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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

lundi 9 juillet 2012

Promenade d´été


Dictionnaire des mots oubliés ou délaissés.

François Mottier


 
Quand on fait (re)vivre les mots.
(Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés de François Mottier).


Nous sommes témoins depuis quelques années -ce n´est plus d´ailleurs un secret –d´un net abâtardissement de la langue parlée ou écrite. On tend à tout simplifier. Je ne m´insurge pas-loin s´en faut- contre la création de néologismes qui enrichissent la langue, ce phénomène en mouvement perpétuel. Vergílio Ferreira, grand écrivain portugais du vingtième siècle, traduit en d´autres langues, dont le français, avec un considérable retard par rapport à la date de parution de ses premiers livres-Le roman Matin perdu (Manhã submersa en portugais) s´est vu décerner le prix Femina étranger en 1990(Éditions La Différence) alors qu´au Portugal il avait été publié en 1954 !-Vergílio Ferreira a donc affirmé un jour que le grand écrivain est celui qui enrichit le dictionnaire de nouveaux vocables et non pas celui qui cherche des mots dans le dictionnaire.
Les Portugais les plus nationalistes rechignent un peu à reconnaître l´apport des Brésiliens, par nature plus pétillants, à l´enrichissement de la langue portugaise. Et pourtant, cet apport est significatif. On vous donne un tout petit exemple : pour féliciter quelqu´un pour son anniversaire on peut lui dire «Feliz aniversário» (joyeux anniversaire) mais aussi «Parabéns !». Or, de ce dernier mot, les Brésiliens en ont créé le verbe « parabenizar».
La création de nouveaux mots (noms, adjectifs, verbes) ne doit quand même pas nous faire ensevelir les plus anciens dans un vieux dictionnaire poussiéreux rangé dans un quelconque tiroir aux oubliettes. S´ils risquent de disparaître, il faut leur redonner vie, si possible par le biais d´un dictionnaire spécifique. C´est d´ailleurs ce que vient de faire, avec un indéniable doigté et-j´en suis sûr- un grand plaisir, François Mottier avec son Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés (Édition de la Mouette) et ce pour le bonheur des amants du beau parler et des amateurs de la préexcellence du langage français (pour paraphraser Joachim Du Bellay).
Un verbe est, on le sait, essentiel dans une phrase et il est en quelque sorte une antithèse de la banalité. En épigraphe de ce dictionnaire, François Mottier a choisi une belle phrase de Charles Baudelaire :«Il y a dans le mot, dans le verbe, quelque chose de sacré qui nous défend d´en faire un jeu de hasard. Manier savamment une langue, c´est pratiquer une sorte de sorcellerie évocatoire».
C´est donc avec un plaisir de collectionneur et de voyageur que nous parcourons ce dictionnaire comme si plonger dans ce livre et humer les mots qui s´en dégagent fût le meilleur antidote contre la disparition de ces verbes précieux et rares, comme si en exhumant ces verbes de la tombe ou du moins du limbe où ils se trouvaient empêtrés on fût imprégné d´un parfum de lavande et non pas d´une odeur de renfermé.
Au fur et à mesure que l´on feuillette les pages de ce dictionnaire atypique, on se sent embarqué dans un voyage où les mots défilent devant nos yeux comme autant de destinations inconnues ou oubliées. Ainsi, retenez bien le verbe «adraguer», verbe argotique qui signifie «boire en excès».Pour briser un peu la monotonie, si vous voulez parler de quelqu´un en disant notamment qu´il n´est plus particulièrement sobre, au lieu de dire qu´il est déjà un peu arrosé, vous pouvez dire tout bonnement qu´il est déjà un peu «adragué», n´est-ce pas ? Par contre, si vous voulez pénétrer furtivement dans un verger pour y cueillir des fruits, vous pourrez dire que vous allez «allevasser». Si vous vous sentez indolent en ce moment parce qu´il fait très chaud, vous pourrez dire que la chaleur est de nature à vous rendre paresseux, c´est-à-dire à vous «apparesser». Si vous avez un malaise, vous risquerez de «débâgouler», par d´autres mots, «vomir sans avertissement», un verbe qui peut signifier aussi au figuré «injurier quelqu´un en lâchant tout ce qui vient à la bouche, en fait de grossièretés». Si vous êtes assez téméraire pour, à la manière des aventuriers du passé, délivrer un ami qui est en taule, vous irez alors le «défermer». Si vous avez peur de déranger les heures ordinaires d´occupation de quelqu´un, vous lui poserez d´abord la question : «Je ne vous désheure (verbe désheurer) pas, au moins ?». Si vous êtes discret et ne laissez pas éclater votre colère quand il s´agit de vous plaindre, alors vous êtes en train de «hogner». Par contre« hollander» ne signifie aucunement voyager en Hollande ou être partisan de François Hollande, mais «ôter le suint d´une plume en la passant à la cendre très chaude». En outre, si vous avez l´intention de décerner à quelqu´un le titre de monseigneur de souriante façon, vous le «monseigneuriserez». Enfin, voulez-vous rappeler un événement à quelqu´un ? Ça s´appelle « ramentevoir».
Enfin, les exemples sont légion et l´on ne va pas bien sûr les épuiser ici. Ce que je cherche surtout c´est à vous donner une illustration de l´incomparable richesse de cette œuvre, un livre publié par une petite maison d´édition (Édition de la Mouette) de la ville de Sète au catalogue assez varié et qui prouve de la sorte qu´il faut souvent lorgner du côté des éditeurs de province pour y dénicher des joyaux comme celui-ci.
L´auteur, François Mottier, est né à Vevey, en Suisse, en 1952. Vieux baroudeur, passionné de mer, il a voyagé un peu partout notamment en Croatie et en Afrique avant de se fixer à Sète.
Il a travaillé presque exclusivement dans le tourisme, a écrit des poèmes, des romans et des nouvelles et prépare plusieurs ouvrages maritimes et d´autres livres sur la ville de Sète.
Personnalité avenante, François Mottier est un de ces rares écrivains pour qui la littérature est un lieu de rencontre, de rêves, d´amitié et de partage. Pour le grand bonheur de ses lecteurs.

François Mottier, Dictionnaire des verbes oubliés ou délaissés, éditions de la Mouette, Sète, 2011.

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