Philip Roth, un des plus grands écrivains contemporains, est mort hier à New York, à l´âge de 85 ans.En guise d´hommage à cet immense écrivain américain, je reproduis ici un article que je lui ai consacré en 2006 pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne à l´occasion de la parution en français du roman The Plot against America:
Une fable américaine.
Avec
un considérable retard (assez étrange, d´ailleurs) par rapport aux autres
grandes langues de communication, la traduction française du roman de
l´écrivain américain Philip Roth, The plot against America, vient
enfin de paraître chez Gallimard sous le titre La conspiration contre l´Amérique. Ce roman, nous l´avions déjà acheté l´année
dernière dans une collection de poche de l´éditeur Vintage aux caractères
minuscules, rendant parfois la lecture un peu pénible, ce qui est souvent le
cas chez les livres de cette maison d´edition américaine alors qu´il existe une
autre édition de poche -de la Penguin Books anglaise- aux caractères plus gros
que nous avons découverte quelques jours plus tard. Quand on tient beaucoup à
un livre, on ne s´embarrasse point, dans un premier temps, de ce genre de
détails.
Philip
Roth est, on le sait, un des plus grands écrivains vivants, toutes langues
confondues. Né à Newark, une ville portuaire proche de Manhattan dans le New
Jersey, en 1933, il est un enfant de la classe moyenne américaine, d´origine
juive. Il étudie la littérature à l´Université de Bucknell, puis de Chicago et
en 1959 il publie son premier recueil de nouvelles, Good bye Colombus qui
devait être récompensé d´un prix important, le National Book Award, commençant
ainsi une longue carrière de succès. Au début des années quatre-vingt, il se
crée un double littéraire afin de mieux dénoncer les errances de la société
américaine, Nathan Zuckermann qui serait le protagoniste de plusieurs livres
parmi lesquels L´écrivain des ombres, La contrevie, Pastorale
américaine et surtout La tâche , un énorme succès qui s´est vu
attribuer le prix Médicis étranger 2002, en France et qui a été porté à l´écran
par Robert Banton avec Nicole Kidman, Anthony Hopkins et Gary Sinise.
À travers
ses fictions, Philip Roth s´attaque aux démons de la nation américaine et ce
sans aucune espèce de tabous ou de faux-semblants. Au début du siècle, il a
publié un roman - J'ai épousé un communiste - qui évoquait la période
sombre du maccarthysme et en 2004 le livre que nous vous suggérons, Le
complot contre l´Amérique, une fable politique qui nous dévoile toute
l´étendue de son imagination créatrice. Imaginez, chers lecteurs, qu´en 1940
l´aile droite du parti républicain ait réussi à faire nommer comme candidat du
parti aux élections présidentielles américaines l´aviateur Charles A. Lindbergh
et qu´il serait devenu président des États-Unis à la place du démocrate
Franklin Roosevelt. L´Histoire des États-Unis et, partant, celle du monde
entier (y compris le cours de la seconde guerre mondiale), en auraient été
considérablement changées. C´est que Lindbergh était un notoire isolationniste,
qui plus est aux idées antisémites, qui aurait donc négocié un accord avec
Hitler peu après son élection.
L´histoire
nous est racontée à travers les yeux d´un môme de sept ans, d´ascendance juive,
qui s´appelle Philip, collectionne des timbres et vit à Newark (comme l´auteur,
curieusement) avec ses parents et son frère aîné. Il regarde, petit à petit,
son univers, avec ses rites, s´écrouler et sa fierté d´appartenir à la grande
nation américaine s´effriter jour après jour. Lui et ses proches sont désormais
vus comme ennemis de l´intérieur et seront l´objet de toutes sortes
d´humiliations. Comme il s´est souvent produit en des circonstances différentes
et en d´autres latitudes, on retrouve également dans cette histoire des
traîtres comme le rabbin Bengelsdorf et sa femme, la tante de Philip.
Mais
si Roth se livre ici à un prodigieux exercice de fiction et l´on peut donc, en
quelque sorte, interpréter ce roman comme un hommage, en filigrane, aux grands
principes de la tradition démocratique américaine (et non pas une métaphore
visant l´administration Bush, comme certains l´ont cru, mais que l´auteur a eu
le soin de démentir, malgré son opposition à la politique du président
américain), il suscite quand même une interrogation : les juifs américains
étaient-ils tout à fait épargnés par l´antisémitisme ? Philip Roth, dans
une interview récente accordée au Monde des Livres, reconnaît qu´il a bel et
bien existé, quoique d´une façon beaucoup moins violente qu´en Europe :
«L´antisémitisme des années trente n´était pas un phénomène strictement
européen. Il existait aussi en Amérique. Tout en étant moins virulent, il était
hautement discriminatoire, rampant et d´une injustice flagrante». Au bout du
compte, si la trame du roman s´appuie sur une fiction, il n´en est pas moins
vrai que Lindbergh n´était pas un personnage fictif et qu´ il avait, quand
même, pas mal de partisans...
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