des teintes ironiques une histoire macabre et
folle depuis l´intérieur d´un État totalitaire.
Dans la préface, Sacha Filipenko raconte ce qui l´a amené à écrire ce
livre et pourquoi il l´a intitulé Kremulator (Kremonliator, en russe :
«Une première version du roman avait pour titre «L´interrogatoire nocturne». Ce
titre me déplaît fortement, alors je cherche, je cherche et mets plus d´un an
avant d´aboutir à une idée simple : Kremulator, le mot russe pour
«crémulateur». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du
Kremlin et le nom d´un métier qui n´existe pas. Le crémulateur est un
instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d´un
individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une
heure et demie au four). Il me semble qu´il n´y a pas de meilleure métaphore
pour désigner la machine répressive soviétique». Kremulator fut couronné du
Prix Transfuge du meilleur roman européen 2024.
Après des études secondaires qui lui
ont permis d´obtenir un diplôme du prestigieux lycée des Beaux –Arts Ivan
Akhremchik, Sacha Filipenko s´est installé à Saint-Pétersbourg où il s´est
inscrit à la Faculté des Arts libéraux et des Sciences à l´université d´État
locale. Il fut journaliste, scénariste, animateur de télévision avant de se
consacrer essentiellement à la littérature. Pour s´être ouvertement opposé au
président autocrate de son pays Alexandre Loucachenko et avoir soutenu Maria Kolesnikova-
musicienne et femme politique toujours incarcérée en Biélorussie – Sacha
Filipenko vit maintenant en Suisse.
En 2020, alors qu´il habitait Saint – Pétersbourg, Sacha Filipenko est
temporairement retourné dans son pays pour soutenir et documenter le
soulèvement du peuple contre Alexandre Loukachenko. Le 21 septembre, il
publiait une tribune dans le quotidien français Le Monde où il se prononçait
sur la situation dans son pays. Ses mots étaient forts et courageux : «Au
moment où je vous parle, nous vivons dans un pays dont des terroristes se sont
emparés. En direct, nous voyons des gens armés terroriser un peuple entier.
Chaque jour, des hommes masqués font irruption dans nos maisons ou nous
kidnappent dans la rue. Chaque jour ! Ces terroristes prennent des écoliers,
des femmes et des journalistes en otage. Ce sont des faits. En ce moment même,
là, dans mon pays, des gens sont battus à mort et, ensuite, dans un maladroit
simulacre de suicide, on les transporte jusqu’à un parc et on les pend aux
arbres. On tire sur la population. Dans le dos, dans la tête, à vue, on tue.
Les exactions se poursuivent tous les jours, pourtant personne ne peut nous
aider. Nous n’avons ni police, ni armée, ni KGB, parce que le ministère de
l’intérieur, le KGB et l’armée sont précisément les terroristes qui se sont
emparés de nous. C’est donc ainsi que nous vivons et, malgré toutes les
horreurs qui nous arrivent, nous nous efforçons de ne pas perdre courage, de
rester des gens libres et, le soir, d’aller par exemple au café. Avec nos amis
(ceux qui, pour l’instant, n’ont pas été arrêtés et qu’on ne torture pas dans
quelque prison), nous nous efforçons de faire comme si rien n’avait changé dans
notre pays, mais sans résultat probant».
Depuis lors, la vie n´a pas changé en Biélorussie. Loucachenko règne
toujours sans partage et qui plus est joue un peu le rôle d´homme de main de
Vladimir Poutine et de la Russie dans la guerre contre l´Ukraine. Néanmoins,
les Biélorusses continuent de lutter avec leurs moyens- parfois assez limités,
il est vrai –contra le dictateur et ses séides, même si l´on entend de moins en
moins parler de la Biélorussie ces derniers temps, la réalité du pays étant en
quelque sorte mise sous le boisseau en raison des attaques de la Russie contre
l´Ukraine, deux pays voisins. Fin mai, Sasha Filipenko a accordé une interview
à Euronews où il évoquait la résistance de son pays contre la dictature qui y
sévit : «Les personnes qui détiennent le pouvoir en Biélorussie essaient
toujours de "nettoyer" la moindre parcelle de ce pays.
Malheureusement, la répression se poursuit. Chaque jour, il y a des
perquisitions, il y a des arrestations,
nous voyons des tribunaux tout le temps et, je pense, cela ne fait que confirmer
que la protestation n'a pas cessé. Ce n'est pas aussi beau que les
manifestations de 2020, mais la température constante du maintien de la
répression montre que la société biélorusse, j'en suis fermement convaincu, n'a
pas lâché. Les Biélorusses n'ont pas baissé les bras et cherchent de nouveaux
moyens de lutte et de sabotage».
Sur le rôle de l´écrivain et de la littérature (et aussi sur sa situation
spécifique) dans un pays qui muselle la presse et la création artistique, Sacha
Filipenko a affirmé : «La situation, comme beaucoup d´autres situations en
Biélorussie, est plutôt surréaliste. Par exemple, les représentations de mes
pièces de théâtre sont interdites. Une procédure pénale a été ouverte contre
moi, mais je ne sais toujours pas en vertu de quel article. Les livres sont
parfois disponibles dans les librairies, mais ils ne sont pas sur les étagères.
C´est-à-dire qu´il faut demander au vendeur s´il y a des livres de Filipenko et
celui-ci, comme un dealer, dit : «Oui, venez avec moi, je vous donnerai un
livre». Malheureusement, les écrivains sont de moins en moins écoutés
aujourd´hui, car si vous lisez attentivement nos livres, nous avons déjà écrit
en 2010 et en 2014 que cette guerre aurait lieu. Les écrivains sont souvent
traités d´«alarmistes». Je pense que ce n´est pas tant que les écrivains ont
besoin de conseils, mais que la société devrait de temps en temps écouter les
écrivains. J´ai récemment pris la parole à Berlin, et mon discours a été
retardé de 40 minutes parce que des politiciens allemands bien connus
s´adressaient à moi. J´ai alors déclaré que je pensais que ce monde serait un
peu meilleur et que j´espérais qu´il serait meilleur lorsque les hommes
politiques parleraient après les écrivains, et non l´inverse».
Sacha Filipenko ou l´honneur de la dissidence.
Jeudi dernier, 17 octobre, on a signalé le centenaire de la naissance à
Faro d´Antonio Ramos Rosa, immense poète portugais, décédé à Lisbonne le 23
septembre 2013.
Sa région natale, l´Algarve, constitue l'essence de son
inspiration. Ses textes expriment son rejet de l'oppression sociale et l´attachement
à la condition humaine.
En 1951,
il fonde la revue Arvore, qui devient un moyen d'expression pour de
grandes plumes de la poésie française comme René Char et Paul Éluard. Il
est emprisonné sous le régime de Salazar, l'Estado Novo, qu'il désapprouve.
Au
cours d'une carrière longue de trente-cinq ans, il signe pas moins d'une
centaine d'œuvres, dont Le livre de l'ignorance et le
Dieu nu qui lui valent d'obtenir d´importants prix littéraires.
Le comité Nobel a récompensé la romancière sud-coréenne Han Kang, jeudi 10 octobre. Han Kang, qui écrit des poèmes, des nouvelles et des romans en coréen, a été récompensée « pour sa prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine », a expliqué le jury dans un communiqué. Parallèlement à l’écriture, elle s’est également consacrée à l’art et à la musique, ce qui se reflète dans l’ensemble de sa production littéraire. « L’œuvre de Han Kang se caractérise par cette double exposition de la douleur, une correspondance entre le tourment mental et le tourment physique, en lien étroit avec la pensée orientale », a précisé l´Académie suédoise.
L’autrice est née le
27 novembre 1970 à Gwangju, en Corée du Sud, et elle est la première
sud-coréenne à remporter le Prix Nobel de Littérature.
Fille de l’écrivain Han
Sung-won, l’autrice a reçu le prix Emile-Guimet de littérature asiatique
en 2024.
On signale ce samedi 5 octobre le centenaire de la naissance de José Donoso, un des plus grands écrivains chiliens du vingtième siècle, décédé en 1996. Vous pouvez chercher dans les archives de ce blog la chronique que je lui ai consacrée il y a quelques mois(chronique de juillet 2024).
On vient d´apprendre la mort aujourd´hui même , le 30 septembre, du poète français Jacques Réda, né le 24 janvier 1924.
On reproduit ici la notice nécrologique que les éditions Gallimard ont publiée sur son site internet:
«(...)Poète et
critique à l’œuvre abondante et variée, nourrie de son amour pour la science,
le jazz et la toponymie urbaine (et pour mille autres choses encore), il fut
lecteur puis éditeur chez Gallimard à partir de 1975 et membre du comité de
lecture à partir de 1983, ainsi que rédacteur en chef de La Nouvelle Revue
française de septembre 1987 à décembre 1995.
Par ses œuvres
comme par l’attention qu’il ne cessa de porter aux autres écrivains de son
temps, cet homme de revues, grand admirateur de Charles-Albert Cingria,
témoigna de son attachement à une littérature de création qui sache tenir
toutes ses promesses d’expression et de vérité humaine, sans jamais se défaire
du lien avec le lecteur, la nature et le monde comme il va.
Salué par le
Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1997, il a publié la plus
grande part de son œuvre aux Éditions Gallimard après qu’il y a été accueilli
dans la collection "Le Chemin" de Georges Lambrichs en 1968
("Amen").
Cette œuvre
s’est poursuivie jusqu’à la publication récente du cinquième tome de sa
"Physique amusante" et des "Leçons de l’arbre et du vent",
où il écrivait :
« Il est une
forêt sans borne où je voudrais / M’enfoncer, en mourant, loin de la médecine
// […] J’y prendrai tout doucement racine / Quitte de mes devoirs et de mes
intérêts / Dans l’absence de temps où l’Arbre se dessine. »
Le départ de Jacques Réda laisse
un grand vide pour tous ses amis qui aimaient tant sa compagnie, la finesse de
son esprit, son humour et les attentions touchantes de sa très belle
personnalité».