Le grand écrivain israélien Aharon Appelfeld, survivant de la Shoah, est décédé hier à Petah Tikva, à l´âge de 85 ans. En guise d´hommage, je reproduis ici l´article que je lui ai consacré en 2006 et publié à l´époque sur le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne:
Ahron Appelfeld, le survivant.
Ce fut
après que son livre Histoire d´une vie eut été récompensé par le prix
Médicis étranger 2004 en France, que nous avons découvert Aharon Appelfeld.
Salué par le grand écrivain américain Philip Roth comme l´héritier de Kafka et
de Bruno Schulz (voir nos suggestions de février), Aharon Appelfeld quoique
moins connu internationalement que d´autres auteurs écrivant en hébreu comme
Amos Oz ou David Grossmann, n´en reste pas moins un écrivain prestigieux en
Israël. Et pourtant l´hébreu n´est devenu une langue courante pour lui qu´après
son débarquement en Palestine en 1946. C´est que cet auteur aux racines juives
est né le 16 février 1932 à Czernowitz, en Bucovine, ancien territoire de
l´empire austro-hongrois, rattaché à la Roumanie après la première guerre
mondiale, le même lieu de naissance d´écrivains comme Gregor von Rezzori ou
Paul Celan qui, né en 1920, habitait sans qu´ils se connaissent, la même rue
qu´Appelfeld. Sa langue maternelle, comme celle des deux autres écrivains
cités, était donc l´allemand, quoique d´autres langues fissent partie de son
quotidien comme le yiddish de sa grand-mère, le ruthène de la domestique ou le
roumain parlé dans la rue.
Son
univers paisible a été bouleversé en 1941 lorsque la fureur nazie, dans sa
hargne persécutrice, s´est déchaînée à Czernowitz. À 8 ans il a découvert les
affres du ghetto et entendu la détonation de l´arme qui a tué sa mère. À 10 ans
il a été déporté avec son père dans un camp de Transnitrie d´où il s´est évadé,
devant vivre caché dans la forêt pendant trois ans et entamant ainsi une
errance qui l´a mené jusqu´en Palestine où il a assisté à la naissance du
nouvel État d´Israël. Son père, ce n´est qu´au début des années soixante qu´il l´a
enfin retrouvé, alors que chacun des deux croyait l´autre mort.
La
plupart de ses souvenirs, il les a racontés, dans un style épuré, sobre et
élégant, dans Histoire d´une vie, un livre où il nous dévoile les mécanismes
qui sous-tendent son univers littéraire, gravitant essentiellement autour du
silence, de la contemplation et de l´invention d´une langue. L´oeuvre
d´Appelfeld est néanmoins immense : Le temps des prodiges , où il
rend visibles les premiers signes de la montée du nazisme ; L´Immortel
Bartfuss , où un ancien évadé d´un camp de la mort, persécuté par sa
familie, se réfugie dans son passé héroïque ; Tsili qui raconte l´histoire
d´une petite fille de douze ans qui se bat pour survivre ou L´amour soudain
, la vie d´un vieil homme qui, grâce à l´amour d´une jeune fille, écrit
sur son enfance dans les Carpates, ce qu´il n´avait jamais pu faire auparavant.
Enfin,en octobre est paru, aux éditions de l´Olivier, le dernier livre
d´Appelfeld traduit en français, Floraison sauvage , le récit d´un
amour entre frère et soeur qui recrée à sa manière le couple d´Adam et Ève.
Aharon
Appelfeld, écrivain de la Shoah ? Dans une interview accordée en septembre
2004 au Magazine littéraire, il repousse cette épithète : «Je ne prétends
pas pouvoir comprendre toute la souffrance de la Shoah. J´écris sur moi comme
être humain (...) il se trouve que l´Holocauste fut toute mon enfance (...) je
parle donc de l´expérience, personnelle, que j´en ai faite...».
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